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mardi 6 octobre 2015

Ces catastrophes dites naturelles

Amnésie.
             Par- delà les drames humains, la stupeur, l'accablement, c'est l'étonnement qui étonne.
   Dame nature, là comme ailleurs, suit son cours. Elle n'a aucune fin qui lui soit d'avance fixée, comme le disait Spinoza. Ses mécanismes suivent des déterminismes de plus en plus connus.
Elle se moque de la négligence des hommes et de leurs intérêts. A eux de composer avec elle, le plus intelligemment. On en est loin...
Certes, la nature, notre matrice, est finalement la plus forte, comme on dit. Elle aura le dernier mot.
Mais elle a parfois bon dos, quand elle semble ne pas se plier à nos désirs. On le répète à chaque fois, depuis tant d'années: à Nîmes, Vaison-la-Romaine, etc...C'est l'homme qui se met le plus souvent en situation de risques. La nature ne se venge pas, elle exerce ses lois. Aveuglément. Des banalités à répéter.
        L’urbanisation inconsidérée, dans certaines régions et dans certains lieux, a été maintes et maintes fois montrées du doigt, comme hier soir.
        Comme le dit un intervenant sur Mediapart: "...C'est une une région conçue par des fous.
Je connais bien l’endroit. C’est une épouvante, ce pays. Entre Grasse, Cannes, Mandelieu, Sofia-Antipolis, Opio, Antibes et Biot, il n’y a rien. Rien de compréhensible. Il y a des villes, et entre les villes, des centres commerciaux, des bureaux, des pépinières, des entreprises et des villas palissadées. Il y a des routes qui cheminent comme elles peuvent et sont heureuses de trouver des ronds points pour faire demi-tour. Il y a un urbanisme sans plan, sans unité architecturale, sans cohérence. Il n’y a dans ce pays nulle colonne vertébrale à laquelle l’homme ordinaire projeté innocemment ici peut se soutenir : ici est-il perdu, car il n’existe aucun repère ordinaire. Et il est seul, angoissé, car ici est le domaine de la grosse voiture. Rien ne se peut sans elle. Cette région n’a pas été conçue par des êtres vivants mais par le prix du foncier et la bêtise de l’héliotropisme. La mer rend con, surtout quand elle est au soleil...." 
     Le bétonnage effréné, l'urbanisation forcenée, l'occupation des sols irréfléchie, la perte de mémoire, le faux sentiment de sécurité au sein d'une nature oubliée ou artificiellement envisagée, réduite à un décor...Autant d'éléments qui entrent en jeu, en proportions diverses, dans des débordements naturels, vite rangés dans le domaine de l'oubli ou du déni. On revient sur les bords fertiles d'un volcan, comme près de Naples, on n'entretient plus les cours d'eau ou on les canalise à outrance, on continue à désertifier une terre fragile ou à assécher des marais ....On oublie les épisodes cévenoles réguliers, les cycles volcaniques périodiques, etc... 
     Le risque de forts orages en cette saison est connu. Sur le site de l’Observatoire français des tornades et orages violents, il est ainsi écrit que «la journée du 3 octobre compte parmi les jours à risque orageux marqué sur la France, […] avec une probabilité d’orage sévère de 27%». Mais surtout, ce qui est noté et pointé du doigt par les météorologues interviewés par différents médias, c’est l’impact de l’urbanisation. Notre aménagement urbain n’est pas du tout adapté à une montée brutale des eaux.
... Magali Reghezza-Zitt, géographe spécialiste de l'Environnement et des villes, fait le même constat: «Ces inondations sont les conséquences directes de l'urbanisation du littoral français. À un moment, les canalisations ne sont plus capables d'absorber le trop-plein d'eau et ça déborde.»
     Une analyse qui est loin d’être nouvelle. En 2012, un rapport sénatorial s’était penché sur deux épisodes rapprochés de crues dans le Var. Ses auteurs concluaient que, «à strictement parler, les inondations et leurs conséquences ne sont pas des catastrophes “naturelles. En effet, si le fait déclencheur est bien un phénomène météorologique, parfois hors norme [...], il s'applique à un territoire de longue date remodelé par l'homme, ce qui en diminue ou en aggrave les conséquences».
    La catastrophe est rarement seulement naturelle.
          L'erreur humaine et une certaine urbanisation sont en cause.
              Katrina est un exemple dramatique, prenant une ampleur politique
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______             (*)  Seule une gigantesque dose de naïveté ou de malhonnêteté politique peut faire dire que la catastrophe qui vient de se produire dans les Alpes-Maritimes et ses victimes sont le fait d’une inondation violente non prévisible. Il y a déjà plusieurs années que nombre d’études de géologues et chercheurs de différentes disciplines (1) montrent de manière indiscutable que depuis trente ans, ce genre de désastres et d’autres sont devenus plus fréquents et plus dévastateurs, en France comme en Italie, en Europe et dans le monde entier (même si nous n’avons pas les cyclones, les tornades ou les tsunamis habituels sur d'autres continents).
