Il est URGENT de ralentir!
De prendre le temps de la réflexion, du loisir, de la méditation, du rêve... "Hâte-toi lentement!" disait Auguste, prônant l'absence de précipitation dans l'action. Cela pourrait bien avoir encore un sens aujourd'hui, dans une autre temporalité, une autre culture, d'autres modes de vie, d'autres rythmes. Mais cela ne dépend pas toujours tout à fait de nous. Les notion de rentabilité, d'efficacité, de rapidité sont au coeur du système capitaliste dès sa naissance (Time is money) et plus encore dans sa version fordienne, qui s'imposa et se généralisa au début du XX° siècle, finissant par investir même les secteurs non industriels et constituant un saut dans l'automatisation des rythmes et des modes de vie. La rapidité devint la règle et imprègne les comportements d'aujourd'hui jusqu'à la fébrilité. Le manque de temps subjectivement vécu imprègne jusqu'à la quête des dernières nouveautés en matière de modes comme de contenus numériques . Le temps semble nous manquer même en matière de loisirs, générant une insatisfaction rebondissant sans cesse. La frustration tend à devenir norme. On perd sa vie en voulant la gagner...
Le modèle de la hâte tend à s'imposer dans le monde professionnel. Les exigences d'intensité, de réactivité, d'adaptabilité dessinent un faisceau de contraintes pesant sur les temps du travail. Cet ouvrage rend compte d'histoires de travail cumulées lors d'études menées dans de multiples secteurs : ouvriers de l'automobile, de la sidérurgie ou du BTP, pâtissiers, horticulteurs, infirmières et aides-soignantes, agents administratifs et encadrants, etc. Ces femmes et ces hommes vivent des expériences communes relatives aux injonctions contradictoires de faire "vite et bien", à l'impossibilité de prendre le temps nécessaire pour acquérir et faire circuler des savoirs professionnels... tout en ayant le sentiment que les difficultés qu'ils éprouvent leur sont personnelles. Les auteurs décrivent les rouages de ce modèle de la hâte, ses méfaits, mais aussi les stratégies et les ruses déployées dans l'activité quotidienne, individuelle et collective, pour le contrer. De ces histoires se dégagent les temps essentiels, ceux grâce auxquels on peut faire vivre son expérience, défendre sa santé et redonner au travail tout son sens : le temps pour transmettre, pour construire avec les autres, pour créer. En partageant ces tranches de vie, les auteurs veulent susciter une réflexion collective sur les manières d'agir autrement, plaidant pour une " écologie des temps du travail ". Un éloge de la lenteur s'impose. Halte à la vitesse! La vitesse qui nous emporte. Celle qui nous agite, nous conditionne, nous stresse, nous enfièvre. Celle qui compromet notre rapport pacifié au présent. à nous- mêmes. L'injonction à la rapidité, au coeur de nos sociétés où aucun instant ne doit se perdre, finit par devenir toxique. Elle rompt le relatif équilibre avec nous-mêmes, comme source d'insatisfaction permanente. "Rien ne sert de courir"...Il importe de se déconditionner à tout prix, au coeur de la frénésie ambiante, si nous tenons à quelques valeurs intimes. La lenteur fait gagner du temps. "Une sage lenteur a raison de la hâte" (Th. de Mégare) "Les seules vérités qui vaillent sont des vérités lentes" (E.Orsenna)
-"Tout ce qui doit durer est lent à croître" (L. De Bonald) Montaigne(Essais) : « Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet. Il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l’instant que je m’amuse à lui, je ne peins pas l’être, je peins le passage. »
Lever le pied, d'urgence!
