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mardi 4 juin 2013

Réorienter ou refonder l’Union Européenne ?

Débats et polémiques se poursuivent.
__________________________________La cacophonie européenne continue, malgré les propos lénifiants ou les appels fédéralistes.
L'Allemagne, ou plutôt la droite libérale allemande, joue un rôle particulier, que d'aucuns jugent économiquement dangereux. L'avenir dépendra de ses futurs rapports avec ses voisins, qui ne peuvent rester en l'état.
Sortir du flou et de la méfiance et changer les élites au pouvoir semblent être des conditions nécessaires, mais non suffisantes.
S'il y a une quasi unanimité pour des changements rapides, la question est celle du comment
Comment sortir du pilotage automatique d'une Europe sans cap véritable, sans remettre en question le statut de l'euro?
Réorienter ou refonder l’Union Européenne ? 
___Points de vue:
"... Une UE définie comme une zone de libre-échange élargie et une zone monétaire restreinte est-elle « réorientable » pour aller vers des harmonisations économiques et sociales « par le haut » ? Le fonctionnement et les politiques de l’UE n’ont-ils pas atteints un pont de non-retour rendant impossible leur réforme ? Ne faut-il pas s’atteler à la construction d’une autre Europe en revoyant les instruments qui l’ont jusqu’ici conduit dans une impasse néolibérale totale ?
__Le premier sujet est bien celui de l’Allemagne, objet d’attaques contre son égoïsme ou sa surpuissance. Mais celles-ci sont-elles bien ciblées ? L’Allemagne est, depuis la fin du XIX° siècle la première puissance industrielle en Europe et elle l’est restée malgré les guerres, les destructions et les divisions. Le fait nouveau est que l’écart avec la France s’est réduit depuis 1945. Aujourd’hui elle utilise l’UE et la zone Euro pour accumuler le maximum de richesses sans en payer le prix ; elle vieillit tous les jours un peu plus et doit épargner pour financer ses futures retraites. Les gouvernements allemands, qu’ils soient de droite ou de gauche renâcleront toujours plus à financer le déficit des autres. Ce faisant, elle est à la fois prise comme la citadelle des politiques néo-libérales et, hic et nunc comme le partenaire historiquement obligatoire de la France dans la construction européenne. Pour les Français, c’est la contradiction Schröder dont la politique est vantée par les mêmes au-delà du Rhin et critiqué en deçà. Elle est contenue dans une idéologie bien spécifique : l’ « ordolibéralisme » qui a connu un succès particulier en Allemagne dés les années cinquante dans tous les partis (y compris les Verts) et qui a pris définitivement le pouvoir dans l’Union. Michel Foucault lui avait accordé précocement une attention toute particulière (dans ses Cours au Collège de France 1977-79, 2 tomes, Le Seuil 2004). Il y voyait un système de pensée néo-libéral débouchant sur une technologie de gouvernement originale parce qu’elle élève la liberté du marché au rang de principe métajuridique. L’ordolibéralisme  milite en effet pour une constitutionnalisation de la concurrence, de la régulation marchande et de la limitation de l’intervention publique. On passe ainsi de l’échange (de volontés supposées libres) à la concurrence libre et non faussée érigée en principe constituant. C’est ce qu’ont fait les traités Européens, de Maastricht au TSCG en passant par celui de Lisbonne et leur interprétation par la Cour de Justice de l’UE. C’est ce que l’Allemagne a obtenu pour prix de son acceptation de l’Euro. L’Etat doit faciliter, sans jamais s’imposer au marché, des arrangements institutionnels dépolitisés ; d’où l’inflation normative que l’on sait. La promotion de la concurrence ne débouche donc pas sur le « laisser-faire »,   mais sur la nécessité d’une « gouvernementalité active » sur le modèle de l’entreprise (la «gouvernance » des eurocrates). Cette vision sous-entend une complète inversion de la doxa libérale: la question n’est plus de savoir comment limiter l’Etat au nom des mécanismes du marché mais comment le faire exister par le marché. Ce n’est plus  l’Etat minimum mais l’étatisation à partir de l’économie qui est l’enjeu principal. La liberté économique peut ainsi devenir une nouvelle souveraineté politique excluant toute politique économique conjoncturelle des Etats. C’est de cela que l’UE est devenu le nom et l’Allemagne le prophète.
Il est donc difficile, et c’est le deuxième sujet, d’imaginer un gouvernement économique démocratique, vieille revendication lancée il y a vingt ans par Pierre Bérégovoy, reprise maintenant par François Hollande avec l’institutionnalisation de l’Eurogroupe doté d’un président permanent (son fondement démocratique relevant de l’initiative problématique du Parlement européen). Ce type de gouvernement est resté jusqu’ici lettre morte par ce qu’il se brise inévitablement sur la règle de l’unanimité et surtout par la contrainte du « 3° pilier » du traité de Maastricht qui soumet les politiques publiques à l’exigence de réformes structurelles. C’est ce que vient de rappeler la Commission (dans son document du 29 mai) en application pure et simple de l’article 7 du Traité TSCG ratifié par les socialistes en octobre dernier. En accordant un sursis à la France pour réduire son déficit supérieur à 3% du PIB, la Commission préconise en échange une réforme sans délai du marché du travail et des retraites, d’un élargissement de la mise en concurrence des services publics et des professions « protégées », d’un allègement de la fiscalité des entreprises. Cela suppose d’accepter la perspective d’une diminution des salaires, des prestations sociales et 15% de chômeurs en 2015.
