Petite leçon de voyage
De l'injonction au choix
Je voyage, donc je suis....Il apparaît que le voyage de loisirs, depuis une bonne cinquantaine d'années, devient la norme dans les pays développés, du moins pour les franges de population possédant des ressources suffisantes, bénéficiant de prix tendanciellement en baisse. En 2024, on dénombrait 1,4 milliard d’arrivées de touristes internationaux dans le monde, là où on en comptait 60 millions en 1968. Bien que très concentrée géographiquement (95 % des touristes visitent moins de 5 % de la planète selon l’Organisation Mondiale du Tourisme) et socialement (à échelle mondiale, entre 90 et 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion), le désir de voyager est devenu omniprésent dans beaucoup d’imaginaires. Hélas, l’industrie qui le porte est très coûteuse pour l’environnement : en 2019, elle était à l’origine de 8,8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, dont 70 % sont dû à la mobilité des touristes. Au vu des crises environnementales, sociales et géopolitiques, faut-il arrêter de voyager ?
La question mérite réflexion pour Rodolphe Christin, sociologue et auteur de Peut-on voyager encore ? Réflexions pour se rapprocher du monde (Ecosociété, 2025), qui était l’invité du dernier Bookclub d’Usbek & Rica ce samedi 14 juin à la librairie Les Sauvages à Marseille. À travers une critique de l’industrie touristique et de notre boulimie du déplacement, l’auteur y invitait à adopter une approche sobre du voyage. Il esquisse un futur où l’on cesserait de considérer que les vacances vont de pair avec le fait de partir, se réappropriant au passage notre capacité à décider ce que l’on fait de notre temps libre. "
D'exceptionnel qu'il était, le voyage est passé dans le registre des biens de consommation ordinaires, pour une masse de plus grande de personnes de tous continents.
Il s'est généralisé, banalisé. low-costé. Partir n'est plus tout à fait partir. Le charme est largement rompu. Je me souviens d'un bref voyage (rare à l'époque pour un fils de paysan vosgien que j'étais) au bord de la Méditerranée; ce fut un enchantement durable, que n'a pas produit un périple récent en Islande, malgré son intérêt. Le sur-tourisme n'affecte pas que certaines îles grecques...Certains ont décidé de prendre du temps pour explorer leur propre région, avec d'autres moyens.
Le voyage est devenu un produit d' appel, certains pays jouant sur le tourisme pour gonfler leur PIB. Pas toujours avec discernement.
Au risque de réduire le tourisme à des déplacements de foules grégaires qui ne voient rien ou presque, qui ne retiendront que quelques pixels embarqués ou quelques selfies, pour témoigner qu'"on y était".
Voyage normalisé, voyages-spectacle, voyage banalisé, vite oublié, avant de préparer le suivant sur catalogue au papier glacé.
Le low-cost et la guerre des voyagistes a encouragé la tendance, comme le fast food a banalisé et dénaturé la nourriture. Tant qu'il y aura du pétrole....
Le voyage de découvertes, lent, peu programmé, dans des lieux non courus, qui laissent des traces indélébiles, est devenu de plus en plus rare .
Faire l'éloge du dépaysement vrai, de la découverte authentique, des rencontres non programmées est devenu de moins en moins fréquent. Ce dépaysement qui change en profondeur l'intériorité et renouvelle le regard. L'écotourisme est possible.
Un peu de tourisme, ça va....Mais on semble avoir dépassé le seuil de la déraison touristique.
Mais les déferlantes touristiques dans les mêmes lieux en même temps vont tuer le tourisme.
Et les incidences de ce phénomènes sur le milieu, urbain et/ou naturel, commencent à poser bien des problèmes, même au Machu Pichu, où l'on parle de contingenter la fréquentation, dans certains villes où le problème de l'eau devient crucial, dans d'autres, où l'hyper-fréquentation, festive ou non, perturbe fortement la vie locale, modifie le prix du foncier, entraîne indirectement l' "exode" de populations, comme à Barcelone , à Venise ou à Dubrovnik. A Amsterdam, c'est les "festivités" nocturnes qui gâchent tout. Si, dans une certaine mesure, il peut être bénéfique économiquement, comme en Tunisie, il peut aussi se révéler catastrophique très rapidement. Les cohortes de visiteurs pressés sortis en rang des bateaux de croisière, sans discontinuer les jours d'été, auront-elles raison des plus beaux sites de Santorin, dont les rues principales sont investies à prix d'or par les marchands de produits de luxe?...
Il faut réapprendre à voyager, non comme hier, mais selon des formules à réinventer.
Retrouver le plaisir durable et profond de la découverte, loin de la saturation des tours-operators vendeurs de produits finis, où la surprise doit être bannie, où le confort doit être assuré, où l'on achète d'abord "un prix". Low cost, low plaisir...
Le Routard ne fait même plus rêver.
Comment retrouver, à contre-sens des tendances frénétiquement consommatrices, le sens du voyage rare et de qualité.
Il ne s'agit plus de suivre les injonctions du voyager pas cher, mais de retrouver le sens de l'étonnement et de la découverte. Avec désir et lenteur. Parcimonieusement.
Des voyages qui forment à la vie et ouvrent à soi-même, comme disait le vieux Montaigne qui a parcouru une partie de l'Europe... à cheval. Mais pourquoi, disait Pascal, avons-nous tant de mal à ne pas pouvoir rester un peu en repos?... _________________________
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