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samedi 18 juin 2011

Guêpier Libyen


Enlisement

__Fin mars, un certain nombre d'observateurs dénonçaient déjà une opération à risques, aux motivations peu claires, aux objectifs mal définis, aux moyens discutables.
Tout devait aller vite pour les politiques et les stratèges. Question de jours, voire de semaines. La rhétorique habituelle de l'Otan...
___Ce n'est pas parce que Khadafi est indéfendable (on connaît des régimes plus odieux et plus dangereux géopolitiquement) qu'il fallait prendre à la hâte le train BHL-Sarko sans destination définie et s'engager aux côtés d'une résistance dont on ne savait que peu de choses, dont on découvre maintenant qu'elle est très hétéroclite, incertaine, "n'offrant aucune garantie pour l'avenir", selon des experts envoyés sur le terrain.
_Les critiques , maintenant que les choses s'enlisent, commencent à s'accumuler et, par bien des côtés, à converger
En France, un rapport dénonce les “dangereuses illusions” de Sarkozy, après enquête sérieuse sur le terrain. Le rapport se termine ainsi: "...il convient de poser la question de la légitimité d’une action qui vise à « déposer » un gouvernement au nom de la sacro-sainte démocratie et en oubliant que précisément les principes démocratiques imposent qu’un tel privilège n’appartienne qu’au peuple et non à l’étranger.
La communauté internationale n’est pas un super-Etat qui pourrait à sa guise chasser des gouvernements. Surtout au nom de principes qu’elle met en avant et, pour son propre compte, ne respecte pas. Et en distinguant soigneusement les coupables en fonction de leurs ressources pétrolières et non de leurs crimes, réels ou supposés."
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Selon Y.Bonnet,
"Le verrou contre al-Qaida et les clandestins en Libye a sauté"
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______Une course de vitesse est engagée
: "Une délégation internationale d’experts (qui) s’est rendue tour à tour à Tripoli et en Tripolitaine, puis à Benghazi et en Cyrénaïque, à l’initiative du Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT) présidé par l’ancien préfet Yves Bonnet, et du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) dirigé par Eric Denécé, avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée, et la participation, notamment, de l’ancienne ministre algérienne de la solidarité Sayda Benhabyles. _Dans un rapport intitulé « Libye : un avenir incertain, compte-rendu de mission d’évaluation auprès des belligérants libyens », la délégation soutient que « l’intervention occidentale est en train de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle risque fort de déstabiliser toute l’Afrique du Nord, et le Sahel, et de favoriser l’émergence d’un nouveau foyer d’islam radical, voire de terrorisme, en Cyrénaïque ». Selon elle, « ce qui devait être une victoire facile est devenu un semi-échec », avec risque d’enlisement, en raison de « l’aventurisme excessif des puissances occidentales, et de l’inconsistance des forces rebelles », le Conseil national de transition (CNT) « n’offrant aucune garantie pour l’avenir » : « Les véritables démocrates n’y sont qu’une minorité, et doivent cohabiter avec d’anciens proches du colonel Kadhafi, des partisans d’un retour de la monarchie et des tenants de l’instauration d’un islam radical. »
___A l'étranger, des voix critiques se font entendre, la guerre serait déjà hors contrôle
"...Juste pour donner une idée du débat qui fait rage en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis sur l'opportunité de cette guerre, deux exemples avec deux analyses qui pouvaient être lues dès le déclenchement de l'opération «Aube de l'Odyssée».

La première est celle de Stop the War Coalition, cette association britannique qui depuis bientôt dix ans dénonce les guerres occidentales en Afghanistan puis en Irak. L'un de ses animateurs, le journaliste Andrew Murray écrit ceci :« L'opération des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France pour imposer un changement de régime en Libye puisque c'est bien de cela qu'il s'agit n'a pas pour objet de sauver des vies et encore moins de soutenir la démocratie dans le monde arabe. Il s'agit de prendre le contrôle et non de le soutenir du processus de changement au Proche-Orient, il s'agit de le placer sous une entière domination occidentale » (l'intégralité de son article ). Un affreux gauchiste pacifiste munichois, Andrew Murray ? Alors retournons-nous vers l'Américain Richard Haass, un républicain bon teint et respecté, principal conseiller de Colin Powell lorsque ce dernier était ministre des affaires étrangères de George Bush, et qui préside aujourd'hui le Council on Foreign Relations qui dit:

« Trop et trop tard, écrit-il. Les Etats-Unis s'embarquent dans une guerre choisie pour la troisième fois en moins de dix ans. Et comme l'Irak en 2003 et l'Afghanistan après 2009, c'est un mauvais choix (...) Cette guerre est aussi une diversion stratégique. Les décideurs politiques américains seraient mieux avisés de se concentrer sur ce qui devrait être fait pour soutenir l'économie égyptienne et pour aider à résoudre la situation beaucoup plus importante et dangereuse qui se développe à Bahreïn » (F.Bonnet)

