Ça va jazzer

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lundi 30 avril 2018

Pauvre Vincent !

Les aventures de Bolloré en Afrique
                                               L'ami de Sarko au frigo?
   Si l'on en croit la presse la plus sérieuse, notre aventurier breton depuis 1981 aurait mis le doigt dans un grand pot de confiture.
    Après des décennies de Françafrique quasi-officielle et fructueuse, depuis les années Foccart, que Sarkozy a annoncé terminées, même au Gabon, d'autres ont pris le relais, à titre individuel; pour des affaires assez fructueuses, s'appuyant sur les complicités locales et des pouvoirs corrompus.
   Mais c'était jouer avec le feu et risquer de se brûler.
Pourtant, le système fonctionnait bien, jusqu'au moment où certains ont lancé: Balance ton port!
   Gros malaise à Canal+ et dans les médias du groupe.
 Mais l'accusé se défend des indélicatesses qu'on lui reproche et évoque une mauvaise chasse aux sorcières.
  Lui, le bienfaiteur de l'Afrique, où s'investit environ 20 % de l'activité du groupe Bolloré, hors intégration récente du géant des médias Vivendi
   L'empire Bolloré, ce n'est pas rien là-bas. Comme ici. Tout empire a sa face cachée.
      Le  « smiling killer » du capitalisme français est sur tous les fronts. Le poker, il adore.
  L'Afrique est devenu son dernier terrain de jeu, après maintes aventures.
  Dans les medias qu'il contrôle, il a toujours le final cut. On est patron ou on ne l'est pas.
  Comme il le disait naguère: Je ne suis pas un investisseur financier, je suis un investisseur industriel. Je dois donc avoir le contrôle de l'éditorial.... 
    Mais qui va arrêter les ardeurs de l'infatigable et ambitieux Breton? Car dans les nouvelles affaires qui le concernent, il a les moyens de faire durer les choses. Jusqu'à l'oubli? Les exemples ne manquent pas.
                            Selon que vous serez puissants ou misérables...
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dimanche 29 avril 2018

Vandalisme ou trumperie?

Mais où est passé le petit chêne?
                                       Le chêne-symbole, qui devait durer par-delà les régimes.

              Un coup dur pour Manuel, le constant Gardener, qui avait mouillé sa chemise.
      Un désaveu du geste pseudo-écologique du patron de la Maison-Blanche?
  Un vol crapuleux de lobbies anti-écolo US?
     Où alors un déssechement rapide de la plantation, de mauvaise qualité?.
     Avant la Ste Catherine, tout bois ne prend pas toujours racine...
     Les rumeurs vont bon train.
       On peut craindre un refroidissement  diplomatique entre Paris et Washington, après le triomphe macronien au Congrès.
             Le FBI est sur l'affaire...
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De tout, un peu

__ Gallica: un monde à explorer.
                                                  Ses archives et notamment Le Petit journal.
__ Fukushima, sept ans après: l’opposition japonaise se mobilise une nouvelle fois pour la sortie du nucléaire.

__ Faut-il détruire les écoles de commerce? 

__ Danger sur l'enseignement des sciences économiques et sociales au lycée.

__ Un nouveau plan banlieue et après ? Le rapport de la dernière chance?...

__ Laïcité en question: la Bavière impose le crucifix dans des bâtiments publics.

__  Chine: une Journée de la Terre sur fond de pollution massive.
             Ce n'est pas l'exploitation massive des terres rares qui va améliorer les choses.

__ ll y a 5.000 ans, des humains pratiquaient la chirurgie crânienne et l'expérimentation animale

__ 66 millions d'emplois menacés par les robots?
                                                            Un débat tronqué.

samedi 28 avril 2018

Terres rares (suite)

