mercredi 21 octobre 2015

Poutinisme, hypertrophie individuelle et apathie politique

Le mystère Poutine?
                           L'actualité géopolitique projette au premier plan celui qu'une certaine presse occidentale présente souvent sous  les traits d'une nouveau despote au pouvoir hypertrophié,menaçant parfois les intérêts de ceux qui furent les alliés, qui entretiennent encore des relations étroites ou distendues avec l'Otan.
   Qui peut répondre simplement, sans tomber dans le moralisme facile, la caricature grossière, le journalisme de pacotille, l'approche au ras de l'écume des jours reflétée presque quotidiennement jusque dans la presse people, avide de sensationnalisme?
  Nos regards d'observateurs épisodiques et mal informés, distants et hors contexte historique et géopolitique ne perçoivent que des éléments fragmentaires, conditionnés pas le brouillard manichéen  alimenté par l'affaire ukrainienne, moins claire que ce qu'on nous en dit.
    La complexité du système Poutine , comme la situation réelle en Russie, pas seulement à Moscou, nous échappe dans une large mesure.
    Tantôt, le leader post-eltsinien  apparaît comme un despote plus ou moins éclairé et cynique, tantôt comme l'utile redresseur d'une Russie exsangue et humiliée après la gestation cahotique post-gorbatechvienne, traumatisante pour beaucoup de Russes moyens et modestes.
         Les tensions avec Washington se sont accentuées, surtout depuis Clinton, malgré les réactions d' un petit nombre de diplomates et d'intellctuels américains, comme Mac Govern qui s'efforcent de donner une image moins caricaturale d'un Président souvent diabolisé dans leur pays,. et qui  s'interrogent: comment reconstruire la confiance entre Obama  (et ses successeurs) et Poutine?
  Là-bas aussi, l'antipoutinisme primaire se donne souvent libre cours et pollue l'analyse.
  __________        On peut trouver ici une approche, qui, sans être  suffisante, donne une idée assez pertinente sur ce que certains considèrent comme l'énigme du  Poutinisme.
  L'auteur analyse la nature du pouvoir, les formes d'opposition, leur nature et leurs limites et s'interroge sur les racines de l'adhésion actuelle d'une grande majorité russe:
      "... Le soutien que la majorité des Russes accordent à Poutine est largement lié à une peur panique du chaos et de la déstabilisation, symbolisés par les années 90, celles du premier président de la Russie post-soviétique, Boris Eltsine. Celles-ci sont perçues par la majorité de la population comme des années noires où la priorité était de survivre, alors que le pays se désintégrait, les usines fermaient, les salaires n’étaient pas payés, l’inflation allait en galopant. Or dans ces mêmes années 90, les médias, les hommes politiques et les intellectuels prêchaient la victoire de la démocratie et des droits de l’homme. Comment ne pas voir là l’une des sources importantes de la délégitimation de ces valeurs, de la remise en cause d’une démocratie injuste et méprisante envers le « peuple » ?
 Dans les années 90, les parents et les grands-parents trimaient pour nourrir leurs enfants, tout en voyant, à la télévision ou autour d’eux, des individus sans scrupules faire fortune grâce à de petites ou grandes escroqueries. Et, alors que la majorité des gens paupérisés se contentaient d’essayer de faire leur travail et de vivre, ils étaient souvent brocardés dans les médias comme étant les « perdants » des réformes, les « inadaptés », voire les « nostalgiques d’un communisme révolu ». Ce mépris pour les « masses », le « peuple » ou les « petites gens », je l’ai moi-même ressenti lors de mes premières recherches en Russie, en 1994-1999. Des « petites gens » laborieux, consciencieux, citoyens soviétiques ni trop critiques ni trop zélés, qui ont perdu en un instant patrie, repères idéologiques, valeurs sûres, revenus et épargne. Comment ces gens ne se retrouveraient-ils pas dans le discours populiste initié par Poutine qui leur confère importance et respect et qui prend acte de leur demande d’un Etat plus social, au lieu de dénigrer leur prétendu paternalisme d’assistés ? Pourquoi n’adhèreraient-ils pas au discours patriotique qui leur fournit enfin une raison d’être fiers de leur pays, défendu par leurs aïeux, mais qu’ils ont laissé se disloquer ?
       On ne prend pas toujours suffisamment en compte la dimension traumatique de la dissolution brutale de l’Union soviétique, lorsque des familles se sont retrouvées soudainement éparpillées dans des pays différents, alors que l’un des ressorts les plus populaires de l’idéologie officielle était la puissance militaire, technologique, spatiale, culturelle et sportive de cet immense et imposant pays des Soviets, qui s’est retrouvé humilié par les « diktats » des organisations internationales ou l’« aide » occidentale. On ne prend pas non plus toujours la mesure de ce que peut signifier au regard des Russes ordinaires l’expérimentation au quotidienne d’une « démocratie » rimant avec pauvreté et oligarchie, ou de droits de l’homme avec le non-paiement des salaires et des retraites. Et qu’en est-il même de cette liberté de parole considérée dans les cercles intellectuels russes et occidentaux comme ayant connu son âge d’or dans les années 90, alors que les voix des ouvriers et autres catégories paupérisées n’étaient presque jamais présentes dans les débats publics ou sinon sous forme de dénigrement ou de mépris ?
       Ces interrogations, je ne les ai pas retrouvées telles quelles dans les entretiens que j’ai pu effectuer au cours des années 2000, mais elles peuvent se lire en filigrane dans la plupart de mes enquêtes auprès des groupes n’appartenant pas aux élites politiques, économiques, intellectuelles ou culturelles. Aussi le soutien massif apporté à Poutine ne me paraît ni incongru, ni irrationnel, ni signe d’une tendance « russe » à l’autoritarisme. Il me paraît au contraire découler logiquement du désarroi social et de l’ostracisme politique dont ont été victimes la majorité des Russes dans les années 90. Que cela soit ou non lié à sa seule personne importe peu. Vladimir Poutine est associé au retour de la croissance économique, du paiement des salaires et des retraites. Grâce à lui, la Crimée est rattachée à la Fédération de Russie, la fierté de plusieurs générations blessée par la dislocation de l’Union soviétique est restaurée. Grâce à lui, les « citoyens de base » ou le « peuple qui travaille » et « aime la Russie » (dixit Poutine lors de son intervention au meeting du 23 févier 2012 à Poklony Gory, à Moscou, contre le mouvement « Pour des élections honnêtes ») retrouvent un semblant d’existence sociale et politique. Ce discours retire l’herbe sous les pieds des nationalistes, qui ont du mal à surenchérir. La gauche de la gauche (le Parti communiste de la Fédération de Russie n’a plus guère de communiste que le nom), déjà très marginalisée au sein d’une « opposition » largement libérale et anticommuniste, se voit également concurrencée par le Kremlin sur le terrain des valeurs égalitaires et sociales.
    Au total, la popularité de Poutine repose sur ce désenchantement de la démocratie allié à un profond désarroi social. De telles conditions, comme l’indique Pierre Rosanvallon, donnent naissance à une demande de populisme qui est l’assise du « poutinisme »...
_______________ Comme le décrit avec tant de talent et d'émotion le prix Nobel de littérature S. Alexievitch, la douleur secrète, l'humiliation et le désenchantement encore très présents dans le coeur de l'homo sovieticus, de l'homme rouge, ainsi qu'un redressement économique incontestable seraient le ressort essentiel de l'adhésion actuelle au maître du Kremlin.
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