___Aurait-on donc affaire à une "guerre imbécile"?
"Le pouvoir se garde d'évoquer le sujet après les coups de trompette triomphalistes du mois de mars. Les médias, qui avaient quasi-unanimement applaudi cette entrée en guerre mise en scène par Bernard-Henri Lévy (« Enfin ! », titrait Laurent Joffrin, du Nouvel Observateur), n'en parlent plus guère. Car au-delà des communiqués en langue toute militaire de l'Otan, un premier bilan se révèle inquiétant, voire catastrophique.... Selon des responsables britanniques cités par le journal The Guardian, « plus personne désormais n'envisage une victoire militaire ». Cette déclaration « off » fait écho à de nombreuses autres, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. « En l'état, il n'y a pas de raison de croire en une victoire de l'une ou l'autre partie dans un horizon proche (...) La résistance du régime Kadhafi a été sous-estimée, nous sommes dans une impasse militaire », résume International Crisis Group. Signe le plus évident : le mandat de l'Otan, qui a pris les commandes de l'opération militaire dès les premiers jours de guerre (malgré l'opposition de Nicolas Sarkozy), s'achevait initialement fin juin. Il a été prolongé de 90 jours, jusqu'à la fin septembre... Ces trois mois d'échecs militaires sont en train de provoquer de sérieux craquements au sein de l'Otan. La vieille Alliance atlantique a déjà à son actif dix années de défaites successives en Afghanistan. Et la voilà une fois de plus en panne ! L'homme qui vient de dresser ce constat est l'Américain Robert Gates. Cet ancien patron de la CIA, ministre de la défense de George Bush puis de Barack Obama, conservateur et vieux routier de la guerre froide, part à la retraite et peut donc parler franc. Il l'a fait devant une batterie d'experts réunis à Bruxelles, la semaine dernière ( article du New York Times).

Qu'a dit Gates, qui était personnellement opposé à cette guerre ? Que les Etats-Unis, qui se contentent d'une « place à l'arrière» dans ce conflit, comme l'a dit Obama, sont épuisés par dix années de guerre et ne peuvent plus assurer 75% des dépenses de l'Otan. Que les Européens ne peuvent faire financer leur défense par le contribuable américain. Que la Libye est une illustration supplémentaire de l'incapacité de cette organisation militaire. Exemple: ce fameux « central command » de l'Otan en Italie, à Naples (site internet ici), conçu pour gérer plus de 300 sorties aériennes quotidiennes et qui peine à en organiser 150 ! Exemple : le manque de munitions qui menace déjà la coalition ! Exemple : cet avertissement du premier responsable de la marine britannique (à lire ici), expliquant qu'il n'a pas les moyens de poursuivre les opérations au-delà du mois de septembre. Exemple: le déploiement de seulement 16 hélicoptères d'attaque (4 britanniques et 12 français). Exemple: l'incapacité des Européens à assurer sans les Etats-Unis leurs communications et leurs renseignements.
Résumé par Robert Gates, cela donne cela :
« La plus brillante alliance militaire de toute l'histoire est en opération depuis seulement onze semaines contre un régime pauvrement armé et déjà, des alliés, à court de munitions, demandent une fois de plus aux Etats-Unis de faire la différence. »...
_Les responsables militaires laissent transparaître leurs doutes par quelques périphrases. Le chef d'état-major de la marine, l'amiral Pierre-François Forissier, a évoqué la semaine dernière
« un problème de ressources humaines ». Et de matériel : « Si le porte-avions Charles-de-Gaulle était engagé en Libye jusqu'à la fin 2011, il ne travaillerait plus du tout en opération en 2012 », pour des raisons de maintenance, a-t-il souligné....
_Loin de l'unanimisme des principaux médias et d'un milieu intellectuel emmené par BHL, c'est justement l'un de ses amis, Claude Lanzmann, qui se pend à la sonnette d'alarme. Le directeur de la revue
Les Temps modernes s'était déjà écarté de la doxa avec une tribune publiée dans Le Monde du 17 avril, et titrée « Libye, rétheurs et décideurs ». Cela lui avait valu les foudres béhachéliennes et une brouille qui dure toujours. Claude Lanzmann y revient dans le numéro de mai-juillet des Temps modernes à l'occasion d'un excellent dossier sur les soulèvements arabes. Par un court texte titré « Libye, la pensée arrêtée », l'auteur du Lièvre de Patagonie , dit l'ampleur de ses doutes : « L'unanimité fut écrasante, l'intervention militaire non discutée et toute pensée dissonante, tout questionnement sur les raisons et les buts d'une guerre qui taisait son nom ont semblé inconvenants », déplore-t-il.

« On ne sait rien ou très peu du “gouvernement” de Benghazi, sinon qu'il est constitué de gens proches de Kadhafi pendant des décennies. Ce qui se passe en Libye n'est-il pas au fond une guerre civile, qui autorise toutes les simplifications et les amplifications rhétoriques ? Kadhafi devait être écrasé en quelques jours sous la fessée des frappes. Il tient bon pour l'instant, malgré de très durs bombardements, une partie de la population le soutient, lui garde sa confiance. C'est, dira-t-on, le propre des dictatures. Mais il y a sûrement autre chose : la population libyenne ne souffrait pas de la même misère que ses voisins égyptiens et tunisiens, le fantasque dictateur n'était pas toujours aussi fantoche qu'on le prétendait. Même corrompu, il laissait à son peuple quelque profit de la rente pétrolière, l'essence et l'électricité étaient quasiment gratuites. La Libye a quitté la une des journaux, quelquefois n'y figure plus du tout, il est question d'enlisement et de négociations... » (Mediapart)
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Doutes autour de la guerre en Libye
-Les dix erreurs de l'Otan en Libye

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