Consommateurs-trices et géniteurs-trices!
N'attendez pas un miracle...
CARNET DE BORD D'UN PASSEUR FATIGUE MAIS EVEILLE...QUI NE VEUT PAS MOURIR (TROP) IDIOT. _____________________________________________________ " Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile." [Thucydide]--------------------- " Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti " [A.Camus]
Question de croyance?
[On comprend mieux...] |
___________Mais une frange non négligeable de personnes er d'institutions contestent encore ce constat, attribuant les transformations climatiques à des causes (surtout) naturelles, comme les très nombreux changements qui ont affecté l'histoire de la terre. Une remise en question liée encore à l'ignorance ou au déni, mais aussi à l'intérêt, au refus de remise en cause de pratiques, industrielles ou agricoles notamment, qui sont soupçonnées être des facteurs d'accélération et d'aggravation du climat local ou général. C'est ce appelle parfois le grand déni, qui domine encore dans plusieurs pays du monde, notamment aux USA, dans les milieux industriels et conservateurs. Il fut un temps où en France Claude Allègre se faisait le champion de cette cause, au nom de données prétendument scientifiques. On ne l'entend plus. Mais une vague médiatique continue la même musique en France et même au sein d' institutions européennes. Diverses formes de climat-scepticisme continuent à se manifester. Aux USA, c'est plus généralisé et affiché, souvent sans complexe, au service d'intérêts affirmés. Au nom du " libre marché". Refusant les évidences et ramenant tout à un éco-pessimisme punitif et catastrophiste. Comme dit Naomi Klein: « c’est peut-être au moment du désastre ou juste après, qu’il est possible de reconstruire autrement. » ______________________
Petit à petit, le reagano-thatchérisme fait son lit
L'ultralibéralisme des années 80, sous impulsion anglo-saxonne, poursuit son chemin. Le problème, c'est l'Etat, disait Ronald; "Il n'existe que des individus", répétait Maggie. Tous deux bons disciples de l'école de Chicago, de Hayek et de Friedman. Si quelques corrections sont intervenues ca et là, s 'il y a souvent des lenteurs et parfois des résistances, l'esprit de Chicago n'a pas changé, du côté des économistes en vogue et de décideurs politiques de premier plan. Les services publics sont pour eux dépassés et il est temps d' "ouvrir le capital", comme disait pudiquement L.Jospin, pour privatiser sans vraiment le dire, au détriment des intérêts des citoyens, devenus surtout consommateurs, Les services tendent à devenir des marchés. Un processus de sabotage s'est installé. ".... Les gouvernements successifs ont fait le choix d’importer les normes du privé dans l’espace public. Ils ont été encouragés par des traités et directives de l’Union européenne (UE) favorables à la dérégulation. La rentabilité et la concurrence sont devenues des maîtres mots. Un contresens total pour des services qui ont vocation à satisfaire les besoins de la population, à servir l’intérêt commun, à mettre à l’abri des dynamiques inégalitaires.Des vagues de privatisations aux scandales des Ehpad ou des crèches, le dogme s’est installé au sommet de l’Etat : le privé ferait mieux que le public. Comme si les mécanismes du privé avaient une capacité d’organisation supérieure...." On a vu..
ll serait temps de faire à nouveau l'éloge du service public. Car, de plus en plus, pas seulement en France, des secteurs d'activité d'intérêt général sont réduits ou sacrifiés sur l'autel des intérêts privés, directement ou indirectement, au nom d'un marché prétendument régulateur et facteur de progrès. Même au niveau de certaines missions ministérielles (recours à des cabinets privés.) La doctrine reaganienne est passée par là... jusque dans les couloirs de l'hôpital, des laboratoires pharmaceutiques et de projets d'école...
"...Qui veut la peau des services publics? Comment s’en sortent les agents qui ne parviennent plus à faire leur métier du fait des réorganisations incessantes, du management par les indicateurs et le reporting ? Quel impact cela a-t-il sur les usagers ? C’est à toutes ces questions que Claire Lemercier, historienne, Julie Gervais, politiste, et Willy Pelletier, sociologue, ont répondu au terme d’enquêtes au long cours, dans La valeur du service public (La Découverte, 2021). A partir de nombreux témoignages, ils montrent les conséquences des politiques mises en œuvre par une nouvelle noblesse d’Etat, qu’ils nomment la « noblesse managériale public-privé », formée dans les nouvelles écoles du pouvoir et coupée des réalités du terrain. Entretien avec Claire Lemercier et Willy Pelletier...." Il a raison, Jacques. C'est tout Bon...Même si ses constats viennent un peu tard et qu' il ne suffit pas de le proclamer. Et il n'est pas le premier. C'est le constat sur le terrain de pas mal d'élus locaux depuis quelques années.
____Les services publics reculent, à tous les niveaux, se dégradent et engendrent une fracture qui ne peut que s' accentuer, si rien n'est fait. (*)
C'était une des thématiques récentes des gilets jaunes de province. Il existe de plus en plus de zônes grises, de quasi-déserts administratifs, médicaux, etc...qui, comme un cercle vicieux, entraînent une perte de substance, en même temps qu'un sentiment d'abandon, reléguant de plus en plus de gens en seconde zône, surtout quand se sont envolés les emplois industriels locaux.
Une France à deux vitesses. On en prend le chemin, quand ce n'est pas déjà accompli. Il suffit de visiter les Ardennes ou la Meuse.
Et il n'y a pas que la poste ou les centres de soins locaux qui sont concernés.
C'est tout le lien social qui est affecté.
La numérisation des données ne va pas remédier à ces choix le plus souvent faits hors concertation. Il faut être équipé, connecté, formé et la majorité vieillissante de la population rurale se trouve exclue d'emblée de certains services.
La fracture numérique renforce de fait les inégalités.
On a voulu moderniser, financer le présent à court terme, privatiser de plus en plus, donner le pas aux conurbations urbaines, faire de la voiture le moyen d'aller plus loin se faire soigner, remplir une démarche administrative, etc...
On a voulu réduire la voilure d' l'Etat, jugé trop obèse, sous l'influence de la pensée néolibérale de Hayek, devenu un dogme indiscuté. Maggie a montré le chemin.
On a progressivement porté atteinte aux services publics, sous des prétextes les plus fallacieux.
Le dégraissage fut à l'ordre du jour et se poursuit. On en voit les effets.
Pendant ce temps, on fermait les yeux sur l'évasion ou la fraude fiscale, on réduisait les impôts des plus favorisés, on soutenait de grandes entreprises sans le moindre contrôle, on se lançait sans frein dans des investissements problématiquement productifs, etc....
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(*) "....Ces maux ne datent pas d’hier et « renvoient souvent à des problèmes plus profonds, d’ordre systémique. Ils constituent les “signaux faibles” émis par la société française, souvent “invisibles” des responsables politiques et administratifs nationaux, faute d’être appréhendés de manière globale ». La réduction du périmètre des services publics, les réductions budgétaires d’un côté et la progression de la pauvreté et de l’exclusion de l’autre ont des effets dévastateurs sur la cohésion sociale. Résultat, « en 2018, le Défenseur des droits a constaté, une fois encore, (…) les effets néfastes de l’évanescence croissante des services publics sur les personnes pour lesquelles ils constituent souvent le principal recours ». Cette évanescence est tout d’abord le fruit d’une réduction du « périmètre des services publics » par « la privatisation des services organisés en réseau, tels que la poste, les télécommunications, l’eau, le gaz, l’électricité, les services urbains ou les transports publics ». Parallèlement à cette privatisation, l’État s’est également déchargé de ses obligations en déléguant « certains services publics, en particulier dans le domaine de l’action sociale et de l’aide à domicile des personnes en perte d’autonomie » à « des associations à but non lucratif de plus en plus mises en concurrence avec des sociétés privées dans le cadre de procédures d’appel d’offres où les critères financiers s’avèrent