mercredi 3 janvier 2024

Retour sur l'Afrique

 Elle n'aurait pas d'histoire, dit-on encore parfois.

                               Elle serait restée en marge. Comme une continent immobile et invariable. Une planère à part, en quelque sorte, une belle endormie que l'Occident conquérant aurait réveillé d'un sommeil profond, de traditions immuables. On reconnaît là l'essence des croyances qui ont fondé et entretenu la longue période coloniale, entretenus pas les a priori de ceux qui, ayant l'âme blanche, ne pouvait considérer les Africains que comme ayant l'âme noire, comme le disait  ironiquement Montesquieu, qui fit une critique sans concession de l'esclavage.   Même dans la période post-coloniale, et récemment encore, comme dans un célèbre discours de N.Sarkozy, on demande à l'Afrique d'entrer dans l'histoire, de rejoindre le club des pays blancs industrialisés.             Or dans l'immense continent africain, les événements ont suivi un autre cours qu' en Europe, depuis des origines qui furent communes et des voies originales, où la notion de civilisation avait un sens, comme le souligne tous les anthropologues. Il faut le répéter, car les préjugés sont encore tenaces: même méconnues pendant longtemps (et on comprend pourquoi) l'Afrique a fait du chemin et de manière parfois dynamique.                     Autrement dit, un vaste pan de la culture occidentale a longtemps véhiculé l’idée que l’Afrique était restée à l’écart de l’histoire et du progrès. Cela va de nos grands penseurs aux livres et aux films qui ont nourri des générations d’enfants. Dans des dessins animés de Disney, on voit des cannibales africains à peine vêtus faire mijoter gaiement leurs victimes dans d’énormes marmites suspendues au-dessus d’un feu. Parmi les philosophes, il y a pléthore d’exemples consternants. Voltaire ­disait des Africains : « Un temps viendra, sans doute, où ces animaux sauront bien cultiver la terre, l’embellir par des maisons et par des jardins, et connaître la route des astres : il faut du temps pour tout. » Hegel était encore plus radical : « Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle. » On entend encore aujourd’hui des échos de tels propos chez les dirigeants politiques occidentaux.... qui aimaient l'Afrique...pour les richesses et la main d'oeuvre qu'elle leur procuraient à bas prix.                      L' histoire du continent africain reste encore largement à faire. Il était supposé être immuable, dès qu'il fut découvert. Et le préjugé dura, renforcé par l' aveuglement colonial, qui avait besoin de maintenir le mythe de peuples-enfants, qu'il fallait mener au niveau de notre histoire, considérée comme LA référence et le modèle.        Depuis quelques décennies surtout, les études africaines, avec leurs limites, ont modifié enfin notre regard. L'histoire de ce continent dit mineur  a une histoire que l'on ne soupçonnait pas à une époque, histoire que l'on continue à mettre à jour peu à peu malgré les difficultés liées au manque d'archives.     Hors du fait que, c'est bien établi, l'Afrique de l'Ouest est le berceau de l'humanité. Notre histoire commence là.

       Certains peuples étaient déjà des navigateurs et des marchands, à partir d'une certaine époque: "...la palme d'or de la navigation revient très certainement aux Somaliens. Si, aujourd'hui, la Somalie rime avec pauvreté et piraterie, il y a quelques siècles, elle était plutôt synonyme de cités portuaires florissantes et abritait des commerçants qui faisaient partie des meilleurs de l'océan Indien. Ils entretenaient des contacts commerciaux avec l'Arabie, l'Inde, la Perse, l'Égypte, la Chine, Venise et, plus tard, le Portugal...."

          Oui, l'Afrique a une histoire. Et quelle histoire! Partiellement connue. Largement méconnue.  Contrairement aux nombreux préjugés toujours tenaces, entretenus par l'ignorance, les clichés longtemps répandus, certains propos publics, même en haut lieu:

 Le discours de Dakar où Sarkozy déclara sans sourciller, sans doute victime de son "nègre" , disent les plus indulgents: " le « drame de l'Afrique » vient du fait que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. […] Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès ."   Les Africains seraient donc restés de grands enfants, qu'il (nous) resterait à éduquer. Un ethnocentrisme qui régna au coeur de l'entreprise coloniale et dont il reste des traces.    Un européocentrisme étriqué, un essentialisme tenace et une ignorance sidérante.  On le sait mieux maintenant, l'Afrique a une histoire. On peut le savoir...après tant de silences   Certes, l'Afrique bouge sous nos yeux actuellement, du moins certains pays plus que d'autres, chapeautés par l'aide chinoise ou non, certains ne s'étant pas encore relevés de la potion amère du FMI et des fonds vautour.
  Mais elle l'a toujours fait, si l'on met entre parenthèse la période coloniale où l'Europe se partageait le gâteau.
       Ce continent oublié, ce passé occulté nous revient aujourd'hui après tant             Pour les colonisateurs, l'Afrique était une page vierge où l'Europe allait inscrire ses valeurs, au nom d'une civilisation de référence et d'intérêts bien compris. Pour s'installer en Afrique et l'exploiter en toute bonne conscience, il fallait bien "infantiliser" ce continent de grands enfants, comme l'avait bien vu déjà ironiquement Montesquieu:
   "Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres._Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves._Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre._On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir..."
 

    Après la période coloniale, la Françe-Afrique a pris le relai, faisant mine de gérer l'indépendance, comme au Gabon, où Sarkozy, et d'autres, ont réécrit l'histoire
   Paris a forcé la main aux Africains: "... l'indépendance imposée aux Africains, bien que décidée par Paris avec la bénédiction de Washington au gré des préjugés les plus réactionnaires et de vils calculs, fut présentée comme le triomphe des idées progressistes, de la liberté, de la modernité politique et, ironie suprême, de la volonté des Africains."
    L'Afrique de "Papa" n'est pas tout à fait finie... L'imposition du franc CFA reste une des traces de cette subordination.
  L'Afrique, si diverse, n'est "en retard" que par rapport à nos modèles de développement, mais elle pourrait bien nous étonner par les chemins originaux qu'elle pourrait prendre à l'avenir. "L'Afrique est mal partie", disait R. Dumont après les décolonisations officielles, mais elle pourrait bien un jour nous surprendre..  
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