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samedi 21 février 2009

Accumulation et (auto)destruction

Toujours problématique de mettre en relation le collectif et l'individuel, la société et l'individu, l'économie et les désirs individuels , la logique du système de production capitaliste et celle des besoins , des attentes , des désirs et des frustrations...car les deux niveaux ont leur logique propre (ce n'est pas le désir qui crée le système, ni le système qui génère simplement le désir).
-Cependant , il n'est pas inintéressant, comme le fait Maris , après Freud, de tenter une interprétation permettant d'établir des points de passage entre ce qui nous conditionne et que nous contribuons à édifier sans le savoir...
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-"Produire plus en moins de temps, c’est gagner du temps. Mais un homme ne gagne pas du temps. Il le vole à la mort."

-"Il n'y a pas d'émancipation possible sans la prise de conscience explicite de ce par quoi on est asservi , et plus fondamentalement sans la conscience même de l'asservissement , jusque là étouffée, anesthésiée par les habitudes et le poids des conformismes." (A.Accardo)_________

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Nous accordons toujours beaucoup plus au système que nous ne lui refusons. Parce que le système a les moyens de nous extorquer notre assentiment sans même que nous y prenions garde"(AA)

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Bernard Maris & Gilles Dostaler : “Capitalisme et pulsion de mort : Freud et Keynes"

"...Toute crise suscite deux mouvements antagonistes. Le désir de collectif, de gratuité, d’échange : une économie alternative. Ou le repli sur soi, identitaire, répressif : une économie de la seule compétitivité, basée sur ce que Sigmund Freud appelle le narcissisme des petites différences (que ce soit entre salariés, ou entre Etats, comme on le voit entre la France et l’Allemagne). Le contrat fordiste, basé sur la redistribution, a volé en éclats. La crise est un prétexte de plus pour licencier, assouplir le droit des affaires, donner encore plus de poids aux banquiers (qui cogèrent la société de refinancement mis en place par l’Etat), diminuer la transparence, rogner les crédits dévolus aux services publics.--Et la refondation du capitalisme annoncée à grands cris ?Pour l’instant, c’est plutôt la consolidation d’un capital à sens unique, non ? Une manne qui va toujours en amont (les actionnaires), et jamais en aval (les salariés, les précaires). D’un côté, l’accumulation sans précédent d’argent dans le monde ; de l’autre, l’une des plus graves récessions historiques. D’un côté, l’injection de milliers de milliards de dollars pour sauver la finance ; de l’autre, le milliard de personnes qui souffre de la faim dans le monde. D’un côté, les parachutes dorés illustrant le règne de l’usure et de l’avarice ; de l’autre, les «réformes» qui sont autant de démantèlements des acquis sociaux. Il faut être aveugle ou machiavélique pour ne pas le voir…---L’autre économie, alternative et solidaire, est-elle un antidote à cette tendance ?Plus que jamais, le système actuel véhicule une idée de conflit, de chômage, d’exclusion. Sigmund Freud parlait d’un monde marqué par la rareté, la concurrence, l’incertitude et l’angoisse. John Maynard Keynes, lui, estimait que la possession d’argent liquide apaise notre inquiétude. Et ceux qui n’en ont pas ? Ils sont, comme les adeptes symboliques des autoréductions, dans un instinct de survie, de vie et de partage face à un capitalisme qui véhicule des pulsions de mort. Dans De l’autosuffisance nationale, en 1933, John Maynard Keynes disait : «Le capitalisme décadent, il n’est pas intelligent, il n’est pas beau, il n’est pas juste, il n’est pas vertueux - et il ne livre pas la marchandise»…