Impasse et nouvelles dépendances?
                                 Le problème des terres dites rares, sans lesquelles les nouvelles technologies numériques et leurs multiples applications actuelles et à venir ne pourraient voir le jour et se développer, commence à émerger dans l'espace informatif de manière de plus en plus large, même s'il reste encore largement ignoré.
      Des livres et différentes émissions nous confrontent à un   énorme défi pour l'avenir:
     Avec la COP21, un tournant prétendait être pris pour sortir au plus vite des énergies fossiles pour gagner peu à peu en énergies vertes, comme certains pays en pointe dans ce domaine en donnaient l'exemple, pour une transition énergétique douce.
     Mais s'était-on posé le problème de l'accès à ces matériaux, que l'on trouve en quantité infinitésimale dans le sol, la roche, des traitements lourds et polluants qu'il faut pratiquer pour les extraire, de la commercialisation concentrée dans quelques pays, surtout la Chine, qui détient un quasi-monopole de fait, de la pollution massive que nécessitent leurs traitements et leur éventuel recyclage.
     La demande est exponentiellement explosive que ce soit en matière civile (téléphones portables, notamment)  ou en matière militaire (missiles balistiques, etc...)
   Nous entrons, sans y avoir réfléchi dans de nouvelles dépendances. après avoir laissé la Chine accaparer l'exploitation et le traitement de technologies décisives pour l'avenir.
    Ce que l'on considérait comme "propre" se révèle en fait "sale" et dévoreur d'énergie en amont, comme en aval (retraitement).
   Nous avons fait un pari qui ne pourra être tenu et élargi (voitures électriques, par exemple.)
     Il est temps de prendre la mesure du risque des voies que nous sommes en train de prendre, pour repenser le problème et sortir de nos naïvetés.
   "Rares", ces matériaux le seront de plus en plus et on voit déjà q'en Chine ou en Mongolie les terres rares tuent des villages.
      Un récent papier nous invitait à prendre la mesure de cette question des terres rares, ici et là, que je découvrais seulement, considérant naïvement que le tout-numérique serait notre avenir, ne voyant pas que même une éolienne demande une quantité importante de nouveaux métaux, peu à peu découverts à partir du tableau de Mendeleïev.
      Serait-ce une bombe à retardement, comme titrait le Point?  En tous cas, les aspects cachés du problème émergent peu à peu dans l'esprit des spécialistes et de certains responsables politiques.
  Vers quelles impasses allons-nous arriver à vouloir foncer tête baissés ver ce nouvel eldorado qu'on nous a fait miroiter?
     Difficile à dire. En tous cas, une réflexion s'impose, au niveau mondial, pour dépasser les intérêts commerciaux à court terme, les rapports de force que l'on a laissé s'installer. Une question de souveraineté nationale.
     Plusieurs livres de bon niveau traitent la question assez complètement. J'ai apprécié particulièrement celui de Guillaume Pitron, accessible à tous: La guerre des métaux rares. préfacé par H.Védrine, dont on peut lire gratuitement sur Amazon les importantes premières pages.
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- La face (très) sombre des énergies renouvelables
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vendredi 27 avril 2018

Plantation et plantage

L'arbre reprendra-t-il?
                                 Si oui, quelle longueur auront les racines?
                   On peut douter qu'elle soient très longues, au vu des intérêts divergents, qui ne datent pas d'aujourd'hui.
    Pourtant, Emmanuel ne s'est pas planté à la Maison Blanche et au Congrès.
  Droit dans ses bottes, il a remporté un succès imprévu, avec sa décontraction toute yankee. Avec Angela, ce sera moins flamboyant, c'est sûr.
     Jusqu'à l'excès. Il devrait se méfier. C'est à double tranchant. Et il faut dépasser les apparences médiatiques.
            Pour l'adhésion, c'est autre chose. On a fait beaucoup d'efforts pour être polis.
 __Ce qui restera, c'est le chêne, au-delà des vicissitudes de l'histoire
        Même acheté chez Leaderplant, il a de l'avenir, contrairement aux traités et aux signatures officielles.
               Planter un arbre, c'est pour longtemps. Ce n'est pas pour la galerie. Et quelle symbolique!
Mais après?...
                Faut-il croire La Fontaine, pour qui retourner la terre est prometteur?
        A moins qu' Emmanuel et Donald le Super ne creusent aussi les inégalités.
                 Pour quel avenir?
                            Tout cela reste à creuser...

jeudi 26 avril 2018

Gentils "accompagnateurs"

   C'est le nom qu'on donne parfois à ceux qui sont chargés, au sein d'un groupe, industriel ou de service, de se dévouer pour aller former à l'étranger un personnel destiné à les remplacer.
     Jusqu'où va le sens du sacrifice!

    Pour faire baisser les coûts, car il s'agit toujours de cela.
     Engie délocalise en catimini: Casablanca, Marrakech ou Fès : les salariés du distributeur de gaz et d'électricité Engie  acceptent de se rendre au Maroc et apprécient le soleil, les beaux hôtels et les primes de déplacement. Pourtant, d'une certaine manière, ils enterrent leur avenir : car ils sont volontaires pour former... de futurs collègues marocains. Ceux qui   demain prendront leur emploi.
   On comprend que certains au sein du groupe le vivent mal. Scier la branche sur laquelle on est assis ne se fait jamais de gaieté de coeur: "C'est un vrai problème éthique qui personnellement me rend malade." dit un membre du personnel,  parfois indifférent aux avantages à courte vue que fait miroiter le responsable du projet, profitant du chômage et des bas coûts salariaux du pays du Maghreb.
   Mais ce pourrait être la Pologne , la Roumanie, comme ce fut la Chine; l' île Maurice...Ici ou ailleurs.
  Un mouvement de fond qui affecte une grande partie de l'économie occidentale depuis des décennies.
   Le chantage à la délocalisation continue...
 Les rares relocalisations, qui ne sont jamais philanthropiques, ne ramène que très peu d'emplois.       Priorité à la robotisation.  Sur 10 emplois délocalisés on en crée un seul en relocalisant, affirme-t-on.
   C'est un aspect spectaculaire de la "concurrence libre et non faussée" à l'échelle de la planète.     D'autres le sont moins.
      On a beau répéter que les pouvoirs publics doivent anticiper ce phénomène, qui a emporté le meilleur de notre sidérurgie, presque toute notre industrie textile, a vu le bradage de quelques fleurons nationaux, parfois décisifs comme Alstom. Le pouvoir est inerte, complice, obnubilé par les  règles de l'OMC et des instances libérales de Bruxelles.
   De temps en temps, une voix se lève pour parler de réindustrialisation ou d'investissements dans des secteurs innovants, déjà largement occupés ailleurs. On fait appel à l'intelligence et à la création, mais la formation et les moyens restent en rade. L'innovation, voilà le nouveau Graal.
   Le consommateur ne voit pas toujours le problème, profitant des prix bas, mais aveugle aux conséquences sur le producteur qu'il est aussi.

  D'autres formes de mondialisation sont possibles. Quelques brèches ne suffiront pas.   C'est tout de système qui est à repenser, dans un autre cadre que celui du libéralisme forcené, de la financiarisation à outrance et des abandons de souveraineté. Comme le suggère S Sassen, traçant quelques pistes, comme d'autres économistes non aveuglés par les intérêts qu'ils servent.
  Même le FMI semble atteint de certains doutes. mais Mme Lagarde veut faire porter l'attention sur les pauvres"perdants" de la mondialisation. Son bon coeur la perdra...
     Un diplomate chilien résumait la situation ainsi : "Tout ce que nous avons fait depuis la guerre froide est d’avoir remplacé la bombe nucléaire par une bombe sociale."
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mercredi 25 avril 2018

Albion et ses pauvres...

Pauvreté et indigence en Angleterre:
                                                             Toute une histoire...
   Dans une Union en pleine désunion et sans boussole, Jeremy Corbyn va-t-il, peut-il changer la donne? Teresa n'en peut May.
    Pour l'instant, les Conservateurs sont en crise et le Parti travailliste de Corbyn en plein essor
          Bientôt à Downing Street?   Rien n'est joué.
  Le problème n'est pas seulement politique, la question sociale est un vrai problème. Si le chômage a officiellement reculé, la précarité s'est imposée un peu partout. Une stratégie contre le chômage qui a fait bondir le nombre de travailleurs pauvres. Les banques alimentaires ne se sont jamais si bien portées.
    Les contrats zéro heure font un bond en avant.
 Bref, un petit paradis libéral, où les inégalités se creusent toujours plus. Beaucoup n'en ont aucune idée.
   La caméra de Ken Loach en a suggéré certains aspects.
      Le Royaume Uni a déjà une longue expérience historique dans le management et la législation sur les pauvres, depuis les débuts de l'industrialisation:
                                        ....Les lois sur les pauvres ont existé depuis longtemps en Angleterre, puisque William Quigley [5] les fait remonter au Statute of Laborers de 1349 [6]. Elles ne seront vraiment abolies qu’en 1948 avec le National Assistance Act. Mais on peut commencer ce survol avec les lois promulguées par la reine Elisabeth: la «loi pour l’aide aux pauvres» (Act for the Relief of the Poor) de 1597 et surtout, deux ans avant sa mort, le Poor Relief Act de 1601 [7].
       Son premier objectif est de «mettre au travail tous les enfants que leurs parents ne seront pas en état d’élever, ainsi que toutes personnes, mariées ou non, qui n’ont ni ressources ni gagne-pain». Ces emplois seront financés par «une taxe sur tous les habitants et propriétaires terriens de la paroisse, destinée à leur permettre de se procurer le lin, le chanvre, la laine, le fil, le fer et toutes autres matières premières pour faire travailler les pauvres.» Une autre partie de ces ressources sera consacrée à l’assistance aux «boiteux, handicapés, vieillards, aveugles, et de manière générale à tous les pauvres inaptes au travail.
     L’assistance aux «pauvres» (indigents, chômeurs, mendiants, voleurs et vagabonds) est mise à la charge des 15 000 paroisses (parish) d’Angleterre et du Pays de Galles. C’est un point important: il s’agit de fixer les vagabonds et l’Act of Settlement de 1662 (loi du domicile) viendra durcir cette règle. Adam Smith en montrera toute l’injustice et l’absurdité: «il n’existe pas en Angleterre un seul pauvre ouvrier, parvenu à l’âge de quarante ans, qui n’ait eu à éprouver, dans un moment ou dans un autre de sa vie, des effets excessivement durs de cette oppressive et absurde loi du domicile [8]». Plus tard, Karl Polanyi [9] parlera de «servage paroissial» (parish serfdom).

Une image (idéalisée) de la St James Workhouse, Londres, vers 1800
Toutes les lois sur les pauvres se sont accompagnées d’une volonté classificatoire. C’était déjà le cas avec la loi de 1601 qui prenait grand soin de distinguer trois catégories de «bénéficiaires». Les impotents incapables de travailler (handicapés, boiteux, aveugles et vieillards) sont accueillis dans des hospices ou dans des orphelinats. Les vagabonds et les pauvres clairement identifiés comme fainéants (idle poor) doivent être détenus dans des maisons de correction ou en prison. Restent les pauvres physiquement aptes (able-bodied) qui peuvent être mis au travail dans un atelier de travail (House of Industry). Mais, au moins au début, l’aide est dans la mesure du possible apportée à domicile, éventuellement sous forme de matières premières: «lin, chanvre, laine, fil, fer et autres articles nécessaires» comme le précise la loi de 1601.
    Les lois ultérieures modifieront la nomenclature des pauvres. Ainsi le Poor Relief Act de 1722 établit des «maisons du travail» (workhouses) et réserve l’assistance aux seuls pauvres qu’y acceptent d’y entrer. La distinction est ainsi établie entre l’assistance fournie à domicile (outdoor relief) et l’assistance conditionnée à la présence dans la workhouse (indoor relief). Elle sera renforcée en 1782 par une nouvelle loi, le Gilbert’s Act qui réserve les maisons de travail aux seuls vieillards et impotents.
         Pauvreté et indigence
     Cette volonté classificatoire est sous-tendue par une distinction fondamentale, entre indigence et pauvreté. Elle sera théorisée par Patrick Colquhoun, un disciple de Jeremy Bentham (et par ailleurs responsable de la police de l’Est londonien). Il y aurait d’un côté les pauvres qui reçoivent un faible salaire et d’un autre côté les indigents: cette typologie montre que les catégories de pauvres et de chômeurs se recouvrent en partie.
Pour Colquhoun, «la pauvreté est un ingrédient nécessaire et indispensable à la société, sans lequel les nations et les communautés ne pourraient pas exister dans un état de civilisation. (…) Sans pauvreté il n’y aurait pas de travail, et sans travail il ne pourrait y avoir aucune richesse, aucun raffinement, aucun confort.» Il s’agit donc ici d’une «pauvreté laborieuse» constitutive du statut de travailleur, et bénéfique. L’indigence est autre chose: «c’est l’état de quiconque est dépourvu des moyens de subsistance, et est incapable de travailler pour l’obtenir» et «c’est donc l’indigence et non la pauvreté, qui est le mal [10].» Et l’indigence est condamnable moralement comme «l’une des plus grandes calamités qui puisse affliger la société civile, puisque, à quelques exceptions près, elle engendre tout ce qui est nocif, criminel et vicieux dans le corps politique [11].»
Bentham et la gestion privatisée de la pauvreté
     Colquhoun était un disciple de Jeremy Bentham, le théoricien de l’utilitarisme qui est aussi connu dans le monde francophone – grâce à Michel Foucault [12] – pour son projet de prison idéale, le panoptique. Mais Bentham ne se bornait pas à soupeser «les peines et les récompenses» et partageait le pessimisme social de son disciple: «Dans le plus haut état de prospérité sociale, la plus grande masse des citoyens n’aura d’autre ressource que son industrie journalière, et par conséquent sera toujours à côté de l’indigence, toujours prête à tomber dans ce gouffre [13].» Bref, les pauvres sont utiles et il y en aura toujours.
     Tous les écrits de Bentham sont marqués par une manie classificatoire (sans doute liée à sa formation de juriste) qui le conduit à dresser un tableau détaillé des candidats à l’assistance [14]. Il distingue d’un côté les facteurs individuels (infirmité, âge, inaptitudes provisoires – sauf le décès – et refus du travail de la part des «mains paresseuses») et de l’autre les «conditions externes» (perte d’emploi, impossibilité d’accéder à l’emploi, perte de propriété). Rien n’est laissé au hasard: ainsi, parmi les handicapés mentaux, Bentham distingue les idiots (idiots «absolus» ou simples d’esprit) et les lunatiques qui se décomposent à leur tour en lunatiques légèrement atteints, espiègles, méchants, délirants ou mélancoliques.
     En 1796, Jeremy Bentham publie un grand projet [15] pour la «gestion du paupérisme». Le titre anglais (Pauper Management) illustre bien la distinction entre les pauvres (poor) et les indigents (pauper). Le plus frappant dans ce programme est qu’il entend privatiser le système mis en place par les lois sur les pauvres: Bentham propose la création d’une «compagnie nationale de charité» (National Charity Company) qui prendrait en charge la construction d’une chaîne de 250 «maisons d’industrie» pouvant accueillir chacune environ deux mille personnes. Elles seraient structurées selon le même plan que la prison «panoptique» (un plan suggéré par son frère Samuel, qui était architecte) conformément au fier principe selon lequel «plus nous sommes strictement surveillés, mieux nous nous comportons» (the more strictly we are watched, the better we behave) [16].
    L’esquisse de Bentham fournit un nouvel exemple de son souci névrotique des détails. Pour ne prendre qu’un exemple, voici comment il décrit les conduits d’aération de la future maison: «soupirail de forme ronde, couvert d’un abat-jour, et percé depuis le haut jusqu’en bas, excepté aux endroits où se trouvent l’escalier et les deux étages de la galerie environnante [17].»
