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lundi 24 mars 2014

Syrie: religions instrumentalisées

  Guerre de religions
                               Non.  D'abord affrontements (géo)politiques.
                                                                                                    Que la religion serve souvent d'alibi, de justification ou de couverture dans certains conflits n'est pas pour étonner.
    Qu'on l'utilise pour légitimer un pouvoir ou une intervention militaire n'est pas non plus inédit.
         C'est une pratique très ancienne et les exemples contemporains abondent, de l'Irlande, des Balkans au continent indien, depuis les origines du christianisme, de Constantin à Bush, selon des modes historiquement et culturellement variables. Quelle que soit la religion.
  La Syrie n'échappe pas à la règle, de manière d'autant plus exacerbée que le régime se sent menacé dans son existence même, bunkerisé dans un espace réduit. .
  Derrière les revendications religieuses des diverses parties engagées se dessinent de puissants intérêts économiques et géopolitiques, des  rapports de force.
                   De la tragédie syrienne ne nous parviennent toujours que des échos brouillés, des informations parcellaires, une vision tronquée.
   Dans ce drame humain qui s'éternise et qui paralyse les grandes puissances, comme tétanisées par l'ampleur des conséquences régionales possibles d'une intervention, ne se joue pas seulement la loi des armes en tous genres, mais aussi une guerre de l'information, menée par un régime aux abois, qui fait feu de tout bois, agitant l'épouvantail de l'extremisme sunnite.
    En Syrie, ce concentré de minorités (1), l'instrumentalisation de la religion  fait partie de ces moyens, le clan Assad et ses proches se revendiquant alaouites. 
Les mobiles religieux occupent l'avant-scène, alors qu'avant ils n'avaient qu'une place mineure (*), mais il est important de démasquer les intérêts qu'ils recouvrent, même si la religion apporte sa part de radicalité dans la violence, en ravivant des conflits anciens, dont beaucoup ont perdu la mémoire.
     Sous le mandat français, on avait déjà commencé à jouer la carte de la division, pour mieux assoir le pouvoir en place: "... Ce sont les Français, lorsqu'ils ont établi un mandat colonial sur la Syrie en 1920, qui ont établi un territoire autonome alaouite sur la côte, autour de Lattaquié, et poussé les alaouites à s'engager massivement dans l'armée. Les Français avaient déjà une connaissance suffisante de l'islam et de ses divisions pour pouvoir l'instrumentaliser. C'est à peu près à cette époque qu'on constate l'entrée massive des minorités, non seulement alaouites mais aussi chrétiennes, au sein de l'armée syrienne..."
        Selon Sabrina Mervin, "Ce qui est déterminant, c'est surtout la division de l'opposition – et maintenant des pays qui la soutiennent – alors que le camp pro-Asad reste soudé. Il faut se méfier des effets d’image : on peut croire au premier abord que le conflit syrien est une guerre sunnite/chiite, quand on voit la mobilisation du Hezbollah ou bien des miliciens chiites étrangers qui sont, à ce qu’il semblerait, plus nombreux qu’on ne l’imaginait. Mais cet aspect confessionnel n’était pas présent à l’origine de la révolution dans les revendications de l’opposition, de même qu’il était absent de la société syrienne elle-même. Le régime syrien a été le premier à mettre de l’huile sur le feu pour instrumentaliser la question religieuse à son profit.
Analyse
     Les sources de conflit sont multiples, et les lignes de fracture, à la base, politiques. Il ne s’agit donc pas d’une fracture entre sunnites et chiites ou entre musulmans et chrétiens, mais d’un rejet des populations de différentes formes de régimes autoritaires dans la région : Syrie, Bahreïn, Irak, Yémen… Chaque situation est particulière. Ces pays étant pluriconfessionnels, aux problèmes politiques, économiques et sociaux qui constituent le corps des revendications, s’ajoute le jeu des relations entre minorité et majorité au pouvoir. Ces relations ne sont pas déterminantes à la base, mais elles ont envenimé les choses aux niveaux local et national parce qu’elles se sont conjuguées à des alliances régionales établies par les différents protagonistes. Ainsi, pour schématiser, on a vu d’un côté des groupes chiites alliés à l’Iran et des groupes sunnites alliés aux monarchies du Golfe. La guerre froide qui oppose (en fait depuis 1979, avec des hauts et des bas) l’Arabie saoudite et l’Iran, chacun visant l’hégémonie politique sur la région a fait le reste – sans parler des enjeux économiques, notamment liés au pétrole...
