Ça va jazzer

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vendredi 31 mai 2019

Hibernata

Trésors des glaces.
                       On ne sait s'il faut s'en réjouir ou non, mais le réchauffement climatique aurait du bon.
   On le sait et on s'en inquiète, les glaciers reculent un peu partout, la banquise se réduit peu à peu et les zones de neige dites éternelles le sont de moins en moins.
     Bien des raisons de se faire du souci.

    Mais pour les archéologues, c'est un âge d'or qui arrive. C'est le début d'un champ d'exploration inédit qui s'offre à eux.
     L archéologie glaciaire, voilà une nouvelle spécialité qui connaît des jours heureux.
«Une nouvelle discipline scientifique l'archéologie glaciaire– récolte et étudie ces vestiges, souvent en matériaux périssables et exceptionnellement préservés par congélation», précise Pierre-Yves Nicod, commissaire de l'exposition «Mémoire de glace: vestiges en péril» qui s'est tenue récemment au Musée d'histoire du Valais, en Suisse. Elle a offert aux yeux du public une sélection d'objets préhistoriques et historiques du Néolithique au XXesiècle, découverts sur les glaciers alpins...."
      Mais pas seulement dans le massif alpin.
   Des pans nouveaux de découvertes de toutes sortes s'ouvrent, qui pourraient bien renouveler certaines questions historiques en suspens.
    L'homme a laissé des traces partout, souvent là où on l'attendrait le moins, à la faveur des changements climatiques.
    Pas seulement dans les Alpes ou dans le Yukon.
  Mais il faut faire vite. Les découvertes sont d'une extrêmes fragilité et d'une grande volatilité.
 Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
On embauche, pour de fantastiques découvertes.
           Homo hibernatus, ce n'est pas du cinéma...
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jeudi 30 mai 2019

Euro: une erreur? (3)

Un débat non clos.
                            D'abord, l'euro est un fait, semblant parfaitement intégré. Au point que certains partis dits europhobes ne le remettent plus en question, ou de moins en moins.
        Il apparaît maintenant difficile de revenir aux monnaies nationales, quel que soit le jugement porté sur son origine, son opportunité et son avenir.
        La monnaie est chose complexe, sur laquelle bien des économistes peuvent être en désaccord, toujours entre violence et confiance.
    Pour plusieurs économistes américains, comme Stiglitz, la monnaie unique imposée (et non une monnaie commune avec variations nationales possibles), fut une erreur majeure. Un coup de force pour accélérer l'union et mettre au pas l'Allemagne, dans un contexte très particulier. Mais un amplificateur de crises.
   Mais peut-on maintenant envisager de l'abandonner sans risques politiques majeurs,  en semblant ignorer de plus la réalité européenne spécifique? On en débattra encore longtemps, même si une certaine souplesse, certains ajustements et modes de fonctionnement pourront être introduits dans l'avenir. Il n'est tout de même pas normal que la BCE soit hors contrôle politique, mais parfois sous injonction allemande, gérée par des enfants de Goldman Sachs et que le cour de la monnaie unique favorise autant de fait l'économie exportatrice de nos voisins d'Outre-Rhin.
    Il n'en reste pas moins que cette monnaie mise en place à la hâte, dans des circonstances bien spécifiques, est une monnaie bâtarde, pas franchement adaptée à la diversité des économies concernées, surtout sans unité politique et sans réelle convergences, souvent à l'encontre des principes émis.
    Une monnaie sans nation. D'où sa faiblesse structurelle congénitale, génétiquement problématique, malgré l'euphorie des premiers temps.
 Mais déjà en 2009, le statut de l'euro faisait l'objet d'âpres discussions.
   L'euro-fort-qui-ne-se-discute-pas a été depuis au centre de nombreux débats, pas seulement économiques, car la monnaie unique était d'abord un pari politique. Elle a souvent été présentée comme un parapluie ou comme un boulet, favorisant surtout la puissance exportatrice allemande, aux dépends de ses partenaires.
L’euro ne fait plus rêver
   A l'approche des élections européennes, le débat tend à se radicaliser.
Certains, comme J.C. Trichet, jugeait que seul un saut fédéral peut sauver un monnaie recouvrant des économies si contrastées. Trichet, avait « négocié au nom de Paris chaque virgule de tous [...] les aspects monétaires » du traité de Maastricht, en 1992, confie t-il à Le Point, en octobre 2013. Le poids de la garantie apportée par Trichet à l'euro est à la mesure du prestige dévolu à ses fonctions successives, en particulier à la tête de la BCE, de 2003 à 2011. Le haut fonctionnaire Jean-Pierre Jouyet résume leur place respective : « Trichet a été au système monétaire européen ce que Delors a été à la Commission et à la Communauté européenne ».
      En octobre 1990, François Mitterrand avait prévenu qu’une monnaie unique sans gouvernement européen ne survivrait pas longtemps. Or ce projet, s'il existe un jour, n'est pour l'instant qu'un projet des plus utopiques.
   La persistance d'un déséquilibre entre le nord et le sud de la zone euro, consécutive à la crise financière de 2008, puis la crise de l'euro, est la réalisation du scénario noir envisagé par l'establishment économique américain qui, de Friedman à Krugman, s'étaient penchés sur le rapport Delors.
   Quel était la raison de ce scénario noir ? C'était le vice de l'euro, c'est à dire l'absence de mécanisme pour mutualiser le risque macroéconomique entre les états. Autrement dit, un budget fédéral capable, comme aux États-Unis, de résorber les chocs asymétriques. Et, effectivement, les courbes de chômages des différents états des États-Unis, ont traversé la crise financière de 2008 en demeurant synchrones..."
       Plus d'un économiste, parfois de premier plan, considère l'euro comme une erreur et la possibilité de s'en débarrasser comme une nécessité et une possibilité qui ne mènerait à aucune tragédie si le processus est bien préparé, concerté, maîtrisé. Comme l'écrit un ancien europèiste, l'euro relevait de la pensée magique.

