jeudi 2 juin 2022

Coup de gueule

 Job dating

       C'est cool! C'est attractif! Autrement plus que "rencontre pour des emplois dans l'EN en crise de vocations".... On embauche! On en profite...Venez passer un test flash pour devenir peut-être des zheureux zélus dans l'univers radieux de l'Education nationale, qui manque cruellement de bras pour faire tourner la boutique, ou du moins pour en donner l'apparence. Vous serez des contractuels, encore moins payés que les dits titulaires, après cinq ans d'étude. Pourquoi hésiter? Mais attendez-vous à quelques surprises et à des déconvenues; outre que vous serez une main d'oeuvre malléable et déplaçable à merci, vous passerez sous l'autorité d'une administration qui n'est plus guère bienveillante, même si la bienveillance vous sera demandée à l'égard des chères têtes blondes, sur lesquelles vous vous faites sans doute beaucoup d'illusions. On ne "gère" pas une classe comme un groupe familial ou une colonie de vacances et les activités ludiques ont leur limites.          L'école a failli ou plutôt l(Etat, converti au système libéral depuis les années 80, quand on a proclamé qu'il fallait "ouvrir l'école sur la vie" et que des psychopédogogos libertaires ont eu voix au chapitre rue de Grenelle pour donner le ton: on n'est plus là d'abord pour instruire mais pour s'épanouir. L'apprentissage de la langue et l'amour des lettres, la rigueur scientifique sont devenus secondaires et chacun a déjà en lui les ressources pour se former au mieux. Il suffit de les éveiller, de les stimuler, comme si l'instruction (un gros mot qu'il fallut bannir) n'avait plus de sens. Et après tout, tous ne peuvent ou ne veulent trop s'élever dans le domaine du savoir. Une élite suffit à accéder au meilleur niveau, dans des écoles choisies et bien dotées. Les autres ont besoin de peu pour être de bons consommateurs.    Voilà les postulats dominants depuis une quarantaine d'années, quand l'esprit néolibéral entra pas la grande porte du système scolaire, qui ne devint plus une priorité. La formation des enseignants suivit, pour en arriver aujourd'hui à un niveau tel qu'il ferait parfois  honte à beaucoup. Le manque d'attractivité du métier, largement lié au manque de reconnaissance sociale et pécunière, a produit les effets attendus: une effondrement des niveaux, des exigences, des apprentissages.                                                                                                                                          Donc, il faut recruter au plus vite, réparer quelques dégâts trop apparents, rabibocher, mettre des rustines là où c'est trop visible. Désolant!  Il n'y aura pas d'homme providentiel pour sauver le système, quand on sait comment fonctionne l'EN sous la coupe des gestionnaires de Bercy, qui ont d'autres priorités. La blanqérisation a donné le coup de grâce et ce n'est pas la visite d'un jour de Jupiter à Marseille qui va sauver les meubles. On est mal parti, dans l'indifférence des parents qui ont mordu à l'hameçon de la libéralisation et qui finissent par imposer leurs exigences.  Le Sénat a tout juste esquissé une analyse de certaines défaillances, en en restant au niveau des symptômes. Les anciennes préconisations de l'OCDE à l'encontre des services publics ont produit une partie de leurs effets. Le new public management continue à bas bruit. Y a-t-il à s'en étonner? Pendant ce temps-là, les élèves souffrent....                                                                       _______  Agir au lieu de pleurer, comme chaque fois...Il n'y pas que l'hôpital qu'il faille urgemment soigner. La crise sanitaire a agi comme un révélateur de ses maux devenus structurels. Cela est devenu tellement patent que la nouvelle ministre s'engage prioritairement à mettre les questions de santé au coeur des réformes à engager. Espérons que ce ne sera pas un replâtrage ou pire, une ouverture plus affirmée vers une libéralisation plus marquée.  ____Que l'école aussi aille mal, très mal même, cela commence aussi à se savoir. Et depuis plus longtemps. Le nouveau ministre va-t-il redresser la barre? C'est tout le système qui est à repenser. à réinstaurer, afin de mettre fin aux dérives progressives depuis une quarantaine d'années et de lui redonner le sens de ses missions d'intérêt public. Ce n'est pas seulement une question de niveau qui se dégrade (il n'y a pas que les fautes d'orthographe!), d'enseignants qui perdent leur foi et la formation qu'ils méritent. Même en maths, où les exigences se réduisent à peau de chagrin. Malgré les quelques médailles Fields dont nous sommes encore fiers. Si le recrutement enseignant se dégrade, c'est qu'il y a des raisons...    L'Education nationale n'est plus considérée comme une priorité nationale et tout est fait pour réduire les coûts. Bercy est devenu le superintendant du système.  La langue de bois n'est plus de mise. 


                                                                                                                                                __  Le niveau baisse...constat souvent fait, mais banalisé,  non réellement diagnostiqué ni suivi suivi d'effets réels. Cela affecte toutes les matières. Celles du moins qui n'ont pas été mises à la trappe. Dans le Figaro (eh! oui le Figaro...) on trouve une assez bonne mise au point concernant une des clés de voûte du système, après d'autres constats venus d'horizons divers:      ".....Alors que le nombre d'admissibles au CAPES est historiquement bas cette année et que l'académie de Versailles a annoncé l'organisation d'un «job dating» pour recruter des enseignants, l'historien Eric Anceau alerte sur la situation de l'Éducation nationale.   (Eric Anceau enseigne l'histoire contemporaine à Sorbonne Université. Il est spécialiste de l'État, des pouvoirs et des relations entre le peuple et les élites. Parmi ses derniers livres: Les Élites françaises des Lumières au grand confinement (Passés Composés, 2020) et Laïcité, un principe. De l'Antiquité au temps présent (Passés Composés, 2022))                                                              
Le nombre d'admissibles au CAPES est historiquement bas dans plusieurs disciplines cette année. Comment expliquer les difficultés de l'Éducation nationale à recruter ?_____Éric ANCEAU: J'irai même jusqu'à parler de chiffres catastrophiques: 816 admissibles au CAPES externe de mathématiques alors qu'il y avait 1035 postes à pourvoir, 720 pour 755 en lettres ou encore 83 pour 215 en allemand. Même si tous les admissibles sont recrutés on sera encore très en deçà des besoins !  Ces difficultés de recrutement s'inscrivent dans un phénomène de longue durée ; je le constate dans mes amphithéâtres, préparant des étudiants aussi bien à l'agrégation qu'au CAPES depuis plus de vingt ans. Certes, on parlait déjà d'une crise de recrutement au début des années 2000 lorsque je faisais partie du jury d'oral du CAPES d'histoire-géographie, mais je suis affolé de voir la fonte des effectifs d'année en année. Alors que dans les années 2000 nous avions plus de 500 étudiants de concours en amphi à la Sorbonne, à tel point que certains avaient du mal à trouver où s'asseoir, ils sont à peine une centaine aujourd'hui. La perte d'attractivité de la profession est réelle, à cause des rémunérations indécentes et des revalorisations promises qui n'ont pas eu lieu. Le début de carrière a certes été revalorisé mais c'est un «cache-misère», pardonnez-moi le terme ! On est actuellement à 1,1 SMIC pour un bac + 5. Par ailleurs, le refus de dégeler le point d'indice a conduit, sur deux décennies, à la paupérisation de toute une profession.  _____Le métier d'enseignant est devenu à hauts risques physiques et psychologiques. Les problèmes d'incivilités se multiplient. ____À cela s'ajoute la déconsidération complète du métier dans la société. Les enseignants étaient, il y a quelques décennies encore – et je ne parle pas ici de la Troisième République – plutôt hauts dans la hiérarchie sociale et presque unanimement respectés ; ce n'est plus le cas aujourd'hui.    Un autre phénomène lié, pour partie, au précédent est que l'enseignant est désormais très exposé. La salle de classe n'est plus un sanctuaire mais plutôt, à l'inverse, une caisse de résonance des maux nombreux de notre société.   Le métier d'enseignant est devenu à hauts risques physiques et psychologiques. Les problèmes d'incivilités se multiplient. L'agression, il y a 48 heures, d'une enseignante dans un lycée de Basse-Goulaine n'est qu'un exemple parmi de multiples autres, émergeant au milieu du #pasdevague, parce que l'agresseur a été filmé par ses complices et que sa vidéo a été postée sur les réseaux.   La perte de considération des enseignants se retrouve enfin dans le fait, justement insupportable pour eux, que les parents qui étaient de leur côté dans leur immense majorité quand l'institution était respectée, défendent désormais leurs enfants contre eux, même quand on leur démontre l'inacceptable.  ____Les résultats ne sont pas meilleurs pour le concours de professeur des écoles. Y voyez-vous plutôt une crise des vocations dans l'enseignement au sens large ou un désintérêt lié aux conditions actuelles d'exercice du métier ?_____Les chiffres des CRPE (concours de recrutement des professeurs des écoles, ndlr) par académie sont aussi tombés au cours des quinze derniers jours. Ils sont effectivement, eux aussi, très inquiétants, en particulier dans certaines grosses académies.  La particularité de cette année c'est qu'une crise conjoncturelle — liée à la réforme du CAPES — s'ajoute à la crise structurelle de très longue durée que j'évoquais.____La sécurité de l'emploi et les vacances que les détracteurs des professeurs leur lancent assez souvent à la figure pour les sommer d'arrêter de se plaindre ne suffisent pas à attirer.____Notez d'ailleurs que ce n'est pas tellement mieux dans le supérieur, tant du point de vue du recrutement que de celui de la rémunération. Le supérieur conserve peut-être le prestige et n'est pas confronté à des problèmes disciplinaires mais le niveau pour y accéder est encore plus élevé et ici le nombre de postes est très restreint, d'autant plus que des passe-droits, des procédures de contournement et une transformation dangereuse de la profession d'enseignant-chercheur sont en train d'émerger. On se retrouve aussi dans une situation de prolétarisation de la profession, en particulier lorsque l'on compare notre situation à celle de nos collègues des grandes puissances étrangères.   Je pense que les phénomènes s'ajoutent les uns aux autres pour amener la déconsidération de quasiment l'ensemble de la profession enseignante.    Le phénomène a été montré dans divers travaux universitaires et dans des enquêtes journalistiques. Je le constate à ma modeste échelle. Je donnais des chiffres tout à l'heure, mais je discute surtout beaucoup avec mes étudiants et je vois qu'en dehors des rares – et de plus en plus rares – qui ont la vocation, la plupart sont inquiets pour leur avenir, mais voient aussi de moins en moins celui-ci dans l'enseignement. La sécurité de l'emploi et les vacances que les détracteurs des professeurs leur lancent assez souvent à la figure pour les sommer d'arrêter de se plaindre ne suffisent pas à attirer. C'est dire !   ____Quelle part des difficultés de recrutement cette année est imputable à la réforme du CAPES ?  ____C'est une question délicate et je serai malhonnête d'asséner une vérité que je ne détiens pas. Nous manquons de recul puisque le changement est récent et ses effets ne se mesureront pleinement que dans le temps.   Je noterai d'abord que cette réforme s'inscrit dans un mouvement d'ensemble qui consiste à réduire la part du contenu disciplinaire au profit de la pédagogie et de la didactique. Il s'agit là de mieux répondre au niveau actuel des élèves dont on a pu constater qu'il est en baisse en comparaison diachronique et synchronique (il suffit ici de voir les résultats du PISA). En tant qu'universitaire, qu'historien et que citoyen attaché au volontarisme de l'État, je ne peux me satisfaire de cet accompagnement de la baisse du niveau. Je pense à l'inverse que l'école doit tirer nos enfants vers le haut et pour cela doit former des enseignants disciplinairement bien armés.                                                __La rectrice de l'académie de Versailles a décidé d'appliquer les méthodes du privé et du monde de l'entreprise pour recruter les enseignants du secondaire.   _____Ajoutons des effets liés plus directement à la réforme. Désormais c'est au terme des deux ans du Master MEEF (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) que se passe le concours et plus au terme du M1.    Il est délicat pour un jeune de milieu modeste qui est à la charge de sa famille ou qui doit travailler pour financer ses études de se dire qu'il va devoir accomplir une année d'étude supplémentaire avant d'être titularisé, même s'il touche un peu d'argent durant son année de M2 puisqu'il l'effectue en alternance avec généralement un tiers de son temps en responsabilité dans les collèges et les lycées. Cette réforme peut indéniablement permettre de se faire une idée de la «carrière» avant d'y entrer et cela décourage d'ailleurs beaucoup d'étudiants (les démissions ont été nombreuses ces derniers temps), mais cela diffère la titularisation donc cela précarise.    C'est d'ailleurs l'un des soucis, me semble-t-il, de la réforme que d'avoir multiplié les contractuels. Il y a aussi, en effet, ces étudiants qui ont signé un contrat dès leur deuxième année de licence et pour quatre ans, sans charge de classe au moins jusqu'en master 2, mais qui deviennent AED (assistants d'éducation, ndlr) en préprofessionnalisation et qui viennent renforcer les équipes. Nous sommes ici dans un «en même temps» caractéristique. Évidemment, c'est un moyen pour des jeunes de découvrir le métier et d'essayer de les attirer, mais il ne faut pas être dupe, c'est aussi un moyen de pourvoir à des manques en recourant à des contractuels et donc à des précaires. ___Justement, pour pallier le nombre de postes non pourvus, les établissements recrutent de plus en plus de contractuels. L'académie de Versailles organise même un «job dating» pour recruter des enseignants à partir de bac + 3. Quel regard portez-vous sur ces modes de recrutement ?___Je ne mâcherai pas mes mots: je suis scandalisé. Cela revient à dévaloriser la profession et à sacrifier notre jeunesse, puisqu'on va la confier à des adultes qui sont peut-être de bonne volonté, mais qui n'ont absolument pas les qualifications requises pour enseigner à nos jeunes.         La rectrice de l'académie de Versailles, qui n'est elle-même pas une enseignante-chercheuse — comme c'est normalement l'usage — mais une haut-fonctionnaire, ancienne camarade de promotion d'Emmanuel Macron à l'ENA, a décidé d'appliquer les méthodes du privé et du monde de l'entreprise pour recruter les enseignants du secondaire. J'ai vu la vidéo à laquelle vous faites sans doute allusion et dans laquelle elle faisait la promotion du «job dating» (quelle expression horrible !) pour recruter des enseignants contractuels en raison de la pénurie qui s'annonce pour les raisons évoquées tout à l'heure. On croirait voir une DRH d'un grand groupe privé !...     Cela annonce peut-être une réforme inquiétante qui est dans l'air et qui consisterait à régionaliser le recrutement des enseignants du secondaire. Le recrutement des enseignants se fait déjà par académie dans le primaire, et plusieurs candidats à la présidentielle, à commencer sans doute par Macron – même s'il ne nous a pas trop donné l'occasion de voir le détail de son programme – et Valérie Pécresse, mais aussi des hauts fonctionnaires envisagent d'étendre la mesure au secondaire.    Ce serait remettre en cause le principe d'égalité républicaine sur l'ensemble du territoire. Les concours nationaux garantissent cette égalité et assurent un certain niveau de recrutement. Dans certaines académies déficitaires, comme celle de Créteil, le niveau de recrutement des professeurs des écoles est déjà bien moindre qu'ailleurs. Une régionalisation du recrutement académique dans le secondaire entraînera mécaniquement une baisse du niveau des enseignants. Et les jeunes des zones qui sont déjà les plus défavorisées risquent d'avoir les professeurs les moins compétents. Ce n'est pas comme cela que la France deviendra un bon élève de la mobilité sociale, ce qu'elle n'est assurément pas actuellement.    ____Comment remédier à ces difficultés de recrutement ?   _____Cela passe très clairement par une revalorisation des traitements des enseignants. C'est un point fondamental, très bien diagnostiqué par Jean-Michel Blanquer avant même qu'il n'entre en fonction et au début de son quinquennat – car lui aussi en a effectué un, il détient même le record de durée d'un ministre rue de Grenelle de toute l'histoire – mais, comme je le disais, la revalorisation à laquelle il a procédé est restée très inférieure à ce qu'il est nécessaire de faire.        Nos enseignants demeurent parmi les plus mal payés d'Europe. On objecte souvent que leurs collègues étrangers travaillent plus, mais il faut comparer ce qui est comparable. Ils ont aussi souvent des conditions de travail bien meilleures et ce qu'ils font dans leur établissement, les professeurs français le font chez eux dans de petits logements et au milieu de leurs enfants.                  Par ailleurs, l'administration n'est pas assez à l'écoute des enseignants qui connaissent des difficultés. Les nombreux témoignages qui me viennent du terrain montrent que le #pasdevague qui n'existerait officiellement plus continue de perdurer en raison de point de blocages à quasiment tous les niveaux hiérarchiques de cette énorme machine qu'est le ministère de l'Éducation nationale. Il faut que les enseignants soient mieux soutenus par leur hiérarchie dans les affaires disciplinaires, qu'ils retrouvent leur autorité. C'est la condition sine qua non du retour au respect dû à leur fonction. En contrepartie, il faut évidemment qu'ils soient eux-mêmes irréprochables dans leur pratique professionnelle.   J'ajoute à cet égard qu'il est parfaitement normal qu'ils soient tenus par le devoir de réserve dans l'exercice de leur fonction en tant que fonctionnaires et le ministre de l'Éducation nationale a eu raison de le rappeler, mais la frontière avec la liberté d'expression est parfois ténue et celle-ci semble bien ne pas avoir été totalement respectée dans plusieurs affaires au cours de ces dernières années.   Je suis persuadé que des professeurs mieux rémunérés, respectés et épanouis dans leurs pratiques professionnelles feront des émules et c'est toute notre jeunesse et notre nation tout entière qui profiteront de ces nouveaux enseignants...." _________

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