Le tournant
On peut bien parler de choc traumatique collectif. Un trauma national dont les conséquences sont toujours là. Stupeur et tremblement. Un ébranlement qui dépassa de loin les frontières et dont les traces ne sont pas prêtes de s'effacer. Un évènement où se côtoyèrent erreurs et bravoure. Un drame qui aurait pu être évité, si les services spéciaux et les autorités politiques avaient pris au sérieux les antécédents et les nombreux signaux qui leur parvenaient de plusieurs côtés. ___L'événements à peine croyable a été l'occasion de plusieurs théories du complot, parfois caricaturales, parfois plus élaborées, qui ne sont pas que la conséquence d'une ignorance certaine mais aussi l'effet émotionnel de ce qui pouvait apparaître inimaginable. Certains en tirèrent profit, contribuant à créer la confusion. La conduite des opérations US en Afghanistan notamment pouvait être aussi considérée comme le point de départ d'un retournement d'attitude de ceux qui furent d'abord encouragés et armés pas l'oncle Sam, qui a contribué à fabriquer des monstres qui leur échappèrent. ___Une "guerre sans fin" s'en suivit (*) ainsi que l'échec des projets successifs sur le terrain et, sur le plan intérieur, le développement d'une surveillance globale, comme le rappelle Douglas Kennedy.
(*) ___ "...A la suite des attaques du 11 septembre 2001, symbolisées par la chute des tours jumelles de New York, « les Américains voulaient du sang, et ils en ont eu ». Comme le soulignait le journaliste Nick Turse deux jours après la chute de Kaboul, le choc suscité par le premier coup porté contre l’empire états-unien sur son sol, avec près de 3 000 morts provoqués par les attentats suicides des terroristes d’Al-Qaïda embarqués sur des avions de ligne, a conduit Washington à mener pendant vingt ans des guerres à l’étranger. De l’Afghanistan à la Libye, en passant par l’Irak. Le traumatisme a conduit à l’époque le pays à accorder un blanc-seing au président George W. Bush pour mener la « guerre contre le terrorisme », quitte à faire fi de certains principes démocratiques. On l’a vu avec le camp de Guantanamo (lire ici l’article de François Bonnet) où règne une justice d’exception – le procès des cinq présumés coupables des attentats du 11 septembre 2001 vient d’y reprendre –, mais aussi avec le recours à la torture, aux prisons secrètes dans des nations alliées, à la surveillance généralisée. Au Congrès, seule Barbara Lee, élue démocrate de Californie à la Chambre des représentants, avait voté contre l’octroi au président d’une autorisation large et illimitée de recours à la force militaire. Pour elle, se souvient-elle vingt ans plus tard, c’était un chèque en blanc permettant à n’importe quel président d’utiliser la force partout dans le monde. « J’ai recommandé la prudence car je savais déjà à l’époque qu’il n’y avait pas de solution militaire en Afghanistan », a-t-elle expliqué à une journaliste de The Nation. Les dirigeants états-uniens ont eu aussi recours aux mensonges généralisés, que ce soit pour justifier l’offensive contre l’Irak au nom de l’existence de supposées « armes de destruction massive » détenues par Saddam Hussein, ou en Afghanistan. Les passions l’ont emporté sur la raison. Dans un livre récent, The Afghanistan Papers : A Secret History of the War, le journaliste du Washington Post, Craig Whitlock, montre en effet comment ces responsables, civils ou militaires, ont sciemment menti au Congrès et au peuple américains sur ce qui se passait dans ce pays d’Asie du Sud. Il s’est appuyé sur les documents et les interviews de responsables recueillis depuis 2011 par une agence du gouvernement américain, Sigar (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction), mise en place pour comprendre pourquoi, dix ans après le début du conflit en Afghanistan, les États-Unis se trouvaient enlisés, comme au Vietnam au siècle précédent. Le quotidien et son journaliste – qui ont obtenu documents et interviews grâce à des recours permis par la loi sur la liberté de l’information – avaient fait sensation lors de la publication des premiers articles. Ces mêmes responsables qui affirmaient publiquement que les États-Unis étaient en train de gagner la guerre en Afghanistan faisaient part de leurs doutes devant les fonctionnaires de Sigar. Si officiellement, tout allait bien, sur le terrain il n’en était rien. Sur le plan militaire, les talibans apparaissaient aux yeux des Afghans des campagnes à la fois comme les garants d’un combat nationaliste et ceux qui allaient mettre un terme aux exactions des soldats, policiers et miliciens soutenus par les Américains (lire ce rapport de 2015 de Human Rights Watch sur l’impunité dont ils bénéficiaient). Depuis 2001, les interventions états-uniennes ont fait plus de 800 000 morts, déstabilisé des régions entières, poussé à l’exil des millions de personnes et coûté au total 6 400 milliards de dollars (sans compter les 2 200 milliards qui devront être dépensés sur les trente prochaines années pour s’occuper des anciens combattants). En matière de reconstruction, la situation n’était guère meilleure, alors que les États-Unis avaient dépensé plus que pour le Plan Marshall, qui avait permis à l’Europe de se relever après-guerre. Le gouvernement afghan, soutenu par Washington, était devenu une cleptocratie. Les militaires américains lui avaient même donné un surnom : « Vice » ; pour « Vertically Integrated Criminal Enterprise », une entreprise criminelle verticalement intégrée. Car la CIA, l’armée américaine, le Département d’État et les autres agences de l’administration états-unienne ont usé et abusé de l’argent liquide et des contrats lucratifs pour se gagner les faveurs des chefs de guerre afghans dans la lutte contre Al-Qaïda et les talibans...." ___- Rôle de l'Arabie Saoudite et du Qatar__ _____________
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