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lundi 16 mai 2016

USA: no brexit

 Quand Obama rencontre Cameron
                                                     Ce n'est pas pour boire le thé ou faire une partie de cricket.
       En cette période de gros temps européen, de patinage du projet Tafta, et surtout de préparation à un référendum risqué concernant l'avenir de Londres au sein de l'UE, sa visite n'était pas de simple fair play.
         Malgré des relations complexes et ambiguës entre les deux pays, la préférence du grand large a toujours été une dominante de la politique anglaise et l'engagement d'Albion dans l'aventure européenne toujours partiel et équivoque.
     Le résultat du référendum sur le Brexit, pour l'instant imprévisible, est redouté par les intérêts majeurs américains (et la City)
      Ce pourrait être un échec concernant l'influence que Washington veut continuer à avoir et à renforcer sur le vieux continent, car le libéralisme mercantile, le poids idéologique et économique de Londres est un élément fondamental des visées américaines, surtout à l'heure du rétrécissement de leur pouvoir d'action dans le monde.
    L'euroscepticisme anglais peut les compromettre.
                           Pour mieux comprendre les enjeux de la démarche d'Obama, qui joue la dernière carte de son mandat en volant au secours de l'Union, il est nécessaire, avec Jacques Sapir, de faire un rapide historique sur les  origines de la construction européenne:
                                Cette intervention est étonnante, mais elle est aussi extrêmement révélatrice. On ne peut en effet être qu’étonné du fait qu’un Président des Etats-Unis vole ainsi au secours des institutions européennes. Notons, en passant, que cela dément à l’évidence toutes les fariboles et les niaiseries que l’on a pu entendre sur le fait que la constitution de l’UE permettrait de faire naître un rival global aux Etats-Unis. Mais, cette intervention est aussi très révélatrice. Elle montre de manière spectaculaire que les Etats-Unis ont un intérêt évident et majeur dans l’existence de l’UE, et ce pour une bonne raison : l’UE est leur créature. Non seulement l’UE, mais aussi dans une large mesure la construction européennes dans son ensemble, résulte des pressions et des initiatives des Etats-Unis, mais elle joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la politique étrangère de ce pays assurant dans le même temps la garantie d’une domination sur le continent européen au moindre coût, car depuis maintenant plusieurs décennies l’UE joue le rôle de relais de cette politique ET la garantie que les européens ne pourront agir de manière indépendante ou s’organiser d’eux-mêmes et créer ce qui est le pire cauchemar pour la politique européenne : la « forteresse Europe ». Cette domination de fait de l’UE par les Etats-Unis, domination que l’on retrouve à la fois dans les ordres du jour de la Commission, dans la politique étrangère européenne « commune » comme dans le cas de la crise ukrainienne, ou dans les projets de traités asservissant les pays européens aux conceptions des Etats-Unis comme le TAFTA (ou TTIP) est mise à nue par le discours d’Obama. Cette situation de fait est l’une des causes du désenchantement, désormais massif, des peuples européens pour la construction européenne. Il constitue la pire menace pour cette dernière.
          Il est souvent affirmé que la construction européenne résulterait du double traumatisme de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. Que ces événements tragiques, et surtout la guerre de 1914-1918, aient fait prendre aux contemporains conscience de la nécessité d’organiser la coopération entre les Etats européens est une évidence. Mais d’une part l’idée de la construction européenne était antérieure à 1914, dès 1870 Victor Hugo et d’autres intellectuels faisaient campagne pour ce qu’ils appelaient les « Etats-Unis d’Europe » et d’autre part rien n’impliquait, dans cette prise de conscience, la construction d’institutions telles que celles qui furent construites dans le cadre de la Communauté Economique Européenne (le « marché commun ») puis dans le cadre de l’Union européenne.
      En fait, ceux que l’on considère comme les « pères fondateurs » du projet européen, et en particulier Jean Monnet professaient une vision très pessimiste de l’avenir des Etats. Ils étaient, que l’on pardonne cet anachronisme, des « déclinistes » avant l’heure. Ainsi Jean Monnet écrivait dans ses mémoires : « Les nations souveraines du passé ne peuvent plus résoudre les problèmes du présent : elles sont incapables d’organiser leur propre développement ou de contrôler leur propre futur. ET la Communauté elle-même n’est qu’une étape sur la route de l’organisation qui prévaudra pour le monde de demain ». Mais un autre de ces « pères fondateurs », certes moins connu mais non moins important, l’intellectuel et antifasciste italien Altiero Spinelli écrivait aussi depuis sa prison : « Le problème qui doit être résolu est l’abolition finale de la division de l’Europe en Etats nations souverains. Si cette condition n’est pas remplie, toute apparence de progrès demeurera illusoire »[1].
