Ils travaillent dans des call centers. Cela sonne clean et moderne. Sans pénibilité particulière apparente. On les envierait presque.

Une image nuancée : on adore l'euphémisme.
Ils le disent parfois, on le sait aussi: ils pratiquent journellement le taylorisme du fil, le stakhanovisme de l'appel.
Ils nous appellent souvent aux heures de midi, pour nous proposer une Xème mutuelle, une voiture plus tendance ou de nouveaux trucs-machins.
On a tendance à réagir comme ça. Sans tendresse particulière, même s'ils disent bonjour, parfois dans un français approximatif...
Difficile d'y échapper, de rester cool, d'autant qu'on ignore le plus souvent leurs conditions de travail.
Stress et précarité sont les deux mamelles de la plupart des centres d'appel.
Toujours sous haute pression. Toujours plus d'appels, toujours plus vite, toujours plus maîtrisé, sous contrôle permanent (votre appel est suceptible d'être écouté...), chronomètre en main.
Ne parlons pas des salaires...
C'est la course au moins disant salarial, dans le cadre de délocalisations qui n'ont pas de limites..Mondialisation oblige. Chasse au client, jusque dans son salon.
Il y a mieux comme job. On comprend pourquoi le turn over est très fort.
Mais le pire, c'est de devoir être aussi en permanence dans des situations de mensonge au travail.
Mentir à en souffrir. A moins que l'indifférence ne finisse par prendre le dessus, par lassitude ou fatalisme.
Perdre l'estime de soi, dans des tâches (pas seulement celles-là) qui finissent par rebuter, dans une relation clientèle complètement truquée, où l'essentiel est de faire du chiffre.
Ce n'est pas L'homme sans qualité de Musil, c'est le travail sans qualité, avec tensions et stress garantis.
La souffrance au travail, on connaissait, même sans avoir lu Ehrenberg

Le management hard ou soft, on en a entendu parler.
Le burn out, ce n'est pas si rare, dans beaucoup de pays industriels. Pas seulement dans les centres d'appel.
"...La société hypermoderneest une société où tout est exacerbé, poussé à l’excès, à l’outrance même : la consommation (Gilles Lipovetsky parle d’hyperconsommation), la concurrence, le profit, la recherche de jouissance, la violence, le terrorisme (on parle d’hyperterrorisme), le capitalisme (Laurent Fabius parlait récemment d’ « hypercapitalisme »). Elle est le produit de la mondialisation de l’économie et de la flexibilité généralisée qu’elle entraîne, avec ses exigences de performance, d’adaptabilité et de réactivité toujours plus grandes, induisant une modification profonde de nos comportements, une impossibilité de vivre des valeurs de long terme. La révolution survenue dans les technologies de la communication y joue un rôle essentiel, impliquant une mutation de notre rapport au temps et une obligation de réagir dans l’immédiat. Enfin, c’est une société marquée par le triomphe de la logique marchande et par l’éclatement de toutes les limites ayant jusque-là structuré la construction des identités individuelles, une société où, apparemment, tout est possible mais qui rejette impitoyablement ceux qui ne parviennent plus à suivre le rythme de ses exigences...."(Nicole Aubert)
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