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lundi 8 septembre 2014

Peopolitique d'aujourd'hui

Autant en emporte le vent...
                              Comme feuilleton de fin d'été, on pouvait attendre mieux  que ce Harlequin à l'Elysée.
        En parler ou ne pas en parler?.. On en parle.
 Des libraires ne lui disent pas merci 
   Des libraires, eux, en ont parlé, à leur manière, non sans humour, quitte à perdre quelques euros.
      La meilleure réponse à cette non-oeuvre,  c'est pour eux  silence et dérision.
    Un non-livre donc. Un livre dont on peut se passer. La rentrée littéraire offre d'autres trésors...
        N'est pas Flaubert qui veut
              Madame Bovary résiste au temps
                 Madame T.. sera oubliée demain.
.           La mauvaise littérature de gare attire aussi ceux qui s'en défendent publiquement " Selon les informations du Journal du dimanche, dans son édition du 7 septembre, le maire de Bordeaux et candidat déclaré à la primaire UMP aurait acheté discrètement le livre de Valérie Trierweiler «Merci pour le moment», alors qu'il déclarait samedi, lors de l'université d'été des jeunes UMP à la Baule, ne pas avoir l'intention de le lire. «Non, il y a mieux à faire», avait-il alors répondu, selon le Lab politique d'Europe 1. Il aurait fait ouvrir les portes de la librairie Mollat, un peu avant l'horaire habituel pour se procurer l'ouvrage....
.       La peopolitique d'alcôve est de retour, après les romances sarkoziennes largement étalées et le peplum DSK aux rebonds nauséabonds.

  Le Président (qui a toutes ses dents!) n'a pas, dit-on, apprécié les attaques vipérines de la journaliste (?) de Paris-Match, dont les charmes l'avaient naguère séduit. Ah, les relations souvent incestueuses entre politique et journalisme!
Fallait pas y aller... ou être plus discret. Sans certaines règles, la fonction présidentielle est écornée et perd sa nécessaire distance, sa dignité institutionnelle.     Vie privée (légitime) et vie politique doivent être séparées. Cela allait de soi pour De Gaulle. Mitterand savait encore rester discret. Le grand Franklin Roosevelt eut une liaison, jamais étalée, avec sa secrétaire Lucy Mercer, au grand dam d'Eleanor, qui l'aida cependant à accomplir une grande oeuvre et le soutint dans sa maladie.
    Le déballage romancé élyséen donne la nausée.
L'hypocrisie publique aussi, qui condamne et salive. Serait-on passé de l'état de grâce (?) au coup de grâce, par une pseudo-thérapie à ciel ouvert?...
                Ce qui pose problème, c'est l'intérêt ambivalent que nous portons à cette affaire, le voyeurisme ambiant, qui a autorisé Madame à se livrer sans décence, sûre du succès commercial, dans le contexte marécageux de la politique-spectacle et des ses aléas plus ou moins croustillants. 
       Comme le dit le sociologue Christian  Salmon, nous sommes entrés dans le jeu pervers de la peopolisation des responsables politiques, voulus et subis par eux depuis les années 70-80, et  sommes devenus des crapules romanesques 
       " L'engouement provoqué par la publication du livre de Valérie Trierweiler en est un symptôme navrant. La descente aux enfers de F. Hollande est aussi celle de tout un système de représentation. "Le roi est nu" mais l'image du roi se décompose sous nos yeux dans les flammes d'une dévoration médiatique. Mais ces flammes éclairent aussi nos visages captivés par l'attente de la fin.
         « Nous sommes des crapules romanesques », écrivait Pierre Michon à propos des lecteurs. On pourrait en dire autant des électeurs, c’est à dire de nous mêmes. Nous feignons de nous intéresser à la Crise, à la Dette, au Chômage, alors que nous sommes assoiffés d’histoires, de héros et de méchants. Nous nous vautrons dans les feuilletons politiques qui n’ont d’autre but que de nous tenir en haleine. Nous suivons les campagnes comme une succession d’épisodes intrigants, un reality show permanent dont les sondages et l’audimat mesurent le succès. Nous exigeons du suspense, des coups de théâtre. Nous revendiquons notre part d’émotion. Nous sommes tous des Bovary du bulletin de vote, avides de « fausse poésie et de faux sentiments ».  Nous, le Peuple romanesque…
Les hommes politiques sont devenus des personnages de notre imaginaire quotidien, des figures éphémères de nos démocraties médiatiques. Ce sont nos présidents. Leur victoire est la nôtre. Leur folie est la nôtre. Nous les habillons et les déshabillons comme des avatars de «Second Life» ou des personnages de « Playmobil ». Nous consommons nos présidents et nous les jetons après usage…
Tous les sondages le démontrent. Nous n’avons aucune illusion sur leur capacité à dompter la crise, ce que nous leur demandons, c’est d’incarner une intrigue capable de nous tenir en haleine. Bien plus que de notre confiance ils doivent se montrer dignes de notre attention, à la hauteur de leur histoire.
Elizabeth Drew, la biographe de Bill Clinton, observe que « sa volonté délibérée de démystifier la fonction présidentielle finit par lui porter tort. Ses efforts frénétiques pour « se montrer proche des gens », « pour être accessible », pour populariser la présidence ont fini par démystifier la fonction. Selon ses conseillers, il était si connu que, lorsqu’il passait à la télévision, les gens dans les aéroports ne s’arrêtaient même plus pour le regarder.» Bill Clinton qui est allé jusqu’à confier sur MTV qu’il portait des slips plutôt que des caleçons, fut sans doute le premier à subir les effets corrosifs de cette hypermédiatisation.
A lire ses biographes, « tout semblait disproportionné chez Bill Clinton, voire pathologique et corroborait sa nature excessive ». Edith Efron, une journaliste du magazine libertarien Reason ira jusqu’à diagnostiquer chez lui des troubles cognitifs dans un article intitulé: «Le président peut-il penser? » de la même manière qu’un hebdomadaire français s’interrogeait en novembre 2007 : «Sarkozy est-il fou ?»
Clinton est qualifié par ces biographes d’hypermnésique comme le sera Sarkozy. Il a des besoins sexuels insatiables comme DSK ou Berlusconi. Il ne mange pas, il dévore. Lit plusieurs livres par nuit. L’exhibition du corps présidentiel s’effectue sous le signe de la dépense, de  l’excès, de la dévoration. Il doit sans cesse se mettre en danger. Transgresser les limites de sa fonction. Non par vain masochisme ou selon la trop fameuse conduite d’échec que les psychologues de la téléréalité politique affectionnent mais par une nécessité dramaturgique à laquelle sont soumis les hommes politiques. La vie politique doit s’ordonner comme un feuilleton intriguant, une succession d’épisodes propres à capter l’attention. Diane Rubenstein, l’auteure d’un essai sur les présidences américaines, a identifié dans les biographies de Bill Clinton, ce qu’elle appelle, une «pathographie» présidentielle liée à « la télé présence du président soumis au confessionnal quotidien des interviewers, à la fausse intimité des talk show, et à une tendance à l’hyperbole des magazines».
       La présidence, n’est plus le lieu du pouvoir, mais la scène des symptômes et des passions humaines. « La présidence est devenue un pur objet de fantasmes écrit Diane Rubenstein. Le président est moins un symbole ou un signe, qu’un lieu de projections de nos désirs contradictoires». Notre « projecteur en chef » disait Mark Crispin Miller de G.W. Bush. Et, Frank Rich, l’ex chroniqueur du New York Times à propos de Clinton: «Sa schizophrénie est la nôtre».
Nous voulons des récits intimes, des surprises, des coups de théâtre. De l’intime « Just in time ». Pas de temps mort. De l’émotion à flux tendu.
L'objectif des communiquants politiques est de synchroniser et de mobiliser les émotions. Voter c’est acheter une histoire. Etre élu, c’est être cru. Gouverner, c’est maintenir le suspense, appliquer ce qu’un universitaire américain a appelé la «Stratégie de Shéhérazade». Les détails nauséeux sont appréciés. Une certaine vulgarité de ton est encouragée ; elle authentifie les aveux. Ombre et lumière. Grandeur et décadence. Transgression et repentances. De l’affaire Lewinsky à celle de Nafissatou Diallo, des soirées "bunga bunga" de Berlusconi aux partouzes tarifées du Carlton de Lille, ce n’est pas la dépravation des individus seulement que met en lumière la chronique judiciaire, c’est un idéal type: l’expérimentation de soi soit être menée « jusqu’à la fracture».  La surexposition médiatique jusqu’à la dévoration. Le corps des puissants livré à la voracité des médias et des audiences fait le chemin inverse de celui décrit pas Ernst Kantorowicz ou Louis Marin, une désymbolisation accélérée, une démystification inexorable, au travers d’une exhibition médiatique dont la « Perp walk » de DSK serait la scène sacrificielle. Faire défiler devant une cohorte de journalistes, de caméras et de photographes, le directeur du FMI, menottes aux poings, celui que les médias s’obstinaient à appeler « l’homme le plus puissant de la planète », et qu’ils se complaisaient à décrire comme le futur président de la république française, ne peut pas ne pas signifier au delà de la mise en accusation d’un homme, la déchéance de tout un système de représentation. De l’incarnation de la fonction, on est passé à l’exhibition de la personne. Du caractère sacré de la fonction à sa profanation. L’exercice de l’Etat a perdu sa dimension sacrée pour revêtir une portée sacrificielle.
« C’est un immense pas vers la fin du système représentatif, écrivait Jean Baudrillard dans l’un de ses derniers textes, Et ceci est la fatalité du politique actuel – que partout celui qui mise sur le spectacle périra par le spectacle. Et ceci est valable pour les « citoyens » comme pour les politiciens. C’est la justice immanente des médias. Vous voulez le pouvoir par l’image ? Alors vous périrez par le retour-image. »
 (Extraits de La Cérémonie Cannibale (Fayard, 2013)

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