       Emmanuel Todd considère que la peur paralysante des élites face à une démarche techniquement possible est le principal frein qui nous empêche de passer à une monnaie commune (et non plus unique), permettant aux économies de respirer, de se développer et de sortir d'un marasme paralysant qui accentue la crise dans la plus grande dé-solidarité.
              L'euro nous pénalise et entraîne l'Europe à sa perte, disaient certains.
Selon Arnaud Montebourg, « L’euro pénalise l’industrie au lieu de la soutenir dans la grave crise de compétitivité que nous traversons. Tous les grands industriels européens dans l’aéronautique, dans l’agroalimentaire, dans les transports, et toutes les institutions économiques du FMI au Conseil d’analyse économique, lui-même placé auprès du Premier ministre, en passant par l’OCDE, défendent des politiques nouvelles et «non conventionnelles» visant à enfin faire baisser le niveau de l’euro. Pourquoi devrions-nous continuer à nous mettre la tête dans le sable» Sur ce point encore, on ne peut que partager le constat. Aujourd’hui, le taux de change de l’Euro pénalise la totalité de l’industrie française (et italienne, troisième pays de la Zone Euro). Ce taux de change accélère les processus de désindustrialisation que nous connaissons. Par ailleurs ils plongent aussi les pays de la périphérie de la zone Euro dans la déflation..." 
     Une monnaie batarde, donc?
    Les faiblesse de l'euro fort n'ont pas fini d'être soulignées, comme ses failles.
 Toujours encore en question, dans le contexte de l'après crise, l'euro longtemps apparaîtra comme une bulle cognitive.
   L'Europe, ce qu'elle deviendra demain, sera-t-elle toujours soumise à l'épreuve de la monnaie unique?
          Nul n'est prophète pour le dire...La question n'est pas (que) monétaire, purement économique.
___[Retour aux origines-  L'euro ou l'écu?]
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mercredi 29 mai 2019

L' Europe, l'Europe!...(2)

Comme disait De Gaulle ...
                                 que le possible abandon de souveraineté hérissait.
      Faire l'Europe: un rêve pour longtemps?
  Oui, mais quelle Europe? Un espace marchand (ultra)libéral encore élargi, sans doute, pour faire face aux puissances américaine et chinoise? C'est en cours, malgré le manque de solidarité et le règne de la concurrence entre les partenaires.

   Une confédération politique avec des institutions uniques sur les plans diplomatiques, militaires...         On n'en prend pas le chemin.
  Le patronage de Saint-Colomban et de Charlemagne,la référence mariale et l'éventuelle bénédiction papale n'y changeront rien. Les symboles et les accords commerciaux ne seront d'aucun secours pour constituer le début d'une d'union politique digne de nom, même minimale.
   Une fantôme, disait R. Debray. Une idée souvent évoquée, mais sans concrétisation. Du moins dans les conditions actuelles. Le nombre des pays membres l'interdisant d'ailleurs, comme la rigidité des Traités et le mercantilisme ambiant, l'Allemagne menant le bal.
   Les tractations post-électorales en cours donne une idée du degré de complexité d'un système qui échappe à la compréhension du citoyen moyen....
  Quelle nouvelle Europe se dessine, quand la notion de peuple européen pose toujours problème et quand le statut de l'euro divise toujours. Une Europe toujours vassalisée de fait, qui plie toujours devant les puissants intérêts américains.
  Certains encouragements à l'investissement interrogent et une grande tolérance est donnée aux lobbies  . La politique agricole oscille entre les excès.
   Peut-on encore sauver le projet européen, se demandent même certains responsables ou observateurs avertis gardant encore la foi?
  D'autres évoquent les sept péchés capitaux qui auraient vicié le projet dès l'origine...
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                  " D’aucuns voient dans la critique de la gouvernance européenne une aberration par le fait que l’Europe demeure un havre de paix sans équivalent dans le monde (si l’on met à part Japon, Corée, Taiwan, Singapour, Canada, Australie…).
  Mais si l’Europe de l’Ouest jouit d’une aisance enviable, elle ne le doit aucunement à Jean Monnet, Jacques Delors, José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker. Elle le doit à l’effort renouvelé des quarante générations de femmes et d’hommes du précédent millénaire qui ont bâti des communautés nationales fondées sur le droit, la confiance et la solidarité, au contraire de la plupart des autres régions du monde, rongées par l’arbitraire, la défiance et l’instabilité.
    Les inquiétudes actuelles tiennent à la crainte de dilapider ces acquis millénaires dans une Europe à son tour rongée par l’arbitraire, la défiance et l’instabilité. On peut nier ces inquiétudes et traquer les partis politiques qui ont le front de s’en servir, de la même façon qu’on casserait un thermomètre pour ne pas voir une montée en température. C’est une approche « optimiste » mais stérile et vaine.
    On peut aussi poser un diagnostic sans tabous sur la construction européenne et ses dérives, en vue d’en tirer un protocole de soins salvateur. C’est une approche « pessimiste » mais constructive. Engageons-nous donc dans cette voie et demandons-nous quels sont les malentendus à l’origine de la crise européenne. Nous en avons distingué sept, comme les péchés capitaux du catéchisme d’antan : (1)l'Europe a été créée pour faire la guerre (froide), (2) elle s'est soumise à Washington, (3) elle prétend effacer les nations, (4) elle n'a généré aucune solidarité entre les citoyens des différents États, (5) elle s'est construite sur une idéologie (néo)libérale, (6) elle tourne le dos à sa diversité culturelle, (7) elle privilégie l'accessoire à l'essentiel.
    Caressée par maints rêveurs, de Victor Hugo à Aristide Briand, l’idée européenne a été réactivée par Winston Churchill, à Zurich le 19 septembre 1946, et reprise au vol en mars 1947 par le Congrès américain qui se déclara « favorable à la création des États-Unis d’Europe dans le cadre des Nations Unies ».
   On était alors en pleine guerre froide. L’URSS de Staline se dotait de la bombe thermonucléaire. La Chine, l’Indochine et la Corée étaient sur le point de tomber sous sa tutelle. Berlin allait faire l’objet d’un blocus et chacun craignait une troisième guerre mondiale entre les deux Super-Grands, États-Unis et URSS.
    En rapprochant les pays ouest-européens, Washington souhaitait donc allumer un contre-feu face à la menace soviétique. Mais dans une Europe occidentale où les communistes pesaient jusqu’à 25% du corps électoral (France, Italie), on préféra se convaincre que la construction européenne avait avant tout vocation à réconcilier ses peuples. Cette fable innocente prévaut encore aujourd’hui.
      Dans les faits, quand la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) fut créée le 9 mai 1950, cinq ans après la fin du nazisme, il était bien évident que l’Allemagne meurtrie, honteuse, occupée et divisée était pour plusieurs générations hors d’état de reprendre les armes. Ses voisins avaient tout autant perdu l’envie de replonger dans la guerre. De même que Waterloo (1815) avait inauguré un siècle de paix à peine altéré par quelques guerres brèves et limitées, on pouvait raisonnablement espérer un nouveau siècle de paix avec ou sans union politique de l’Europe.
    C’est à nouveau le contexte international, le soulèvement de Budapest et la crise de Suez (1956), qui ont permis le traité de Rome l’année suivante. En réactivant la menace soviétique et surtout en démontrant la faiblesse de la Grande-Bretagne et de la France face aux deux Super-Grands, ces crises ont levé les objections de la France au projet de Marché Commun.
    La chute du communisme européen en 1989-1991 a remis en question les prémices de l’Europe. La menace soviétique a disparu et la Russie en format réduit qui a succédé à l’URSS s’est montrée soucieuse de seulement protéger les russophones.
    C’est dans ce contexte apaisé que l’OTAN et les pays de l’Union européenne ont pris le parti de faire la guerre pour la première fois de leur histoire, en intervenant en Yougoslavie puis en déstabilisant le Caucase et l’Ukraine.
    On peut y voir la démonstration que c’est la guerre froide qui assurait la paix en Europe… et poussait les Européens à s’unir. Sitôt qu’elle a pris fin, par KO de l’URSS, l’Europe est redevenue une terre de conflits et de tensions.
     La construction européenne a été rendue possible par le soutien des États-Unis et jusqu’à la chute de l’Union soviétique, ce soutien n’a pas fait défaut. Il s’est aussi accommodé de quelques dissidences : le général de Gaulle ne s’est pas privé de dénoncer l’intervention américaine en Indochine et, dans un souci d’indépendance, il a même suspendu la participation de la France au commandement de l’OTAN.
    Il est vrai que l’Amérique flamboyante de l’après-guerre suscitait attirance et fascination jusque chez ses adversaires du camp communiste. Le contexte a changé dans les années 1990 quand s’est effondrée la menace soviétique et que les États-Unis sont apparus comme une économie déclinante face à la percée de la Chine. Misant dès lors sur sa puissance militaire, le gouvernement américain est devenu un facteur d’instabilité : extension de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie, blocus de l’Irak, déstabilisation de l’Iran etc.
    En 2003, le gouvernement français s’est une dernière fois permis d’apporter la contradiction au gouvernement américain quand celui-ci s’est mis en tête d’envahir l’Irak. Quinze ans plus tard, il n’est plus question de s’opposer à l’Oncle Sam. L’Europe suit les États-Unis quoi qu’ils fassent et quoi qu’il lui en coûte : diabolisation de la Russie, soutien à l’Arabie dans son agression du Yémen... Elle s’est même couchée quand le président Trump a unilatéralement déchiré l’accord de Paris sur le climat et le traité de Vienne avec l’Iran.
     Plus grave que tout, l’Europe s’est soumise au droit intérieur américain en acceptant que soient sanctionnées les entreprises qui viendraient à commercer avec l’Iran. C’est du jamais vu en matière de servitude volontaire de la part d’États naguère indépendants et respectés. « Si nous acceptons que d'autres grandes puissances, y compris alliées, y compris amies dans les heures les plus dures de notre histoire, se mettent en situation de décider pour nous notre diplomatie, notre sécurité, parfois en nous faisant courir les pires risques, alors nous ne sommes plus souverains, » a reconnu Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle, le 10 mai 2018. La conclusion est sans appel et c’est donc le président qui le dit : nous ne sommes plus souverains !...
     En 1914, au sommet de sa puissance, emportée par un orgueil démesuré, l’Europe a sombré dans une effroyable « guerre de Trente Ans ». D’aucuns en ont rendu responsables les États-Nations. C’est oublier que ceux-ci ont permis aux Européens de bâtir en mille ans une immense civilisation, avec la démocratie en prime. Ces États-Nations ont limité les conflits en permettant à chaque communauté de se développer suivant ses usages et ses mœurs, au contraire de l’empire chinois qui a connu de nombreuses guerres civiles à peu près aussi meurtrières que les guerres mondiales, de la rébellion An Lushan (VIIIe siècle) à la révolution culturelle.
     L’Union européenne croit pouvoir faire table rase de son passé, à la différence de la Suisse, par exemple, qui s’est construite dans le respect des différences entre ses cantons. Illustration : en campagne pour la liste présidentielle aux européennes, Nathalie Loiseau plaide pour une « Europe des territoires ». Les territoires ? Des lieux habités par des gens, où les échanges se font avec des billets illustrés par des ponts et des portes sans nom et sans mémoire… 
     Cette dépersonnalisation de l’Europe vise clairement à gommer l’Europe des nations et des citoyens. Sur les murs du bâtiment Berlaymont qui abrite à Bruxelles la Commission européenne, on voit des cartes d’où les États ont pratiquement disparu au profit des circonscriptions administratives. Les fonctionnaires de Bruxelles ignorent ostensiblement les nations mais débordent d’attentions pour les régions, comtés, départements, communes, corporations, associations etc.
     La Commission se fait ainsi un devoir de distribuer à quiconque lui en fait la demande des subventions joliment qualifiées de « fonds européens structurels et d’investissement » (FESI). C’est de l’argent versé à Bruxelles par les différents États et redistribué tous azimuts, pour le financement de ronds-points, de tunnels, de crèches, de musées, d’organisations caritatives etc. Par cette « générosité » faussement innocente et somme toute inutile, l’Union s’immisce dans les politiques nationales et brouille leurs priorités.
    La raison voudrait que les FESI soient simplement versés aux États les plus nécessiteux et que l’on s’en tienne là en laissant aux citoyens de chaque État le soin de décider de l’affectation de leurs ressources
   La construction européenne n’a créé en soixante-dix ans aucune solidarité effective par-dessus les États. En pratique, dans leur vie quotidienne, les Français ne sont pas plus solidaires des Allemands et des Roumains que des Mongols ou des Sénégalais. En matière sociale, fiscale ou civile, les Européens ne partagent strictement rien entre eux et sont même dans plusieurs domaines en concurrence les uns avec les autres.
     Il y a aujourd’hui plus de liens entre un habitant d’un bidonville de Mayotte et un bourgeois de Strasbourg qu’entre ce dernier et son voisin de Fribourg-en-Brisgau, si proches qu’ils soient par les mœurs et le mode de vie. Les Strasbourgeois acceptent sans maugréer de financer des aides sociales à destination des Mahorais. Mais on a vu par contre les Fribourgeois et les autres Allemands se soulever avec colère quand il a été envisagé en 2015 d’aider les Grecs victimes de la crise.
     L’union monétaire et la libre circulation des capitaux ne compensent pas l’absence de solidarités sociales et humaines. Au contraire, elles exacerbent les conflits entre les citoyens des différents États. C’est ainsi que les paysans français encaissent aujourd’hui de plein fouet la concurrence de l’agro-industrie allemande sans pouvoir se défendre et l’actuel président de la Commission européenne a pu gouverner pendant dix-huit ans le Luxembourg en « pompant » à son seul profit les ressources fiscales des groupes américains installés en Europe.
    Notons que les aides aux États les plus pauvres (Roumanie, Bulgarie…), justifiées et nécessaires, ne créent pas davantage de solidarité que l’aide de l’Europe à l’Afrique. Si elles sont mal gérées, elles peuvent induire une situation de dépendance et nourrir les réseaux mafieux et la corruption..
     L’Europe est née en 1950 sur un projet de coopération économique. Rien de plus normal. À mesure qu’elle a grandi, elle a eu soin  d’abattre les barrières douanières et les entraves aux échanges. Normal aussi. Elle s’est aussi associée aux négociations initiées par les États-Unis sous le nom de Kennedy Round(1964-1967) en vue de faciliter les échanges internationaux. Normal également. On est ici dans une démarche pragmatique qui réunit des États souverains également développés.
    Un changement s’est produit à la fin des années 1970, avec d’une part la fin de l’expansion d’après-guerre (les « Trente Glorieuses »), d’autre part l’émergence d’une idéologie néolibérale (Milton Friedmann, Friedrich Hayek…) qui n’a plus rien de pragmatique et soutient mordicus que « l’actionnaire sait mieux que quiconque ce qui est bon pour l’entreprise » (Jack Welch, General Electric), « l’État n’est pas la solution à notre problème, l’État est le problème » (Ronald Reagan, président américain) et « le libre-échange, c’est la paix »(Pascal Lamy, président de l’Organisation mondiale du commerce).
   À la différence des autres dirigeants de la planète (Américains, Chinois, Japonais…), les Européens se sont convertis sans réserve à la nouvelle religion. Ils ont multiplié les accords de libre-échange dissymétriques (Japon, Chine, États-Unis…) en ouvrant leurs marchés et leurs capitaux sans s’assurer de la réciproque. Il s’en est suivi une perte de marchés et surtout de savoir-faire dont le dernier exemple est le rachat du géant allemand de la robotique, Kuka, par une société chinoise inconsistante mais grassement financée par Monsieur Xi (Xi Jinping).
