mardi 19 avril 2022

Néolibéralisme en question

 Sa logique, ses effets, ses contradictions (vu des USA, creuset du système)

              La logique du néolibéralisme est maintenant bien cernée. Même si les dogmes fondamentaux sont contestés, les crises aidant, l'architecture du système est toujours là. Les lois du marché commencent à être sérieusement remises en question, non sans contradictions, et la main de Dieu a pris un coup de vieux. Depuis la crise de la Covid et les interventions forcées de l'Etat au coeur même du réacteur économique, un certain keynésianisme refait surface. Mais pour quels lendemains? La révolution de l'école autrichienne a fait long feu. De plus en plus, la machine à creuser les inégalités est remise ne question et l'on reparle d'intérêts communs, de services publics...IL y a encore du boulot...




_________"....Si vous avez la malchance de résider dans une ville où des centres de données abritent des serveurs informatiques qui stockent tout, depuis les données financières de sociétés géantes jusqu’aux secrets militaires, il est probable qu’un bruit fort et strident devienne le fond sonore angoissant de votre vie. Le son monte et descend, mais il est toujours là, ne vous permettant jamais de vous détendre complètement. Au bout d’un certain temps, le stress lié à ce type de bruit ambiant peut vous épuiser, doublant le risque que vous souffriez de maladie mentale et augmentant le risque de maladies comme les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux.       Vivre dans une économie dominée par les principes néolibéraux peut ressembler à cela : un bourdonnement de fond et un stress psychologique constant.     Cette sensation de vulnérabilité ne disparaît jamais vraiment. Au lieu de se répartir socialement les risques de la vie, nous sommes de plus en plus accablés par le poids de l’existence dans un monde moderne d’une complexité écrasante. Nous sommes des individus solitaires, et nous nous battons pour rester à flot, quelle que soit notre situation. Il y a quelques heureux gagnants, bien sûr (et encore, nombre d’entre eux sont psychiquement abîmés), mais la plupart d’entre nous sommes contraints de livrer une lutte et entrer dans une concurrence acharnées pour obtenir des récompenses. Jeux de la faim, jeux pour un statut, jeux de pouvoir, la liste est longue.                             De manière plus globale, l’impact cumulé de filets de sécurité de piètre qualité, de pratiques commerciales rapaces, de politiques axées sur l’argent et de graves inégalités économiques est en train de détruire tout espoir pour l’avenir, alors que nous en avons besoin pour survivre. La confiance que nous avons les uns envers les autres et envers nos institutions est en train de se dissoudre. Notre santé mentale et physique ne peut pas résister à tout cela.                 Selon la Johns Hopkins Medicine, des affections éprouvantes comme la dépression sévère, les troubles bipolaires, la schizophrénie et les troubles obsessionnels compulsifs figurent parmi les principales causes d’invalidité constatées dans les économies de marché développées. Même avant la pandémie, plus d’un quart des adultes américains étaient affligés d’un trouble mental diagnostiqué. Et puis, en 2020, les taux mondiaux de dépression et d’anxiété ont grimpé en flèche de plus de 25 %, une hausse stupéfiante sur un an, liée à la pandémie, qui a particulièrement touché les femmes et les jeunes. Des médecins américains ont déclaré que les crises de la santé mentale chez les enfants relevaient de l’état d’urgence. Et toute cette détresse mentale alimente les maladies physiques, comme les accidents vasculaires cérébraux, les maladies cardiaques, le diabète et l’arthrite.                                                                        Le mouvement néolibéral du vingtième siècle, la philosophie économique dominante de ces cinquante dernières années aux États-Unis et dans une grande partie du monde, nous a imposé une fausse vision du monde avec une myriade de conséquences négatives pour le bien-être humain. La question est de savoir comment nous pouvons nous remettre de ces maladies. Nous ferions mieux de le découvrir rapidement, car un demi-siècle de pression incessante de cette philosophie toxique est en train de nous briser.               