L'Etat est le problème répétaient à l'envi Ronald Reagan et Mme Thatcher, attentifs lecteurs de la bible néolibérale du Pr Hayek et Milton Friedman, son prophète.
L'Europe a suivi, inspirée par la pensée anglo-saxonne, parfois allant au-delà, jusque dans le projet Bolkenstein.
Il faut libéraliser! Ne aisser aux Etats que leurs fonctions régaliennes minimales. confier aux intérêts privés, à la pure loi des marchés des pans entiers de l'économie naguère considérés comme d'intérêt général, voire stratégiques ou décisifs à long terme, dans le souci bien compris de l'intérêt commun.
Certes l'Etat ne peut pas tout faire et ne doit pas tout faire, mais il est des secteurs où il doit garder la main, et ne pas lâcher la bride aux actionnaires, soucieux surtout de profits immédiats et d'intérêts à court terme. La logique des marchés et celle de l'intérêt général divergent souvent. Une rente sans risques leur est assurée.
Mais les règles de l'économie mondialisée et financiarisée s'imposent un peu partout, plus ou moins facilement. Par le truchement bien connu du sous-financement.
Ainsi en matière d'énergie. On nous vante un choix avantageux, alors qu'il a été imposé par Bruxelles et que la concurrence n'est que de façade et que de nouveaux monopoles, comme on l'a vu ailleurs, ne vont pas manquer de faire monter les prix. Le consommateur n'est jamais gagnant. On le voit avec la privatisation des autoroutes, ce scandale dénoncé même à droite. Comble de l'absurde: les barrages hydro-électriques vont être confiés au privé. Comme certains services de l'armée ou hospitaliers.
Une dérégulation qui vient de loin et dont les effets pervers avaient déjà été dénoncés. (*)
Même Les Échos, journal peu connu pour son antilibéralisme, émettait de sérieux doutes : « Dans tous les pays européens où les marchés ont déjà été ouverts à la concurrence, les prix de l’électricité et du gaz ont paradoxalement augmenté, parfois même sensiblement. La conséquence, d’abord, de l’explosion du baril de pétrole, sur lequel sont indexés les tarifs du gaz. La conséquence, aussi, de la faiblesse des nouveaux entrants sur le marché, qui n’ont pas les moyens de production nécessaires pour imposer une véritable concurrence. »
Malgré les constats d'échecs reconnus, on poursuit dans l'erreur en allant encore plus loin, à seul fin de faire rentrer vite quelques milliards dans les caisses de l'Etat.
Jadis, Léon Walras (1834-1910), père de la théorie économique libérale moderne et apôtre de la concurrence, défendait pourtant la gestion publique des services d'intérêt général. Il fustigeait même les compagnies privées à qui ces services étaient parfois délégués : " Mal payer leurs employés, traiter le public en matière exploitable, s'en tenir aux plus hauts tarifs ; bref, écumer avec lésinerie et nonchalance un fructueux monopole, voilà ce qu'elles font. "
Il est temps de refaire l'éloge des services publics, là où cela s'impose.
On pouvait comprendre pour les télécoms, boostés par les nouvelles technologies, on le comprend moins pour La Poste, devenue société anonyme, pour les autoroutes et les aéroports. C'est plus ambigü pour la SNCF, où L’Etat porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle. Il est logique qu’il en assume les conséquences en participant à l’apurement des comptes. L'Allemagne n'a libéralise qu'à pas comptés, en tous cas pas pour les grandes lignes. La Suisse y a renoncé, comme d'autres pays.
Les Britanniques nous alertent sur la libéralisation du train. Comme dans le service de santé, cela déraille: "Selon des estimations du Labour, le prix des billets annuels a ainsi augmenté de 27% depuis 2010. Après avoir comparé les prix de 200 lignes, le parti emmené par Jeremy Corbyn, militant de la renationalisation, estime à 2.788 livres (3.222 euros) le coût du pass, soit 594 livres (686 euros) de plus qu'en 2010. Pas mieux, pour le syndicat TUC, selon lequel le prix moyen des billets de train augmente deux fois plus vite que l'inflation. Résultat, les Britanniques déboursent chaque mois six fois plus que les Français simplement pour se rendre sur leur lieu de travail. 14% de leur revenu mensuel, très exactement, contre 2% pour les usagers de l'Hexagone."
(*) C’est peu dire que le fiasco était attendu. Il suffit de parcourir, aujourd’hui, les articles consacrés il y a onze ans à la dérégulation des marchés de l’énergie, pour mesurer le scepticisme qui règne déjà à cette époque. Rappelons en deux mots de quoi il s’agit : le gouvernement français s’est alors engagé à libéraliser entièrement le marché de l’électricité et du gaz à partir du 1er juillet 2007, afin de respecter une série de directives européennes, dont la plus ancienne remonte à 1996. A partir de cette date, deux tarifs doivent cohabiter pour les consommateurs : d’abord les tarifs réglementés, fixés par le gouvernement et proposés uniquement par EDF (électricité) et GDF (gaz). Ensuite les tarifs de marché, proposés par tous les fournisseurs.
L’objectif affiché est, comme toujours, de permettre une baisse de prix grâce au libre jeu de la concurrence et à la disparition des monopoles publics. « Notre seule volonté dans cette affaire est de répondre aux besoins des consommateurs français, tant pour la sécurisation de l’énergie que pour les tarifs les plus bas », lance à l’époque Thierry Breton, ministre de l’Économie, afin de clouer le bec aux détracteurs de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation de GDF. « L’ouverture ménagée du marché se traduira par une baisse des prix au bénéfice des consommateurs domestiques comme des industriels », promettait déjà le gouvernement d’Alain Juppé dix ans plus tôt.
Les sceptiques sont pourtant nombreux, depuis les syndicats jusqu’aux associations de consommateurs en passant par des responsables politiques, de gauche comme de droite. En juin 2007, un article de Basta ! résumait leurs craintes, et relevait la virulence inhabituelle de l’UFC-Que choisir, traditionnellement plus favorable à la libre concurrence. Même Les Échos, journal peu connu pour son antilibéralisme, émettait de sérieux doutes : « Dans tous les pays européens où les marchés ont déjà été ouverts à la concurrence, les prix de l’électricité et du gaz ont paradoxalement augmenté, parfois même sensiblement. La conséquence, d’abord, de l’explosion du baril de pétrole, sur lequel sont indexés les tarifs du gaz. La conséquence, aussi, de la faiblesse des nouveaux entrants sur le marché, qui n’ont pas les moyens de production nécessaires pour imposer une véritable concurrence. »Mais les critiques ne font pas reculer le gouvernement. Il faut dire que la libéralisation du secteur de l’énergie, loin d’être une lubie isolée, s’inscrit dans un mouvement plus vaste de dérégulation néolibérale (télécoms, réseau postal, transports), initié dès les années 80 par le duo Reagan-Thatcher puis entériné par la législation européenne. Onze ans plus tard, le bilan n’est guère brillant. La dérégulation n’a pas fait baisser les prix, contrairement aux promesses initiales. Entre 2007 et 2017, la facture moyenne d’un client chauffé à l’électrique a par exemple augmenté d’environ 36%....
Dans un marché si peu propice à la concurrence, il fallait s'y attendre...
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