Pour d’autres politiques agricoles et alimentaires en Europe : une nouvelle régulation internationale !
-Les crises alimentaire et écologique, qui engendrent dans le monde toujours plus de pauvreté, de faim et de destruction des ressources naturelles, exigent d’autres politiques agricoles, tant au niveau international, qu’européen et national. Le changement des règles internationales est indispensable pour pouvoir élaborer des politiques agricoles et alimentaires satisfaisantes en Europe et dans toutes les régions du monde. L’Union européenne peut et doit jouer un rôle essentiel dans le changement de ces règles...
"Depuis quinze ans, selon les règles de l’idéologie néolibérale, les régulations publiques des marchés agricoles internationaux ont peu à peu été démantelées, en particulier, à partir de 1995, sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).Cette libéralisation a été accentuée par les programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Ils ont conduit à un abaissement des tarifs douaniers des pays pauvres, souvent bien au-delà des exigences de l’OMC, et une suppression des outils de régulation dont disposaient ces gouvernements. Ces politiques ont pu être imposées aux pays pauvres sous la pression du remboursement d’une dette croissante. L’Union européenne a une responsabilité centrale dans cette libéralisation, qu’elle a soutenue dans l’intérêt notamment des multinationales européennes. C’est dans ce sens notamment que, depuis 1992, elle a choisi de réformer sa propre Politique agricole commune (PAC), pour démanteler progressivement tous ses outils de maîtrise des volumes de production et des prix agricoles.
Les conséquences sont multiples et terribles :
Une volatilité des prix de plus en plus forte. En période de flambée des prix, ce sont les pays et les consommateurs les plus pauvres qui sont gravement touchés. Les intermédiaires, les industries agroalimentaires et la grande distribution, en profitent pour spéculer et augmenter considérablement leurs marges. Ainsi, les grands négociants de céréales tels que Cargill ou Bunge ont multiplié leurs profits lors du premier semestre 2008 de façon scandaleuse. En période de chute brutale des prix, cela aboutit, dans un contexte de mise en concurrence des agricultures du monde, à une sélection des systèmes de production les plus productifs et/ou les plus subventionnés, au détriment des agricultures paysannes.
Une fragilisation des économies et une dépendance alimentaire des pays en voie de développement de plus en plus importante. Elles résultent du démantèlement des tarifs douaniers et de la mise en concurrence directe des agricultures des pays pauvres avec les agricultures ultra-modernisées des pays du Nord. Elles découlent également de l’incitation de la Banque mondiale et du FMI à développer les cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières. Les agricultures des pays riches sont fortement subventionnées, alors que celles des pays pauvres ne peuvent bénéficier d’une protection des marchés pour se développer.
Une destruction des agricultures paysannes, y compris au Nord. Elle conduit à une destruction de l’emploi agricole dans un contexte de chômage de masse. La mise en concurrence poussant à diminuer toujours plus les coûts de production, c’est la course à l’agrandissement, la substitution du capital au travail, l’hyper-spécialisation en productions végétales et l’intensification en productions animales, la spécialisation spatiale des activités agricoles et la diminution relative des surfaces en herbe. Tandis que sont défavorisés les systèmes agricoles porteurs d’effets positifs (en matière de paysages, de biodiversité...), s’accentuent la déforestation, l’épuisement des sols, la perte de biodiversité domestique et naturelle, le bio-piratage... Sans compter que ces systèmes mettent en danger la santé des travailleurs et des consommateurs comme le potentiel productif.
Cette libéralisation des marchés est accompagnée de stratégies productivistes, qui détruisent l’emploi et accentuent la pression sur les ressources naturelles.
De nombreux pays, notamment émergents, mettent en concurrence leurs propres agricultures et laissent faire les tentatives de dépossession du sol pour d’immenses exploitations ultra-spécialisées. Les pays les plus riches jouent la carte d’aides massives, tournées vers l’exportation et la compétitivité des agricultures sur les marchés mondiaux.. Flambée des prix agricoles et domination de la logique financière
La flambée des prix agricoles depuis deux ans est alimentée par la spéculation des investisseurs.
Suite à la crise financière et immobilière, les spéculateurs se sont tournés vers les marchés à terme de matières premières. Alors qu’en 2003, 13 milliards de dollars étaient investis en bourse dans les matières premières aux États-Unis, en 2008, ce chiffre s’élevait à 260 milliards de dollars [1]. Or, les fonds d’investissement achètent des futures, c’est-à-dire les récoltes des années à venir. L’objectif n’est pas de sécuriser un approvisionnement en produits agricoles, mais plutôt de gagner de l’argent en revendant plus tard et à un plus haut prix ces droits sur la production.
Les fonds d’investissement et les entreprises de l’agrobusiness placent également leurs excédents de liquidités dans l’achat de milliers d’hectares au Brésil ou encore en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Assurés de super profits dus aux tensions durables sur les biens agricoles, ils développent les productions d’exportation ou d’agrocarburants.