Les racines de la perspective néolibérale sont nées d’un monde brisé par l’effondrement des empires et du chaos engendré par la première guerre mondiale. Dans les années 1920 et 1930, des économistes autrichiens et des défenseurs du monde des affaires, comme Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, travaillant à l’époque à la Chambre de commerce de Vienne, s’inquiétaient de savoir comment une nation vassalisée comme l’Autriche pourrait s’en sortir dans le nouveau paysage mondial. Le spectre du socialisme et du communisme en Hongrie, qui faisait partie de l’ancien empire des Habsbourg, et qui a brièvement basculé dans le rouge en 1919, ajoutait à leur anxiété. Ils craignaient également que des États-nations en plein essor se saisissent des rênes de l’économie en prenant des mesures telles que l’augmentation des droits de douane – tout particulièrement s’agissant de nations gouvernées par des régimes démocratiques qui reconnaissaient les intérêts des gens ordinaires. La généralisation du droit de vote universel pour les hommes a déclenché le signal d’alarme indiquant que le pouvoir était en train de basculer.                                      Comment les capitalistes pourraient-ils survivre sans un vaste réseau de colonies sur lequel compter pour obtenir des ressources ? Comment pourraient-ils se protéger de l’ingérence continue dans les affaires et des saisies de la propriété privée ? Comment pourraient-ils résister aux exigences démocratiques croissantes pour un partage plus large des ressources économiques ?        C’était là de grandes questions, et les réponses néolibérales reflétaient leurs craintes. De leur point de vue, le monde politique semblait effrayant et incertain – un endroit où les masses s’agitaient en permanence pour déstabiliser le domaine de l’entreprise privée en formant des syndicats, en organisant des manifestations et en exigeant la réaffectation des ressources.                                                                                           Ce que les néolibéraux voulaient, c’était un espace sanctuarisé exempt de cette agitation – une économie mondiale transcendée où les capitaux et les marchandises pourraient circuler sans contrainte. Ils imaginaient un endroit où les capitalistes seraient à l’abri des processus démocratiques et protégés par des institutions et des lois savamment édictées — et par la force, si nécessaire. Les néolibéraux n’étaient pas franchement opposés aux démocraties tant que ces dernières étaient en capacité de fournir un refuge sûr aux capitalistes, et si ce n’était pas le cas, beaucoup pensaient que l’autoritarisme ferait aussi très bien l’affaire.                Ces premiers frémissements de néolibéralisme étaient donc une sorte de religion, une aspiration utopique à un monde abstrait et invisible de chiffres que les humains ne pourraient pas gâcher. Dans cette terre promise, parler de justice sociale et de plans économiques visant à améliorer le bien général était une hérésie. La « société » était un domaine qui, au mieux, devait être strictement séparé de l’économie. Au pire, elle était l’ennemie de l’économie mondiale — un domaine gênant de valeurs non marchandes et de préoccupations populaires qui entravaient la transcendance capitaliste.     Après la Seconde Guerre mondiale, les néolibéraux se sont organisés officiellement sous le nom de Société du Mont-Pèlerin, au sein de laquelle des personnalités comme Hayek ont défendu la vision d’un « ordre concurrentiel » dans lequel la concurrence entre les producteurs, les employeurs et les consommateurs assurerait le bon fonctionnement de l’économie mondiale et protégerait tout le monde des abus (une sacrée idée). Les dispositifs de protection tels que les assurances sociales et les cadres réglementaires étaient inutiles.                                                                              En gros, le marché était un dieu, et les gens étaient là pour le servir – et non l’inverse.     Pour les néolibéraux, le vingtième siècle ne se résume pas à la guerre froide, elle n’a pas vraiment grand intérêt pour eux. Il s’agit de lutter contre des choses comme le New Deal de Franklin Roosevelt et des projets totalitaires d’égalité économique qu’ils considèrent comme dangereux. Comme le dit l’historien Quinn Slobodian dans son livre Globalists : The End of Empire and the Birth of Neoliberalism, ils visent le « développement d’une planète interconnectée par le biais de l’argent, l’information et les biens, où l’avancée emblématique du siècle n’est pas une communauté internationale, une société civile mondiale ou l’approfondissement de la démocratie, mais un objet en constante intégration qu’on appelle économie mondiale et qui est accompagné des institutions spécialement créées pour la protéger ».                   