    Cette « fracture »...ne se manifeste que parce qu’elle est entretenue par des intérêts politiques – aujourd’hui ceux des monarchies du Golfe, particulièrement. On se souvient toutefois que l’idée du « Croissant chiite » a été lancée par des dirigeants arabes, le roi Abdallah de Jordanie et Hosni Moubarak, après l’invasion de l’Irak en 2003 et l’accès au pouvoir (par les urnes, parce qu’ils sont majoritaires) des chiites dans ce pays. Les dirigeants sunnites craignaient une montée en puissance du chiisme dans la région et voyaient les chiites comme la cinquième colonne d’un Iran tirant toutes les ficelles.
Les soulèvements des populations et, surtout, le travail d’instrumentalisation, de manipulation, d’endoctrinement, etc., qui a été fait par certains protagonistes dans les conflits qui s’ensuivirent, ont ranimé cette « fracture ». C'est bien sûr le fait des pays du Golfe, avec les groupes islamistes sunnites issus des mouvances Frères musulmans ou salafiste. Mais aussi, il ne faut surtout pas l’oublier, le régime syrien lui-même, qui a habilement manœuvré pour "confessionnaliser" le conflit, semer le chaos dans le pays, faire passer les vrais enjeux au second plan, et réussir à se faire admettre comme la seule solution aux yeux de la diplomatie internationale pour éviter la destruction totale du pays – ce qui est un comble...
  Le problème, encore une fois, est politique, et le religieux est instrumentalisé. Alaouites, chiites et sunnites peuvent tout à fait vivre en bonne intelligence. Mais les divergences doctrinales ont été exacerbées pour stigmatiser les alaouites parce que Bachar al-Assad est alaouite et s’emploie à s’appuyer sur son groupe, à le lier indéfectiblement à lui, à le confisquer selon la logique qu’avait déjà relevée Michel Seurat (sociologue et chercheur au CNRS, enlevé et assassiné au Liban en 1986) : « Tu es avec Assad, tu es avec toi-même. »
Que ce soit pour les alaouites ou pour tous les autres, chiites, sunnites, chrétiens, les replis sur son groupe (religieux, local), les crispations identitaires sont le fruit de la peur, la peur de se retrouver seul et de ne pas pouvoir se défendre qui a été entretenue par une politique de terreur..."
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(*)-"... C’est (donc bien) parce que le gouvernement a tout fait pour monter les minorités les unes contre les autres ou contre les sunnites que sont apparues des divisions et des haines qui n’existent pas en temps normal. 
Un article du 10 décembre sur le blog “Un oeil sur la Syrie” parle d’un groupe d’anciens du lycée franco-arabe : “Dans les années 1950, ces quatre jeunes Syriens se côtoient sous le préau du lycée franco-arabe. De cette époque mouvementée, ils gardent pourtant un souvenir lumineux : celui d'une communauté indissoluble, métissée - car le lycée accueille aussi bien des chrétiens que des sunnites, des alaouites, des juifs, des Kurdes et même quelques étrangers -, mais vierge de toute barrière confessionnelle. " Personne ne demandait à l'autre de quelle religion il était, se remémore Samir Abdulac, sur un ton rêveur.” 
 Quand vous rencontrez quelqu'un en France, ça ne vous viendrait même pas à l'idée de lui demander de quelle religion il est. Hé bien c'est la même chose en Syrie, les syriens se considèrent d'abord comme des syriens, ensuite comme des arabes, c'est à dire de culture, de langue et de tradition arabes. C'est nous occidentaux qui depuis l'"Orientalisme" du XIX° siècle séparons les populations du Moyen Orient en diverses minorités, en différentes religions, peut-être pour mieux les asservir? Le fait de monter des minorités les unes contre les autres a toujours fait partie des tactiques d'asservissement des colonialistes. Et c'est exactement la politique qu'utilise Bachar al Assad depuis le début de la révolution pour essayer de se maintenir en place... "
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