vendredi 25 août 2023

Vieillir...

 ...L'entrée imperceptible dans le dernier âge de la vie....

                            Ce n'est pas un drame. Juste une phase nécessaire avant l'échéance naturelle. On s'en rend peu compte, d'autant plus que le déni s'exerce à fond et qu'il faut souvent du temps pour s'apercevoir des atteintes subies par le corps et souvent aussi de la lente chute de certaines facultés qui s'émoussent. Le fait de se sentir vieux dépend des personnes, de leur passé mais est aussi, dans une large mesure, est une question de chance. Il y a vieillir et (relativement) bien vieillir. Edgar Morin et quelques autres sont tout de même des exceptions et il est indécent de souhaiter à une personne chère de vivre le plus longtemps possible. C'est en partie exorciser ses propres craintes de la mort. Il y a une "tyrannie du bien vieillir".                           ___Bien vieillir ne dépend pas que de nous et le  business de la vieillesse ne favorise pas le phénomène, qui tend à exclure et à ségréguer, et la tyrannie des normes de la beauté, l'obsession contemporaine du corps toujours jeune et avenant jouent en défaveur de ceux qui voient se développer, parfois avec terreur, les outrages classiques du temps.   A l' époque où les anciens prennent une place inédite, reconsidérer le « bien vieillir » est une vraie urgence, humaine et civilisationnelle. Il y a vieillir et vieillir, la solitude étant un accélérateur de vieillissement, qui n'est pas seulement un processus physique.  Le vieillissement: une notion complexe et multiforme

[Vieux Crétois, photographié par mes soins.]_

                                                             On peut laisser B. Pivot en parler à sa manière:  
« J’aurais pu dire : Vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, C’est douloureux, c’est horrible, C’est déprimant, c’est mortel. Mais j’ai préféré « chiant » Parce que c’est un adjectif vigoureux Qui ne fait pas triste. Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira. Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant. Invulnérable. La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien…. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme. Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes….. Des hommes et des femmes dans la force de l’âge qui ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge. Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants. « Avec respect », « En hommage respectueux », « Avec mes sentiments très respectueux ». Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ? Les cons ! Et du ‘cher Monsieur Pivot’ long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus ! Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place… J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rasseoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué. !!!… ? – « Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que ». – Moi aussitôt : « Vous pensiez que ? » – « Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir. » – « Parce que j’ai les cheveux blancs ? » – « Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ça a été un réflexe, je me suis levée. » – « Je parais beaucoup… beaucoup plus âgé que vous ? » – « Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge. » – « Une question de quoi, alors ? » – « Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois. » J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre. Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien. Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve. Rêver, c’est se souvenir, tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent. C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie. La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce. J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’Adagio du Concerto n° 23 en La majeur de Mozart, soit, du même, l’Andante de son Concerto n° 21 en Ut majeur, musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà. Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés. Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années ? En mois ? En jours ? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération. Après nous, le déluge ?… Non, Mozart. " (Bernard Pivot. Les mots de la vie. ] ________________________________________________

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