      Cette méfiance profonde envers les Etats, et pour certains (et Monnet en particulier) envers la démocratie allait imprégner la construction européenne. Mais, celle-ci n’aurait sans doute pas pu se mettre en marche sans l’aide décisive que lui apportèrent les Etats-Unis à partir de 1946-1947. Pour ce dernier pays, la question essentielle était celle de l’hégémonie mondiale et de son rapport avec l’URSS. Dans ce cadre, il fallait trouver une solution qui lui permette à la fois d’être rassuré quant à l’avenir du continent européen, mais qui assure aussi l’ouverture de ce continent, ou du moins d’une large partie de ce dernier, aux produits de son industrie et de son agriculture.
      L’intérêt des Etats-Unis provint initialement de la crainte de la prise de contrôle par les communistes de l’Italie et de la France. Dans ces deux pays les communistes étaient devenus brièvement le parti le plus puissant. Ce risque provenait de la dislocation économique causée par l’hiver inhabituellement rigoureux de 1946-1947, un hiver qui sapa l’optimisme initial d’Après-Guerre quant au potentiel de remise en état des économiques d’Europe de l’Ouest. Le Secrétaire d’Etat américain George Marshall organisa au début de l’année 1947 une équipe de hauts fonctionnaires, dirigée par l’un de ses conseillers les plus chevronnés, George Kennan (qui avait été en poste à Moscou pendant la Guerre et avait été l’auteur – sous pseudonyme – d’un article important prenant acte du début de la guerre froide en 1946 dans le revue Foreign Affairs). Son but était de concevoir une nouvelle stratégie pour soutenir l’économie européenne. Les trois des figures clefs qui y travaillèrent étaient Dean Acheson, Will Clayton et George Kennan[2].
        Clayton et Kennan eurent notamment des consultations extrêmement poussées avec Jean Monnet. Le Plan de Renaissance Européenne naquit de leurs efforts combinés, même s’il rentra dans la postérité sous le nom de « Plan Marshall » et fut annoncé par Marshall le 5 juin 1947, lors d’un discours à l’université d’Harvard resté fameux[3]. Le Plan Marshall est généralement considéré comme un acte altruiste des Etats-Unis afin d’aider ses alliés occidentaux appauvris au moment où ils en avaient le plus besoin. Néanmoins des intérêts commerciaux puissants le sous-tendaient. L’Europe représentait pour l’Amérique un « marché énorme de plusieurs centaines de millions de personnes » que les Etats-Unis ne pouvaient se permettre de perdre »[4]. En réponse au discours de Marshall, 16 nations européennes se mirent d’accord pour participer à une conférence à Paris le 12 juillet 1947 afin de constituer ce qui est connu sous le nom de Comité Européen pour la Coopération Economique (CECE). Mais, l’instrument principal retenu par Washington pour promouvoir la politique d’intégration européenne fut une nouvelle organisation, fondée le 16 avril 1948, pour gérer la distribution des fonds du plan Marshall. Il s’agissait de l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), ancêtre de l’OCDE. Le gouvernement français, fortement influencé par Monnet, poussa afin que cette nouvelle institution soit dotée d’un conseil exécutif disposant de pouvoirs supranationaux et d’un secrétariat permanent. L’intégrationniste fervent Paul-Henri Spaak, qui était à nouveau le Premier Ministre de la Belgique en fut nommé le directeur général.
          Dans le même temps, une nouvelle organisation fut mise en place, Le Comité Américain pour l’Europe Unie (ACUE) résultant des contacts entre des politiciens européens partisan de l’intégration et de deux figures clefs du renseignement américain, William J. « Wild Bill » Donovan, ancien responsable de l’OSS[5] durant la guerre et l’un des fondateurs en 1947 de la CIA et son collègue Allen Dulles qui devait devenir plus tard le chef de la CIA sous le président Eisenhower. A partir de ce moment, comme les recherches universitaires récentes l’ont prouvé[6] , l’ACUE fut utilisée comme couverture pour transférer des fonds de la CIA, qui étaient augmentées par les contributions de fondations privées telles la fondation Ford ou l’institut Rockefeller afin de promouvoir l’obsession du Département d’Etat d’en arriver à une Europe unie, ce qu’un historien devait appeler la « conspiration libérale »[7].
           Dans le même temps fut signé à Washington le 4 avril 1949 du Traité de l’Atlantique Nord, engageant les Etats-Unis, le Canada, l’Angleterre, la France, l’Italie, les pays du Benelux et quatre autre nations européennes occidentales (la Norvège, le Danemark, le Portugal et l’Islande) à mettre en place une organisation militaire intégrée pour la défense de l’Europe non-communiste. La construction de l’intégration économique, politique et militaire de l’Europe a donc toujours été un projet intégré, et un projet largement soutenu, et même souvent inspiré, par les Etats-Unis en relation avec les « déclinistes » européens.
      _______________Les Etats-Unis, qu’ils en soient conscients ou non, sont en train de gérer leur déclin. Ils ne sont plus l’hyperpuissance qu’ils étaient à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Cela permet de comprendre la virulence de l’engagement de Barack Obama pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Il faut donc ici revenir sur l’évolution de la politique étrangère des Etats-Unis
      Pendant le laps de temps, délimité pour son origine par la conjugaison de l’opération « Tempête du désert » contre l’Irak et de la fin de l’Union soviétique en 1991, et qui se conclut avec l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et l’échec des Etats-Unis de rééditer l’opération politique de 1991, on a pu penser, pour de nombreuses raisons, que le xxie siècle serait celui de l’Empire américain. En effet, si les deux premiers événements nous annoncent bien la clôture du xxe siècle, ils n’entraînent pas de verrouillage du futur, contrairement à ce que l’on aurait pu penser. Il faudra attendre la crise financière de 1997-1999 et la réaction des États-Unis face à la contestation de leur hégémonie pour que la dynamique du xxie siècle prenne réellement forme.
      La dynamique qui s’enclenche alors conduit à un processus où, chaque fois que Washington essaie de réaffirmer son hégémonie, il en détruit un peu plus les fondements réels. Cette dynamique permet l’émergence de nouveaux centres de puissance (la Chine et l’Inde), tout comme elle permet la réémergence de la Russie en tant qu’acteur majeur après son effacement des années 1992-2001. Mais cette émergence ou réémergence de puissances capables de contester un projet impérial global ne se fait pas sans conséquences sur la puissance dominante. Une dynamique perverse s’est installée au cœur même de la politique américaine, conduisant à favoriser les formes d’expression de la puissance qui se révèlent les plus délétères, à terme, pour cette dernière.
        Le processus de contestation et de réaction du dominant contesté a conduit à une radicalisation initiale de la politique étrangère. Mais, cette radicalisation a conduit à un échec qu’il a bien fallu constater. Après le premier tournant de l’élection de George W. Bush, c’est le tournant de l’élection de Barack Obama. Mais, cette élection, qui prend place dans un temps de doute profond sur les capacités des Etats-Unis tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, a aussi pour enjeu le développement d’une nouvelle stratégie cherchant à atteindre les objectifs qui étaient ceux de l’administration précédente, mais par d’autres moyens. De ce point de vue, s’il y a une rupture (partielle) avec le vocabulaire des neocons il n’y a pas de rupture avec la représentation biaisée du monde qu’ils produisent[8].
         Cela se traduit par une instrumentalisation croissante des institutions internationales. Cette instrumentalisation peut déboucher sur un « impérialisme humanitaire » ou les ONG sont largement mobilisées (parfois consentantes et parfois à leur corps défendant). Dans ce raisonnement, les désordres susceptibles de mettre en cause la sécurité internationale ne sont pas issus de troubles sociaux et économiques, mais de la combinaison de ces derniers avec de « mauvaises » institutions, qui conduisent à l’existence de « dictature » ou d’Etats corrompus. La lutte contre la corruption, lutte dont personne ne conteste la nécessité, devient alors un instrument servant aux fins politiques de Washington[9]. On l’a vu avec le détournement de sa fonction du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) qui incrimine tout acte ou tentative de corruption d’un agent public étranger de la part de citoyens ou d’entreprises, quelles que soient leur nationalité, en vue d’obtenir des marchés[10]. Il suffit en effet au FCPA d’avoir, via les agences de sécurité américaines ou via des dénonciations, la connaissance d’une forte probabilité d’une fraude pour qu’une enquête soit déclenchée[11].
           De même, la lutte contre la « dictature », si elle s’appuie sur l’existence évidente de pouvoirs tyranniques, n’a nulle fonction à rétablir la démocratie mais à faire avancer les intérêts de la politique des Etats-Unis. Ceci peut conduit à l’existence d’États faibles, voire « faillis »[12]. On en a un exemple avec la Libye actuelle. Il revient donc à l’empire bienveillant (c’est-à-dire les États-Unis) d’imposer par la force directe ou indirecte la mise en place des « bonnes » institutions. Une variante du raisonnement consiste à voir dans les États-Unis, non plus un « empire bienveillant », mais un délégué des pays civilisés qui se chargerait de la sale besogne pour le plus grand profit de tous.
