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mercredi 29 mars 2023

Bienveillance à tout va?

 D'une notion ambiguë

                                               S'il est une qualité humaine à promouvoir dans les rapports interpersonnels souvent tendus ou possiblement conflictuels, c'est bien celle de le bienveillance. Qui dirait le contraire? .... Seulement voilà, comme beaucoup de valeurs, elle peut être inversée ou dénaturée dans certaines circonstances et même utilisé à  contre-sens ou à des fins de séduction ou d'emprise de manipulation. Ainsi est fait le langage humain, qui peut être ambivalent et doit souvent être interprété ou redressé, remis sur ses pieds.  C'est ainsi que dans un certain langage pédagogique, trop souvent en vogue depuis peu, la notion de "bienveillance",  souvent recommandée et utilisée, alors qu'elle devrait aller de soi, dans un contexte de conflits qu'il faut désamorcer, de tensions qu'il faut réduire. Ce mauvais bon sentiment, comme le dit paradoxalement Michaut, demande une approche critique dans beaucoup de cas, comme un révélateur d'impuissance ou d'abandon.       


                                                                 ___ Dans le monde de l'entreprise aussi la notion fait problème, prônée et encouragée quand elle est loin de s'exercer.  "...« Le monde du travail n’est pas gentil. » D’emblée, les initiateurs de l’Appel à plus de bienveillance au travail, aujourd’hui signé par plus de 300 entreprises, ont pris soin de désamorcer une critique qui vient aussitôt à l’esprit. Dès que l’on entend parler de bienveillance dans l’entreprise, les remarques acerbes fusent : « c’est de la philosophie guimauve », « l’entreprise n’est pas un monde de bisounours », etc.  De fait, comment parler de bienveillance quand la pression sur le travail est devenue si forte que l’on voit partout des réductions de personnels, une précarisation de l’emploi, une augmentation du stress et un boom du burn-out ? Dans un tel contexte, l’appel à la bienveillance a quelque chose de décalé, voire d’indécent. Mais, rétorquent ses défenseurs, c’est justement parce que les temps sont durs qu’il faut s’employer à adoucir les relations de travail autant que faire se peut. La bienveillance n’est pas une philosophie chamallow de gentils idéalistes, c’est au contraire un devoir pour les managers qui exigent beaucoup de leurs salariés. Ce n’est pas une berceuse illusoire dans un monde idéal, mais plutôt une exigence humaine face à la dureté des temps.                                                                                                                                     Ce mouvement en faveur de la bienveillance au travail a pris corps depuis quelques années : il s’inscrit dans un mouvement plus vaste en faveur de la promotion de la « gentillesse » dans la société. L’initiative a été d’abord été lancée par le Mouvement mondial pour la gentillesse (World Kindness Day), un collectif d’ONG, apolitique et areligieux, né à Singapour en 2000 et qui a instauré la Journée internationale de la gentillesse qui a lieu tous les ans le 13 novembre. L’appel à la bienveillance a été relayé à l’école et à l’hôpital, dans les collectivités territoriales. En 2014, le ministère de l’Éducation nationale a publié un guide, Une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves. Destiné aux équipes éducatives, ce guide vise à aider à « repérer les signes de mal-être des élèves », et agir pour « établir un climat scolaire serein ». Concrètement, les personnels sont invités à repérer les signes du mal-être des élèves – indisciplines, jeux violents, signes de fatigue en sont des indices –, puis à alerter l’équipe et agir en conséquence : s’entretenir avec l’élève, recevoir les parents, alerter s’il le faut la protection de l’enfance. À noter que dans ce guide, le mal-être est considéré comme exogène à l’école : le poids des programmes, les mauvais résultats, l’attitude de certains enseignants ne sont pas pris en compte comme sources éventuelles de mal-être. Dans les hôpitaux aussi, des chartes de bienveillance ont été édictées. Elles soulignent l’importance du confort psychologique et moral du patient. Être bienveillant, c’est considérer le malade comme autre chose qu’un corps à soigner. Il est une personne, dont il convient de respecter l’intimité. Toute humiliation doit être évitée, tout cas de malveillance signalé