Les néolibéraux se sont consacrés à la protection d’un commerce mondial qui ne serait soumis à aucune restriction, à la liquidation des syndicats, à la déréglementation des entreprises et à la privatisation et l’austérité, usurpant ainsi le rôle du gouvernement dans la fourniture des biens communs. S’il est vrai que la plupart des gouvernements occidentaux, ainsi que de puissantes institutions mondiales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, sont aujourd’hui fortement influencés par le néolibéralisme, ce n’est qu’après la crise financière mondiale de 2007-2008 que la plupart des gens ont entendu parler de cette doctrine.                                                    C’est parce que, pendant longtemps, le néolibéralisme a envahi nos vies comme un virus furtif.         Au cours de la première moitié du vingtième siècle, ce sont surtout et avant tout des gens riches et de droite qui ont adhéré à la vision néolibérale de l’ordre mondial. L’économiste John Maynard Keynes, qui préconisait l’intervention de l’État dans le fonctionnement des marchés pour protéger les gens contre le type de défaillances et d’abus si clairement mis en évidence lors de la Grande Dépression, a eu beaucoup plus d’influence.                  Mais les néolibéraux ont entretenu leur rêve d’utopie économique en construisant patiemment des institutions, en se concentrant sur la création de contraintes juridiques imposées aux démocraties et en implantant leurs idées dans des institutions supranationales et dans des avant-postes universitaires comme l’université de Chicago. Ils ont financé des symposiums, des universitaires, des livres et des rapports, et se sont acquis des ambassadeurs connus, comme l’économiste Milton Friedman, et d’autres moins connus mais influents, comme James Buchanan, le seul américain des états sudistes à avoir reçu le prix Nobel d’économie.                                                              Ce n’est que dans les années 1970 que le néolibéralisme s’est imposé, lorsque les conservateurs ont imputé les bouleversements économiques à un excès de dépenses publiques et de main-d’œuvre. Dans les années 1980, la championne du néolibéralisme, Margaret Thatcher, se sentait parfaitement en confiance et laissait libre cours à son programme : « La politique économique n’est qu’une méthode, l’objectif est de changer le cœur et l’âme », prônait-elle.            Il semble étrange de mentionner cette théorie lugubre en la rapprochant de l’âme humaine, mais Thatcher avait raison. Le néolibéralisme cherche à modifier la façon dont nous, êtres humains existons dans le monde, à changer nos relations entre nous et ce que nous attendons de la vie. Au fil du temps, nous cessons de nous considérer comme des êtres mutuellement responsables ayant un destin commun pour devenir des atomes isolés responsables uniquement de nos propres vies. Peu à peu, nous passons du statut de citoyens autonomes à celui de personnes destinées à être asservies à des puissances économiques arbitraires qui se trouvent bien au-delà de notre portée ou de notre compréhension. Notre humanité s’efface au profit d’un royaume abstrait de chiffres et de données incompréhensibles, et nous ne sommes guère plus que des marchandises, voire des entités externalisées, dans une économie mondiale invisible dirigée on ne sait comment par un poing invisible.                                Il n’est pas surprenant que ce mode d’existence produise des maladies de l’esprit, du corps et de l’âme, exaltant certains de nos instincts les plus dérangeants tout en démolissant bon nombre des plus nobles.                                                                      L’un des principes fondamentaux de la philosophie néolibérale est que la vie consiste à être en compétition. Comme l’a décrit Slobodian, les architectes du néolibéralisme se sont attachés à « promouvoir des politiques visant à amplifier le rôle de la concurrence dans la définition et l’orientation de la vie humaine ». Pour eux, le monde idéal est un monde où chacun s’efforce constamment d’obtenir plus ou mieux que son voisin.          Dans une société dominée par ce type de pensée, on vous inculque un esprit de compétition à la minute même où vous entrez à l’école. L’expression la plus simple de votre vitalité, comme chanter, courir ou sauter, est rapidement placée dans un cadre compétitif. Vous ne pouvez pas simplement sauter de joie ; vous devez être le meilleur sauteur. L’objectif n’est pas la récompense intrinsèque de l’activité, mais le plaisir de battre quelqu’un d’autre, ou peut-être le soulagement négatif de ne pas être un perdant. Vous êtes éduqué à classer vos camarades selon qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, et vous pressentez que vous devez simplement abandonner les activités dans lesquelles vous n’excellez pas.                       Peu à peu, vous vous méfiez à la fois de vos instincts naturels et des motivations des autres. Après tout, aider les autres à réussir signifie qu’ils peuvent gagner le prix à votre place dans un jeu à somme nulle. Penser de manière égoïste devient une seconde nature. Comme l’ont montré les chercheurs qui étudient l’impact du néolibéralisme, nous devenons des perfectionnistes agités, cherchant sans cesse à nous perfectionner.                     Comme l’a fait remarquer l’économiste politique Gordon Lafer, les écoles (dont le financement est de plus en plus réduit) deviennent le lieu où les enfants ordinaires sont conditionnés pour la servitude et une vie dans laquelle ils risquent soit de se retrouver bloqués, soit de glisser vers le bas de l’échelle économique.                                            Vous apprenez à accepter un monde où les possibilités sont en diminution et non en expansion..          Le sentiment de déconnexion augmente au fur et à mesure que la vie avance. Dans un pays comme les États-Unis, vous grandissez avec peu d’espoir que quelqu’un se soucie vraiment de vous, résigné à dépenser la majeure partie de votre énergie à essayer de financer les besoins de base de la vie, comme les soins de santé et l’éducation, tout en faisant face à des prédateurs aux formes multiples tels qu’une compagnie d’assurance, une banque, une société de services publics, un hôpital, une police, une… à vous de choisir – ces entités dont les néolibéraux ont fait en sorte qu’elles soient libérées des pressions de la réglementation et des recours juridiques. Si vous avez un problème, cela n’intéresse nullement l’État protecteur ; demandez à quiconque a essayé de négocier des frais bancaires ou des factures de services publics.            Vous commencez à comprendre que vous n’avez pas beaucoup d’influence dans le monde. La vie vous semble précaire, et c’est exactement ce que les néolibéraux veulent, car ils pensent que vivre ainsi est indispensable pour « discipliner » les gens afin qu’ils acceptent de rester à leur place dans un monde dirigé par les capitalistes.            En tant que citoyen, votre influence semble négligeable. Le néolibéralisme tend à affaiblir l’action politique des gens ordinaires, en nous offrant en compensation un large éventail de biens de consommation (souvent de piètre qualité). À mesure que la concentration des richesses prend le contrôle du système politique, on constate que les revendications de la plupart des gens – des soins de santé universels, un système fiscal dans lequel les riches paient leur part, une éducation abordable, des emplois décents, des droits reproductifs – est de plus en plus ignoré dans les politiques et les lois qui régissent nos vies. Les néolibéraux ne cherchent qu’une chose, accroître les droits et libertés des propriétaires, comme l’expliquait James Buchanan dans son livre de 1993, « Property as a Guarantor of Liberty ». Selon lui, tout individu n’est guère plus qu’un parasite qui essaie de saigner à blanc le capitaliste.                                              En 2007, Alan Greenspan a déclaré que « savoir qui sera le prochain président n’a guère d’importance, le monde est gouverné par les forces du marché ». Ce qu’il n’a pas précisé, c’est que les forces du marché sont gouvernées par les capitalistes, même si les néolibéraux prétendent que leur vision du marché ne conduit pas à des asymétries de pouvoir qui entraînent des pratiques monopolistiques, l’affaiblissement des droits légaux des citoyens et le transfert des risques des activités commerciales sur la société. Au moment où Greenspan faisait cette déclaration, les gens avaient commencé à s’habituer à l’idée que les marchés financiers prédateurs conçus par et pour les capitalistes s’étaient insinués dans tous les aspects de nos vies, de l’éducation à la médecine en passant par la police. (Bien sûr, peu de gens avaient fait autant que Greenspan pour que cela se produise, en raison de sa ridicule confiance dans la réputation comme substitut à une réglementation sérieuse).                                  