    Ce raisonnement est en réalité d’une extrême faiblesse. Tout d’abord, il postule l’existence d’institutions en dehors des contextes qui font qu’elles sont acceptables (et acceptées). De plus, nous sommes en présence d’une vision purement instrumentale des institutions qui montre que ces dernières n’ont pas été comprises dans leur essence[13]. Cette démarche tombe entièrement sous le feu de la critique formulée par Joseph Stiglitz contre la functionalist fallacy. Ensuite, si l’institution peut exister « en soi », sans référence au processus qui permet son émergence, nous sommes dans un raisonnement qui n’est qu’une variante de celui dit de la poule et de l’œuf, mais où l’on a postulé qu’une main extérieure (et il n’est pas difficile de deviner laquelle) a créé l’œuf de toutes pièces… Au contraire, une approche des institutions à partir des conflits qui leur ont donné naissance, du fait social global qu’elles constituent et non pas d’une pseudo-rationalité individuelle préexistant à la société[14], permet de sortir de cette métaphysique de la Sainte Poule et du Divin Œuf. Telle fut, en réalité, la méthode de l’école institutionnaliste historique américaine[15]. Et cette méthode est bien différente et bien plus riche que le néo-institutionnalisme instrumental de la pensée standard. C’est aussi celle des travaux sur l’enchâssement social et historique des institutions démocratiques[16]. C’est enfin celle qui va, à la suite de Durkheim, insister sur l’importance de la densité sociale dans une société déterminée[17]. Ces approches, bien évidemment, ne peuvent que souligner les dangers qu’il y a à vouloir imposer de l’extérieur et par la force des institutions.
      On peut alors parler d’un véritable « colonialisme humanitaire », que l’on a vue se déployer, avec l’assistance de la France et du Royaume-Uni en Lybie, mais qui est aussi présent dans le cas de l’Ukraine et de bien d’autres pays. Il se révèle une contradiction dans les termes. Il est incapable, on le voit partout, de produire les institutions dont il se réclame et qui lui ont servi de prétexte. Le protectorat onusien sur le Kosovo, pour prendre ce seul exemple, a abouti à pérenniser un nettoyage ethnique, et l’intervention américaine en Irak a plongé le pays dans une guerre civile, puis a été à l’origine de la création de l’organisation dite « Etat Islamique » qui est aujourd’hui une menace à l’échelle mondiale.
     La « guerre humanitaire », apparaît alors comme la conséquence logique du « droit d’ingérence » qui découle des idées et de la représentation du monde véhiculée par les Etats-Unis et leurs alliés. Elle est alors moment inévitable du « colonialisme humanitaire ». Mais, elle engendre aussi un double problème dans les relations internationales[18]. D’une part, elle introduit une division immédiate au sein des nations entre celles dont les moyens de défense les protègent de toute tentative d’ingérence et celles dont les moyens de défense sont suffisamment faibles pour qu’elles puissent devenir, le cas échéant, des cibles dans une « guerre humanitaire ». Construite au départ pour valider l’idée d’une « communauté internationale » d’acteurs égaux, unis par des objectifs communs comme la sécurité, la guerre humanitaire valide au contraire la représentation des relations internationales comme l’affrontement d’acteurs inégaux aux intérêts irrémédiablement opposés. D’autre part, elle incite tout pays pouvant penser qu’il risque, à terme, d’être la cible d’une telle intervention à monter en puissance dans ses moyens de défense. L’échelon ultime susceptible d’assurer la sanctuarisation du pays étant, bien évidemment, la possession d’armes de destruction massive. Il faut reconnaître que l’agression américaine contre l’Irak de 2003 a donné aux aspirations de l’Iran de se doter de telles armes une justification réelle.

_______________Telles sont donc les éléments de contexte qui permettent de mieux saisir la stratégie d’instrumentalisation par les Etats-Unis des institutions européennes, institutions dont ils ont été largement à l’origine. Cette stratégie vise à deux objectifs. Le premier est de transformer l’Union européenne en relais de la politique des Etats-Unis en s’assurant que l’Union européenne, et de manière générale les institutions européennes, non seulement partageront les mêmes intérêts que les Etats-Unis mais surtout ne verront pas de différences entre ces intérêts des Etats-Unis et les leurs. Il convient, alors, de faire disparaître la notion d’intérêts nationaux au sein des pays d’Europe pour être sûr que seuls les Etats-Unis pourront déployer leurs propres intérêts nationaux. Et l’on constate immédiatement à quel point cette idéologie, car il s’agit bien ici d’une idéologie au sens d’une « représentation du monde » que les Etats-Unis cherchent à propager chez leurs alliés est incompatible avec la notion de souveraineté. En d’autres termes il s’agit ici de coloniser les âmes et les cœurs afin de s’assurer que les actes seront non seulement parfaitement compatibles avec ce que souhaite la politique des Etats-Unis, mais iront même au devant de ses désirs.

