mardi 22 mars 2022

Désindustrialisation/réindustrialisation

      De la nécessité à l'urgence   

          Il paraît déjà loin le temps où l'on parlait surtout de développer les services aux dépends d'une industrialisation jugée désuète et confiée à d'autres, dans le cadre d'une "mondialisation heureuse", comme disait alors le gourou A. Minc.                                                                                                 Le réel nous rattrape depuis un certains temps, bien avant la phase critique de la covid et de la prise de conscience qu'elle a opérée. Déjà Montebourg avait alerté: il y va de notre souveraineté dans plus d'un domaine d'activité d'importance.. En vain.  Les sirènes de la mondialisation sans frein et de la financiarisation à outrance couvraient la voix de ceux qui voyaient venir le danger. Il est venu plus vite que prévu. Les pénuries actuelles nous rappellent à l'ordre, dans des domaines d'importance. Une prise de conscience verbale s'esquisse.  E.Macron en serait-il devenu planificateur "socialiste", aux dernières nouvelles?                                                                             ___Il y a peu, après des négociations ou un simulacre de pourparlers, après une mobilisation et un engagement jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, c'est la fin d'une grande entreprise béthunoise. Les Japonais ont dit non, après avoir bien profité des soutiens de l'Etat et l'UE.      La désindustrialisation se poursuit dans notre pays. Une logique trop connue qui n'est pas la première et qui souligne, une fois de plus, notre étroite dépendance vis à vis de grands groupes étrangers et leurs pratiques de délocalisation en fonction de la rentabilité à un moment donné, quelle que soit leur puissance.

         "...La fin de l’usine Bridgestone de Béthune (Pas-de-Calais) est tristement exemplaire d’un processus bien connu : une entreprise mondialisée cherchant la rentabilité à tout prix délocalise vers des pays où la rémunération des ouvriers est moins lourde et la fiscalité plus légère, accélérant sans états d’âme la désindustrialisation d’un territoire déjà marqué au fer par la litanie des plans sociaux… Jeudi, le groupe Bridgestone a donc confirmé la fermeture de son site de Béthune le 1er avril 2021. Cette décision sans appel entraînera la destruction de 863 emplois directs. C’est une histoire de mondialisation malheureuse, qui fait écho à des événements survenus dans la même industrie du pneumatique il y a quelques années, au détriment des salariés de Continental à Clairoix (Oise) et de Goodyear à Amiens (Somme). ..."                    __L’agitation des pouvoirs publics n’y a rien fait...        A. Minc appelait ce processus la mondialisation heureuse. On est loin de la relocalisation prônée aujourd'hui. Les décisions d'Etat se retrouvent piégées comme dans tant d'autres affaires, comme dans l'affaire Alstom/Général Electric. Les multinationales font le loi, au gré de leurs intérêts et de leurs actionnaires ...Des promesses (ou de vent). Des solutions alternatives qui, si elles ont lieu, désertifieront encore plus le secteur. Le gigantisme de l'entreprise n'y a rien fait; il fallait aller ailleurs, vers le pays le moins disant salarial.                                        ____Elles ne manquent pas d'aplomb, les grandes multinationales.  Ni de sens de leurs intérêts et de leurs actionnaires.   Déjà qu'elles s'attachent à faire la pluie et le beau temps dans le monde, allant jusqu'à monopoliser parfois des pans importants d' économies mondiales, à s'ingérer dans les affaires des Etats souverains pour leur dicter leurs normes et les contraindre à se plier à leurs exigences , à leurs intérêts économiques. Les voilà, en cette période de récession généralisée, qui atteignent le comble de l'indécence. Avec la complicité de puissants cabinets d'avocats d'affaires, elles veulent que l'Etat leur rembourse les pertes qu'elles ont subies du fait du covid à l'échelle mondiale:    "...Les multinationales réfléchissent à demander des comptes aux Etats pour avoir pris des mesures contre le coronavirus qui auraient nui à leur business. Un comble. En effet nombreuses sont celles qui ont été grassement soutenues ces derniers mois par les pouvoirs publics à coups de baisses, voire d’annulations de charges et d’impôts pour faire face à la pandémie ; sans parler des plans massifs de soutien à certains secteurs… Las, tout serait de la faute des États. Partout dans le monde, elles vont donc engager des poursuites judiciaires, en espérant récupérer des milliards.... __  "Le nombre de ces plaintes pourrait être sans précédent et imposer des charges financières considérables aux gouvernements qui croulent déjà sous le fardeau des crises sanitaires et économiques dévastatrices", alertaient plus de 600 ONG provenant de 90 pays le 23 juin. "Les mesures prises pour restreindre les activités des entreprises afin de limiter la propagation du virus, pour mobiliser les établissements hospitaliers privés, pour obliger des entreprises à produire tel ou tel bien médical d’urgence, pour permettre aux ménages de reporter ou annuler le paiements de loyers ou prêts immobiliers, pour empêcher les investisseurs étrangers de racheter des entreprises, pour garantir l’accès à l’eau potable ou aux médicaments, etc. pourraient être concernées" par ces plaintes, craignaient les ONG...."              Pour les Etats les plus faibles, la puissance de certaines firmes pourraient avoir des conséquences dramatiques. Mais les Etats se sont mis souvent eux-mêmes dans le pétrin en favorisant leurs expansion par abandon de souveraineté, dans la plus parfaite logique libérale.   A force de vouloir attirer à tout prix, par des conditions avantageuses, aux dépends de leurs voisins, les plus grands fleurons de l'industrie mondiale, les Etats, surtout s'ils sont faibles, se mettent dans des conditions périlleuses dans certaines circonstances et se retrouvent comme dans un piège, certaines grandes multinationales pouvant avoir une puissance financière égale ou supérieure à certains petits Etats.  Sans parler des Gafas.       Il serait temps de repenser une autre mondialisation, comme le chef de l'Etat le suggérait lui-même récemment, peut-être par inadvertance ou par opportunisme. Les incantations ne servent à rien, tant que des règles internationales ne sont pas édictées pour réguler se qui apparaît comme une jungle financière.________ 