    Fidèles à leur foi, les dirigeants européens ont aussi prohibé toute forme de dirigisme étatique et de coopération intergouvernementale. De fait, depuis la mise en route de l’Acte unique (libre circulation des marchandises et des capitaux) et de la monnaie unique en 1988, l’Europe n’a plus aucune réalisation à son actif, comparable à Airbus (1970), l’Agence spatiale européenne (1975), Erasmus (1985) etc. L’Europe est en panne. Toute son énergie est vouée à la défense de la monnaie unique envers et contre tout, cependant que l’industrie qui a fait la richesse du continent s’étiole, s’évanouit ou s’évade.
    Le néolibéralisme est au libéralisme ce que le marxisme-léninisme fut au socialisme, une extrapolation monstrueuse et mortifère. On n’en sort pas impunément et c’est en vain que certains Européens réclament la « préférence communautaire » sur les importations et les contrats publics. Il faut dire qu’il est plus avantageux à titre individuel d’importer un produit de Chine au prix de 20 et de le revendre 90 plutôt que de le fabriquer en Europe au prix de 50 et de le revendre 100. ...  
      C’est que toutes les références culturelles communes aux Européens viennent aujourd’hui d’outre-Atlantique. Elles sont véhiculées par l’anglais international ou globish« À Bruxelles, c’est le globish qui règne en maître, une forme appauvrie à l’extrême de la langue de Shakespeare qui permet à tout le monde de communiquer sans problème », écrit Jean Quatremer, ex-européiste (Les Salauds de l’Europe). Faut-il s’en féliciter ? « La langue n’est pas neutre, rappelle Jean Quatremer. Elle véhicule des valeurs et des concepts et, surtout, seule la langue de naissance permet de communiquer au plus près de sa pensée : ce n’est pas un hasard si un Américain, un Chinois ou un Japonais ne négocie jamais dans une autre langue que la sienne »
   Faut-il malgré tout se résigner à la domination de l’anglais ? Serait-ce le prix à payer pour la réconciliation des peuples ? Ce serait un bien mauvais calcul...
    Dans quelques années, deux décennies au plus, nous disposerons avec internet d’outils de traduction instantanés d’une extrême fiabilité qui rendront inutile le recours à l’anglais international, y compris à l’oral. Il suffira à chacun de s’équiper d’une oreillette et de tendre son mobile vers son interlocuteur pour que chacun puisse parler et entendre dans sa langue maternelle. L’apprentissage des langues cessera d’être une obligation et redeviendra un pur plaisir. Les Japonais et quelques autres peuples demeurés fidèles à leur langue pourront alors pleinement jouir de leur avantage sur ceux qui auront fait le choix du plus petit dénominateur commun
      L’union fait la force, a-t-on coutume de dire. À condition que tous tendent vers le même objectif, faudrait-il ajouter. Autrement, l’union peut mener à la paralysie. C’est ce qui est arrivé à la Pologne au XVIIIe siècle à cause d’une mesure constitutionnelle d’une rare stupidité, le liberum veto, qui permettait à un quelconque député de la Diète de bloquer une loi. En conséquence, les voisins de la Pologne ne se faisaient pas faute de corrompre tel ou tel député pour affaiblir le pays.
    De la même façon, en Europe, les intérêts égoïstes de tel ou tel pays viennent régulièrement entraver les intérêts de l'Union. C’est en particulier le cas en matière de fiscalité indirecte, de politique commerciale et de politique étrangère, des domaines dans lesquels est requise l’unanimité des États membres.
    En matière de fiscalité indirecte, l’Union est devenue une jungle, chaque État faisant du moins-disant pour attirer chez lui les sièges des grandes sociétés sans qu’il soit possible d’y mettre bon ordre. La Chine a pu bloquer des décisions qui visaient à limiter son pouvoir de nuisance en faisant pression sur la Grèce ou le Portugal, des pays devenus dépendants de ses investissements. Les États-Unis ont pu bloquer la prétention du président Macron de taxer les Gafa (géants de l’internet) en menaçant simplement l’Allemagne de surtaxer ses voitures. Dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, l'Europe, paralysée par ses divisions, figure aux abonnés absents. Le vainqueur ramassera les morceaux.  
     En matière de diplomatie, les divisions sont encore plus nettes. Pendant les guerres de Yougoslavie (1992-1995), l’Allemagne et la France se sont rangées dans des camps opposés, la première soutenant la Croatie, la seconde la Serbie. À l’ONU et sur le terrain, les Européens étalent régulièrement au grand jour leurs divisions sur les enjeux israélo-arabes, africains, russes etc. Ainsi la France est-elle seule à combattre le djihad dans le Sahel cependant que Polonais, Baltes et Suédois préparent fébrilement leur revanche sur la Russie.
    L'immigration et les questions intérieures affectent aussi les relations entre les États, pas seulement entre Européens de l’Est et de l’Ouest. En février 2019, Paris a ainsi rappelé son ambassadeur à Rome, un acte d’hostilité inouï entre deux « alliés » et partenaires aussi proches !
    Là-dessus viennent se greffer les déclarations méprisantes de certains responsables allemands à l’égard de leurs partenaires, qu’il s’agisse de la Grèce ou… de la France. Un vice-chancelier a suggéré que la France renonce à son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU cependant que la dauphine de la chancelière exige que le Parlement européen quitte Strasbourg pour Bruxelles (pourquoi pas ? Mais à condition que la Banque centrale européenne quitte Francfort pour Strasbourg !).  Démuni face à cet état de désunion, le président Macron détourne l'attention en dénonçant les « nationalismes ». C'est une rhétorique qui date. On la rencontrait déjà sous la plume de l’écrivain collaborationniste Drieu la Rochelle qui opposait le « nationalisme tardif des jeunes peuples » à la « nouvelle Europe ».
    Conscients de leur impuissance dans les domaines régaliens (fiscalité, diplomatie, commerce), les Européens se rattrapent par un surcroît d’activité dans les domaines subalternes : droit civil, droit du travail, environnement, normes etc. Comme si l’uniformisation des règles allait rendre les Européens plus semblables et plus malléables. Cette orientation est en contradiction avec la belle devise de l’Europe : « Unis dans la diversité ». Elle est surtout en rupture avec le principe de subsidiarité inscrit dans tous les traités depuis 1957...
     La subsidiarité signifie qu’une entité ne doit s’occuper que des missions dont les entités de rang inférieur sont incapables. Ainsi l’Union ne devrait-elle s’occuper que de ses relations avec le monde extérieur ainsi que de la protection des frontières. Elle devrait garantir la préférence communautaire concernant les biens et services ainsi que les contrats publics. Enfin, elle devrait veiller à l’équité dans les relations commerciales entre les États membres et sanctionner par exemple les États comme l’Irlande qui pratiquent le dumping fiscal ou les États comme l’Allemagne qui privilégient à tout va leurs exportations en sacrifiant leurs investissements intérieurs et déséquilibrant l’économie des pays clients. Tout le reste, environnement, éducation, droit du travail, droit civil et pénal, sécurité intérieure… ne devrait relever que des États et des citoyens (au moins dans un premier temps). Nous en sommes loin."
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mardi 28 mai 2019

