jeudi 7 octobre 2021

Sacré Nanard!

 L'esprit d'une époque. Grandeur et décadence. Adulation et mémoire courte.

                       Il n'y a pas à dire, ce fut quelqu'un.      Adulé par les uns par son audace et sa gouaille, conspué par les autres par son goût immodéré de succès enchaînés, parfois douteux, ses compromissions sulfureuses. Mais plus dure fut la chute... Depuis ses origines modestes, il reste encore au centre de polémiques en tant qu'homme public.   Ce fut l'homme d'une époque, celles des "années fric", des succès faciles pour qui avait un peu d'audace et des scrupules réduits. Une époque flamboyante où se faisaient ou se défaisaient les fortunes et les renommées, comme dans les romans de Balzac. Un personnage de roman à lui tout seul, comme on le dit encore aujourd'hui, quelques jours après son combat final, toujours sur le devant de la scène, malgré les "affaires", au rebondissements multiples et scabreux... Wonder-ful!                                                    C'était les années du mitterandisme cherchant des appuis, une image de marque, un second souffle, après le virage libéral fabiusien et les désillusions que le régime engendra. Un homme de tellement d'affaires souvent inabouties ou compromises, qui pouvait susciter l'adulation de la presse people. Bernard était sur tous les fronts, même ministériels, prêt aux assauts les plus improbables, aux confrontations les plus rudes, pour la restauration d'une image qui s'écornait du côté de l'Elysée.              Ce n'est pas la personne privée qui est à juger aujourd'hui encore, mais la personne publique, dans le domaine des affaires comme dans celui de la vie publique, malgré des qualités humaines indéniables. c'était un homme de théâtre, comme on l'a vu: sur les planches, dans les banlieues comme en studio dans ses joutes épiques avec Le Pen, l'homme des situations critiques  ou désespérées, n'ayant pas peur de dramatiser pour surmédiatiser son rôle.   Il fut un acteur à part entière mais aussi un révélateur, révélateur d'ambitions d'époque, comme Rastignac le fut de la sienne (*). Aussi bien dans le business, tel une étoile filante, que dans le sport, de la Vie Claire qu'à l'OM. Son époque signe un tournant, celui d'un business conquérant, qui allait en attirer bien d'autres. Il avait senti le vent tourner, et a contribué à détourner les idéaux sportifs de leurs enjeux initiaux; il fallait être un gagneur offensif sur le gazon vert comme dans l'entreprise.   C'était l'époque de la  com, où les media faisaient leurs choux gras de succès rêvés...

