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mercredi 8 décembre 2010

Allemagne sous tension


Sur la sellette

Défaire ou refaire l'Europe? (Points de vue)

"
L'amitié s'arrête avec l'argent" (Beim Geld hört die Freundschaft auf)

Dans le contexte de crise aiguë que vit l'Europe, de désagrégation des liens préalablement existant sous la pression des intérêts nationaux, d'exacerbation des tensions, on semble bien démuni devant ce qui est devenu une impasse et en partie une énigme.
Pour Christine Lagarde, «l'Europe est difficile à comprendre» .Vraiment? On voit bien que manque l'unité politique qui permettrait de sortir de l'impasse. L'Europe a-t-elle failli depuis Maastricht en s'abandonnant aux vertus supposés des marchés, dans le sillage du modèle anglo-saxon? Et l'Allemagne est-elle si vertueuse qu'on le prétend? Ce n'est pas l'Allemagne qu'il faut blâmer, mais un système...
Manque de leaders, de règles, de cohérence,de projets? Ou tout cela à la fois?


___L'ex-chancelier Helmut Schmidt n'est pas tendre vis à vis des positions actuelles de son pays. Pour lui, l'Europe manque de dirigeants:
"Les Allemands "ont une tendance excessive à agir et réagir en fonction des seuls intérêts nationaux et n'ont pas compris la nécessité stratégique de l'intégration européenne.
On connaît l'expression: "Beim Geld hört die Freundschaft auf" [l'amitié s'arrête avec
l'argent]. On a le sentiment que l'on demande aujourd'hui aux Allemands, en tant que collectivité, de venir en aide aux Etats moins fortunés. Et les Allemands ont beaucoup de mal à l'accepter. L'erreur a été commise à l'époque de Maastricht, en 1991-1992. L'Europe comprenait alors douze Etats membres. Et ceux-ci ne se sont pas contentés d'inviter les autres pays à entrer dans l'Union européenne, ils ont également inventé l'euro et invité chacun à devenir membre de la zone euro. Or cela a été fait sans préalablement modifier ni clarifier les règles. C'est là que de grandes erreurs ont été commises. Et nous pâtissons aujourd'hui directement des conséquences de cette omission à fixer des règles.
Les Etats de l'Union européenne auraient-ils dû limiter l'euro à un petit groupe de pays ?
C'est mon avis – et ils auraient également dû définir plus précisément les règles de conduite économique des participants. Ce que l'on appelle le pacte de stabilité et de croissance n'est pas un texte ayant force de loi. C'est juste un accord entre gouvernements. Et il est très regrettable qu'au début de ce siècle, la France et l'Allemagne aient enfreint les règles de ce pacte. Mme Merkel voudrait corriger ces erreurs, mais ses chances d'y parvenir sont faibles, notamment parce qu'elle manque de sens diplomatique..."

Et si l'Allemagne quittait l'euro?
Comment s'appelle-t-il déjà ?

__Pour la très gaullienne et souverainiste M.F.Garaud, à qui on peut reprocher beaucoup de choses, notamment sa prétention à parler au nom de l'orthodoxie gaulliste et de représenter "la voix du peuple", mais qui donne un coup de gueule salutaire, "nous nous enfonçons de renonciations en renonciations, pour faire l’Europe, qu’il a fallu alors défaire la France, et que pour cela les dirigeants ont pratiqué « la politique de l’abandon » en cédant notre souveraineté, de traités en traités à l’état supranational européen. En outre, elle pose la question essentielle : « Existe-t-il ou non une relation entre la suprématie de l’économique et la mort politique ? [...] À quoi se réduit alors la politique ? « À la gestion empirique, au jour le jour, au coup par coup. Le critère est la réussite, quels que soient son objet, quels que soient les moyens, la fin les justifie. »
Pour elle,"
le nœud gordien franco-allemand actuellement, c’est l’euro. Et personne ne dissimulera qu’il pose quelques problèmes. Or l’euro est né de la volonté allemande. C’est Helmut Kohl qui a demandé, et obtenu, la mise en place d’une union monétaire tendant à la monnaie unique, facteur central de l’unification. Il faut se souvenir que l’Allemagne, essentiellement plurielle a compris enfin, depuis 1945 qu’elle devait être « une », mais sans la guerre. Dès lors, l’élément structurant de la diversité germanique, c’est la monnaie. La faiblesse de la France dans le choix et l’élaboration de cette nouvelle structure s’est révélée insondable. Un G2 franco-allemand s’échafauderait sur les mêmes bases. ...
En signant notamment les accords de Maastricht et les suivants, elle a perdu la capacité de faire prévaloir ses intérêts souverains. Il en résulte un changement total d’équilibre à l’intérieur du couple...(1)
Lorsque le Général de Gaulle a quitté le pouvoir, la France disposait d’atouts (puissance nucléaire civil, militaire, liberté d’action hors du commandement intégré de l’Otan) stratégiques et diplomatiques importants qui lui permettaient, dans la conduite des affaires européennes, de construire avec l’Allemagne une politique européenne équilibrée. Malheureusement nous nous sommes ensuite laissés engluer dans les traités européens et avons abandonné ces cartes, tout en tentant de dissimuler notre suivisme. Il faudrait certainement sortir de cette inhibition et d’abord disjoindre les traités européens du cadre constitutionnel où nous les avons imprudemment insérés afin de pouvoir adopter une position comparable à celle de l’Allemagne : oui aux traités européens, sauf si ils mettent en cause la souveraineté française
(1)(La cour de Karlsruhe a notamment souligné que la stabilité de la monnaie unique était un élément fondamental de la loi allemande et que si cette stabilité n’était pas assurée, l’Allemagne devrait soit modifier sa Loi fondamentale soit quitter l’Union. Le moins que l’on puisse dire est que l’Allemagne ne se laisse pas enfermer, elle, par le Traité...)


__Plus technique, l'économiste André Orléan dénonce l'«inertie totale d'une Europe impuissante» face à la crise:
"La situation actuelle montre qu'une zone monétaire aussi fortement intégrée que la zone euro ne peut survivre sans un pouvoir politique fort. L'expérience des systèmes monétaires internationaux est, de ce point de vue, sans ambiguïté. Leur stabilité a été acquise lorsqu'une nation s'est montrée capable d'en assumer le leadership. Cette nation impose sa monnaie, en tire des avantages, mais il lui revient aussi des devoirs, par rapport aux autres pays.
Chaque fois que ce leadership n'est pas assumé, la période est instable. Ce fut le cas dans l'entre-deux-guerres, lorsque les Etats-Unis ne voulaient pas prendre le relais de l'Angleterre. Nous avions alors un pays, les Etats-Unis, économie dominante et créancière de l'ensemble du monde, qui appliquait des politiques opportunistes en fonction de son seul intérêt privé. On est un peu dans la même situation avec l'Allemagne et la zone euro aujourd'hui
.
__L'Allemagne est trop autocentrée. Elle ne voit même pas que ses excédents commerciaux n'existent que grâce aux déficits d'autres pays européens – puisque la zone euro est à peu près à l'équilibre prise dans son ensemble. Il n'est donc pas dans les intérêts de l'Allemagne que ces pays quittent l'euro. Nous avons une Allemagne dominante d'un point de vue économique, mais qui se montre incapable de comprendre les intérêts collectifs de l'Europe, qui ne regarde que vers les pays du Nord, et méprise les pays du Sud du continent. D'où une absence de vision collective qui a pour conséquence une inertie stratégique totale...Je ne vois pas comment nous pouvons continuer avec de telles hétérogénéités dans la zone euro. Il suffit de regarder les écarts de coûts salariaux... Avec, au centre, un pays qui ne relance pas sa demande, qui exerce une pression salariale très forte, et qui mise sur les exportations. Et, pour les pays dits périphériques, des cures d'austérité comme seul horizon!
__L'Europe face aux marchés financiers me fait penser au combat des Horaces et des Curiaces. Parce que l'Europe est divisée, elle est impuissante. A chaque fois, c'est la même chose : les marchés trouvent face à eux un pays isolé qu'ils peuvent aisément mettre à terre. D'abord la Grèce, puis l'Irlande. Et à chaque fois, l'Europe perd malgré ses immenses ressources. Son fractionnement politique la mène dans une impasse. Elle ne sait pas tirer profit de son poids global.
_Aujourd'hui, il apparaît avec force que souveraineté monétaire et souveraineté politique sont étroitement liées.
L'existence d'une monnaie unique sans souveraineté politique de même intensité n'est pas tenable. On a cru que les marchés seraient capables à eux seuls d'harmoniser les intérêts. Ce fut un échec retentissant..."
___On voit aujourd'hui que l'harmonisation des intérêts passe surtout par le politique. Cette action du politique est au fondement de toutes les unités monétaires. Par le biais des transferts budgétaires, en particulier. Mais également par le biais de la politique monétaire et de la dette publique. Les Etats-Unis nous montrent quel usage un pays peut faire de sa souveraineté politique pour détendre ses contraintes économiques. Faute d'un tel mécanisme, l'Europe ne vit plus son unité monétaire que comme une lourde contrainte, qui produit de d'austérité!.."
Une raison d'espérer?

"...Désormais (depuis le printemps), la BCE rachète de la dette souveraine, ce qui paraissait inconcevable il y a encore un an. Du point de vue de la doctrine monétaire, c'est un changement radical: l'euro s'est fondé sur le mythe d'une monnaie conçue comme un instrument purement économique, indépendant du politique. Je pense d'ailleurs que la BCE devrait aller plus loin dans cette voie. Un pouvoir européen fort trouverait dans la monnaie une arme d'une très grande puissance si elle avait la volonté de changer son état de dépendance à l'égard de la finance internationale. Enfin, au titre des transformations idéologiques imposées par la nécessité, souvenons-nous également que les Allemands, au moment de la crise grecque, étaient opposés à l'idée d'un financement européen des pays endettés. La réalité ne leur a guère laissé de choix."

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