Aujourd’hui, la vision néolibérale maladive est devenue prégnante au point où si vous vous retrouvez aux urgences d’un hôpital, un gestionnaire de fonds spéculatifs pourrait bien décider de votre sort. Perpétuellement angoissés dans notre existence atomisée, nous assumons seuls nos dettes et nos charges, habitués que nous sommes à faire, en faveur de « l’économie », le sacrifice de notre bien-être, nos habitats naturels et même, comme la pandémie nous l’a montré, notre vie.                                                                Au bout de ce chemin semé d’embûches, lorsque vous serez trop vieux pour travailler, vous serez probablement confronté à une retraite incertaine et sous-financée, tout en vous faisant gronder par les néolibéraux pour ne pas avoir été plus prévoyant alors que vous luttiez pour simplement survivre. Et même si vous avez élaboré les plans les plus minutieux, vous risquez d’être récompensé par une plus grande probabilité de maladie et par une mort plus précoce que chez ceux qui vous ont précédé.                                  Le néolibéralisme vous explique : « Tenez bon, parce qu’on ne peut pas faire mieux ». Faut-il alors s’étonner si nous commençons à nous écrouler ?                                        La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la sombre gravité des échecs et des insuffisances de l’approche néolibérale – et pourtant, les gouvernements continuent de mettre en place des politiques qui privilégient la sécurité des entreprises plutôt que la vie de la grande majorité des gens.                                                                                Les travailleurs stressés ne peuvent tout simplement plus faire face. À une époque où la plupart des Américains s’inquiètent de l’économie, les travailleurs qui ont de bas salaires quittent leur emploi. Les données publiées par le Bureau of Labor Statistics en janvier 2022 illustrent une tendance à rendre son tablier si répandue que 2021 a été appelée « l’année de la démission ».                                                                      Contrairement aux idées reçues, les démissions ne sont pas majoritairement le fait des employés les mieux lotis qui choisiraient quelque chose de plus satisfaisant. Au contraire, ce sont les secteurs où les travailleurs sont mal payés qui ont enregistré le plus grand nombre de ces démissions. Alors qu’il ne semble pas rationnel qu’un travailleur préoccupé par la situation économique quitte un emploi même peu attrayant, peu flexible et faiblement rémunéré, il est logique de penser qu’un travailleur terrassé par la dépression et l’anxiété le fasse, incapable de gérer les exigences contraignantes tout en s’inquiétant de tomber malade, de s’occuper de ses enfants ou d’autres membres de sa famille et d’être obligé d’assumer des tâches supplémentaires alors que les employeurs peinent à pourvoir les postes. C’est tout simplement trop pour eux.        Le passage de l’État-providence au néolibéralisme signifie que vous êtes responsable de tout, même de ce qui échappe clairement à votre contrôle. Il faut réinventer la roue à chaque fois qu’un problème doit être résolu, comme payer pour sa maison, faire des études, se faire opérer ou prendre sa retraite. Chaque tournant réserve des surprises désagréables.                                    Le néolibéralisme n’est pas une philosophie du bonheur, car il véhicule la conviction que l’insatisfaction humaine est un état de fait non seulement naturel, mais aussi souhaitable. Il a eu un impact considérable sur la culture des États-Unis et d’autres pays où il est en vigueur et constitue un frein largement méconnu quant à la santé et au bien-être. Ce n’est pas un hasard si la prévalence des problèmes de santé mentale, tant au niveau national que mondial, est en hausse. Les mariages brisés, les phénomènes de dépendance, la solitude et le profond désespoir font des ravages.        Quelle est donc l’alternative ? Commençons par énoncer l’évidence. Une société saine n’est pas gérée pour le bénéfice économique de quelques riches capitalistes. Ça, c’est une société malade, et nous en sommes la preuve vivante.                                        Depuis les années 1980, nous sommes entraînés à considérer que cet état de fait, pourtant psychologiquement handicapant, est quelque chose de normal, alors qu’il est tout sauf normal.    