                   ___ (*) Point de vue:    "...Du vivant de Bernard Tapie, la presse a souvent eu deux manières de parler de lui. Pour beaucoup de journaux de la presse écrite et plus encore de médias audiovisuels, il a longtemps été, comme on dit, un « bon client ». Avec ses coups de gueule et ses tartarinades, ses coups de bluff et ses tours de bonneteau, il figurait parmi ces invités que beaucoup ont adoré recevoir car il faisait espérer un gonflement des ventes ou des pics d’audience. Pendant plus de trente-cinq ans, il a donc été accueilli avec empressement sur d’innombrables plateaux, y compris ceux du service public.  D’un média à l’autre, de BFMTV jusqu’à Europe 1, en passant par France 2, Le Journal du dimanche ou Paris-Match, on s’arrachait Bernard Tapie. Pour le faire parler d’à peu près n’importe quoi. Au hasard, du foot. Ou bien des « gilets jaunes ». Ou alors de la situation politique en général et d’Emmanuel Macron en particulier. Et puis, dans la foulée, on l’invitait aussi à parler (un peu) de sa propre affaire, sans trop le contredire ou l’interpeller. En le laissant proférer, le plus souvent, les plus grosses énormités. On a même vu au printemps 2021 France Inter s’abaisser à faire la promotion d’un livre – naufrage du service public ! – écrit par un salarié de Tapie, truffé de mensonges et de contrevérités innombrables sur l’histoire du célèbre arbitrage frauduleux, et tout autant d’insultes et de « fake news » à l’égard de Mediapart. Du vivant de Bernard Tapie, la presse a souvent eu deux manières de parler de lui. Pour beaucoup de journaux de la presse écrite et plus encore de médias audiovisuels, il a longtemps été, comme on dit, un « bon client ». Avec ses coups de gueule et ses tartarinades, ses coups de bluff et ses tours de bonneteau, il figurait parmi ces invités que beaucoup ont adoré recevoir car il faisait espérer un gonflement des ventes ou des pics d’audience. Pendant plus de trente-cinq ans, il a donc été accueilli avec empressement sur d’innombrables plateaux, y compris ceux du service public.    D’un média à l’autre, de BFMTV jusqu’à Europe 1, en passant par France 2, Le Journal du dimanche ou Paris-Match, on s’arrachait Bernard Tapie. Pour le faire parler d’à peu près n’importe quoi. Au hasard, du foot. Ou bien des « gilets jaunes ». Ou alors de la situation politique en général et d’Emmanuel Macron en particulier. Et puis, dans la foulée, on l’invitait aussi à parler (un peu) de sa propre affaire, sans trop le contredire ou l’interpeller. En le laissant proférer, le plus souvent, les plus grosses énormités. ...Il faut dire que le bateleur savait y faire. Du temps où tout lui souriait encore, dans le sport comme en politique, il avait pris l’habitude de convier sur son luxueux yacht, le Phocéa, de très nombreux patrons de presse, et même des ribambelles de journalistes, pour passer avec lui quelques jours de vacances luxueuses. Ce qui ne contribuait pas forcément à des formes de journalisme très pugnace. Tant et si bien que de très nombreux journaux, du JDD jusqu’au Figaro, et même très longtemps Libération, ont pris des années durant fait et cause pour Bernard Tapie, comme s’il avait été victime d’une insupportable erreur judiciaire, fomentée par quelques magistrats enquêtant perpétuellement à charge....On a constamment préféré mettre en lumière non pas l’aventure personnelle de Bernard Tapie mais ce que son affaire – ou plutôt ses affaires – a révélé de notre pays ; des dysfonctionnements de notre démocratie ; des embardées de la justice.     Puisque Bernard Tapie est mort, ce dimanche 3 octobre, après un très long combat contre la maladie, sans doute est-ce toujours le meilleur prisme pour parler du personnage : continuer d’observer toutes les turbulences dans lesquelles il a été emporté tout au long de sa vie, comme un miroir. Car dans sa vie tumultueuse, on discerne tout cela : la folle consanguinité entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires, une justice parfois à la botte, une presse trop souvent servile, et tant d’autres choses encore… Alors, observons une dernière fois le miroir Tapie, pour discerner les images qu’il renvoie de notre démocratie.....On oublie trop souvent que Bernard Tapie n’a jamais engagé le moindre argent personnel – pas un seul centime – lors de sa prise de contrôle, en juillet 1990, du groupe Adidas : c’est la banque publique qui a financé l’opération, en lui faisant un prêt de 1,6 milliard de francs sur deux ans ; prêt que Bernard Tapie n’a jamais été capable de rembourser. Or, deux ans plus tard, après déjà bien des péripéties, si la banque, à l’époque dirigée par Jean-Yves Haberer, avait été un établissement normal ; si l’Élysée n’avait pas fait comprendre que Bernard Tapie était sous sa protection et allait bientôt redevenir ministre, l’histoire se serait arrêtée là : le Crédit lyonnais aurait fait jouer les nantissements dont il disposait sur les titres Adidas de Bernard Tapie ; le groupe de sports serait passé, au moins provisoirement, sous contrôle public ; et il n’y aurait pas eu de litige commercial les années suivantes. Et il n’y aurait pas eu non plus d’arbitrage seize ans plus tard. L’affaire Tapie se serait arrêtée en 1993, par la débâcle de l’homme d’affaires préféré des socialistes.    En somme, Bernard Tapie a profité d’un traitement de faveur indigne d’une démocratie, en 1993, parce qu’il était l’un des protégés de François Mitterrand. Et c’est grâce à cela, sans jamais avoir investi le moindre centime dans Adidas, qu’il a pu, longtemps après, intriguer dans les coulisses du pouvoir sarkozyste, pour obtenir un arbitrage, au moment précis où il risquait de perdre sa confrontation judiciaire avec l’ex-banque publique devant les tribunaux de la République.  On aurait donc tort de voir en Bernard Tapie un simple aventurier de la vie des affaires ou de la politique, qui aurait dû son exceptionnel parcours ou sa longévité à son tempérament – même s’il n’en a jamais manqué. Au-delà de son propre caractère bouillonnant, il a d’abord été le reflet des époques qu’il a traversées. Il a ainsi été le symbole des « années fric » qui ont marqué la fin de la seconde présidence Mitterrand, de cette période accablante pour le socialisme français qui a favorisé « ceux qui s’enrichissent en dormant » – selon la formule célèbre de François Mitterrand –, de cette période de naufrage marquée par des scandales en cascade, éclaboussant de nombreux obligés du Palais, ceux de Pechiney-Triangle ou encore du Crédit lyonnais...."     _______________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire