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vendredi 14 février 2020

Voyage ou voyageurisme?

Voir à tout prix?
                            Bientôt reprendront les grandes migrations à l'échelle planétaire. Certains en rêvent déjà.
                                 Le tourisme prend parfois une allure singulière.
  Non seulement parce que l'on va chercher bien loin ce que l'on trouverait près de chez soi, comme si le mouvement, le déplacement se justifiait par lui-même, mais aussi parce que le désir de voir, de consommer des images à tout prix devenait le seule objectif, celui qu'exploitent les agences, sur leurs catalogues au papier glacé, nous prescrivant des objectifs idéaux flattant l'imagination, parfois le fantasme le plus fou, préparant parfois des frustrations non programmées.
  Un tel traversera les océans en croisière, profitant surtout de la piscine du pont principal et faisant au pas de charge et en rangs serrés la "découverte" de Mykonos. Un autre restera huit jours à Marrakech entre l'hôtel et le restaurant, sans contact avec la population et la culture du lieu. On ne parle pas de ceux qui resteront en vase clos sur la Costa del Sol, profitant jusqu'à plus soif de l'open bar.
  Les voyages forment trop souvent la paresse et déforme le désir de rencontres. Tout en mettant parfois en péril certains lieux. Thomas Cook a ouvert la voie.
 Un tourisme souvent hors-sol, qui faisait dire paradoxalement à Levi-Straus, au début de Tristes Tropiques: Je hais les voyages et les voyageurs...lui qui ne voulait pas voir les Bororos d'Amazonie, mais les connaître en profondeur.
   Il est nécessaire de faire une critique de la raison touristique, surtout à l'heure où elle s'amplifie à l'échelle mondiale. Jusqu'à la démesure, on peut le craindre.
  Il arrive que des modes et parfois des pulsions scopiques douteuses nous poussent à aller voir sur place ce dont tout le monde parle ou a parlé. Pour des raisons qui ne sont pas toujours très claires ou très saines.
 Ou à suivre les sentiers battus, les pistes proposées par les organismes marchands. Il faut aller ici ou là, c'est un impératif catégorique.   Il faut pouvoir en parler à table. Que ce soit Bali ou Santorin.                      Aujourd'hui, la mode est au Japon ou au Groenland...
   Difficile de ne pas suivre les tendances ou de faire le choix,..de rester chez soi. Questions de moyens aussi.
    Dis-moi ce que tu visites et pour quelles motivations, et je te dirai qui tu es. Les motivations qui nous poussent à visiter tel lieu plutôt que d'autres sont révélatrices de ce qu nous sommes, dans une large mesure.
    Voir et ne rien voir...Que retiennent la plupart des touristes pressés, portable en main, pour des photos évanescentes?   
   Notre-Dame en lambeaux, Auchwitz,..et même l'Irak deviennent des destinations comme les autres...
      Le monde n'est pas un spectacle
        Voir quoi, comment, dans quelles conditions ?
A partir de quand le regard , le désir de voir (et de photographier) devient discutable, équivoque, malsain, marqué parfois par une jouissance perverse inavouée ?_
_     D'autres formes de tourisme restent à repenser.
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-"L'industrie touristique emprunte les autoroutes, sans considération éthique, préoccupée par la maximalisation des profits. La concentration des opérateurs en quelques multinationales dans un processus de mondialisation néolibérale leur permet d'imposer des prix planchers aux travailleurs du secteur et un marketing agressif dissimulé sous un vocabulaire idyllique. Le tourisme autrement prend, quant à lui, des chemins de traverse, joue avec le temps, contemple la nature, rencontre les autres hommes, les autres femmes et respecte leurs systèmes symboliques. Le tourisme autrement porte en lui les germes d'une modification du comportement touristique. Tout en offrant un produit de haute qualité, il pense globalement le développement en agissant localement et se révèle un puissant facteur de cohésion sociale. Il apporte une réponse positive à l'urbanisation croissante en offrant des perspectives de vie qui maintiennent la population rurale sur sa terre. Il responsabilise autant le consommateur que tous les participants de la chaîne du tourisme et favorise l'estime de soi des populations. Enfin, par sa prise en considération de la fragilité de certaines zones et des problèmes environnementaux, il participe à la sauvegarde de la Planète."
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          -Tourisme de la pauvreté : solidarité ou voyeurisme:
   "Rio, son carnaval, ses plages, son soleil et... ses pauvres. Pendant que certains touristes se prélassent sur le sable chaud, d'autres ont choisi une façon bien différente de profiter de leur séjour : ils visitent des favelas, autrement dit les bidonvilles brésiliens.Depuis une dizaine d'années, le tourisme de la pauvreté, rebaptisé «poorism», est en plein essor. «Chaque année, le nombre de nos clients augmente de 15%» assure Marcelo Armstrong, fondateur de l'agence Favela Tour, qui organise des après-midis dans les bidonvilles. «Ce sont majoritairement des Anglais, des Américains et des Scandinaves. Beaucoup de Français aussi. Et malgré la crise, cette année sera positive pour nous».
Ce type d'entreprise fleurit aux quatre coins du monde. En Afrique du Sud, elles proposent de se promener à Soweto, une des régions les plus démunies du pays. En Inde, on peut passer quelques heures avec les enfants des rues de New-Delhi."La guide était tendue"«Le tourisme, depuis toujours, n'est pas seulement une histoire de géographie, mais de distance sociale» explique Rachid Amirou, sociologue du tourisme, auteur de «l'Imaginaire du tourisme culturel» (1). «On a souvent été voir des populations qu'on définissait comme 'authentiques', ce qui veut généralement dire 'pauvres'. Cela permet, inconsciemment, de vérifier sa situation de domination économique. La nouveauté aujourd'hui, c'est que c'est mis en marché.»Se faire de l'argent sur le dos de la pauvreté, c'est bien ce qui dérange. «Indécent», «voyeuriste», sont quelques uns des qualificatifs employés par les détracteurs du «poorism». Sur les forums internet, le débat fait rage. On parle de «curiosité malsaine», on reproche aux touristes de se comporter comme au zoo, de rechercher le frisson du danger, de pouvoir dire, en rentrant au pays, «je l'ai fait !». Le tout sans réelle considération des personnes rencontrées, pauvres et qui le resteront, malgré les miettes redistribuées par les agences....
Le sociologue Rachid Amirou, quant à lui, se montre plus réservé. «L'agence est une caution morale : 'vous n'avez pas à vous poser de questions éthiques, on s'en occupe !' C'est une façon habile de déculpabiliser et de déresponsabiliser les gens.» Et ça marche. «Les touristes partent avec le sentiment vague qu'ils font une bonne action. Mais quand on décortique, il n'y a rien derrière. Or, si ce tourisme n'est pas accompagné d'une réflexion, c'est du voyeurisme.»...

"...En l'espace d'une dizaine d'années, les agences de voyages proposant ces formes de tourisme ont tout bonnement trouvé un fantastique filon. L'occidental a désormais adopté en matière de voyage les mêmes codes qui régissent sa consommation matérielle. La logique de frime consistant à être parmi les premiers à posséder une console dernier cri (ou un iPhone, ou Harry Potter...) que tout le monde finira par avoir — dans un monde de plus en plus standardisé — s'applique également à la visite des lieux les plus surprenants de la planète. En ce sens, l'explosion du tourisme choc traduit parfaitement la tendance. D'autant que les prix pas nécessairement prohibitifs — entre 200 et 400 euros pour une journée à Tchernobyl, souvent moins de cent euros pour la visite d'une favela ou d'un bidonville — encouragent fortement le voy(age)eurisme.____Dans le même état d'esprit, certaines agences russes proposent ainsi à ses clients de vivre une forme de dépassement de soi en passant deux journées harassantes physiquement et psychologiquement dans un camp militaire à suivre les méthodes d'entraînement des services spéciaux (soit se faire gueuler et tirer dessus pour une centaine de dollars). Les territoires en guerre jouissent aussi d'une grosse côte dans le catalogue. Au cours du World Travel Market qui se tenait mi-novembre à Londres, les professionnels du tourisme ont ainsi pu constater que des pays réputés dangereux et en guerre comme le Pakistan, l'Afghanistan ou l'Irak attirent de plus en plus de touristes en recherche de «dépaysement».
     Ce fut même La Nouvelle-Orléans après Katrina, spectacle de désastre.
 C'est aussi celui des township d'Afrique du Sud,"...Lieu mythique de la résistance noire contre l'oppression de l'apartheid, South West Township fascine
l'imaginaire blanc et étranger. Les autorités du pays l'ont vite compris, et l'immense cité dortoir de plus de trois millions d'habitants devient au fil des années une destination incontournable pour les tour opérateurs et autre guides touristiques. Chaque jour, ce sont mille visiteurs qui traversent, le plus souvent dans des minibus ou des autocars de compagnies touristiques, cette banlieue de Johannesburg étendue sur 140 kilomètres carrés....
Sans réticence, Irena confie que l'intérêt historique n'est pas le seul aspect prétexte à une visite de la ville. "
Franchement, en Europe, il n'y a pas de tel ghetto. Ici, en plus, la visite est apparemment sécurisée malgré tout". L'ancienne demeure de Nelson et Winnie Mandela, les sites des émeutes de 1976 et différents autres. Lieux symboles de la lutte des Noirs sont bien sûr prévus dans tous les circuits.         Mais c'est finalement dans la contemplation de la pauvreté et dans le spectacle de la délinquance que bien des touristes viennent glaner leur dose d'émotion..."

       Il y a aussi le tourisme de guerre,, celui de la catastrophe, comme à Haïti...La vue de la souffrance présente ou passée devient sans doute une occasion inconsciente de jouir secrètement de son statut de privilégié.
                                   Heureusement, il y a les autres...
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