prédominants ». Les services publics restant sous le giron de l’État ont quant à eux été « confrontés à une restriction de leurs moyens budgétaires, y compris dans le domaine social, couplée à une transformation de leurs modes d’intervention appelés à être plus efficients ». Affaiblis par la réduction de leur périmètre et de leurs budgets, les services publics ont cependant dû faire face « au développement des inégalités, de l’exclusion de la pauvreté », explique le rapport. « Les personnes “exclues” sont apparues massivement dans les services publics : non seulement aux guichets des services sociaux et des organismes de logement, mais également dans les services de santé, d’éducation, dans la justice, etc., tous sont confrontés à la multiplication de situations d’urgence. » Et beaucoup d’administrations n’ont pas les moyens de faire face à l’afflux de demandes. « Confrontés à l’essor de la pauvreté, les services publics, en particulier sociaux, ont tenté de faire face à l’afflux des demandes en développant le traitement de masse de dossiers, explique le rapport. La standardisation des modes de traitement des demandes de prestation d’allocations ou de pensions, alliée au souci de performance des différents opérateurs évalués à partir d’objectifs quantifiables et statistiques, fait obstacle au traitement individualisé des dossiers. Or les situations individuelles des personnes les plus précaires, qui constituent des cas d’urgence majeurs, sont souvent complexes. » Le rapport cite particulièrement l’exemple « des réformes successives des régimes de retraite mises en œuvre à partir de 1993. Les évolutions législatives se sont enchaînées à un rythme soutenu. Elles ont systématiquement entraîné une augmentation du nombre de départs à la retraite et des demandes de pension que de nombreux organismes n’ont pas été en mesure de gérer dans des délais raisonnables (…). Des personnes assurées sont ainsi restées dans l’attente de la liquidation effective de leur avantage vieillesse plusieurs mois après leur cessation d’activité, ce qui, pour celles à revenus modestes, a pu poser des difficultés insurmontables ». Le rapport du Défenseur des droits s’inquiète également d’une « répartition géographique des services publics décorrélée des besoins des usagers ». « Derrière la logique budgétaire et le souci de rationalisation qui conduisent à la fermeture de guichets de services publics dont dépend l’accès aux droits des personnes les plus précaires, se profilent de nombreuses situations individuelles », prévient-il...." ____________________________
Où va l'agriculture française?
C'est plus qu'une question de normes. Il s'agit de changer les règles du jeu franco-européen et les chèques ne suffiront pas. Mais c'est compliqué face aux injonctions contradictoires auxquelles sont soumis la masse des agriculteurs. Le contexte est inflammable. Cette crise n'est pas nouvelle. C'est juste une nouvelle phase. C'est l'heure des choix. La puissance agricole serait-elle déclinante? Il faut resituer cette nouvelle phase au sein d'une crise globale, comme l'analyse Romaric Godin:
Dans " Dans l’imaginaire collectif français, l’agriculture est considérée comme une activité à part, vraie, noble et artisanale, qui subit les assauts de l’industrie comme jadis elle devait abandonner son surplus à l’aristocratie oisive. Cette image de l’inconscient collectif qui pourrait être restituée par L’Angélus, de Millet, tableau présenté en 1865, manque une part essentielle de l’évolution récente de ce secteur. Car l’agriculture est avant tout une activité capitaliste, très fortement industrialisée et très concentrée. Pour comprendre sa crise actuelle, il faut l’analyser comme telle. Or l’évolution globale de ce secteur traduit de façon presque chimiquement pure les impasses du capitalisme contemporain. Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme agricole français accélère, avec l’appui des pouvoirs publics soucieux d’en faire un secteur compétitif sur le marché mondial. Le but de la production agricole française n’est plus, contrairement à ce que l’on entend souvent, de « nourrir la France », mais bien plutôt de gagner les marchés mondiaux pour augmenter ses profits. Le secteur agricole est alors, jusque dans les années 1990, un des secteurs qui a connu le plus de gains de productivité dans l’économie française. La conséquence est que la production était abondante, les agriculteurs (et les intermédiaires) pouvaient compter sur les volumes pour se rémunérer de mieux en mieux, tandis que les consommateurs, eux, bénéficiaient de prix plus attractifs. Dans ces conditions, l’ouverture des marchés internationaux permettait à l’agriculture française de se spécialiser dans les productions les plus rentables et les plus mécanisées pour conquérir les marchés étrangers, tandis que le consommateur pouvait trouver les autres productions bon marché en provenance de pays moins productifs. Sur le papier, c’était là le meilleur des mondes. Tout cela s’est achevé dans les années 2000. À ce moment-là, la productivité du secteur agricole français commence à stagner, voire à reculer, selon un document publié dans une revue des chambres agricoles de France en 2022. Ledit document estime que les gains cumulés de productivité entre 1980 et 2022 représentent 25 milliards d’euros, mais les trois quarts de cette somme s’expliquent par des gains de productivité réalisés avant 1995. Avec ce retournement, la situation de la filière agricole change entièrement. D’autant que le secteur doit faire face à des vents contraires : des crises écologiques à répétition, une concurrence internationale de plus en plus forte et une demande mondiale plutôt en faible croissance. Or, sans gains de productivité notables, la compétitivité sur les marchés internationaux est logiquement dégradée. Le secteur affiche encore un excédent commercial, mais la France est sortie du top 5 mondial et ses parts de marché ont stagné en 2022, alors même que l’année avait été très bonne au bénéfice de la crise en Ukraine. Résultat : la pression sur le chiffre d’affaires ne peut être compensée par une plus forte efficacité de la production. Autrement dit, la pression sur les profits est considérable.Sans gains de productivité, augmenter les profits n’est pas chose aisée. On peut soit réduire les salaires horaires réels, soit augmenter les prix. Mais aucune de ces méthodes n’est réellement satisfaisante pour le secteur agricole. Certes, l’exploitation des salariés agricoles reste forte, notamment celle des saisonniers souvent en situation irrégulière. Mais l’essentiel des salaires du secteur sont désormais versés aux familles des exploitants, ce qui explique que leur part dans la valeur ajoutée s’est stabilisée entre 2010 et 2023, passant de 19,4 % de la valeur ajoutée subventionnée à 19,8 %. Mais on voit que ce poste ne peut compenser la baisse de la production. Quant à l’arme des prix, son usage est également périlleux. Les événements de ces deux dernières années ont montré les limites des hausses de prix. En 2022, le bénéfice du secteur a explosé en raison des prix. Les volumes ont progressé de 2,8 % et les prix de 17 %. Mais la consommation alimentaire s’est effondrée en conséquence puisque les revenus réels des ménages ont reculé. Résultat : en 2023, prix et volumes ont fortement reculé et le bénéfice brut du secteur agricole en 2023 a reculé de près de 8,5 % sur un an. Quelles autres solutions demeurent alors ? La première est l’aide publique. En 2023, L’État a apporté sous forme de subventions 8,4 milliards d’euros, soit 21,2 % de la valeur ajoutée brute du secteur ou 92,4 % des salaires versés. C’est une aide considérable qui, néanmoins, stagne depuis 2010. Sa fonction passée de soutien à la « modernisation », c’est-à-dire à l’augmentation de la productivité, a changé puisqu’elle vient désormais compenser l’absence de gains de productivité. Mais ces subventions n’assurent pas la croissance. Reste alors la fuite en avant : « l’investissement » financé par des prêts pour moderniser encore et toujours en espérant que la productivité repartira à la hausse. Pendant des années, la baisse des taux a permis de voir les intérêts versés par le secteur reculer fortement. En 2020, le montant des intérêts versés était de 381 millions d’euros, soit 78 % de moins que celui de 2007. Cela a apporté une bouffée d’air frais au secteur, mais la fête est finie : les intérêts versés en 2023 ont été de 657 millions d’euros, soit une hausse de 72 % en deux ans. Surtout, le recours à la dette n’a pas permis d’améliorer la productivité. Une double crise... Le cœur du problème de la filière agricole réside bien dans la stagnation de sa productivité. Entre 2021 et 2023, la filière a connu une croissance de ses bénéfices uniquement grâce à la hausse des prix, mais désormais les prix se retournent et mettent les producteurs sous pression. Une croissance par les seuls prix dans le contexte actuel n’est, par ailleurs, pas tenable. Car c’est bien là le problème : l’agriculture est une sorte d’avant-garde de la crise capitaliste actuelle, mais elle est encastrée elle-même dans cette crise. Si les salaires sont sous pression parce que les gains de productivité globaux sont faibles, une stratégie fondée sur les prix, quand bien même les agriculteurs se débarrasseraient de tous les intermédiaires, est intenable à terme. En réalité, la solution interne au capitalisme agricole semble bien difficile à trouver. Car d’où vient l’épuisement des gains de productivité ? Les arguments avancés par l’analyse citée plus haut des chambres d’agriculture, notamment la baisse de la production, ne sont pas convaincants. Il faut bien plutôt avancer l’hypothèse que ce phénomène est lié à des raisons structurelles qui peuvent être nombreuses, mais qui toutes ramènent aux conséquences d’une très forte hausse passée de la productivité. La première explication rejoint celle de l’économiste Robert Gordon qui, en 2010, a estimé que, parvenus à un certain niveau technologique, les gains de toute innovation nouvelle étaient plus difficiles à réaliser. Surmécanisée, l’agriculture française n’aurait donc plus de réserves de gains de productivité. Cela est d’autant plus vrai que le secteur est très fortement concentré, malgré les rappels appuyés sur sa « diversité » : entre 1982 et 2023, le nombre d’exploitants agricoles a reculé de 75%...Mais cette hypothèse peut, en réalité, être encore élargie. L’industrialisation agricole passée a conduit à une double impasse écologique et économique. On ne s’étendra pas sur le premier problème, qui est évident. L’usage immodéré des fertilisants et des pesticides, ainsi que la mécanisation et l’exploitation intensive détruisent les écosystèmes et participent au dérèglement climatique. Ils sont donc à la source de nombreuses calamités qui viennent peser sur la capacité de production et les revenus des agriculteurs. Plus le rendement augmente donc, plus les profits futurs sont mis en danger. Sur le plan économique, la situation de l’agriculture française illustre bien les limites de la fuite en avant productiviste sur le capital lui-même. En s’industrialisant massivement, le secteur agricole a acquis un stock de capital considérable qu’il faut entretenir. Plus on gagne en productivité, plus on a donc besoin de faire des bénéfices pour pouvoir maintenir le rendement de l’activité en dépit de ce capital fixe. Il faut donc encore plus mécaniser, ce qui aggrave le problème. Et lorsque les gains de productivité disparaissent, ce stock de capital fixe devient un poids considérable alors même que les ressorts du profit s’amenuisent. Selon les chiffres de l’Insee, la consommation de capital fixe de l’agriculture française est passée de 31,6 % du revenu brut hors subventions de la branche en 1980 à 53,9 % en 2023. Dans ces conditions, la pression sur le profit est considérable et croissante. Pour employer des termes marxiens, on pourrait dire que le secteur souffre aujourd’hui d’une composition organique du capital qui s’est dégradée : la part du capital fixe empêche de produire suffisamment de profits pour avoir un retour sur investissement satisfaisant. La part de la consommation du capital devient telle que la profitabilité de l’agriculture française chute inexorablement. L’absence de gains de productivité permettrait en théorie de ralentir le phénomène en réduisant cette consommation. Mais dans la mesure elle pèse aussi sur le profit, comme on l’a vu, elle ne fait que l’exacerber. Dans ces conditions, les « normes » ou « les taxes » qui sont pourtant les conditions mêmes de la poursuite de la production, par le respect des écosystèmes et par le financement des larges subventions versées au secteur, sont d’inacceptables entraves pour les patrons agricoles à leur profitabilité sous pression. Pris dans le cercle vicieux de la logique productiviste, ils cherchent une fuite en avant qui ne les mènera qu’à un désastre encore plus certain. La colère actuelle traduit donc cette impasse dans laquelle est désormais l’agriculture capitaliste française. Ce secteur qui, pour certains comme l’historienne canadienne Ellen Meiksins Wood, a été l’un des premiers moteurs du capitalisme, semble être devenu le symbole de sa double crise actuelle : écologique et économique. L’agriculture française arrive au terme de son développement capitaliste et il n’existe pas de solutions internes durables à cette double crise, il n’existe que des solutions d’urgence qui renforceront d’autant la crise. L’incapacité du secteur et des pouvoirs publics à proposer une autre organisation où le profit ne soit plus central, mais où la priorité soit donnée aux besoins de nourrir le pays, ne semble donc pas présager la fin de cette crise structurelle." [Merci à Romaric Godin]
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Dans"...Dans l’imaginaire collectif français, l’agriculture est considérée comme une activité à part, vraie, noble et artisanale, qui subit les assauts de l’industrie comme jadis elle devait abandonner son surplus à l’aristocratie oisive. Cette image de l’inconscient collectif qui pourrait être restituée par L’Angélus, de Millet, tableau présenté en 1865, manque une part essentielle de l’évolution récente de ce secteur. Car l’agriculture est avant tout une activité capitaliste, très fortement industrialisée et très concentrée. Pour comprendre sa crise actuelle, il faut l’analyser comme telle. Or l’évolution globale de ce secteur traduit de façon presque chimiquement pure les impasses du capitalisme contemporain. Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme agricole français accélère, avec l’appui des pouvoirs publics soucieux d’en faire un secteur compétitif sur le marché mondial. Le but de la production agricole française n’est plus, contrairement à ce que l’on entend souvent, de « nourrir la France », mais bien plutôt de gagner les marchés mondiaux pour augmenter ses profits. Le secteur agricole est alors, jusque dans les années 1990, un des secteurs qui a connu le plus de gains de productivité dans l’économie française. La conséquence est que la production était abondante, les agriculteurs (et les intermédiaires) pouvaient compter sur les volumes pour se rémunérer de mieux en mieux, tandis que les consommateurs, eux, bénéficiaient de prix plus attractifs. Dans ces conditions, l’ouverture des marchés internationaux permettait à l’agriculture française de se spécialiser dans les productions les plus rentables et les plus mécanisées pour conquérir les marchés étrangers, tandis que le consommateur pouvait trouver les autres productions bon marché en provenance de pays moins productifs. Sur le papier, c’était là le meilleur des mondes. Tout cela s’est achevé dans les années 2000. À ce moment-là, la productivité du secteur agricole français commence à stagner, voire à reculer, selon un document publié dans une revue des chambres agricoles de France en 2022. Ledit document estime que les gains cumulés de productivité entre 1980 et 2022 représentent 25 milliards d’euros, mais les trois quarts de cette somme s’expliquent par des gains de productivité réalisés avant 1995. Avec ce retournement, la situation de la filière agricole change entièrement. D’autant que le secteur doit faire face à des vents contraires : des crises écologiques à répétition, une concurrence internationale de plus en plus forte et une demande mondiale plutôt en faible croissance. Or, sans gains de productivité notables, la compétitivité sur les marchés internationaux est logiquement dégradée. Le secteur affiche encore un excédent commercial, mais la France est sortie du top 5 mondial et ses parts de marché ont stagné en 2022, alors même que l’année avait été très bonne au bénéfice de la crise en Ukraine. Résultat : la pression sur le chiffre d’affaires ne peut être compensée par une plus forte efficacité de la production. Autrement dit, la pression sur les profits est considérable. Sans gains de productivité, augmenter les profits n’est pas chose aisée. On peut soit réduire les salaires horaires réels, soit augmenter les prix. Mais aucune de ces méthodes n’est réellement satisfaisante pour le secteur agricole. Certes, l’exploitation des salariés agricoles reste forte, notamment celle des saisonniers souvent en situation irrégulière. Mais l’essentiel des salaires du secteur sont désormais versés aux familles des exploitants, ce qui explique que leur part dans la valeur ajoutée s’est stabilisée entre 2010 et 2023, passant de 19,4 % de la valeur ajoutée subventionnée à 19,8 %. Mais on voit que ce poste ne peut compenser la baisse de la productivité. L’aide publique vient désormais compenser l’absence de gains de productivité. Quant à l’arme des prix, son usage est également périlleux. Les événements de ces deux dernières années ont montré les limites des hausses de prix. En 2022, le bénéfice du secteur a explosé en raison des prix. Les volumes ont progressé de 2,8 % et les prix de 17 %. Mais la consommation alimentaire s’est effondrée en conséquence puisque les revenus réels des ménages ont reculé. Résultat : en 2023, prix et volumes ont fortement reculé et le bénéfice brut du secteur agricole en 2023 a reculé de près de 8,5 % sur un an. Quelles autres solutions demeurent alors ? La première est l’aide publique. En 2023, L’État a apporté sous forme de subventions 8,4 milliards d’euros, soit 21,2 % de la valeur ajoutée brute du secteur ou 92,4 % des salaires versés. C’est une aide considérable qui, néanmoins, stagne depuis 2010. Sa fonction passée de soutien à la « modernisation », c’est-à-dire à l’augmentation de la productivité, a changé puisqu’elle vient désormais compenser l’absence de gains de productivité. Mais ces subventions n’assurent pas la croissance. Reste alors la fuite en avant : « l’investissement » financé par des prêts pour moderniser encore et toujours en espérant que la productivité repartira à la hausse. Pendant des années, la baisse des taux a permis de voir les intérêts versés par le secteur reculer fortement. En 2020, le montant des intérêts versés était de 381 millions d’euros, soit 78 % de moins que celui de 2007. Cela a apporté une bouffée d’air frais au secteur, mais la fête est finie : les intérêts versés en 2023 ont été de 657 millions d’euros, soit une hausse de 72 % en deux ans. Surtout, le recours à la dette n’a pas permis d’améliorer la productivité. Le cœur du problème de la filière agricole réside bien dans la stagnation de sa productivité. Entre 2021 et 2023, la filière a connu une croissance de ses bénéfices uniquement grâce à la hausse des prix, mais désormais les prix se retournent et mettent les producteurs sous pression. Une croissance par les seuls prix dans le contexte actuel n’est, par ailleurs, pas tenable. Car c’est bien là le problème : l’agriculture est une sorte d’avant-garde de la crise capitaliste actuelle, mais elle est encastrée elle-même dans cette crise. Si les salaires sont sous pression parce que les gains de productivité globaux sont faibles, une stratégie fondée sur les prix, quand bien même les agriculteurs se débarrasseraient de tous les intermédiaires, est intenable à terme. En réalité, la solution interne au capitalisme agricole semble bien difficile à trouver. Car d’où vient l’épuisement des gains de productivité ? Les arguments avancés par l’analyse citée plus haut des chambres d’agriculture, notamment la baisse de la production, ne sont pas convaincants. Il faut bien plutôt avancer l’hypothèse que ce phénomène est lié à des raisons structurelles qui peuvent être nombreuses, mais qui toutes ramènent aux conséquences d’une très forte hausse passée de la productivité. La première explication rejoint celle de l’économiste Robert Gordon qui, en 2010, a estimé que, parvenus à un certain niveau technologique, les gains de toute innovation nouvelle étaient plus difficiles à réaliser. Surmécanisée, l’agriculture française n’aurait donc plus de réserves de gains de productivité. Cela est d’autant plus vrai que le secteur est très fortement concentré, malgré les rappels appuyés sur sa « diversité » : entre 1982 et 2023, le nombre d’exploitants agricoles a reculé de 75 % pour se situer à 446 400. La situation de l’agriculture française illustre bien les limites de la fuite en avant productiviste sur le capital lui-même. Mais cette hypothèse peut, en réalité, être encore élargie. L’industrialisation agricole passée a conduit à une double impasse écologique et économique. On ne s’étendra pas sur le premier problème, qui est évident. L’usage immodéré des fertilisants et des pesticides, ainsi que la mécanisation et l’exploitation intensive détruisent les écosystèmes et participent au dérèglement climatique. Ils sont donc à la source de nombreuses calamités qui viennent peser sur la capacité de production et les revenus des agriculteurs. Plus le rendement augmente donc, plus les profits futurs sont mis en danger. Sur le plan économique, la situation de l’agriculture française illustre bien les limites de la fuite en avant productiviste sur le capital lui-même. En s’industrialisant massivement, le secteur agricole a acquis un stock de capital considérable qu’il faut entretenir. Plus on gagne en productivité, plus on a donc besoin de faire des bénéfices pour pouvoir maintenir le rendement de l’activité en dépit de ce capital fixe. Il faut donc encore plus mécaniser, ce qui aggrave le problème. Et lorsque les gains de productivité disparaissent, ce stock de capital fixe devient un poids considérable alors même que les ressorts du profit s’amenuisent. Selon les chiffres de l’Insee, la consommation de capital fixe de l’agriculture française est passée de 31,6 % du revenu brut hors subventions de la branche en 1980 à 53,9 % en 2023. Dans ces conditions, la pression sur le profit est considérable et croissante. Pour employer des termes marxiens, on pourrait dire que le secteur souffre aujourd’hui d’une composition organique du capital qui s’est dégradée : la part du capital fixe empêche de produire suffisamment de profits pour avoir un retour sur investissement satisfaisant. La part de la consommation du capital devient telle que la profitabilité de l’agriculture française chute inexorablement. L’absence de gains de productivité permettrait en théorie de ralentir le phénomène en réduisant cette consommation. Mais dans la mesure elle pèse aussi sur le profit, comme on l’a vu, elle ne fait que l’exacerber. Dans ces conditions, les « normes » ou « les taxes » qui sont pourtant les conditions mêmes de la poursuite de la production, par le respect des écosystèmes et par le financement des larges subventions versées au secteur, sont d’inacceptables entraves pour les patrons agricoles à leur profitabilité sous pression. Pris dans le cercle vicieux de la logique productiviste, ils cherchent une fuite en avant qui ne les mènera qu’à un désastre encore plus certain. La colère actuelle traduit donc cette impasse dans laquelle est désormais l’agriculture capitaliste française. Ce secteur qui, pour certains comme l’historienne canadienne Ellen Meiksins Wood, a été l’un des premiers moteurs du capitalisme, semble être devenu le symbole de sa double crise actuelle : écologique et économique. L’agriculture française arrive au terme de son développement capitaliste et il n’existe pas de solutions internes durables à cette double crise, il n’existe que des solutions d’urgence qui renforceront d’autant la crise. L’incapacité du secteur et des pouvoirs publics à proposer une autre organisation où le profit ne soit plus central, mais où la priorité soit donnée aux besoins de nourrir le pays, ne semble donc pas présager la fin de cette crise structurellRomaric Godin
Agriculture: changer de modèle?
Une nouvelle fois, une partie du monde paysan a sorti son tracteur pour exhiber sa colère concernant ses difficultés, pas seulement financières. Il est connu depuis longtemps que ses conditions de vie et de revenu pose problème. C'est un euphémisme. La colère n'est pas nouvelle, mais elle prend des formes différentes. Combien de débats, d'études, de documentaires, de films même, ont tourné autour de cette question. Depuis l'ère Pisani, le monde agricole a presque changé de nature, incité à un productivisme toujours plus grand. L'insertion de de monde dans le monde capitaliste, sur la terre comme en mer, la réduction drastique des agriculteurs, a abouti, malgré l'hétérogénéité géographique des domaines des exploitations en taille et en qualité des terres, l'extension du commerce aidant, à une chute relative de prix et à une course à la productivité, dans une concurrence de plus en plus marquée. Ce qui est surtout en question aujourd'hui est une protestation contre l'excès de normes édictées par les administrateurs de la PAC dans les instances bruxelloises. La question est de savoir de quelles normes il s'agit, car il y a de confusions sur la question, selon les secteurs productifs. Certaines apparaissent comme inutiles, voire tatillonnes, purement technocratiques ou inadaptées. Une sort d' enfer administratif. Une perte de sens de l' activité s'en suit. Mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. ___D'autres, plus logiques concernent le respect de certaines réglementations en matière de respect du milieu naturel, comme celle concernant les produits phytosanitaires, dont l'usage abusif met en péril la qualité des sols et des récoltes, pour la pérennité de l'activité agricole elle-même et la santé des consommateurs. Certaines revendications vont à l'encontre d'intérêts bien compris et de perspectives à long terme.
Le brouillard...
Et le piège. Mais peut-être quelques (faibles) lueur d'espoir...