Notre guérison passe en partie par le rappel de ce qui fait véritablement de nous des êtres humains. Des chercheurs ont découvert qu’un bébé de six mois présente déjà l’instinct d’empathie, ce qui montre que le fait de se préoccuper de ce qui arrive à nos semblables fait partie de notre ADN. Au niveau collectif, des anthropologues comme David Graeber ont montré que les sociétés humaines n’ont pas toujours été organisées selon des logiques de domination et des hiérarchies rigides. Nous disposons de choix, et nous sommes en mesure de privilégier ceux qui correspondent le mieux à nos instincts les plus positifs. Nous pouvons donner aux parents la possibilité d’élever leurs enfants, par exemple en faisant participer les pères à l’éducation des enfants dès la naissance, en offrant un congé parental sans distinction de sexe et en rendant les services de garde d’enfants abordables. Par extension, le fait de prendre soin des jeunes renforce notre capacité à prendre soin les uns des autres, de nos communautés et de la nature en général.                                                                                                       Notre bien commun est renforcé par des systèmes politiques dans lesquels les formes coopératives de participation et les besoins des gens ordinaires sont prioritaires. Cela signifie faire à peu près le contraire de ce que les néolibéraux défendent. Nous devons reconnaître que les gouvernements peuvent et doivent intervenir sur les marchés afin de protéger les gens des abus. Nous devons nous attacher inlassablement à écarter l’argent de la politique et à rendre le vote accessible à tous. Nous devons réglementer les entreprises, renforcer le pouvoir des travailleurs et veiller à ce que l’économie mondiale ne soit pas une simple course vers le bas mais un système dans lequel les besoins et les droits de tous les habitants sont pris en compte.                                          La guérison implique la création, comme l’a souligné l’économiste Peter Temin, d’une économie intégrée au lieu de l’économie morcelée que les néolibéraux et leurs descendants libertaires nous ont léguée. Nous devons nous concentrer sur le rétablissement et le développement de l’éducation et sur la réaffectation de ressources destinées à des politiques telles que l’incarcération de masse. Nous devons nous concentrer sur la mise en place et l’amélioration de filets de sécurité afin que la vie ne soit pas seulement une épreuve difficile et hobbesienne, [Selon Hobbes, l’état naturel de l’homme est d’être constamment en conflit et en compétition avec les autres, NdT] mais un voyage au cours duquel la créativité et les activités joyeuses sont accessibles à tous. Au lieu de nous focaliser sur la concurrence, nous devons mettre l’accent sur l’entraide et nous devons toujours garder à l’esprit, alors que les adeptes de la Silicon Valley cherchent à nous entraîner dans un métavers toujours plus abstrait, que nous sommes des créatures dotées d’un corps et que nous avons davantage besoin de liens sociaux dans la vie réelle que de connectivité numérique. Nous devons exiger d’être formés pour des emplois dignes, décemment payés et exempts d’abus.                          Les remèdes aux fléaux alimentés par le néolibéralisme consistent à faire ce qu’il faut pour renforcer notre sentiment de confiance et de destin partagé. Nous devons passer de la privatisation à l’intérêt public, du vol en solo au partage des risques, de la financiarisation à une économie équitable, du dénominateur commun au bien commun.           Un tel changement exige d’énormes ressources en termes d’endurance, d’engagement, de patience et d’audace. Les néolibéraux ont fait preuve de ces qualités. Ils ont pratiqué un jeu long et difficile pour faire accepter leurs idées antisociales et anti-vie comme étant la norme. Notre guérison et l’acceptation généralisée d’un meilleur récit, un récit plus sain, n’arriveront pas du jour au lendemain. Au début, les revendications en matière d’égalité économique, de droits politiques et de justice sociale sembleront radicales et futiles, et ceux qui les défendent seront traités de rêveurs et de cinglés. C’est exactement ce qui est arrivé aux néolibéraux lorsqu’ils ont commencé à exiger une terre promise universelle pour les capitalistes, une terre promise qui soit libre de toute contrainte démocratique. Ils ont encaissé les coups et ont continué à avancer.      Si nous apprenons à jouer sur le long terme, l’avenir pourra être notre et non leur monde. Cet atroce bourdonnement qui est à l’arrière-plan de nos vies pourrait alors être remplacé par un air sur lequel nous pourrons danser.  [Lynn Parramore, analyste de recherche principale, Institute for New Economic Thinking.] __________________________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire