Amnésie.
Par- delà les drames humains, la stupeur, l'accablement, c'est l'étonnement qui étonne.
Dame nature, là comme ailleurs, suit son cours. Elle n'a aucune fin qui lui soit d'avance fixée, comme le disait Spinoza. Ses mécanismes suivent des déterminismes de plus en plus connus.
Elle se moque de la négligence des hommes et de leurs intérêts. A eux de composer avec elle, le plus intelligemment. On en est loin...
Certes, la nature, notre matrice, est finalement la plus forte, comme on dit. Elle aura le dernier mot.
Mais elle a parfois bon dos, quand elle semble ne pas se plier à nos désirs. On le répète à chaque fois, depuis tant d'années: à Nîmes, Vaison-la-Romaine, etc...C'est l'homme qui se met le plus souvent en situation de risques. La nature ne se venge pas, elle exerce ses lois. Aveuglément. Des banalités à répéter.
L’urbanisation inconsidérée, dans certaines régions et dans certains lieux, a été maintes et maintes fois montrées du doigt, comme hier soir.
Comme le dit un intervenant sur Mediapart: "...C'est une une région conçue par des fous.
Je connais bien l’endroit. C’est une épouvante, ce pays. Entre Grasse, Cannes, Mandelieu, Sofia-Antipolis, Opio, Antibes et Biot, il n’y a rien. Rien de compréhensible.
Il y a des villes, et entre les villes, des centres commerciaux, des
bureaux, des pépinières, des entreprises et des villas palissadées. Il y
a des routes qui cheminent comme elles peuvent et sont heureuses de
trouver des ronds points pour faire demi-tour. Il y a un urbanisme sans
plan, sans unité architecturale, sans cohérence. Il n’y a dans ce pays
nulle colonne vertébrale à laquelle l’homme ordinaire projeté
innocemment ici peut se soutenir : ici est-il perdu, car il n’existe
aucun repère ordinaire. Et il est seul, angoissé, car ici est le domaine
de la grosse voiture. Rien ne se peut sans elle. Cette région n’a pas
été conçue par des êtres vivants mais par le prix du foncier et la
bêtise de l’héliotropisme. La mer rend con, surtout quand elle est au
soleil...."
Le bétonnage effréné, l'urbanisation forcenée, l'occupation des sols irréfléchie, la perte de mémoire, le faux sentiment de sécurité au sein d'une nature oubliée ou artificiellement envisagée, réduite à un décor...Autant d'éléments qui entrent en jeu, en proportions diverses, dans des débordements naturels, vite rangés dans le domaine de l'oubli ou du déni. On revient sur les bords fertiles d'un volcan, comme près de Naples, on n'entretient plus les cours d'eau ou on les canalise à outrance, on continue à désertifier une terre fragile ou à assécher des marais ....On oublie les épisodes cévenoles réguliers, les cycles volcaniques périodiques, etc...
Le risque de forts orages en cette saison est connu. Sur le site de l’Observatoire français des tornades et orages violents, il est ainsi écrit que «la
journée du 3 octobre compte parmi les jours à risque orageux marqué sur
la France, […] avec une probabilité d’orage sévère de 27%». Mais
surtout, ce qui est noté et pointé du doigt par les météorologues
interviewés par différents médias, c’est l’impact de l’urbanisation.
Notre aménagement urbain n’est pas du tout adapté à une montée brutale
des eaux.
... Magali Reghezza-Zitt, géographe spécialiste de l'Environnement et des villes, fait le même constat: «Ces inondations sont les conséquences directes de l'urbanisation
du littoral français. À un moment, les canalisations ne sont plus
capables d'absorber le trop-plein d'eau et ça déborde.»
Une analyse qui est loin d’être nouvelle. En 2012, un rapport sénatorial s’était penché sur deux épisodes rapprochés de crues dans le Var. Ses auteurs concluaient que, «à strictement parler, les inondations et leurs conséquences ne sont pas des catastrophes “naturelles”.
En effet, si le fait déclencheur est bien un phénomène
météorologique, parfois hors norme [...], il s'applique à un territoire
de longue date remodelé par l'homme, ce qui en diminue ou en aggrave les
conséquences».
La catastrophe est rarement seulement naturelle.
L'erreur humaine et une certaine urbanisation sont en cause.
Katrina est un exemple dramatique, prenant une ampleur politique
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______ (*) Seule une gigantesque dose de naïveté ou de malhonnêteté politique peut faire dire que la catastrophe qui vient de se produire dans les Alpes-Maritimes et ses victimes sont le fait d’une inondation violente non prévisible. Il y a déjà plusieurs années que nombre
d’études de géologues et chercheurs de différentes disciplines (1) montrent
de manière indiscutable que depuis trente ans, ce genre de désastres et
d’autres sont devenus plus fréquents et plus dévastateurs, en France
comme en Italie, en Europe et dans le monde entier (même si nous n’avons
pas les cyclones, les tornades ou les tsunamis habituels sur d'autres
continents).
Selon les données disponibles,
les inondations ont provoqué en France plus de 397 morts de 1990 à
aujourd’hui, presque autant que dans les autres pays comparables – sans
compter toutefois les morts dus aux «effets collatéraux». Les dommages
matériels sont énormes et les coûts supportés par la population
elle-même, par les collectivités locales et par les Etats sont
impressionnants; le plus souvent, ceux-ci font l’objet d’un business
acharné aux dépens des gens qui n’ont pas de relations privilégiées avec
les élus et le monde des affaires ; on peut même dire que dans nombre
de cas, ce sont les acteurs du business de la gestion des catastrophes et de l’après celles-ci qui ont intérêt à leur reproduction.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1980 n’ont
presque jamais adopté de sérieux programmes d’assainissement du
territoire indispensables pour mettre au point des dispositifs de
prévention efficaces. Il est connu en effet que les catastrophes dites
«naturelles» se sont aggravées tout d’abord à cause du bétonnage du
territoire, de la déforestation, surtout dans les hauteurs, bref en
raison de la spéculation immobilière et des grands travaux, le tout sans
aucun souci pour les conséquences désastreuses que ces œuvres
provoquent. Encore plus graves sont les désastres silencieux, à savoir
les désastres sanitaires directement liés à la pollution découlant de
substances ou déchets toxiques allant jusqu’à produire une vaste
diffusion de cancers. Assez souvent, on ignore que les inondations ne
font qu’amplifier cette contamination.
Or, force est de constater que depuis trente ans (encore plus
qu’auparavant), les élus locaux et les gouvernements de tous les pays ne
font pas grande chose pour faire face aux risques de ces catastrophes.
Les agences de contrôle sont souvent affaiblies, privés de moyens
suffisants et parfois une partie de leurs personnels est corrompue. Une
partie de la population elle aussi est complice, notamment quand elle
vote pour tel élu ou tel député qui lui donnera l’autorisation de
construire même dans des sites à risque ou provoquant des risques. La
logique commune qui s’est imposée est de privilégier le bâti, tout comme
l’industrie et les grands travaux, malgré les risques et même aux
dépens de la santé publique, souvent à travers le travail au noir de
néo-esclaves (immigrés irréguliers fort utiles) et à travers les
pots-de-vin et la corruption des contrôleurs.
....Pour les tenants du
sécuritarisme néo-libéral, les morts dus aux catastrophes et les cancers
liés à la pollution industrielle, nucléaire et militaire, même s’ils
sont chaque jours des milliers, ne comptent pas. Ainsi, la res publica à
laquelle un gouvernement effectivement démocratique devrait subordonner
toute son œuvre a été totalement bafouée. Cela veut dire que face aux
risques d’inondation, il est absolument nécessaire d'adopter un
programme d’assainissement du territoire. Et cela n’est pas du tout un
investissement à perte ; non seulement il permet de créer une très
grande quantité d’emplois, mais il permet aussi de créer les conditions
pour un futur de développement sain et durable.
Bien évidemment, cela est le contraire de la logique du profit maximum hic et nunc
et sur la peau de quiconque. Et c’est aussi le contraire d’une autre
trouvaille néo-libérale : celle qui propose aux gens (individualisés)
qui vivent dans les situations à risques de développer leur résilience,
d’apprendre à s’arranger, à vivre avec, à se débrouiller. C’est ce
nouveau mot magique que les autorités européennes et des pays dits
occidentaux ont mis à la mode, selon une approche psychologisante qui de
toute évidence reporte sur les populations à risque les coûts des
catastrophes provoquées par la gouvernance néo-libérale. Il y a là une
sorte d'éternel retour d'une certaine psychologie ancillaire des
dominants, qui de facto cherche à renouer le darwinisme social sinon la
thanatopolitique, voire l’élimination de ceux qui ne sont pas capables
de se doter des moyens de faire face aux risques (voir le sort des
pauvres après Katrina à La Nouvelle Orléans). Ainsi, les questions du
développement, voire du futur même de l’humanité (qui devraient être
discutées aussi prochainement à l’occasion de COP21 à Paris) n’entament
en rien les orientations de la gouvernance de la sécurité, lesquelles
continuent à ignorer la vie et le futur de l’humanité,..
(1) Voir entre autres les actes du colloque Catastrophes, vulnérabilités et résiliences dans les pays en développement, les livres Le gouvernement des catastrophes, dirigé par S. Revet et J. Lagumier, Kathala, 2013; La mondialisation des risques, dirigé par Soraya Boudia et Emmanuel Henry, PUR, 2015; Governance of Security and Ignored Insecurities in Contemporay Europe, Ashgate, 2016
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