C'est la règle aujourd'hui dans beaucoup de domaines, devenue une partie de nous-mêmes. Depuis le début de l'ère industrielle. Et cette course dont nous sommes victimes et acteurs à la fois est un cercle vicieux qui nous épuise. Victimes d'un système qui nous pousse à la performance d'une infinités de tâches que nous jugeons indispensables, même parfois dans nos loisirs, nous avons oublié ce qu'est la lenteur. Un autre rythme maîtrisé, pour une sagesse des pas comptés est à retrouver, favorable à la santé, aussi bien physique que mentale. Il y a urgence à ralentir. Sortir de la dictature de l'urgence. Changer de rythme. "La lenteur n’est pas un défaut de vitesse, mais bien plutôt le plus haut degré de résistance à un monde qui s’emballe et cherche à enrôler les hommes dans une course sans fin vers l’accélération."
La vitesse est devenue une dimension de plus en plus présente dans la vie quotidienne de nos concitoyens, à des degrés divers, toujours "pressés par le temps", les rythmes imposés par une vie trépidante, vivant montre en main. même dans les loisirs, où l'échappée psychologique hors des contraintes quotidiennes devient problématique, psychologiquement surtout.Cette propension/pression tend à envahir tous les aspects de la vie quotidienne et devient une nouvelle manière d'exister. Jusque dans nos rêves. Le domaine du sport n'échappe pas à la règle: toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus haut...
Prendre son temps apparaît parfois comme culpabilisant. Pas seulement dans l'atelier de confection pakistanais ou l'usine de montage japonais... Nous sommes asservis à une logique de production et de ses dérivés, qui retentit sur tout le reste de la vie. Les nouveau modes de management vont dans ce sens, parfois brutaux, souvent source de souffrances.
Dans la production de masse depuis le fordisme, le temps est devenu de plus en plus un facteur de productivité, donc de richesse, un aspect de l'organisation du travail et, partant, des loisirs, un mode de vie. C'est les Temps Modernes.
Nous sommes devenus prisonniers et malades de la vitesse même devant notre smartphone.
Gagner du temps, même la finance s'y met: pour le trading haute fréquence, cette guerre 2.0, la milliseconde compte et il n'y a nul repos pour le jeu des algorithmes. Un jeu dangereux, comme dit Krugman.
Il serait temps de trouver les conditions de rephasage entre notre vie et nos activités. Nos esprits qui tendent à s'emballer, devenant moins disponibles pour l'essentiel. Le problème est global, économique, civilisationnel.
Pourtant, l'ébauche de la nécessité d'un autre monde commence à s'esquisser, du moins en pensée, contre cette compression du temps qui n'est pas sans conséquences sur la vie psychologique, sociale et économique, cette " course effrénée aux profits immédiats et ses conséquences sur la planète et sur la société tout entière. Un monde soumis aux serveurs informatiques et aux algorithmes, qui échappent à tout contrôle, dont l’espace temps n’est plus celui des hommes mais celui des ordinateurs. Un secteur financier qui ne bénéficie qu’à quelques personnes dans le monde. A l'image de l'Américain Thomas Peterffy, fondateur et président d'Interactive Brokers, une entreprise située dans le Connecticut. Ce malin, milliardaire et cynique programmeur informatique, pour qui « le capitalisme reflète la nature intrinsèque de l’Homme », est persuadé que ce modèle ne s’écroulera jamais. « Celui qui aura les meilleurs logiciels aura les meilleures chances de l’emporter sur les autres. »
L'immédiat et la vitesse sont devenus la norme. L’accélération, notre rythme quotidien. « Mais à quel prix ? Et jusqu’à quand ? » interroge le réalisateur Philippe Borrel dans son dernier film, L’urgence de ralentir. « Ce que nous vivons, appuie l’économiste Geneviève Azam, c’est vraiment la colonisation du temps humain dans toutes ses dimensions – biologique, social, écologique – par le temps économique. C’est un temps vide, sans racine, sans histoire, seulement occupé par la circulation des capitaux ». Directement pointés du doigt, les milieux financiers et la logique d’actionnaires en attente d’une rentabilité immédiate.
Parfois jusqu'à la frénésie...