             _____________Point de vueEmmanuel Macron le sait. L’industrie est son talon d’Achille. D’autant qu’en ce domaine il a un passé et un passif de dix ans et non de cinq.  Dès son arrivée comme secrétaire général adjoint de l’Élysée puis comme ministre de l’économie, il s’est occupé, souvent en sous-main, des grands dossiers industriels et du sort des grands groupes français. Rien n’a changé depuis son arrivée à l’Élysée : c’est au Château que s’arbitrent les grandes décisions industrielles, selon des choix jamais expliqués, et dont on ne sait s’ils procèdent d’Emmanuel Macron lui-même ou du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler. Au point que cette dyarchie a provoqué des conflits ouverts et publics avec le ministre des finances Bruno Le Maire, comme dans l’affaire Suez-Veolia.                                  ______Dix ans d’interventions et de choix, cela laisse le temps d’imprimer une politique. En matière industrielle, son bilan n’est guère convaincant. Pourtant, entre les différents allégements, suppression d’impôt, l’État a versé plus de 60 milliards d’euros par an aux entreprises depuis le début du quinquennat.  C’est la grande victoire proclamée de Bruno Le Maire : l’hémorragie industrielle a été stoppée. « Grâce à notre politique, nous avons réussi à stabiliser l’emploi industriel en France depuis deux ans », dit-il dans Les Échos.            Mais il était difficile de tomber plus bas. En dix ans, l’économie française a perdu plus d’un million d’emplois industriels. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 20 % à 10 %. À l’exception de Chypre, de Malte et du Luxembourg, aucun autre autre pays de la zone euro n’affiche un taux aussi bas.      Ascoval, GM&S, Doux, Saint Louis Sucre, Roquette, Luxfer, Arjowiggins, La Chapelle Darblay, Bosch, Ferropem et aujourd’hui les fonderies du Poitou, de MBF, les fonderies de Bretagne, la Société de métallurgie aveyronnaise et tant d’autres… La chronique de cette destruction industrielle sans précédent s’est déclinée ces dernières années en une litanie sans fin. Plus de 100 usines ont été sacrifiées chaque année.            Il a fallu la crise sanitaire du Covid-19 pour que le gouvernement réalise soudain l’ampleur du désastre, prouvant au passage le désintérêt qu’il avait jusqu’à présent porté à la question industrielle. Non seulement Sanofi, censé être le leader mondial des vaccins, n’était pas capable d’en élaborer un, mais le pouvoir découvrait que la France n’était plus en capacité de produire des masques, du gel, des petits matériels médicaux, et même des principes actifs aussi essentiels et basiques que le paracétamol. Sans parler des composants électroniques, des semi-conducteurs, du bois, etc.        Cet affaissement industriel trouve sa traduction dans les comptes de la nation. Alors que la France affichait un excédent commercial jusqu’en 2004, sa situation se dégrade année après année. Les exportations n’ont cessé de baisser en volume et en valeur, tandis que les importations grimpent. Fin 2021, le déficit commercial atteignait 84,7 milliards d’euros. Un niveau jamais atteint.                                                                   Alstom. Le nom lui colle comme un sparadrap depuis des années et Emmanuel Macron ne parvient pas à s’en débarrasser. Car cette affaire est emblématique de toute sa politique industrielle. À la manœuvre dès 2012 à partir des soupentes de l’Élysée, il a œuvré activement au démantèlement accéléré de ce qui fut le premier conglomérat français (CGE puis Alcatel-Alstom). La branche électromécanique d’Alstom a été vendue à GE, et Emmanuel Macron a veillé à neutraliser les rares défenses mises en place par son prédécesseur, Arnaud Montebourg. Alcatel a été cédé au Finlandais Nokia et l’essentiel des emplois détruits. Sans l’opposition de la direction européenne de la concurrence, la partie ferroviaire d’Alstom aurait d’ailleurs été absorbée par l’Allemand Siemens.                                          En parfait « connaisseur de la grammaire des affaires », Emmanuel Macron n’a jamais eu la moindre critique contre la financiarisation débridée des capitaines d’industrie. Au contraire. Il en épouse toutes les vues : le Monopoly financier – vendre, acheter, fusionner, scinder, démanteler – tient lieu pour lui de stratégie industrielle. Il s’agit toujours de créer un géant mondial, peut-être européen, en tout cas un champion français. Avec à chaque fois des centaines de millions de commissions pour les banquiers d’affaires, les avocats et bien sûr les cabinets de conseil. Et, à chaque fois, des productions délocalisées, des sites fermés, des emplois directs et indirects détruits.          