lundi 3 juillet 2023

Les mots et les choses

Ce que parler veut dire

                   Que le langage ne soit pas inné, voilà qui fait l'unanimité aujourd'hui. Sans culture ambiante, sans apprentissage -d'abord spontané - les facultés d'expression humaines restent à l'état de potentialités inexploitées, les rares cas non légendaires d' "enfants sauvages", ayant survécu hors société, le montrant avec évidence: sans la société des hommes, pas d'expression verbale possible, pas de pensée. Celle-ci se met et place et s'élabore avec l'apprentissage, sous l'effet d'une langue parlée quelle qu'elle soit, d'abord reçue, mimétiquement, puis peu à peu assumée et maîtrisée. L'individu a finalement la capacité de parler sa langue mais aussi de la développer, de l'enrichir, de la complexifier, dans les conditions les plus favorables. Une langue est un capital qui ne cesse de croître, dont la richesse d'expression est toujours perfectible, ce que montre la littérature, qui réinvente les modes d'expressions en stimulant l'esprit et le coeur. 


                                                          L'exigence ne date pas d'aujourd'hui, mais s'impose plus encore aujourd'hui: il importe de sauver la langue, quand elle tend à s'appauvrir et à perdre sa précision et sa richesse. La lecture, si précieuse, n'est pas en hausse, malheureusement, elle s'effondre même, sauf dans les milieux culturellement privilégiés. La langue de Victor Hugo est souvent en souffrance, trop souvent mise à mal, and elle n'est pas rapidement colonisée par un globish de plus en plus envahissant. Certains évoquent un véritable effondrement dans certains cas. Il n'y a pas de pensée sans mots et pas de pensée expressive et nuancée sans une langue sans cesse travaillée, affinée.                                            Comme disait quelqu'un: "...La disparition progressive des temps  (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien. Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée. Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions. Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.  L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots.  Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants. Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté...."  ________

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