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mercredi 28 juillet 2010

Foules mortelles?

Drame à la Love Parade de Duisburg



_______Quelques jalons pour comprendre _un peu_ "l'impensable"...



-"...Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l' un contre l' autre
Nous ne formons qu' un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse enchaînés l' un à l' autre..." (E.Piaf)

___________Abandon,euphorie,ivresse, perte de soi,
quasi-hypnose...:quelques effets induits par l'emportement de la foule
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_L'émission C'est dans l'air , La parade de la mort, sur la Cinq, présentait hier soir l'intérêt de centrer le débat plus sur la nature des phénomènes de foule en général que sur l' événement tragique récent et bien connu maintenant, même si les détails et les responsabilités restent à déterminer, car il n'y a nulle nécessité dans ce genre d'événement.
______Même si les circonstances de tels drames, le plus souvent évitables, sont toutes différentes, on peut se demander ce qui pousse les hommes à fusionner ainsi au point de mettre parfois leur vie en péril, car le moindre grain de sable peut amener à des extrêmes non maîtrisables, comme par un embrasement subit (une poussée, une provocation, des conditions objectives liées au lieu, une simple rumeur parfois...)
. La notion de "sagesse des foules" semble bien discutable, même si tout rassemblement n'est pas en soi négatif et/ou dangereux.

Les phénomènes grégaires sont complexes à analyser du point de vue sociologique et psychologique _comme chaque phénomène "social total"_, car ils englobent toujours une part d'irrationnel, même lorsque les individus s'agglutinent volontairement (comme pour une manifestation politique) , que l'analyse ne peut entièrement éclairer, par définition. La modernité a contribué à créer de nouvelles formes d'agrégation sociale
_____On peut se demander pourquoi des individus, de plus en plus solitaires, dans nos sociétés éclatées, cherchent inconsciemment, dans des rassemblements plus ou moins improvisés, une solidarité fusionnelle, hautement chargée d'affects, l'espace d'un moment (festif, le plus souvent, comme dans les rave parties), où le groupe en fusion semble dissoudre les consciences et leur sens critique en flattant le narcissisme, le sentiment de toute-puissance que peut procurer l'effet de masse, en stimulant l'anonymat.
_ Les rassemblements peuvent aussi être paradoxalement, dans des communautés soudées, l'effet d'une pulsion de solidarité, d'identification à des idéaux (religieux, patriotiques-nationalistes, sportifs...) et peuvent produire des effets analogues. On pense aux tragédies du Heysel, de La Mecque, et à d'autres...
Ce n'est pas un jugement de valeur, mais une interrogation, sachant ce qu'il peut y avoir de positif et d'exaltant parfois dans certains grands rassemblements, qui peuvent amener des homme à se dépasser, à se fixer à des idéaux intéressants. Mais , comme pour la langue d'Esope, l'ambiguïté est la règle.

___Dans Psychologie collective et analyse du moi, Freud s'efforce de saisir _partiellement, comme il l'avoue lui-même, avec les outils psychanalytiques qui sont les siens_ les caractéristiques inconscientes psycho-sociales des effets de foule et le rôle moteur de la libido, désir fusionnel à composante infantile, avec son caractère narcissique et régressif , qui tend à resurgir en certaines occasions, avec perte des repères sociaux, débordements et violence primordiale, effondrement souvent total des"défenses du moi" (avec parfois phénomènes de lynchage). L'analyse freudienne est souvent éclairante, malgré la trop grande dépendance qu'il a encore vis à vis des notions théoriquement discutables d'"âme collective" de G. Lebon et de "horde sauvage", empruntée à Darwin...
"...Nous devons dire que les nombreux liens affectifs qui caractérisent la foule suffisent, certes, à expliquer le manque d'indépendance et d'initiative chez l'individu, l'identité de ses réactions avec celles de tous les autres indi­vidus composant la foule, sa descente au rang d'une unité de la foule. Mais la foule, considérée dans son ensemble, présente d'autres caractères encore: abaissement de l'activité intellectuelle, degré démesuré de l'affectivité, incapa­cité de se modérer et de se retenir, tendance à dépasser, dans les manifesta­tions affectives, toutes les limites et à donner issue à ces manifestations en agissant. Tous ces caractères et d'autres analogues, dont M. Le Bon nous a donné une description si impressionnante, représentent, à n'en pas douter, une régression de l'activité psychique vers une phase antérieure que nous ne sommes pas étonnés de trouver chez l'enfant et chez le sauvage. Une pareille régression caractérise plus particulièrement les foules ordinaires, alors que dans les foules présentant un degré d'organisation prononcé, les caractères régressifs se trouvent, d'après ce que nous savons, considérablement atténués.
Nous nous trouverions ainsi en présence d'un état dans lequel le sentiment individuel et l'acte intellectuel personnel sont trop faibles pour s'affirmer d'une manière autonome, sans l'appui des manifestations affectives et intellec­tuelles analogues des autres individus. Rappelons-nous à ce propos combien nombreux sont les phénomènes de dépendance dans la société humaine normale, combien peu on y trouve d'originalité et de courage personnel, à quel point l'individu est dominé par les influences d'une âme collective, telles que propriétés raciales, préjugés de classe, opinion publique, etc. L'énigme de l'influence suggestive s'obscurcit encore davantage, si nous admettons que cette influence s'exerce non seulement de meneur à menés, mais aussi d'indi­vidu à individu, et nous sommes portés à nous reprocher de n'avoir considéré que les rapports avec le meneur et d'avoir négligé l'autre facteur, celui de la suggestion réciproque..."

___On sait quel effet hypnotique peut s'exercer dans ces cas là, quand l'autovigilance, les barrières rationnelles et comportementales s'effondrent, pour le meilleur (parfois), ou pour le pire (souvent). L'effet de sidération , de déprise de soi, de quasi-hypnose qu'on retrouve dans les effets de certaines drogues, est parfois recherché, pour le plaisir ambigü que provoque la communion dans le groupe en fusion. Etre "transporté" hors de soi, dans l'oubli de ses soucis, de son quotidien, ne peut pas ne pas être comparé avec certaines formes de l'amour passion, qui peut parfois se concentrer dangereusement sur une idole charismatique (rôle du leader, qui incarne le groupe, objet d'amour collectif aveugle)
Que cette communion soit codée, orientée et donc plus contrôlée (Carnaval de Dunkerque) ou qu'elle soit "sauvage", purement réactionnelle, sans organisation particulière, sans tradition aucune, elle s'appuie sur les mêmes ressorts, les mêmes exigences sociales et produit les mêmes effets psychologiques, à des degrés divers.
___________La foule fascine, attire et fait peur. Elle est ambivalente par nature, à la fois effet et cause. Exaltation et régression la caractérisent._(L'agoraphobie est une manifestation pathologique de la crainte panique de la foule)_.
L'individu est totalement impuissant quand, porté par elle, il est parfois amené à des actes ou réactions dont il ne se croyait pas capable :la panique, par exemple, justifiée ou fantasmée, obnubile toute analyse possible et entraîne souvent des comportements absurdes, hors de tout bon sens, qui peuvent être mortifères...
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La naissance de l'homme-foule

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