Avec les encouragements de l’Élysée, quand ce n’est pas à son initiative, des groupes entiers ainsi ont été essorés, liquidés pendant cette mandature. Car il n’y a pas eu qu’Alstom. Il convient d’y ajouter Lafarge, Essilor, Rhodia, Suez pour ne citer que quelques noms de groupes privés.     Mais l’État mérite une mention spéciale pour les entreprises dont il est actionnaire. Le secteur de l’énergie, jadis un des points forts de l’économie française, a été particulièrement saccagé. Le groupe parapétrolier Technip est ressorti vidé de sa substance après l’échec, prévisible dès le départ, de sa fusion avec l’Américain FMC. EDF, à qui Emmanuel Macron a imposé d’assumer une partie des pertes liées à la faillite cachée d’Areva, puis la construction de deux EPR sur le site britannique de Hinkley Point, est affaibli, endetté et menacé d’être démantelé pour pouvoir reverser une partie de la rente nucléaire au privé. Quant à Engie, l’ancien GDF, il est vendu à la découpe à Total, Bouygues, Veolia et autres fonds. En attendant que Total, le grand gagnant de cette mise à sac du secteur de l’énergie, rachète les restes de l’ancien monopole public gazier.                     Le secteur automobile a été un peu plus préservé. Mais Renault a failli aussi sombrer dans le scandale provoqué par Carlos Ghosn, que les pouvoirs publics ont laissé prospérer pendant des années, bien qu’ils aient été parfaitement informés de la situation. PSA, lui, s’est marié avec Fiat pour créer Stellantis. Et sa première décision a été d’implanter son siège social aux Pays-Bas avec l’assentiment de l’État actionnaire.                  En septembre 2020, le gouvernement, déclarant avoir tiré quelques leçons de la crise sanitaire, annonçait la création du Haut-Commissariat au plan, disparu dans les années 1990. Nommé président, François Bayrou a pour mission « d’éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté ».        Un an plus tard, impossible de trouver la moindre trace de l’apport de ce Haut-Commissariat au plan. Il n’a même pas été officiellement associé au plan « France 2030 », censé tracer les pistes de l’avenir et présenté en grande pompe par Emmanuel Macron en octobre 2021. 30 milliards d’euros pour répondre « aux défis de notre temps », pour aider à « l’émergence des futurs champions technologiques », à « la transition de nos secteurs d’excellence que sont l’automobile, l’aéronautique, ou l’espace ». 30 milliards d’euros surtout saupoudrés en de multiples projets, répondant tous à la croyance absolue du numérique, du tout électrique, du nucléaire. Bien entendu, tout est placé sous la responsabilité du privé, l’État n’entendant avoir ni droit de regard ni effet d’entraînement. Et il ne demande aucune contrepartie.         Mais c’est une question d’habitude. L’État a distribué plus de 40 milliards d’euros d’allégements fiscaux et sociaux, d’aides diverses chaque année, sans que les dépenses en R&D n’augmentent, sans que l’investissement productif ne progresse significativement, sans que les productions manufacturières ne montent en gamme, sans que la productivité ne s’améliore.      Avec le « quoi qu’il en coûte » adopté depuis le Covid-19, les largesses publiques ont été encore plus abondantes. Sans le moindre contrôle. Alors que les groupes français figurent depuis des années parmi les firmes mondiales qui reversent le plus de dividendes à leurs actionnaires, ils s’apprêtent cette année à battre tous les records : les entreprises du CAC 40 ont prévu de redistribuer 98 % des profits engrangés en 2021. Des profits en partie améliorés grâce aux subsides de l’État.                En dix ans, Emmanuel Macron, qui se voulait le président de la « start-up nation », a surtout conforté les rentes existantes. Au lieu des Gafam, la France a les LHOCK (LVMH, Hermès, L’Oréal, Chanel, Kering), cinq groupes de luxe qui dominent la vie des affaires et le CAC 40.        [Martine Orange   __________________________________

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