    Selon les données disponibles, les inondations ont provoqué en France plus de 397 morts de 1990 à aujourd’hui, presque autant que dans les autres pays comparables – sans compter toutefois les morts dus aux «effets collatéraux». Les dommages matériels sont énormes et les coûts supportés par la population elle-même, par les collectivités locales et par les Etats sont impressionnants; le plus souvent, ceux-ci font l’objet d’un business acharné aux dépens des gens qui n’ont pas de relations privilégiées avec les élus et le monde des affaires ; on peut même dire que dans nombre de cas, ce sont les acteurs du business de la gestion des catastrophes et de l’après celles-ci qui ont intérêt à leur reproduction.
    Les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1980 n’ont presque jamais adopté de sérieux programmes d’assainissement du territoire indispensables pour mettre au point des dispositifs de prévention efficaces. Il est connu en effet que les catastrophes dites «naturelles» se sont aggravées tout d’abord à cause du bétonnage du territoire, de la déforestation, surtout dans les hauteurs, bref en raison de la spéculation immobilière et des grands travaux, le tout sans aucun souci pour les conséquences désastreuses que ces œuvres provoquent. Encore plus graves sont les désastres silencieux, à savoir les désastres sanitaires directement liés à la pollution découlant de substances ou déchets toxiques allant jusqu’à produire une vaste diffusion de cancers. Assez souvent, on ignore que les inondations ne font qu’amplifier cette contamination.
    Or, force est de constater que depuis trente ans (encore plus qu’auparavant), les élus locaux et les gouvernements de tous les pays ne font pas grande chose pour faire face aux risques de ces catastrophes. Les agences de contrôle sont souvent affaiblies, privés de moyens suffisants et parfois une partie de leurs personnels est corrompue. Une partie de la population elle aussi est complice, notamment quand elle vote pour tel élu ou tel député qui lui donnera l’autorisation de construire même dans des sites à risque ou provoquant des risques. La logique commune qui s’est imposée est de privilégier le bâti, tout comme l’industrie et les grands travaux, malgré les risques et même aux dépens de la santé publique, souvent à travers le travail au noir de néo-esclaves (immigrés irréguliers fort utiles) et à travers les pots-de-vin et la corruption des contrôleurs.
    ....Pour les tenants du sécuritarisme néo-libéral, les morts dus aux catastrophes et les cancers liés à la pollution industrielle, nucléaire et militaire, même s’ils sont chaque jours des milliers, ne comptent pas. Ainsi, la res publica à laquelle un gouvernement effectivement démocratique devrait subordonner toute son œuvre a été totalement bafouée. Cela veut dire que face aux risques d’inondation, il est absolument nécessaire d'adopter un programme d’assainissement du territoire. Et cela n’est pas du tout un investissement à perte ; non seulement il permet de créer une très grande quantité d’emplois, mais il permet aussi de créer les conditions pour un futur de développement sain et durable.
    Bien évidemment, cela est le contraire de la logique du profit maximum hic et nunc et sur la peau de quiconque. Et c’est aussi le contraire d’une autre trouvaille néo-libérale : celle qui propose aux gens (individualisés) qui vivent dans les situations à risques de développer leur résilience, d’apprendre à s’arranger, à vivre avec, à se débrouiller. C’est ce nouveau mot magique que les autorités européennes et des pays dits occidentaux ont mis à la mode, selon une approche psychologisante qui de toute évidence reporte sur les populations à risque les coûts des catastrophes provoquées par la gouvernance néo-libérale. Il y a là une sorte d'éternel retour d'une certaine psychologie ancillaire des dominants, qui de facto cherche à renouer le darwinisme social sinon la thanatopolitique, voire l’élimination de ceux qui ne sont pas capables de se doter des moyens de faire face aux risques (voir le sort des pauvres après Katrina à La Nouvelle Orléans). Ainsi, les questions du développement, voire du futur même de l’humanité (qui devraient être discutées aussi prochainement à l’occasion de COP21 à Paris) n’entament en rien les orientations de la gouvernance de la sécurité, lesquelles continuent à ignorer la vie et le futur de l’humanité,..
       (1) Voir entre autres les actes du colloque Catastrophes, vulnérabilités et résiliences dans les pays en développement, les livres Le gouvernement des catastrophes, dirigé par S. Revet et J. Lagumier, Kathala, 2013; La mondialisation des risques, dirigé par Soraya Boudia et Emmanuel Henry, PUR, 2015; Governance of Security and Ignored Insecurities in Contemporay Europe, Ashgate, 2016
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