Europe: et demain? (1)

Un avenir problématique.
                          Pour cette institution inaboutie pour les uns ou en faillite pour les autres?
       Les critiques ne manquent pas. On aurait mis la charrue avant les boeufs. et on aurait trop rêvé d'un "machin"  (comme disait De Gaulle) qui ne remplit pas la mission annoncée.
  Dans le nouveau débat sur l'Europe, qui vient de mener aux résultats que l'on sait, les problèmes de fond ne furent que très rarement évoqués, au profit de débats sans profondeur ni consistance, purement franco-centrés, comme le remarque notamment Descartes, qui ne fait pas dans la dentelle, mais qui a raison sur plus d'un point.
   On a affaire à un projet originellement dicté par les circonstances et de plus en plus inspiré par le modèle économique libéral, comme le dit Cauchet;
 ...La construction européenne n'a pas été conçue sur la base d'un projet intellectuel médité, mais, comme il est inévitable dans l'histoire, sous la pression des circonstances. Dans le contexte de la guerre froide, son objectif primordial, au-delà de la fameuse paix avec laquelle on nous bassine et qui nous était de toute façon imposée, était de renforcer par une union économique la capacité de résistance à l'Union soviétique des pays de l'Europe libre. En même temps, ce projet dicté par les menaces de l'heure portait en lui l'héritage le plus précieux de notre histoire, à savoir la vocation de l'Europe à la liberté politique. Mais ce projet a été parasité d'emblée par un dessein fédéraliste qui présentait les institutions européennes comme un embryon d'Etat-nation.....
    Cette idée fédéraliste est en faillite, à supposer qu'elle soit possible un jour,comme le pense un de ses plus fidèles défenseurs à Bruxelles, Jean Quatremer, qui dénonce, avec virulence parfois, les ornières dans lesquelles elle est tombée. Sans se rendre compte que c'était les dérives attendue d'un projet qui n'en était pas un politiquement, hormis l'installation progressive d'un grand marché, plus ou moins harmonisé, de type néolibéral.
  Regis Debray nous livre sur ce point un constat plus que désabusé.
       Le projet européen a déçu sur l'essentiel, mais pouvait-il en être autrement, après les Traités qui ont scellé son sort de manière irréversible?
   De projet politique, point. Comme l'analyse à sa manière Coralie Delaume:


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lundi 27 mai 2019

Ivresse des cimes

Ou folie ascensionnelle?
 
             Mais où vont-ils?
                               Un défi insensé.
                                           Machine à rêve ou machine à fric?
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dimanche 26 mai 2019

En passant

- Poste: sous-traitance toujours d'actualité.

Europacity toujours  contesté

Reality show...très chauds

Précarité en question

- La qualité suisse n'est plus ce qu'elle était

- Telle fille, pas tel père

- Amazon: nouvelle stratégie

Montagne d'or: début de la fin ou enfumage?
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samedi 25 mai 2019

Le cas Assange (2)

Lanceur d'alerte en péril
                                     Une presse (aussi) menacée.
                                                                        Julien Assange n'est pas un journaliste, mais ses recherches ont souvent été très proches du journalisme d'investigation et il a souvent collaboré en complémentarité avec certains organes de presse. Leurs chemins se sont souvent croisés.

     Il fait plutôt partie de la cohorte des lanceurs d'alertes de toutes sortes.
  Malgré toutes les réserves qu'on peut émettre à son égard et les critiques qui ont pu être apportées (à tort ou à raison, de bonne ou mauvaise foi -on a fait beaucoup pour le discréditer dans certains milieux-), on peut considérer que son courage et son obstination ne peuvent être minimisés. Sa mise à jour des exactions de troupes américaines en Irak, pas exemple, reste dans les mémoires....
    Le voilà maintenant en danger,  sans doute extradé sous la pression politique des services de Trump, qui s'était juré d'avoir sa peau.
  Les conséquences, pas seulement pour lui, peuvent être lourdes.
     Après l'annonce de ces nouvelles " les associations de défense des libertés ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement entame une procédure criminelle contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques. C’est une attaque directe contre le premier amendement et une escalade inouïe des attaques de l’administration Trump contre le journalisme », s’est inquiétée l’Union américaine pour les libertés civiles (en anglais American Civil Liberties Union, ACLU), une puissante association de défense des droits des citoyens.
        __  "Depuis son arrestation dans l’enceinte de l’ambassade d’Equateur à Londres, le 11 avril dernier, Julian Assange attendait de savoir à quelle sauce il allait être cuisiné, en attendant une extradition inéluctable vers les Etats-Unis, ou la Suède, qui veut l’entendre dans une affaire de viol. Après l’avoir inculpé pour un délit mineur de conspiration informatique, les autorités américaines ont déployé la grosse artillerie hier soir : le fondateur de WikiLeaks a été inculpé de dix-sept (!) chefs d’accusation au titre de l’Espionage Act.(*) Il risque cent soixante-quinze ans de prison. Quoi qu’on pense de l’urticant Australien, cette stratégie de l’administration Trump envoie un signal très inquiétant pour la liberté de la presse. C’est la première fois que ce texte centenaire est utilisé non pas contre la source directe d’une fuite, mais contre un tiers ayant publié des informations classifiées (l’acte d’accusation vise l’année 2010, celle des maxi-publications de WikiLeaks, en collaboration avec de grands médias internationaux)« Le département de la Justice vient de déclarer la guerre au journalisme », a immédiatement réagi le lanceur d’alerte Edward Snowden sur Twitter. Difficile de lui donner tort...."
      (*) En mai 2019, le comité de rédaction de Pittsburgh Post-Gazette a publié un article d’opinion plaidant en faveur d’un amendement permettant une défense d’intérêt public, car "la loi est devenue depuis un outil de répression, utilisée pour punir les dénonciateurs actes répréhensibles et criminalité commis par le gouvernement ". 
      Les réactions sont parfois vives aux USA.   (Notamment) " de la part de la Freedom of the Press Foundation, ONG de défense de la liberté de la presse, qui évoque  « un développement réellement choquant », qui dépasse le simple cadre de WikiLeaks. « Peu importe votre avis personnel sur Assange, ces nouvelles inculpations contre lui sont sans précédent, effrayantes, et un coup porté au cœur du droit fondamental à la liberté de la presse ». Son directeur exécutif, Trevor Timm, évoque même « la menace la plus significative et la plus terrifiante contre le premier amendement au XXIe siècle »....
      [WikiLeaks a mis en ligne 391 832 documents secrets sur la guerre en Irak, portant sur une période du 1erjanvier 2004 au 31 décembre 2009, et révélant, notamment, que la guerre avait fait environ 110 000 morts pour cette période, dont 66 000 civils, et indiquant que les troupes américaines auraient livré plusieurs milliers d'Irakiens à des centres de détention pratiquant la torture]
   Comment va réagir l'indomptable australien, dans les accusations qui lui sont portées?
           Le Daily Beast, un site d’information, a tout résumé en une phrase « Pour la première fois dans l’histoire moderne des États-Unis, le gouvernement a inculpé un éditeur pour avoir révélé des informations classifiées. »
  Jamais, depuis 1917, la loi sur l’espionnage (« Espionage Act »), promulguée aux États-Unis pendant la Première Guerre mondiale pour traquer les communistes, les socialistes et les pacifistes américains, alors considérés comme des traîtres à la nation, n’avait été utilisée pour criminaliser la révélation publique d’informations gouvernementales.
  Leurs sources, des lanceurs d’alerte courageux, en avaient souvent fait les frais, de façon d’ailleurs exponentielle sous les administrations Obama et Trump. Mais si les sources avaient été inquiétées, jamais la publication de ces informations n’avait été comparée à un acte d’espionnage.
   L’« Espionage Act » a toujours été considéré par les défenseurs de la liberté de la presse     américains comme une épée de Damoclès pouvant être un jour dirigée contre les médias. Mais jusqu’ici, aucune administration ne s’était aventurée à l’activer pour punir la révélation d’informations, afin d’éviter toute atteinte au sacro-saint premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté de la presse et la liberté d’expression.
    Le sort désormais réservé à Julian Assange, le fondateur contesté de WikiLeaks, installe un précédent historique. S’il y avait un doute, cette fois c’est très clair : l’administration Trump lui a déclaré la guerre. Et à travers lui, c’est bien toute la presse, américaine mais pas seulement – rappelons qu’Assange n’est pas américain, mais australien –, qui est potentiellement menacée de poursuites, si elle s’enhardit à publier des informations sensibles et secrètes touchant à la sécurité nationale.Jeudi 23 mai, le département de la justice américain a révélé que 17 nouvelles charges judiciaires pèsent sur le fondateur de WikiLeaks, arrêté le mois dernier à     Londres après six ans de confinement dans l’ambassade de l’Équateur.
     Aux termes de son acte d’inculpation révélé dans la foulée de son arrestation après plus d’un an d’instruction secrète, Assange était jusqu’ici visé par un seul chef d’inculpation, passible de cinq ans de prison, pour avoir encouragé l’ancienne militaire américaine Chelsea Manning, alors en poste en Irak, à « craquer le mot de passe d’un ordinateur du gouvernement américain classé secret défense ».    L’opération avait donné lieu à une révélation massive sur la plateforme WikiLeaks, en 2010, de câbles diplomatiques et de documents dévastateurs prouvant les exactions de l’armée américaine en Irak en en Afghanistan.
    Les charges rendues publiques par le département de la justice américaine ce jeudi sont très lourdes (lire ici l’acte d’inculpation)Au titre de la loi sur l’espionnage, Assange, que le Département de la justice refuse de considérer comme un journaliste, est accusé d’avoir sollicité, reçu, obtenu et publié des éléments relevant de la « défense nationale ». Il lui est reproché :d’avoir « encouragé de façon répétée des sources ayant accès à des informations classifiées à les voler et à les fournir à Wikileaks dans un but de révélation » d’avoir « encouragé Chelsea Manning à poursuivre son opération de vol de documents classifiés » ;d’avoir « eu pour objectif de subvertir les restrictions légales concernant les informations classifiées, et de les disséminer publiquement » d’avoir « révélé les noms de sources humaines » [du renseignement américain] ;d’avoir « créé un risque grave et imminent pour leur vie », en sachant que « la dissémination de [leurs] noms mettait ces individus en danger ».Julian Assange risque dix ans de prison pour chacune de ces charges : au total, 170 ans de détention…
   « C'est de la folie, a commenté WikiLeaks, la plateforme d’Assange. C’est la fin du journalisme touchant à la sécurité nationale, et la fin du premier amendement. »     « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement a activé des charges criminelles au nom de l’“Espionage Act” contre un éditeur, à cause de la publication d’une information véridique »estime l’ACLU, la plus grande association américaine de défense des droits de l’homme  .« C’est une agression directe contre le premier amendement. Ces inculpations sont une escalade extraordinaire dans les attaques de l’administration Trump contre le    journalisme », poursuit l’association, en écho aux attaques quotidiennes du président américain contre les médias, qu’il qualifie d’« ennemis du peuple ».
   « Elles établissent un précédent dangereux qui peut être utilisé pour cibler tous les médias qui demandent des comptes aux gouvernements et publient leurs secrets. Les charges portées contre Assange sont également dangereuses pour les journalistes qui révèlent les secrets d’autres nations. Si les États-Unis peuvent poursuivre un éditeur étranger pour violation de nos lois sur le secret, rien n’empêche la Chine ou la Russie de faire la même chose. »   « Ces charges sans précédent contre Julian Assange et Wikileaks sont la menace la plus significative, et la plus terrifiante, contre le premier amendement depuis le début du XXIe siècle »s’alarme la Freedom of Press Foundation....
 « Cette administration décrit la presse comme le parti d’opposition, un ennemi du peuple. Aujourd’hui, ils utilisent la loi comme un sabre et entendent lâcher tout le pouvoir de l’État contre l’institution précisément destinée à nous protéger de tels excès », a réagi dans un communiqué Chelsea Manning, jugée et condamnée par un tribunal militaire, graciée et libérée par Obama, désormais emprisonnée car elle refuse de témoigner à nouveau devant un grand jury.
   Présentateur star de la chaîne libérale MSNBC, Chris Hayes s’inquiète, lui, d’une « attaque frontale et extrêmement dangereuse contre la presse libre ».
   Il y a un mois, lorsqu’un seul chef d’inculpation, mineur au regard des charges d’espionnage, pesait sur Assange, des défenseurs américains de la liberté d’informer s’étaient déjà inquiétés. « Quoi que l’on pense d’Assange, que l’on veuille l’appeler journaliste ou pas, l’acte d’inculpation soulève des inquiétudes plus larges pour la presse en général, car la rédaction est très générale et inclut des pratiques journalistiques quotidiennes »nous disait Caroline DeCell, juriste au Knight First Amendment Center de l’université new-yorkaise Columbia.
   Source du New York Times et du Washington Post dans l’affaire emblématique des Pentagon Papers sous l’administration Nixon, Daniel Ellsberg prévoyait comme un fait certain« une longue série » de charges. « C’est la liberté de la presse qui est en jeu, disait-il. Je pense que tout le monde devrait se rallier autour de son cas. Quoi qu’on pense de sa personne. »
    Ellsberg sait de quoi il parle. En 1973, le lanceur d’alerte, un ancien employé du think tank Rand Corporation, fut poursuivi par l’administration Nixon au nom de l’« Espionage Act », pour avoir révélé à la presse américaine les fameux Pentagon Papers, des documents confidentiels révélant le fiasco de l’intervention militaire américaine au Vietnam. Il risquait alors 115 ans de prison. Les charges à son encontre furent par la suite levées, notamment parce que l’administration Nixon avait jugé pertinent d’ordonner le cambriolage du cabinet de son psychiatreDepuis un siècle, rappelle le journaliste Jeremy Scahill, cofondateur du site d’investigation The Intercept, l’« Espionage Act » a été utilisé comme une « arme pour attaquer la liberté d’expression et les dissidents » : contre l’anarchiste Emma Goldman et le leader socialiste pacifiste Eugene Debs pendant la Première Guerre mondiale, ou encore pour punir les époux Rosenberg, condamnés (et exécutés en 1963) pour espionnage au profit de l’URSS.   Plus récemment, il a été utilisé pour traquer les lanceurs d’alerte et les sources des journalistes, rappelle Scahill.
   « Le département de la justice sous Obama a inculpé huit sources au nom de l’“Espionage Act”, explique Scahill dans la dernière livraison de son podcast, “Intercepted”Plus que tous les présidents avant lui. Parmi ces cas, Chelsea Manning, l’ancien officier de la CIA Jeffrey Sterling [accusé d’avoir divulgué au journaliste James Risen, alors au New York Times, des opérations secrètes contre le programme nucléaire iranien – ndlr], les lanceurs d’alerte de la NSA Thomas Drake et Edward Snowden. Dans certains de ces cas, ces personnes ont été condamnées à de longues peines de prisons. Dans d’autres, le gouvernement a ruiné leur vie. »
   « Trump a pris le pouvoir et a commencé à utiliser les méthodes de son prédécesseur. Il l’a surpassé en seulement deux ans. » La première cible de l’administration fut Reality Winner, une linguiste militaire travaillant pour la NSA, accusée d’avoir transmis à The Intercept des informations sur l’ingérence russe pendant la présidentielle de 2016.
  Il y eut aussi Terry Allbury, un salarié du FBI, à l’origine de révélations sur l’étendue des méthodes de surveillance du FBI.
  Et encore, au début de ce mois, l’arrestation du lanceur d’alerte Daniel Everett Hale, un salarié du département de la justice ayant transmis des documents sur les campagnes d’assassinats ciblés par drones sous la présidence Obama.  En ciblant un responsable de publication, selon des termes qui pourraient très bien, en tout cas en partie, s’appliquer à d’autres journalistes, l’inculpation d’Assange pour espionnage marque une gradation supplémentaire.
   Le New York Times s’inquiète déjà d’une « escalade dramatique de cette administration pour punir les fuites d’informations classifiées », escalade qui constitue une « attaque directe contre les protections du premier amendement pour les journalistes ».
    Il y a un mois, dans un éditorial rugueux, le Washington Post, qui a comme de multiples médias utilisé les informations publiées par WikiLeaks, avait tenu à se démarquer d’Assange, accusé d’avoir « obtenu des documents de façon non éthique »« publié des informations dans le domaine public sans vérifier leur caractère factuel ou donné aux individus une occasion de commenter », et d’avoir « trempé dans un complot d’un régime autoritaire étranger visant à nuire à un candidat à la présidence américaine, au bénéfice de son concurrent », allusion à son rôle trouble dans la présidentielle de 2016.
   Mais dès jeudi soir, le quotidien de la capitale américaine s’est inquiété des « conséquences potentielles » de ces nouvelles inculpations, « pas juste pour [Assange], mais aussi pour tous ceux qui publient des informations classifiées ».    « Elles pourraient modifier la balance, sensible aux États-Unis, entre la liberté de la presse et les secrets du gouvernement. » Les États-Unis doivent notifier d’ici au 11 juin aux autorités britanniques leurs motifs d’extradition. Assange a été condamné à 50 semaines de prison le 1er mai pour ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté provisoire. La Suède a par ailleurs rouvert une enquête pour viol le concernant, suspendue depuis 2017. Autant de délais qui pourraient retarder sa confrontation avec la justice américaine...."
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