L’accomplissement de ce processus devenant irréversible est à l’horizon d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis que la Commission voudrait conclure à marche forcée d’ici 2014. Il permettrait selon elle un gain de 0,5 à 1,5% de croissance par an ; sauf qu’il ouvrirait la voie à « un partenariat de tous les dangers » (voir le billet du 22/04/13 de Françoise-Elisabeth Delcamp ici-même). En effet, les Etats-Unis ont appris depuis 1933 à l’orée du New Deal à se prémunir avec l’American Buy Act relancé par Obama dès 2009 contre la concurrence extérieure nourrie de dumping social et fiscal. Un exemple : les Etats-Unis ont introduit depuis 2012 des droits de douane à 250% sur les panneaux photovoltaïques en provenance de Chine alors que l’Allemagne vient de s’opposer à une timide augmentation de ces droits par la Commission de Bruxelles. Quant à la sanctuarisation de « l’exception culturelle », elle fait diversion par rapport à la libéralisation des normes sanitaires, agricoles, salariales et sociales qui sont à redouter.  En fait l’UE, pour sortir de la crise du libéralisme et de la mondialisation qui met à genoux ses Etats et ses peuples, propose d’en rajouter sur ces deux registres avec une nouvelle réduction des limites à la concurrence transatlantique. Le préalable absolu à la mise en chantier d’un tel traité serait donc que l’UE se dote d’une politique commerciale qui soutienne sa politique industrielle et agricole comme l’ont fait les Etats-Unis. Sinon il faut refuser de le négocier.
C’est cette accumulation de règles et de dispositifs mais aussi de traités de type constitutionnel qui fait que « le projet européen peut mourir » comme le soutient Ulrich Beck (« Non à l’Europe allemande » Ed. Autrement. 2013), la radicalisation réactionnaire d’une partie de ses populations devenant un phénomène général. L’UE se réduit à une Association de libre-échange ouverte à tous vents d’une mondialisation supposée heureuse. Les dix Etats membres  qui ne sont pas membres de la zone Euro exercent sur celle-ci une pression univoque jouant de sa fracture nord-sud (la « zone  Deutschemark » contre la « zone Clubmed »). Déjà la déflation salariale s’exerce du sud au nord, de l’Espagne et l’Italie sur la France au prix d’un taux de chômage dans ces pays oscillant autour de 20% . C’est ainsi que la ligne exclusivement monétariste de l’Allemagne, produit d’une histoire nationale et d’une culture politique bien spécifiques, devient la ligne générale ordo-libérale imposée à tout le continent. Le résultat en est, au-delà d’une véritable idéologie de l’austérité, une crise politique et démocratique sans précédent qui exige de repenser entièrement le projet fédéraliste européen. Ce ne peut être un simple réexamen des traités pour aller dans le sens d’un « dépassement fédéral » de type essentiellement budgétaire réclamé par Angela Merkel. Le verrou est bien dans l’Euro qui concentre tous les ingrédients a-démocratiques du système qu’est devenu l’UE (voir J. Sapir, Faut-il sortir de l’Euro ?. Le Seuil, 2012).
 Le remplacement de la monnaie unique par une monnaie commune n’est plus une lubie de quelques nationalistes ou souverainistes. (1)Sa justification  repose sur une refondation stratégique de l’Europe partant de la différence Nord-Sud justement, la France prenant la tête d’une zone euro-méditerranéenne plus performante qu’on ne le croit : le PIB cumulé de la France, de l’Italie et de l’Espagne n’est-il pas de 4800 Milliards d’Euros, alors que celui de l’Allemagne plafonne à 2500 et que l’intégration de son l’hinterland (l’Europe de l’Est pour l’essentiel) est plus que problématique ?. Les relations politiques et économiques de l’Europe du Sud avec le Maghreb (voire le Machrek) sont autrement plus productives et prometteuses. Ce renversement passe par deux voies : une remise en question de la zone Euro et de l’Euro en tant que tel (voir Frédéric Lordon, « Pour une monnaie unique sans l’Allemagne »,   blog Monde Diplomatique, 25-05-13) ; la définition de règles et institutions démocratiques qui ont fait tant défaut à la construction de l’UE depuis au moins le Traité de Maastricht et le rejet du Traité constitutionnel en 2005. Au point où nous sommes arrivés, c’est à cette déconstruction qu’il faut s’atteler pour rendre possible la reprise d’une dynamique fédérative des souverainetés populaires en Europe..."
(Médiapart)
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