____ Sur l'IA: des questions légitimes, à débattre
_____ Conttre le techno-messianisme
____ La Silicon Valley a absorbé l’État. Les contrats publics remplacent les élections, les algorithmes décident à la place des généraux, et la souveraineté devient un service facturé au privé. ____ « Le coup d’État de la tech autoritaire », dans le Diplo de novembre.
"... Une nouvelle puissance se cristallise à Washington. Plus pressée, plus idéologisée, plus privatisée que tous les complexes militaro-industriels antérieurs, la tech autoritaire ébranle les fondations de la démocratie comme jamais cela ne s’était vu depuis les débuts du numérique. La Silicon Valley ne se contente plus de produire des applis ; elle bâtit des empires E n juillet dernier, dans les tréfonds de la machine bureaucratique du Pentagone, l’armée américaine a tranquillement sacrifié un pan essentiel de sa souveraineté sous couvert de rationalisation administrative. Agrégation de soixante-quinze contrats distincts, l’accord de 10 milliards de dollars signé avec Palantir Technologies est l’un des plus ébouriffants de l’histoire du département de la défense. La transaction entérine le transfert de fonctions militaires cruciales à une entreprise privée dont le fondateur, M. Peter Thiel, déclare ouvertement que « liberté et démocratie ne sont plus compatibles (1) ». Des décisions relatives à la détermination des cibles, aux mouvements de troupes et à l’analyse des renseignements seront ainsi de plus en plus fréquemment prises à l’aide d’algorithmes régis non par le commandement militaire mais par un conseil d’administration responsable devant ses actionnaires. L’armée n’achète pas ici un simple logiciel : elle cède son autonomie opérationnelle à une plate-forme dont elle ne pourra plus se passer. Au-delà de Palantir, toute une coalition d’entreprises, d’investisseurs et d’idéologues réunis sous la bannière du « patriotisme » s’emploie à construire un système planétaire de contrôle techno-politique : la « stack autoritaire », par analogie avec la « stack technique », qui désigne l’ensemble des technologies utilisées pour construire une application. Ce système de contrôle est un empilement de plates-formes de serveurs distants, de modèles d’intelligence artificielle (IA), de rails de paiement, de réseaux de drones et de constellations de satellites. Là où l’autoritarisme traditionnel recourt à la mobilisation des masses et à la violence d’État, cette forme de pouvoir s’appuie sur l’infrastructure technologique et la coordination financière, rendant la résistance classique non seulement difficile, mais organiquement obsolète. On trouve aux commandes les figures les plus droitières de la Big Tech — MM. Thiel, Elon Musk, Marc Andreessen, David Sacks, Palmer Luckey et Alexander Karp —, dont les investissements servent un projet politique clair : redéfinir la souveraineté comme une classe d’actifs privés. Cette capture des infrastructures critiques de l’État se manifeste dans cinq domaines stratégiques : les données personnelles, la monnaie, la défense, les communications par satellite et l’énergie. Tout commence par la prise en main de l’architecture logicielle. Le contrat à 10 milliards conclu fin juillet confirme ce que les initiés savaient déjà : Palantir — cette société dont M. Stephen Miller, chef de cabinet adjoint de la Maison Blanche, détiendrait pour quelque 250 000 dollars d’actions — tient désormais lieu de système d’exploitation par défaut du gouvernement américain. Dans le domaine militaire, il intervient sur le champ de bataille, la chaîne logistique, la gestion du personnel et le renseignement. Sa plate-forme Foundry, initialement développée pour la contre-insurrection en Irak, a fait le bonheur du département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) en automatisant, via des algorithmes politiquement orientés, l’élaboration du budget, l’éligibilité aux aides sociales, les remboursements médicaux et les pensions d’anciens combattants. Un autre outil de Palantir, ImmigrationOS, permet à la police de localiser les étrangers en situation irrégulière et de gérer les flux d’arrestations et d’expulsions. Si Palantir forme la colonne vertébrale de l’État autoritaire en matière de données, Anduril en est le bras armé. Cette compagnie cofondée par MM. Luckey (le créateur d’Oculus) et Trae Stephens (un ancien de Palantir) transforme la maîtrise de l’information en puissance de combat autonome. Valorisée à 30,5 milliards de dollars — un montant qui reflète autant sa réussite commerciale que son emprise croissante sur des infrastructures militaires cruciales —, elle détient plus de 22 milliards en contrats de défense. Sa plate-forme Lattice combine flux satellite, images radar et photos de terrain au sein d’un système de commandement unique capable de planifier et d’exécuter des opérations à la vitesse de l’éclair. Anduril se targue d’atteindre une autonomie de « niveau 5 » : décollage, identification de la cible, frappe et retour au bercail sans intervention humaine. « Autonomie » est aussi le maître-mot de l’initiative « Unleashing U.S. Military Drone Dominance » (débrider la domination militaire américaine en matière de drones), annoncée en juillet par le secrétaire à la défense Peter Hegseth, qui vise à l’intégration complète de systèmes d’armement autonomes d’ici à 2027. Un peu plus haut dans le ciel, Starshield, la constellation de satellites militaires secrets de SpaceX, marque la privatisation d’un domaine qui relevait jusqu’alors de la compétence exclusive de l’État : les communications en orbite terrestre basse. Promue comme une « infrastructure souveraine », elle reste en fait détenue et contrôlée par la société de M. Musk. Quand les communications sur les théâtres de guerre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) dépendent d’un homme qui soutient ostensiblement les partis d’extrême droite européens, l’autonomie de la défense devient une pure chimère. Le Pentagone étudie la possibilité d’utiliser Starship, la fusée de SpaceX, comme plate-forme logistique pour déplacer troupes et matériel à travers le globe en moins d’une heure (3). Là encore, la « souveraineté » qu’elles promettent se traduit surtout par de l’opacité pour les citoyens, qui perdent tout droit de regard, et un fil à la patte des gouvernements, de plus en plus captifs d’infrastructures industrielles privées...." [Souligné par moi] _____________________
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