   Mais le plus intéressant est sans doute le modèle économique de la future compagnie. Elle serait fondée sur des «principes mercantiles» et gérée sur le modèle de la Compagnie des Indes orientales, avec à sa tête un conseil d’administration élu par les actionnaires. Le financement proviendrait en effet des ressources tirées de la taxe pour les pauvres et du produit du travail fourni par les «résidents», mais aussi d’un capital «levé par souscription.» Les gestionnaires des maisons devraient être intéressés aux résultats, parce que, selon Bentham, «tout système de gestion fondé sur le désintérêt, prétendu ou réel, est pourri (rotten) à la racine, susceptible d’une prospérité momentanée au départ, mais assuré de périr dans le long terme.»
  Un libéralisme despotique
       Bentham revendique de surcroît le pouvoir «d’appréhender toute personne, valide ou non, n’ayant ni biens visibles ou cessibles, ni moyens de subsistance honnêtes et suffisants, et de les détenir et les employer jusqu’à ce qu’elle trouve un employeur.» Il y a là, semble-t-il, une contradiction entre le libéralisme de Bentham et cette mesure coercitive. Mais la contradiction n’est qu’apparente et la clé a été fournie par Michel Foucault quand il écrit que «l’exercice du pouvoir consiste à “conduire des conduites” et à aménager la probabilité [18].»
Christian Laval explicite cette formule très synthétique de la manière suivante: «la proximité de Foucault et de Bentham tient au fait que, chez l’un et chez l’autre, la relation de pouvoir ne se limite pas à une action directe d’un individu sur un autre, mais qu’elle est pensée aussi comme une façon plus indirecte et diffuse d’influencer autrui par la mise en place d’un cadre fait d’incitations et de désincitations à l’intérieur duquel l’individu doit calculer “librement”[19].»
      Cette remarque pointe un des aspects essentiels du néo-libéralisme: contrairement à une conception naïve, ce dernier ne se caractérise pas par un désinvestissement de l’Etat, mais par une intervention qui tend à modeler le cadre dans lequel s’exercent les choix individuels. Cette intervention s’exerce notamment sous la forme d’un «guidage» des comportements individuels par l’utilisation des leviers dont dispose la puissance publique. Ainsi, la «peine» associée à la réduction des allocations allouées aux chômeurs ou aux sanctions qui leur sont infligées vont les «désinciter» à s’installer dans le «confort» des «trappes à inactivité» et donc les «inciter» à accepter un emploi en baissant leurs exigences. Mais ils restent «libres» de leur choix. De la même manière, la baisse des impôts sur le capital va «inciter» les détenteurs de capitaux à les rapatrier en fonction d’un calcul comparant les coûts et avantages (les «plaisirs et les peines»); mais là encore, ils sont libres de ne pas le faire.
    Beaucoup des politiques de l’emploi actuelles, sinon toutes, sont fondées sur des études et des pratiques qui évoquent celles des entomologistes. En plaçant des obstacles (peine) ou des récompenses (plaisir) ces derniers observent comment est modifié le «libre choix» des fourmis confrontées à ces (dés-)incitations. Et le dispositif d’observation des entomologistes est «panoptique», comme l’est aussi celui des économètres de l’emploi. L’héritage de Bentham est donc bien présent au sein de pratiques très contemporaines, même si elles ne vont pas aussi loin que ses recommandations qui s’apparentent à une forme de totalitarisme très peu respectueux des libres individualités.
    Les projets de Bentham en ce qui concerne les enfants sont assez effarants. Comme il l’écrit lui-même, son plan serait «incomplet si la génération montante en était exclue.» C’est pourquoi il prévoyait que les enfants nés dans les maisons d’industrie (la «génération montante») devraient y rester, de telle sorte qu’au bout de 21 ans, leur population («la classe indigène») aurait doublé et conduirait à la construction de 250 nouvelles maisons. Ces dernières accueilleraient donc un million de personnes pour une population évaluée à 9 millions. Notons au passage que cette augmentation souhaitée de la population allait à l’encontre des thèses de Malthus.
   Les enfants devraient être mis au travail, car Bentham n’y voit aucun inconvénient: «j’ai entendu dire qu’il y avait un peu de cruauté à enfermer les enfants dans une manufacture, surtout à un âge tendre. Mais à moins d’un confinement inutile, il n’y a pas de cruauté dans cette situation; la cruauté serait de ne pas le faire.»
   A son époque, les enfants pouvaient travailler à partir de 14 ans et Bentham pensait sans doute qu’ils pouvaient commencer à le faire à partir de 4 ans, pour éviter de perdre dix ans: «dix précieuses années où rien n’est fait! Rien pour l’industrie! Rien pour le développement, moral ou intellectuel [20].»
    Les enfants ne pourraient parler avec leur père qu’en présence «d’un officier ou de deux ou trois tuteurs plus âgés», afin de les «préserver de la corruption». De manière générale l’objectif de Bentham est d’inculquer aux enfants les sains principes d’une «frugalité systématique.» Et leur éducation aussi devrait être «frugale.»
Dans un manuscrit, Bentham applique son fameux calcul utilitariste des peines et des plaisirs [21] (pains and pleasures) à l’éducation des enfants et explique pourquoi elle devrait être minimale: «Les exercices de l’esprit ont un désavantage particulier», parce qu’ils impliquent «des peines et seulement des peines» et qu’il faut attendre longtemps avant qu’ils procurent «quelque chose qui ressemble au plaisir.» La poésie n’est que «tromperie débitée au mètre»; l’art oratoire une «tromperie visant à l’exaltation»; la philosophie, «absurdité et chicanes sur les mots». L’étude des langues fait passer les mots avant les choses et l’histoire «ne sert à rien sauf aux hommes politiques».
