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mardi 20 avril 2021

Washington; fin d'une époque? (suite)

L'après Reagan

                    Ce n'est pas une révolution, mais une nouvelle ère semble bien s'engager. Si le Congrès suit... La pensée de l'ancien acteur hollywodien, marquée par l'influence de l'école de Chicago prônant un libéralisme d'un nouveau genre, dont Hayek et Friedman furent les prophètes, semble bien en recul. L'Etat n'est plus le "problème", mais redevient l'arbitre et l'incitateur, avec le nouveau plan de reconstruction des fondations; la finance libérée et omnipotente devra se plier à des règles pour ne plus engendrer des crises majeures pas sa folie spéculative; le marché n'est plus portée aux nues, dans le contexte où l'ultralibéralisme ou même les libertariens avaient pignon sur rue.                              ________Joe Biden a fait un pari raisonnable. Déjà la fin de la concurrence fiscale va permettre, si elle est appliquée, de ne plus léser certains Etats, même à l'intérieur de l'Europe, où l'Irlande et le Luxembourg pratiquent allègrement le dumping fiscal, au désavantage des pays voisins, malgré les principes européens de solidarité. Un plan social ambitieux, une réforme scolaire d'ampleur, celle des impôts qui baissaient toujours pour les plus favorisés, tout cela initie d'autres priorités et une autre logique économique, dont beaucoup d'Etats feraient bien de s'inspirer.  Non, on avait pas tout essayé, comme on aimait répéter, même à Paris. Non, les marchés pouvaient ne pas être roi dans une mondialisation heureuse (Alain Minc). La croyance en la main de Dieu était une justification commode pour un "laisser faire" parfois destructeur, comme la théorie du ruissellement arrangeait bien les intérêts des winners. Avec Biden, les choix politiques redeviennent enfin prioritaires. Un pari risqué, mais un pari audacieux, qui peut sauver l'Amérique d'elle-même. Mais pas seulement. Si....

                             "...La doctrine Reagan semble s’essouffler. En moins de cent jours à la Maison Blanche, Joe Biden s’est posé en champion de l’État-providence en multipliant les annonces d’investissements publics ambitieux pour « sauver l’emploi » ou « reconstruire en mieux » le pays, à l’image de son lointain prédécesseur Franklin D. Roosevelt, père du New Deal des années 1930.     Après avoir fait adopter par le Congrès un plan de relance de 1 900 milliards de dollars (10 % du PIB américain), qui prévoit la distribution de chèques de 1 400 dollars à 90 millions d’Américains et doit réduire de moitié la pauvreté infantile à travers une série d’aides et d’allègements fiscaux, il planche à présent sur un programme à plus de 2 000 milliards de dollars visant à moderniser les infrastructures du pays.                             Loin de s’arrêter en si bon chemin, Biden a demandé au Congrès, début avril, d’adopter un budget de 1 500 milliards de dollars pour étendre le réseau d’écoles maternelles publiques et le parc de logements sociaux, tout en renforçant la lutte contre le changement climatique et les programmes de santé pour les minorités raciales. