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mardi 24 juillet 2007

L'anglais ou rien ?

Parlez-vous globish ?




L’expansion apparemment irréversible de la langue anglaise, ou plutôt de ce qui en est une forme réduite, appauvrie, est coextensive à la mondialisation des échanges, à la globalisation, d’où le mot-valise, souvent utilisé pour caractériser cette forme nouvelle de communication internationale, le globish (global-english). Dans le monde des relations diplomatiques comme dans celui des affaires, elle apparaît comme un outil commode, composé de 400 à 1200 mots, permettant aux nouveaux nomades, réels ou virtuels, de communiquer assez aisément de manière transculturelle. Elle est devenue comme l’esperanto de notre temps. Son usage tend à coloniser tous les secteurs de la vie, jusqu’au langage le plus courant.

Le linguiste très connu, polyglotte exceptionnel,Claude Hagège, s’élève dans un de ses livres récents contre l’expansion planétaire de l’anglais, sa tendance à la monopolisation dans les échanges, qui se ferait aux dépens de la diversité des autres langues et des spécificités culturelles qu’elles véhiculent : Combat pour le français, (Odile Jacob-2006).

Le titre de l’ouvrage est résolument polémique et pourrait paraître comme un mot d’ordre passéite, défendant des positions d’arrière-garde. Il n’en est rien. Son propos est de montrer que l’offensive de l’anglais n’est pas neutre, et qu’elle entraîne un recul de l’usage de la plupart des autres langues, donc un appauvrissement des modes de pensée, un nivellement réducteur, un dommageable recul de la diversité des visions du monde. Interpréter son analyse comme une critique de l’anglais comme tel serait un grossier contresens.L’auteur n’est pas partisan d’un repli des langues sur elles-mêmes.Elles ont leur vie propre, importent continuellement de nouveaux mots, de nouvelles expressions, modifient même peu à peu certaines de leur structures. Ce qu’il remet en cause, c’est l’usage dangereusement envahissant de l’anglais partout et à tous les niveaux.

Déjà, dans un ouvrage antérieur(Le français et les siècles), Hagège déclarait : "La vérité est que le français recule ; elle est que l’anglais avance plus vite que lui", et il souhaitait le maintien du français à un bon niveau international en affirmant : "L’engagement actif au service des différences contribuerait, dans le monde d’aujourd’hui, à l’équilibre des langues, c’est-à-dire aussi à celui des pouvoirs" (p.302). La question du pouvoir lui semble être le coeur du problème.

Dans son dernier ouvrage, l’auteur est plus précis, et lance une sorte de mise en garde sur le sort que risque de subir notre langue, comme beaucoup d’autres. Il pose clairement le problème en termes de rapports de forces économiques et politiques. " La colonisation des esprits nous guette, car, en imposant une langue, ce sont les intérêts de la puissance dominante qui sont imposés."

Imposer une langue, c’est imposer une manière d’interpréter le monde, des modes de pensée,des expressions émotionnelles,etc., bref, un certain rapport au monde bien spécifique. Comme l’ont montré les études linguistiques depuis le début du siècle, notamment celles de Benvéniste, une langue n’est pas un catalogue, une nomenclature, mais une structure complexe qui n’offre pas une équivalence de mots à mots, et qui est toujours investie par des rapports de pouvoir.

Pour l’auteur, il y a une corrélation très étroite entre la diffusion du modèle économique néolibéral et l’expansion de l’anglais, qui en est un des vecteurs et aussi un des effets.Déjà en 1835, T.B. Macaulay donnait un sens très précis à la mission colonisatrice anglaise en Inde : former "une classe d’individus indiens de sang et de couleur, mais anglais par leurs goûts, leurs opinions, leurs valeurs et leur intellect". Pour Hagège, la colonisation a pris d’autres formes, et elle est devenue planétaire. Les élites économiques et politiques ont bien compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à imposer une langue mondiale, même réduite à sa plus simple expression.

Il dénonce le fait que la Commission européenne elle-même ne respecte pas - ou plus - l’égalité absolue des langues officielles de travail, prétextant le coût élevé de la traduction dans les 21 langues de l’Union (dépense dérisoire par rapport au montant de certaines subventions discutables). Mais le pire est qu’en France même, beaucoup d’élites économiques et politiques, des spécialistes de la communication, certains journalistes, des "déclinologues" attitrés, et même certains intellectuels de gauche s’acharnent à utiliser l’anglais, là même où son usage ne s’impose pas. Comme si le français était devenu un dialecte gentiment exotique...

On peut résumer son constat attristé par une de ses formules : "Sont face à face une force et une valeur. La force est celle du profit... Quant à la valeur... c’est la culture." Seule l’intervention de l’Etat peut permettre à notre langue de résister face au rouleau compresseur de l’anglais-américain, comme le montrent les exemples hongrois, finnois, tchèque, estonien, hébreu moderne, etc., qui ont réussi à survivre et à s’adapter à la modernité.

Donc, pas de position de repli, de nostalgie passéiste, mais une volonté sans arrogance, ouverte aux autres expressions linguistiques, de continuer à vivre avec sa langue, dans sa langue, de vivre sa langue.

Sources : Claude Hagège : Combat pour le français (Odile Jacob)

Le français et les siècles (Points-Odile Jacob)

Le Monde diplomatique : Bernard Cassen : "En français dans le texte", (septembre 2006)



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