  La «colonie domestique» des maisons d’industrie aurait dû procurer à Bentham un autre «plaisir»: celui d’en être le maître d’œuvre et le dirigeant. Mais son «utopie» (c’est le terme qu’il emploie à propos de son projet) tournera court, comme celui qu’il caressait à propos de sa prison panoptique. C’était d’ailleurs dans son esprit un seul et même projet puisqu’il parlait des deux branches du Panopticon: la «branche prison» et la «branche indigents» (pauper branch).
    Peu de temps avant sa mort, Bentham réglera ses comptes avec George III qui avait fait obstacle à son projet de prison. Il rédige un livre (qui sera édité en partie à tirage confidentiel), au titre étonnant: Histoire de la guerre entre Jeremy Bentham et George III par l’un des belligérants. Bentham y exprime tout son ressentiment: «Sans George III, tous les prisonniers du pays auraient, il y a longtemps, été sous ma responsabilité. Sans George III, tous les prisonniers en Angleterre auraient, il y a des années, été sous ma direction.»
    On présente souvent les côtés progressistes de Bentham en matière de mœurs et c’est après tout le fondateur de l’utilitarisme qui est l’une des sources de l’économie dominante. Quand son principe de base – le calcul des peines et des plaisirs – est appliqué au travail, on constate que les individus cherchent à obtenir le maximum de ressources au moindre coût. Par conséquent, les systèmes d’aide aux pauvres doivent être minimalistes afin de les inciter au travail: sinon, ils seraient incités à l’oisiveté. Le même raisonnement fonde aujourd’hui le discours sur les mérites de «l’activation des politiques d’emploi»: il faut introduire un différentiel entre les prestations sociales dont bénéficient les chômeurs et le revenu d’un salarié du bas de l’échelle.
    Bentham va plus loin et illustre les possibles dérives de l’utilitarisme, avec ses abominables projets consistant, ni plus ni moins, à enfermer près d’un dixième de la population dans des conditions indignes. Si l’on y ajoute sa cupidité (mal assumée), sa névrose classificatoire et sa boursouflure, on arrive à un portait odieux, à tel point que des auteurs libéraux ont pris soin de se démarquer d’un auteur qualifié de «despotique, totalitaire, collectiviste, behavioriste, constructiviste, panopticiste [sic] et paternaliste [22].»
    Pour avoir une idée complète du personnage, il suffit peut-être de consulter son autoportrait (son épitaphe?) consignée dans une note du 16 février 1831, un an avant sa mort: «J.B. [Jeremy Bentham] le plus philanthropique des philanthropes: la philanthropie comme fin et instrument de son ambition. De limites, il n’en a pas d’autres que celles de la terre [23].»
   Enfin Bentham est aussi, d’une certaine manière, un précurseur du transhumanisme. Dès l’âge de 21 ans, il rédige un premier testament qui offre son corps à la science [24]. Quelques mois avant sa mort, ses dernières volontés vont encore plus loin: cette fois il demande à être intégralement momifié et transformé en «auto-icône [25]». Il aura ainsi fait «une contribution au bonheur humain, plus ou moins considérable» et souhaite que son exemple soit suivi par d’autres afin «d’éveiller une curiosité vertueuse» et de créer «des musées entiers d’auto-icônes.» Pour la petite histoire, la tête, un peu ratée, sera remplacée par une figure en cire, mais cette dernière et l’ensemble de la momie dûment vêtue et assise sur un fauteuil seront exposés à l’University College London.
   Dans un article récent du Guardian, Jeremy Seabrook, par ailleurs auteur d’un passionnant ouvrage sur la pauvreté [26], souligne avec ironie que «les pauvres ont souvent été convoités par les entreprises, car ils représentent un groupe apparemment durable dans la société, dont il doit sûrement être possible, d’une manière ou d’une autre, de tirer des profits.» C’est chose faite en Angleterre, où ce sont des entreprises privées qui sont chargées de surveiller les condamnés placés sous surveillance électronique, mais aussi de repérer les «faux chômeurs.» Pour Seabrook, il ne s’agit pas d’une approche «innovante» de la pauvreté. Ce mode de gestion ne fait que s’inspirer d’un «passé punitif» qu’il fait justement remonter à Bentham: «moins d’une personne sur cent est incapable de tout emploi. Pas un mouvement d’un doigt, pas un pas, pas un clin d’œil, pas un murmure qui ne puisse être sollicité en vue d’un profit» écrivait-il dans Pauper Management Improved.
   L’idée a traversé la Manche et est arrivée en France. Les centres Pradha (programme d’aide à l’hébergement des demandeurs d’asile) seront gérés par une filiale de la Caisse des dépôts sous contrôle du ministère de l’Intérieur, et en partie financés par le privé, grâce à un fonds d’investissement dédié [27]Et ce rude précepte a été pris au pied de la lettre par Atos, l’une des entreprises privées sous-traitantes chargées de faire le tri entre les «employables» et les autres. Elle a réussi à classer aptes à l’emploi des personnes en phase terminale, dont certaines sont mortes quelques jours après avoir été déclarées employables.
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mardi 24 avril 2018