Illustration de cette accélération financière et technologique: le trading haute fréquence dans lequel les algorithmes ont remplacé les hommes. « Le marché est un serveur mettant en relation des acheteurs et des vendeurs qui sont désormais des algorithmes, relate Alexandre Laumonier, auteur de 6. Un ordre est exécuté au New York Stock Exchange en 37 microsecondes, soit 1350 fois moins de temps qu’il n’en faut pour cligner de l’œil... » Le rythme est désormais dicté par les machines. « Celui qui compressera le temps le plus rapidement possible gagnera la partie », assène le sociologue Douglas Rushkoff. A moins que les catastrophes écologiques, économiques et sociales annoncées ne prennent les devants...Le court-termisme et la financiarisation de l'économie sont potentiellement destructeurs des fondamentaux de l'économie elle-même.
" La logique de rentabilité et de compétitivité, propre à l’activité économique (« la concurrence ne dort jamais »), s’étend à tous les domaines de la vie. Le temps libre, d’autant plus précieux qu’il a été "gagné", doit lui aussi être géré efficacement ; mais cette réticence à courir le risque de le dilapider a de lourdes conséquences. Il en résulte un handicap qui, pour le coup, est également partagé du haut en bas de l’échelle sociale : « Pas plus que l’exploiteur, l’exploité n’a guère la chance de se vouer sans réserve aux délices de la paresse », écrit Raoul Vaneigem. Or, « sous l’apparente langueur du songe s’éveille une conscience que le martèlement quotidien du travail exclut de sa réalité rentable » .
Rosa ne dit pas autre chose : selon lui, si l’on veut reprendre la main sur le cours de l’histoire individuelle et collective, il faut avant tout se dégager des « ressources temporelles considérables » pour le jeu, l’oisiveté, et réapprendre à « mal » passer le temps, en se désimpliquant de cette logique, où au bout du compte la vie perd sa substance comme le temps perd son poids, sa densité. De s'arrêter souvent au bord du chemin pour se sentir seulement exister.Ce qui est en cause, ajoute-t-il, c’est la possibilité de « s’approprier le monde », faute de quoi celui-ci devient « silencieux, froid, indifférent et même hostile » ; il parle d’un « désastre de la résonance dans la modernité tardive ». La chercheuse Alice Médigue, elle aussi, identifie un « phénomène de désappropriation » qui maintient le sujet contemporain dans un état d’étrangeté au monde et à sa propre existence . Avant le règne de l’horloge — que les paysans kabyles des années 1950, rapporte Pierre Bourdieu, appelaient « le moulin du diable » —, les manières de mesurer le temps reliaient d’ailleurs naturellement les êtres humains à leur corps et à leur environnement concret. Les moines birmans, raconte Thompson, se levaient à l’heure où « il y a assez de lumière pour voir les veines de la main » ; à Madagascar, un instant se comptait à l’aune de la « friture d’une sauterelle »…
Parce qu’elle plonge ses racines très profondément dans l’histoire de la modernité, la crise du temps ne se satisfera pas de solutions superficielles. D’où la prudence avec laquelle il faut considérer des initiatives comme le mouvement européen slow — « lent » : Slow Food pour la gastronomie , Slow Media pour le journalisme, Cityslow pour l’urbanisme…
Aux Etats-Unis, le penseur Stewart Brand supervise dans le désert du Texas la construction d’une « Horloge du Long Maintenant » censée fonctionner pendant dix mille ans et redonner ainsi à l’humanité le sens du long terme. Le projet perd toutefois de sa poésie lorsqu’on sait qu’il est financé par M. Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon : on doute que ses employés, obligés de cavaler toute la journée dans des entrepôts surchauffés, y puisent un grand réconfort existentiel..."
Immense défi que celui qui consiste à s'abstraire de la tyrannie du court-terme, qui est un aspect de la crise que nous vivons, anthropologique autant qu'économique.
Est-ce ainsi que les hommes vivent? ♪♫♪
_________________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire