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lundi 20 avril 2020

Situation, perspectives et interrogations

                        L'innovation viendra-t-elle des grandes peurs?
Point de vue:
                         " Le monde est lugubre. La moitié de l’humanité est placée en confinement, événement jamais survenu. Plusieurs libertés fondamentales (droit de réunion, de manifestation) ont été supprimées, laissant la place à des systèmes de surveillance orwelliens. Plus de 50 pays ont déclaré l’état d’urgence. Les démocraties ont mis leur Parlement sous cloche. Les régimes dits « illibéraux » ou autoritaires en profitent pour cadenasser un peu plus leur société.
      Et le paysage international est plus dévasté que jamais. Certes, ce qu’il est convenu d’appeler le « multilatéralisme », ces systèmes de gouvernance et de régulation qui ne se résument pas aux Nations unies, était déjà à l’agonie, incapable de régler les grandes crises : guerre en Syrie ou au Yémen, conflit israélo-palestinien, course aux armements, crise migratoire et crise climatique, terrorisme, explosion des inégalités (entre autres).

     Or voilà que face à une pandémie mondiale, aucune réponse internationale n’est construite. La surenchère des États, les hystéries xénophobes et nationalistes (en Chine, en Inde, en Hongrie), le chacun pour soi l’emportent, dans un désordre généralisé.
     Une fois de plus, Donald Trump a donné le la de manière caricaturale. Après avoir coupé les financements à l’Unesco, dénoncé l’accord de Paris, être sorti du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, avoir mis à bas des traités commerciaux jugés défavorables aux États-Unis, le voilà qui s’en prend à l’Organisation mondiale de la santé, seule instance existante capable de coordonner la lutte contre la pandémie, en particulier dans les pays les plus pauvres (lire ici notre précédent article).
     « Quand la première puissance mondiale ne joue pas le jeu, le multilatéralisme est mort. Beaucoup va donc se jouer avec l’élection présidentielle américaine », note Pascal Boniface, directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), interrogé par Mediapart.
   Thierry de Montbrial, président de l’IFRI (Institut français des relations internationales), qui n’a rien d’un révolutionnaire et a toujours défendu les intérêts bien compris des États, est cette fois d’une rare violence. « Le désastre actuel est la manifestation la plus flagrante de l’incurie de la politique sanitaire des États et de la gouvernance mondiale au cours des dernières décenniesCette incurie est bien celle des principaux acteurs du système international, et d’abord des États-Unis, de la Chine et de l’Union européenne »écrit-il.
    Voilà pour l’état des lieux (lire également l’article de Fabien Escalona). Un état des lieux qui pourrait produire le pire dans les années à venir. La revue Foreign Policy a récemment interrogé une dizaine de spécialistes des relations internationales sur ce monde qui vient. Le tableau est désespérant et ainsi résumé par Nicholas Burns, ancien diplomate américain et professeur à la Harvard Kennedy School : « Le Covid-19 va créer un monde moins ouvert, moins prospère et moins libre. Cela aurait pu n’être pas le cas, mais la combinaison d’un virus mortel, d’une préparation inadéquate et d’un leadership incompétent a placé l’humanité sur une voie nouvelle et inquiétante. »
   Les premières mesures de déconfinement, prises dans le plus grand désordre par les pays européens, chacun élaborant son petit plan et son calendrier, ne sont qu’une illustration supplémentaire de la faillite de l’Union européenne. Une fois encore, elle aura échoué à s’imposer comme un acteur politique capable de protéger ses populations (lire ici l’article de Martine Orange).
   Alors, faut-il se résigner à l’horreur mondiale ainsi annoncée ? Des sursauts sont encore possibles et de très rares signes laissent envisager que le pire n’est pas certain. Le premier est la coopération internationale scientifique et médicale sur le virus et la recherche d’un vaccin. La question est simple : laissera-t-on breveter un vaccin par un géant pharmaceutique privé ou sera-t-il d’emblée considéré comme un « bien commun » disponible pour tous ?
    Lors d’une réunion le 15 avril avec la cinquantaine de pays africains membres des Nations unies, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est voulu catégorique : « Nous devons construire des solidarités exceptionnelles. […] Un vaccin pourrait être le seul outil permettant un retour du monde à un sentiment de normalité. Il sera clairement un bien public global et nous devrons nous assurer de son déploiement universel. »
    Josep Borrel, « haut représentant » de l’Union européenne chargé de la politique extérieure et de la sécurité, estime lui aussi que ce futur vaccin devra « être considéré comme un bien public mondial ». Ces deux responsables seront-ils entendus, par exemple par les acteurs privés américains qui sont engagés dans une course effrénée pour la découverte d’un tel vaccin ?
   Autres signaux faibles de coopérations internationales nouvelles : le cessez-le-feu intervenu au Yémen, l’aide apportée par les Émirats arabes unis à l’Iran, la coopération nouvelle entre la Colombie et le Venezuela, et l’aide à l’Afrique avec la décision d’instaurer un moratoire de 12 mois sur le remboursement de la dette (lire notre article)
    « C’est la seule bonne surprise de cette crise à ce jour », note Pascal Boniface. Certes, la mesure instaurant ce moratoire est faible, elle représente 20 milliards de dollars (un centième du plan de relance économique voté par le Congrès américain). Il n’est toujours pas question d’annulation de ces dettes, mais cette décision évitera l’effondrement financier de certains États africains.
            Ces petites avancées peuvent-elles construire un système international renouvelé échappant aux chocs entre puissances ? Le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie, critique acéré de l’actuelle gouvernance mondiale (nos précédents entretiens sont ici et ici), veut pourtant espérer en de nouveaux possibles. « Le premier signe positif, c’est la prise de conscience. Jamais l’opinion publique mondiale n’a été aussi consciente des insécurités nouvelles et de la nécessité d’une gouvernance mondiale pour y faire face. Le second signe, ce sont tous ces appels à un nouveau multilatéralisme », estime-t-il, interrogé par Mediapart, tout en notant la manière dont ce « virus alimente les poussées de fièvre nationaliste ».
   Bertrand Badie rappelle quelques fondamentaux qui valent même pour les grandes puissances : « La peur et la nécessité froide, c’est-à-dire l’obligation de faire ce que je n’aime pas faire, ont toujours été deux grands facteurs de changement. » Il ne s'agit pas là de refonder ce qui est encore pensé – à tort – comme le cœur du système international, c’est-à-dire le Conseil de sécurité des Nations unies.
   Cette instance est de longue date inopérante, déconnectée des nouveaux enjeux du monde. Tous les débats des années 2000 sur une réforme du Conseil de sécurité, portés par l’Allemagne, le Japon, le Brésil ou l’Afrique du Sud, visaient à renouveler ce Conseil, ses missions, sa représentation surtout (inchangée depuis sa création, avec les mêmes membres permanents, États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France). Ces tentatives ont toutes échoué. Et le Conseil n’a d'ailleurs pas même été capable d’adopter une résolution depuis le tout début de la crise du Covid-19…
   C’est ailleurs que peut se reconstruire une gouvernance mondiale pour des politiques publiques globales efficaces. La santé, l’alimentation, la démographie, le climat, l’environnement sont aujourd’hui les premiers enjeux d’un village mondial totalement interconnecté et interdépendant.
    « En 2017, Donald Trump a annoncé une nouvelle stratégie de sécurité nationale centrée sur la concurrence entre les grandes puissances. Le Covid-19 montre que cette stratégie est inadéquate »estime Joseph Nye, spécialiste des relations internationales et ancien des administrations Carter et Clinton. Pendant que Trump débloquait de faramineux budgets pour l’armée américaine et le renouvellement de son arsenal nucléaire, quand la Russie et la Chine faisaient de même, les défis sanitaires ou environnementaux ne faisaient que grossir.
  « Les dépenses militaires dépassent 2 000 milliards de dollars, or l’essentiel est ailleurs », note Bertrand Badie. Délégués jusqu’alors à des agences onusiennes sous-financées, bureaucratisées et à l’efficacité faible, tous ces enjeux modifient ou déterminent les conditions de vie de la population mondiale. C’est là que doivent se reconstruire en urgence les coopérations internationales. Si ces appels à un nouveau multilatéralisme ne sont pas aussitôt oubliés à peine la crise enrayée, il serait alors permis de ne pas totalement désespérer."  (Merci à Mediapart)
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