À cela s’ajoute la constitution de stocks, soit au mieux de précaution, soit spéculatifs.
Des pays exportateurs freinent ou même arrêtent leurs ventes aux pays importateurs, de peur d’être eux aussi en rupture et de voir leurs prix intérieurs augmenter fortement [2]. Dans le même temps, des négociants en profitent pour spéculer en constituant des stocks pour accroître leurs marges.
C’est par exemple le cas pour le riz : première céréale mondiale, elle est beaucoup moins échangée que le blé et a très peu d’usages hors alimentation humaine. Comment expliquer, autrement que par les spéculations, que le 27 mars 2008, à Bangkok, le prix de la tonne de riz thaï soit passé de 580 à 760 dollars (+ 31 %) en quelques heures ?
Le développement des agrocarburants a joué un rôle important dans cette flambée des prix Sous l’impulsion des entreprises de l’agrobusiness, puis des États-Unis, de l’Union européenne et d’autres grands pays producteurs, toute une partie de la production agricole a alors été déviée de l’usage alimentaire vers les agrocarburants. En découle une baisse de l’offre, notamment en maïs, qui nourrit la spéculation vers le haut sur les marchés des produits agricoles.
Ce déséquilibre des marchés financiers résulte directement de la libéralisation des marchés financiers entamée depuis les années 80, notamment par l’Union européenne et ses États membres.
La conséquence, ce sont 850 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, auxquelles se sont ajoutées 100 millions de plus selon la Banque mondiale suite à la flambée des prix. Déjà, cette bulle a commencé à éclater, tant sur le pétrole que sur les produits agricoles, le prix mondial des céréales ayant baissé d’un tiers depuis leur plus haut niveau de 2008. Là encore, ce seront avant tout les agricultures paysannes et surtout celles des pays les plus pauvres qui seront touchées de plein fouet.
Dans un tel contexte, la crise alimentaire mondiale ne doit étonner personne.
Elle est la conséquence de choix économiques et politiques désastreux. Mais le cynisme des élites n’a pas de limites : elles persistent à louer les bienfaits de la libéralisation des marchés de biens et de services. Cette politique est pourtant de plus en plus insupportable, pour les populations et pays pauvres, comme pour la planète elle-même. La crise écologique, sur fond de crises énergétique et climatique, introduit une donne radicalement nouvelle, en remettant en cause l’ensemble de nos modes de production et de consommation et en exacerbant les tensions internationales. Dans cette situation, le doute sur les bénéfices à attendre de la libéralisation des marchés se répand de plus en plus largement. Les évolutions récentes soulignent les impasses de cette politique : échec (certes peut-être provisoire) des négociations à l’OMC, bloquées par la Chine et l’Inde afin de protéger leur agriculture, nouvelle réforme de la politique agricole des États-Unis pour un retour à des outils forts de régulation...
En pleines crises alimentaire, écologique et financière, il est urgent que les citoyens, consommateurs et paysans, se mobilisent pour une rupture avec l’ordre néolibéral et pour la mise en place de nouvelles règles internationales.
Résister et proposer permettre à chaque pays un développement plus équitable et plus soutenable, fondé sur des échanges solidaires et une agriculture familiale répondant à des fonctions environnementales et sociales (emplois et revenus des travailleurs de l’agriculture).Ce qui implique de :
réduire drastiquement l’instabilité des prix et des volumes disponibles sur les marchés internationaux, instabilité particulièrement dommageable aux producteurs et consommateurs pauvres et aux pays en difficulté ;
permettre des prix rémunérateurs à la production, satisfaisant à la fois les différents types de producteurs et de consommateurs.
Pour atteindre ces objectifs, une régulation publique forte du secteur agricole est à repenser aux échelons, mondial, régional, national et local.
Un autre cadre international de régulation publique des marchés :
Avant tout, l’Union européenne doit refuser et dénoncer les accords de libre-échange multilatéraux (OMC) et bilatéraux (dont les Accords de partenariat économique). Un développement agricole durable dans les pays pauvres, répondant aux besoins alimentaires de tous, nécessite l’annulation de leur dette, notamment par l’Union européenne et ses États membres.
Le droit à la souveraineté alimentaire doit être inscrit dans le droit international. Il implique le droit effectif de chaque pays ou groupe de pays, dans le respect des autres règles de droit, de satisfaire ses besoins alimentaires de la façon qui lui paraît la plus appropriée, sans perturber les échanges internationaux et les autres pays.
Un nouveau cadre multilatéral de régulation des marchés (dont les marchés agricoles) doit être mis en place et incorporé au système des Nations unies (l’Organisation des Nations unies étant elle-même à réformer pour donner aux pays du Sud leur poids légitime). Cette organisation des marchés internationaux doit être fondée sur l’intérêt général et la coopération entre pays, garantir l’accès de tous aux droits humains fondamentaux et respecter le droit à la souveraineté alimentaire.
Ces nouvelles bases doivent concrètement permettre :
aux pays et régions de se protéger et de mieux contrôler les firmes agro-industrielles ;
de favoriser des accords par produit, en priorité sur les produits tropicaux, mettant en place des prix minimums et des quotas d’exportation, négociés régulièrement en fonction des conditions économiques globales et des pays concernés ;
d’établir des accords préférentiels favorables aux pays pauvres grâce à des règles commerciales asymétriques.
Cette régulation internationale doit prendre la mesure de la crise écologique et favoriser des échanges, des systèmes de production et de consommation capables de nourrir le monde et de préserver pour l’avenir la vie sur terre et les ressources qui y contribuent.
La relocalisation des activités et l’autosuffisance alimentaire doivent devenir des objectifs centraux. Néanmoins, l’inégale répartition des populations et des terres agricoles rend inévitable le maintien d’échanges agroalimentaires. Les ressources naturelles n’étant pas illimitées, le mode de production agricole (plus ou moins autonome et respectueux des ressources naturelles) et le type d’alimentation des populations (notamment la part de l’alimentation carnée) concernent tout le monde. La destruction, le gaspillage ou le détournement de l’espace agricole productif et les équilibres ville-campagne ne peuvent plus être étroitement l’affaire de la souveraineté nationale, ils doivent être soumis à des objectifsNos propositions contre la domination de la logique financière et des spéculations agricoles :
interdire les fonds spéculatifs sur les matières premières ;
sanctionner les opérateurs qui manipulent les cours des matières premières, ce qui va au-delà de leur surveillance, prônée par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) ;
fermer les marchés à terme sur les matières premières alimentaires, comme cela a été fait en Inde, moyennant quoi le prix intérieur du blé n’a pratiquement pas augmenté depuis un an ;
favoriser une régulation internationale par des stocks publics minimums aux niveaux national et régional.
Ce cadre doit permettre, au sein des États et des ensembles régionaux, des politiques régulatrices et protectricesLes fondamentaux de la PAC, aujourd’hui toujours appliqués, ont généré une agriculture productiviste et une destruction de l’environnement et de l’emploi ; ils sont à remettre en cause. L’Union européenne et ses États membres doivent viser la reconquête d’une véritable autonomie alimentaire, tout en prenant leurs responsabilités en matière de solidarité avec les pays pauvres et de sécurité alimentaire au niveau mondial.
Ces fondements peuvent être respectés avec les outils de régulation suivants à l’échelle de l’Union européenne :
une taxation variable des produits importés en fonction de prix intérieurs reflétant les coûts réels de production, avec des standards environnementaux et sociaux minimaux ;
un système de gestion des marchés, qui garantisse aux producteurs européens des prix rémunérateurs, basés sur « le coût de production total moyen », complétés par des aides aux producteurs à faible revenu du fait de leur situation ;
des outils de maîtrise et de répartition des volumes de production.
En retour, seraient exigées :
une pénalisation plus forte et plus stricte des pratiques de production destructrices des ressources naturelles ;
dans le cadre de l’élargissement à des pays souvent beaucoup plus pauvres, de réelles politiques de transition et une redistribution significative, par les fonds structurels, au profit des agricultures et des régions les moins favorisées. Pourraient ainsi être couverts les différentiels de productivité et maintenue, dans ces régions, l’activité agricole ;
une modification complète des aides et des règles pour favoriser :
• les systèmes agricoles autonomes, économes en énergie fossile et en intrants et soucieux de préserver le patrimoine naturel commun (eau, biodiversité, fertilité des sols…),
•l’emploi agricole, qui implique de ne plus subventionner en fonction de la surface, mais du travail,
•les circuits relocalisés de transformation et de distribution.Aux niveaux national et régional, d’autres politiques doivent pouvoir restaurer le lien entre agriculteurs, consommateurs et territoires :
une politique de répartition équitable des marges entre les différents acteurs de la filière ;
une politique alimentaire nationale ambitieuse, favorisant la santé et les consommateurs les plus pauvres ;
une régulation du foncier visant l’installation de nouveaux agriculteurs et la transmission des exploitations ;
un soutien significatif des pratiques de production écologiques, de l’agriculture biologique, des filières courtes ;
une démocratisation des instances de débats et de décisions.Une nouvelle politique agricole et alimentaire européenne passe par une redéfinition complète des règles internationales. Cette redéfinition ne se fera pas sans une volonté claire de l’Union européenne, qui conserve un poids considérable, économique et politique, dans les négociations internationales. Ces changements passent par une mobilisation de chacun pour agir collectivement aux différents niveaux de décisions politique, du local au global. Ils passent aussi par une convergence de tous les mouvements citoyens, qu’ils soient écologiques, de paysans, de solidarité internationale ou de consommateurs
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-Prix alimentaires : le vrai et le faux- Agriculture et spéculation
- Famine mondiale : causes, remèdes ?
- Emeutes de la faim
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