     L’alignement progressif des institutions de l’Union européenne sur les « normes » édictées aux Etats-Unis connaîtra bien entendu un nouveau stade si le traité TAFTA (ou TTIP) devait être ratifié. Mais, et on l’a vu avec l’intervention franco-britannique en Lybie, il est clair qu’une large partie des responsables de ces deux pays européens ont été « colonisés » par la pensée des neocons. Mais, cet alignement a déjà commencé dans de nombreux domaines. Il explique, outre les contradictions internes que l’on connaît, le fait que l’Euro n’ait pu se développer comme une alternative au Dollar des Etats-Unis. Une note du CEPII le reconnaît aujourd’hui[19]. Et il en sera ainsi tant que l’Euro sera porté par des institutions qui sont et restent largement inféodées à la politique américaine.
          Dans ce contexte, la place de la Grande-Bretagne est absolument centrale pour la politique des Etats-Unis. Même si la Grande-Bretagne n’est pas membre de l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire de la zone Euro, elle joue le rôle d’une ancre pour la politique des Etats-Unis dans l’Union européenne. Il est clair qu’elle n’est pas la seule. Ceux qui pensent que le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne « libérerait » cette dernière de l’influence américaine se trompent lourdement. Mais, la présence de la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne est essentielle pour la politique des Etats-Unis.
       C’est une des garanties que l’Union européenne ne s’opposera jamais aux Etats-Unis. Tant que la Grande-Bretagne est membre de l’UE, les responsables des Etats-Unis savent pertinemment que le marché de l’UE leur sera grand ouvert, et ceci quelque soit la non réciprocité en ce qui concerne le marché des Etats-Unis pour les produits de l’UE. Ils savent aussi qu’ils peuvent compter, avec la Grande-Bretagne, sur un important relais pour leurs visées politiques, comme on l’a vu tout d’abord au sujet de l’Irak en 2003, où Tony Blair a repris les mensonges de l’administration de Georges W. Bush ou que ce soit sur la Lybie, sur la Syrie et sur l’Ukraine.
    C’est pourquoi il n’est pas question, pour les Etats-Unis, de laisser se produire le « Brexit ». Il est clair que la position des autorités américaines n’est nullement déterminée par l’intérêt des britanniques. C’est le seul intérêt américain qui compte. Mais, il n’est pas sur que Barack Obama se rende compte de cela. Pour lui, et plus généralement pour l’élite politique des Etats-Unis, un pays alliés ne saurait avoir des intérêts divergents de ceux des Etats-Unis. On est ici en présence d’une représentation typique d’une puissance sur le déclin. Car, du temps où ils étaient dans la hase ascendante de leur puissance, les Etats-Unis concevaient parfaitement que les autres pays aient des « intérêts nationaux ». Simplement, ils cherchaient délibérément à écraser ces intérêts à chaque fois qu’ils s’avéraient contradictoires avec les leurs.
      Le gouvernement de Washington va donc multiplier les pressions, explicites comme avec ce discours du 22 avril, ou implicites, pour « ramener à la raison » l’élite politique britannique qui, et c’est l’un des enseignements les plus importants de la campagne du « Brexit » s’avère être profondément divisée sur cette question. Cela traduit probablement le fait cette élite politique, qui est l’héritière de la « culture impériale » britannique, a bien du mal à abandonner la notion de souveraineté ainsi que celle d’intérêt national. La question du « Brexit » ne se limite donc pas à savoir si la Grande-Bretagne restera ou non dans l’Union européenne. Elle pose de manière plus générale la question de savoir si la notion d’intérêt national, et donc celle de diplomatie, au sens des compromis nécessaires pour que puissent cohabiter des intérêts divergents, a encore un sens en Europe.
     C’est l’une des raisons pour lesquelles le débat en Grande-Bretagne, et son issue, est d’une telle importance pour les autres peuples d’Europe. Et il n’est pas innocent que ce soit justement dans un des pays de la « vieille Europe », un pays dont l’histoire remonte au plus profond de l’Histoire et qui de ce point de vue est très similaire à notre pays, que ce débat ait aujourd’hui lieu.
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