-« Capitalisme et pulsion de mort » : le libéralisme allongé sur un divan | Rue89:
"...Freud, pour illustrer ses découvertes sur la pulsion de mort, sur l’Œdipe, et sur l’accumulation d’objets pour se détourner de la mort, "a fait siens deux concepts fondamentaux de l’économie: la rareté et le détournement", les auteurs s’attacheront à relier ce qui, dans les théories de Freud sur l’individu, peut s’adapter sans problème aux théories économiques du théoricien de la relance, John Maynard Keynes, pour qui le temps passé à travailler pour produire et pour gagner de l’argent est le temps de la mort.En effet, produire plus en moins de temps, c’est gagner du temps. Mais un homme ne gagne pas du temps. Il le vole à la mort, puisque, comme l'avait découvert Freud et comme le scandait dans les années 30 le grand poète hongrois Attila Jozsef, « est un homme celui qui / en son cœur n’a ni père ni mère / et sait qu’il n’a la vie / qu’en plus de la mort »."De même que la psychologie est omniprésente dans l’œuvre de Keynes, l’économie occupe beaucoup de place dans celle de Freud", concluent les auteurs. Selon qui, ce que montrent Keynes et Freud, in fine et sous des angles différents, c'est la jubilation de l'homme à s'autodétruire...
-"Détruire, puis se détruire et mourir constituent aussi l’esprit du capitalisme. […] Le marché, cet adjuvant du capitalisme, est un terrible lieu d’égalité théorique et, partant, de mimétisme, de rancœurs, ainsi qu’un incroyable catalyseur de la pulsion de mort à l’œuvre dans l’accumulation."Pour Maris et Dostaler, le capitalisme, à plus forte raison le libéralisme, contient dans sa propre logique d’accumulation ni plus ni moins que la destruction de l’homme. S’appuyant sur Lévi-Strauss qui, il y a quatre ans, prévoyait un pic de population (9 milliards d’hommes en 2050) avant une autodestruction complète provoquée par les ravages culturels, endémiques et écologiques. Qui sont déjà à l’œuvre, et qui ne font que porter à leur paroxysme "le degré de haine inconsciente que nous nous portons" (illustration citée dans le livre les attentats-suicides islamiste contre… des civils innocents, en Irak).Passant au divan les notions de liquidités, de rentes, de profits, d’argent-roi, d’accumulation, de chocs des civilisations, de marché global, de masses, Dosteler et Maris éclairent en rationalisant nos peurs. Et invoquent la "part obscure" du système, donc la nôtre. Celle de Keynes, aussi, cet homme bien né qui vilipendait le marché mais spéculait contre la livre sterling.C’est aux frontières du "Mal" qui nous constitue que nous amène, en bout de route, le livre. Sadisme, érotisme, sexe, domination, jouissance du mal, désir effréné d’accumulation, libido: c’est George Bataille qui s’invite, avec Freud, dans "Capitalisme et pulsion de mort"...."

-Rêve américain, rêve européen:

Le rêve américain est largement gagné par l’instinct de mort. Nous cherchons l’autonomie à tout prix. Nous consommons trop, nous cédons à tous nos appétits et dilapidons les ressources de la Terre. Nous accordons la priorité à une croissance économique effrénée, nous récompensons les puissants et marginalisons les faibles. Nous sommes dévorés par le souci de préserver nos intérêts personnels et avons édifié la machine militaire la plus puissante de l’histoire pour obtenir ce que nous voulons, ce que nous pensons mériter. Nous nous considérons comme un peuple élu, et estimons donc avoir droit à plus que notre part légitime des richesses de la Terre. Malheureusement, notre intérêt personnel se transforme peu à peu en égoïsme pur et simple. Notre civilisation est devenue mortifère.Que veut dire cette expression ? C’est très simple. Personne, et aucun Américain en tout cas, ne contestera que nous sommes les consommateurs les plus voraces du monde. Mais nous oublions que consommation et mort sont indissolublement liées. Le terme de « consommation » remonte au début du XIVe siècle et a des racines aussi bien anglaises que françaises. A l’origine, « consommer » voulait dire détruire, piller, assujettir, épuiser. C’est un mot tout imprégné de violence qui n’a eu jusqu’au XXe siècle que des connotations négatives. Rappelez-vous que, au début des années 1900, les milieux médicaux et le grand public parlaient de « consomption » pour désigner la tuberculose. Le terme de consommation n’a dû son acception positive qu’à des agents publicitaires qui ont entrepris, au XXe siècle, d’assimiler consommation et choix. Dans le dernier quart du XXe siècle, en Amérique en tout cas, le choix du consommateur a commencé à remplacer la démocratie représentative comme expression ultime de la liberté humaine, reflétant son nouveau statut sacré.Aujourd’hui, les Américains consomment plus du tiers de l’énergie mondiale et d’importantes quantités d’autres ressources de la Terre, alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population planétaire. Nous dévorons sans compter pour nourrir nos insatiables appétits individuels. Et ce comportement obsessionnel, voire pathologique, repose sur le désir effréné de vivre et de prospérer en tuant et en consommant tout ce qui nous entoure. Elias Canetti, fin observateur des civilisations, a noté un jour que « chacun de nous est un roi dans un champ de cadavres ». Si les Américains prenaient le temps de réfléchir au nombre de créatures et à la masse de ressources et de substances de notre planète que chacun s’est appropriés et a consommés au cours de sa vie pour perpétuer des modes de vie dispendieux, ils seraient certainement consternés par ce carnage. Faut-il s’étonner que, en observant la consommation outrancière de l’Amérique, tant de gens à travers le monde considèrent notre civilisation comme mortifère ?..."