Questions du jour

__ Pour l'honneur?
          Ils sont légion à l'avoir reçue, souvent pour des raisons assez floues, voire discutables.
  Cela mérite qu'on s'interroge sur ce hochet de la République.
   Devenu un banal outil d'influence, on comprend que certains aient pu le refuser.
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__ Les lois sur l'immigration font grincer bien des dents.
          Des gens à envoyer à la poubelle?
    Même certains ne marchent plus, comme Jean-Michel Clément: "La loi asile-immigration de Collomb sera plus répressive et ne va rien régler":
               Non, vraiment rien.
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 ___    Netanyahou, en difficulté, se crispe un peu plus.
                           Le dernier rapport de Amnesty International  concernant en autres la situation à Gaza ne risque pas de calmer l'ultra-droite. L'Israëlien Gideon Levy ne mâche pas ses mots
  Il ne fait pas bon critiquer la ligne actuelle du régime. Certains, Juifs ou non juifs, l'apprennent à leurs dépends. Comme Nathalie Portman.
  Un débat le plus souvent piégé, où l'instrumentalisation continue, critiquée à l'intérieur comme à l'extérieur, par des Juifs eux-mêmes..
     Parfois au plus haut niveau.
             Le dernier Manifeste ajoute à la confusion, oubliant que la discrimination, pas seulement des Noirs et des arabes, existent en Israël.
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lundi 23 avril 2018

Secret des affaires...

...Et affaires secrètes                                               
.                                          Personne n'a à y mettre son nez.
 Sauf que...il y a affaires et affaires..
     La notion de secret des affaires recouvre des aspects variés et parfois contradictoires.
       Le risque est grand quand on l'invoque de tout mélanger: le légitime et le moins légitime.
  Il est nécessaire de répéter qu'un certain nombre d'affaires d'Etat ne doivent pas, du moins pour un temps, devenir publiques et exigent même parfois un secret absolu. Certains secrets d'Etat ont leur valeur. Comme dans certaines dispositions secrètes dans la lutte antiterroristes, certaines négociations diplomatiques cruciales...A condition que ces dits secrets ne servent pas d'alibis à certaines pratiques privées qui n'ont rien à voir avec l'intérêt général ou à des manoeuvres discutables et des pratiques douteuses...     
   De même pour les secrets industriels de fabrication et de pratiques des entreprises, dont il faut préserver le contenu contre intrusions, espionnages et piratages, dans un contexte de concurrence non faussée..
   Mais il est des pratiques dans le domaine économique qui nécessitent d'être portées au grand jour, pour un fonctionnement plus normal, plus légal des affaires. Il est sain de pouvoir dénoncer pratiques douteuses, ententes sur les prix, corruptions, etc...
Les journalistes sont  contre la loi, telle qu'elle est. contre l'omerta sur certaines pratiques frauduleuses internes ou externes de certains groupes financiers ou industriels. Il importait de faire la lumière sur certaines pratiques bancaires génératrices de crises, de certaines firmes dont les produits sont nocifs à la santé, etc.  Les victimes de l'amiante, notamment, apprécieront. Les exemples surabondent.  Informer n'est alors  pas un délit. C'est souvent le contraire.
  Les lanceurs d'alerte désintéressés, intérieurs ou intérieurs, se révèlent souvent nécessaires pour mettre à jour certaines pratiques déloyales ou frauduleuses, parfois savamment voilées.  La loi est une une menace pour eux. Pour nous. Pour l'intérêt général. Surtout quand le Sénat durcit le texte.
La loi des plus forts risque fatalement de s'imposer sur des plans hautement sensibles.
      C'est là toute l'ambiguïté de la directive sur le secret des affaires.
   Au sens strict, sans cela, pas de Panama papers, pour ne citer que la dernière affaire mise à jour.
 On comprend donc les réticences et les oppositions devant un texte vague ou biaisé, favorables à certains milieux où l'on préfère la chape de plomb à la lumière trop crue. 
      Telle qu'elle était déjà, la directive sur le secret des affaires menaçait les lanceurs d'alerte:
 ...Michel Barnier, le commissaire au marché intérieur de l’époque, s’est laissé convaincre et a proposé, en novembre 2013, une directive sur le secret des affaires, une législation a minima qui autorise les Etats à aller plus loin s’ils le souhaitent. Ce projet ayant été largement inspiré par des cabinets d’avocats grassement rémunérés par les multinationales, comment s’étonner que sa première version permettait d’interdire aux journalistes de faire leur métier et de baillonner les lanceurs d’alerte ? En effet, le « secret des affaires » aurait concerné l’ensemble de la société et plus seulement les concurrents commerciaux : « de facto, on passe d’un cadre juridique de concurrence déloyale à quelque chose qui se rapproche de la propriété intellectuelle, sur le modèle américain où le secret des affaires en est une catégorie », explique Martin Pigeon de Corporate Europe Observatory: « l’intention concurrentielle n’est plus requise ».
       Les alertes dites "éthiques" risquent d'être sérieusement entravées, vois réprimées.
           Les hommes qui en savaient trop sur certaines affaires doivent être protégés.
     La loi française a un peu progressé sur ce sujet, et reste équivoque et parfois contradictoire.
 Malgré la volonté de création d'un statut unique de protection de tous les lanceurs d'alerte, le dispositif pénal était vague et formel. Il l'est maintenant beaucoup moins...
    Le Conseil d'État a émis un avis défavorable jeudi dernier au dispositif de «convention de compensation d'intérêt public» (CCIP) aussi appelé «transaction pénale». La mesure a donc été retirée de la loi Sapin 2. Cette proposition très symbolique, entendait permettre aux entreprises soupçonnées de corruption de payer une amende -plafonnée à 30% de leur chiffre d'affaires moyen sur les trois dernières années-, sur le modèle américain du «plaider coupable», plutôt que de s'engouffrer dans des procédures judiciaires lourdes, longues et qui n'aboutissent jamais à des sanctions en France.
      Il reste bien du chemin à faire pour progresser contre la pression des lobbies et ne pas tomber dans la répression légale, comme aux USA, dans l'affaire Bradley Manning, qui nous apprend beaucoup sur la justice militaire américaine et le droit à l'information. 
        "...Toute cette affaire, tant le déroulé du procès que le verdict, inquiète de nombreuses associations. Pour l’ACLU, « il semble clair que le gouvernement cherche ainsi à intimider quiconque ayant en tête de révéler des informations de grande valeur dans le futur ». Même son de cloche chez Reporters sans frontières, déclarant que « le verdict sert d’avertissement à tous les lanceurs d’alerte, contre lesquels l’administration Obama est en train de mener une offensive sans précédent, en ignorant l’intérêt public de leurs révélations » (ici). 
« Cela menace aussi le futur du journalisme d’investigation, qui risque de voir sa source s’assécher », poursuit l’association. Elle estime que Manning a révélé de « graves abus » commis sous l’administration Bush, en témoigne la vidéo montrant un hélicoptère de l’armée américaine ciblant et tuant une douzaine de personnes dont deux photographes de l’agence Reuters, en 2007, rendue publique par WikiLeaks en avril 2010..."
              L'information est un combat.
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