L’appel à la bienveillance a fait une entrée remarquée dans le management. Simple gadget humaniste qui voile la dureté des relations au travail ou enjeu fondamental de la qualité de vie au travail ?                     « Le monde du travail n’est pas gentil. » D’emblée, les initiateurs de l’Appel à plus de bienveillance au travail, aujourd’hui signé par plus de 300 entreprises, ont pris soin de désamorcer une critique qui vient aussitôt à l’esprit. Dès que l’on entend parler de bienveillance dans l’entreprise, les remarques acerbes fusent : « c’est de la philosophie guimauve »« l’entreprise n’est pas un monde de bisounours », etc.,,,,De fait, comment parler de bienveillance quand la pression sur le travail est devenue si forte que l’on voit partout des réductions de personnels, une précarisation de l’emploi, une augmentation du stress et un boom du burn-out ? Dans un tel contexte, l’appel à la bienveillance a quelque chose de décalé, voire d’indécent. Mais, rétorquent ses défenseurs, c’est justement parce que les temps sont durs qu’il faut s’employer à adoucir les relations de travail autant que faire se peut. La bienveillance n’est pas une philosophie chamallow de gentils idéalistes, c’est au contraire un devoir pour les managers qui exigent beaucoup de leurs salariés. Ce n’est pas une berceuse illusoire dans un monde idéal, mais plutôt une exigence humaine face à la dureté des temps.                                                                                       Ce mouvement en faveur de la bienveillance au travail a pris corps depuis quelques années : il s’inscrit dans un mouvement plus vaste en faveur de la promotion de la « gentillesse » dans la société. L’initiative a été d’abord été lancée par le Mouvement mondial pour la gentillesse (World Kindness Day), un collectif d’ONG, apolitique et areligieux, né à Singapour en 2000 et qui a instauré la Journée internationale de la gentillesse qui a lieu tous les ans le 13 novembre.  L’appel à la bienveillance a été relayé à l’école et à l’hôpital, dans les collectivités territoriales. En 2014, le ministère de l’Éducation nationale a publié un guide, Une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves. Destiné aux équipes éducatives, ce guide vise à aider à « repérer les signes de mal-être des élèves », et agir pour « établir un climat scolaire serein ». Concrètement, les personnels sont invités à repérer les signes du mal-être des élèves – indisciplines, jeux violents, signes de fatigue en sont des indices –, puis à alerter l’équipe et agir en conséquence : s’entretenir avec l’élève, recevoir les parents, alerter s’il le faut la protection de l’enfance. À noter que dans ce guide, le mal-être est considéré comme exogène à l’école : le poids des programmes, les mauvais résultats, l’attitude de certains enseignants ne sont pas pris en compte comme sources éventuelles de mal-être.   Dans les hôpitaux aussi, des chartes de bienveillance ont été édictées. Elles soulignent l’importance du confort psychologique et moral du patient. Être bienveillant, c’est considérer le malade comme autre chose qu’un corps à soigner. Il est une personne, dont il convient de respecter l’intimité. Toute humiliation doit être évitée.                               Transposée à l’entreprise, la bienveillance se décline selon trois principes élémentaires. Le premier rappelle tout simplement que les êtres humains ne sont ni des machines ni de simples fonctions dans un organigramme. Ils ont besoin de comprendre le sens de ce qu’ils font et d’avoir en retour, non seulement un salaire, mais quelques gratifications morales. Confier une mission ne se résume pas à donner des ordres et des consignes : cela doit s’accompagner d’encouragements, de remerciements et parfois de quelques compliments quand le travail est bien fait. Un management bienveillant ne bannit pas nécessairement les critiques – voire les sanctions – qui s’imposent parfois ; mais il évite de dénigrer les personnes. Il s’agit avant tout de chasser toutes les pratiques perverses : les injonctions paradoxales, les exigences démesurées, le management par le stress, le harcèlement, le mépris et l’humiliation. Respecter la personne autant que la fonction revient à faire preuve d’attention à autrui. Demander à un collègue des nouvelles de sa famille ou de sa santé ne relève pas simplement du savoir-vivre : il arrive que l’on découvre à l’occasion l’existence de problèmes privés (un divorce, une maladie, le départ d’un enfant à l’université). Beaucoup de managers préfèrent ignorer ces questions par mécanisme de défense (« je ne suis pas leur nounou »). Pour Marie-Christine Bernard, auteure d’Être patron sans perdre son âme (Payot, 2013), un simple mot de soutien, une écoute suffisent à faire du bien. Certes, le manager n’a pas vocation à intervenir sur les enjeux personnels ; il n’est ni un psychologue ni un ami. Mais l’entreprise est un lieu de travail autant qu’un lieu de vie, et les êtres humains ne se transforment pas subitement en une fonction en franchissant la porte de leur bureau.    Au travail, lieu de coopération par excellence, les motifs de discorde sont aussi multiples. Les relations hiérarchiques, les conflits de territoire, les désaccords sur les objectifs ou sur la façon de faire sont omniprésents ; sans même parler des personnalités qui ne s’accordent pas. Éric Albert rappelle aussi que les critiques malveillantes, les jugements à l’emporte-pièce, les reproches acerbes et méchants ne sont pas à sens unique. Il existe celles de managers malveillants, hautains et méprisants, mais aussi celles des salariés entre eux ou des salariés à l’égard de leurs managers. Les conflits entre personnes s’enveniment souvent sous la forme de clans : amis et ennemis, méchants et gentils. Certaines personnes se démarquent pourtant par leur capacité à déminer les conflits. On parle aujourd’hui de « toxic handlers » pour les désigner (encadré ci-dessous). Cette qualité humaine est sans doute un trait de personnalité. Mais elle peut aussi se cultiver : les techniques de communication non violente, de maîtrise de ses émotions, les modèles d’autorité non agressive font partie des pratiques de la bienveillance.    Un autre principe de bienveillance porte sur le respect de bonnes conditions de travail : éviter les réunions à rallonge, les dérangements intempestifs, les appels ou courriels hors du temps de travail, veiller aussi à l’aménagement d’un espace de travail et d’un matériel appropriés. La bienveillance passe enfin par un souci des managers pour assurer de bonnes conditions de travail. L’aménagement de son espace de travail, les transports, les repas, les gardes d’enfants ne sont pas des questions annexes. Tout ce qui relève de l’aménagement des conditions de travail relève de la bienveillance et du bien-être.   Les principes de bienveillance sont au fond très simples : promouvoir l’attention à autrui, veiller à la qualité des relations personnelles et aux bonnes conditions de travail pour chacun......En fait, les modèles théoriques issus de la théorie des jeux démontrent qu’il est bénéfique pour tous de jouer la carte de la bienveillance. Car il existe dans toute activité humaine un principe de réciprocité : le don appelle le contre-don, le respect appelle son retour. Et sur le terrain, il ne manque pas de belles histoires pour illustrer la théorie.             En 2013, le Prix de la stratégie de la bienveillance a été décerné à Florence Pratlong, créatrice de la fromagerie Fédou, installée en Lozère. L’histoire raconte que cette chef d’entreprise bienveillante a apporté beaucoup de bien autour d’elle : l’embauche de salariés a permis de faire vivre l’école du village en voie de fermeture ; ses salariés sont ravis d’être considérés, écoutés et associés aux décisions. Elle a noué avec ses fournisseurs un contrat de confiance pour assurer le prix du lait de brebis. Bienveillance à l’égard des clients, des fournisseurs (de lait), des salariés. « L’écart de performance est énorme », se réjouit F. Pratlong. La productivité a augmenté de 25 %, les ventes ont suivi. etc. La dynamique serait donc vertueuse. La stratégie de la bienveillance serait donc un levier de performance.            Il reste que pour une belle histoire, il existe sans doute beaucoup de déconvenues. Pour une réussite comme Fédou, combien d’entreprises en crise ont précipité leur chute parce qu’un chef d’entreprise attaché à son personnel a hésité à licencier à temps? Combien de managers gentils et compassionnels n’ont pas eu le courage de sanctionner un salarié et se sont vus reprocher ensuite leur faiblesse par d’autres collègues ?   C’est à l’heure actuelle la principale limite de cette belle idée : la bienveillance fonctionne tant que les entreprises fleurissent, ou que les salariés se serrent les coudes autour d’un leader charismatique et entreprenant. Mais peut-on transposer cette dynamique d’équipe conquérante aux grandes entreprises, aux administrations ou aux entreprises en difficulté ?     Même pour les salariés, la gentillesse n’est pas forcément payante. Une étude américaine (2011) a montré que les salariés les plus exécrables gagnent plus que leurs collègues plus gentils ! Les hommes considérés comme « désagréables » par leurs collègues gagneraient en moyenne près de 20 % de plus que leurs aimables collègues. La différence est moins marquée chez les femmes : les « méchantes » ne gagnent que 6 % de plus que les « gentilles » .....                                                                                                                         ___....Les initiatives en faveur de la bienveillance au travail peuvent être vues comme une réaction à la dureté des temps : elle est associée à la thématique montante du bien-être au travail  . Les sceptiques et critiques y verront au mieux une illusion, au pire une stratégie manipulatoire. Ses promoteurs y voient un levier de la performance ou une façon de s’ennoblir (car on gagne toujours à tendre la main). Laissons le dernier mot à Jean-Yves, un DRH rencontré lors d’un stage de formation. Lui qui travaille dans un secteur difficile, l’imprimerie, a toujours cherché à gérer les situations compliquées avec le maximum de justice et d’humanité. Il éprouve une grande amertume quand, ayant fait son travail de son mieux, il doit essuyer critiques, attaques injustes et blessantes. À ses yeux, la bienveillance a peu de retombées économiques, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une valeur essentielle : « Il faut faire les choses avec bienveillance parce qu’on estime que c’est juste et non pour en attendre une récompense. La bienveillance n’est pas forcément payée de retour. L’importance est d’agir selon sa conscience : c’est le principal bénéfice à en attendre. » .......                                                                                 ___  Ah! la journée de la gentillesse...      __________________________

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