- L'argent et l'obsessionnel
-De la symbolique de l'argent...
-Le bouddhisme et l'argent : Le refoulement actuel du vide:
"...Le résultat de ce processus est "une économie gouvernée par un pur sentiment de culpabilité, en rien mêlé d'un quelconque sentiment de rédemption," "d'autant plus irrésistiblement mue par le sentiment de culpabilité que le problème de la culpabilité est refoulé dans l'inconscient par le déni." . À cet égard, la forme particulière de cette démence aujourd'hui est représentée par le culte de la croissance économique qui est devenu notre principal mythe religieux. "Nous ne donnons plus notre surplus à Dieu. Le processus consistant à produire un excédent qui croît sans cesse est en soi notre Dieu... Pour citer Schumpeter : « La rationalité capitaliste ne se débarrasse pas des élans infra- ou supra-rationnels. Elle se contente de les rendre totalement incontrôlables en supprimant la limitation d'une tradition sacrée ou semi-sacrée. »"
L'argent (le sang) et la croissance économique (le corps) constituent un mythe imparfait car ils ne peuvent fournir aucune expiation à la culpabilité – en termes bouddhistes, aucune résolution du manque. Notre nouveau Sanctuaire, le véritable temple de l'humanité moderne, c'est la Bourse, et notre rite d'adoration, c'est la communion avec l'indice Dow Jones. En retour, nous recevons le baiser des profits et la promesse d'autres profits à venir, mais il n'y a aucune expiation là-dedans. Évidemment, pour autant que nous ne croyons plus dans le péché, nous ne voyons plus rien à expier. Ce qui veut dire que nous finissons par expier inconsciemment de la seule façon que nous connaissons, en travaillant dur pour acquérir toutes ces choses dont la société nous dit qu'elles sont importantes et qu'elles nous rendront heureux. Nous ne pouvons dès lors pas comprendre pourquoi elles ne nous rendent pas heureux, pourquoi elles ne résolvent pas notre sentiment de manque. Il ne peut y avoir qu'une raison à cela : nous n'en avons pas encore assez. "Mais le fait est que l'animal humain se caractérise de façon spécifique, en tant qu'espèce et depuis l'origine, par le besoin de produire des excédents.... Quelque chose dans la psyché humaine condamne l'homme à la non-jouissance, au travail." Où allons-nous tous avec tant d'empressement ? Comme l'a dit justement Aristote : "L'acquisition commerciale n'a pas même pour fin le but qu'elle poursuit puisque son but est précisément une opulence et un enrichissement indéfinis." (Politique, I, 3). Nous n'allons pas quelque part, mais nous nous éloignons de quelque chose, c'est la raison même pour laquelle il ne peut y avoir de fin à ce processus tant que ce quelque chose est l'ombre de notre propre manque. "Les économies, archaïques et civilisées, sont au bout du compte emportées par cette fuite devant la mort qui réduit la vie à une mort-dans-la-vie." . Ou par cette fuite devant la vacuité, une fuite qui vide la vie : par une intuition du néant qui, lorsqu'on la refoule, ne fait qu'approfondir mon sentiment que quelque chose ne tourne vraiment pas rond en moi.En termes bouddhistes, donc, l'argent symbolise le devenir-réel, mais comme nous ne devenons jamais vraiment réels, nous ne faisons que rendre plus réel encore notre sentiment du manque. Nous finissons dans un ajournement perpétuel, car tous ces jetons que nous avons accumulés ne pourront jamais être encaissés. Au moment où nous le faisons, l'illusion que l'argent peut résoudre le manque se dissipe. Nous nous retrouvons plus vides et minés par le manque qu'avant, privés que nous sommes du fantasme de lui échapper. Nous soupçonnons et craignons inconsciemment un tel dénouement. La seule réponse est de fuir encore plus vite dans le futur. Ici, on met le doigt sur le défaut fondamental de tout système économique qui requiert une croissance continue pour survivre : il est fondé, non sur des besoins, mais sur la peur, car il se nourrit de notre sentiment de manque et l'alimente. En somme, notre préoccupation de manipuler le symbole le plus pur, que nous imaginons être le moyen de résoudre le problème de la vie, se révèle être un symptôme du problème...."(DR Loy)
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- Redécouvrir Thorstein Veblen
- Consommateurs ou/et citoyens ?
-Individualisme: positif ou négatif ?
- Servitude (in)volontaire ?
- Ego-mania

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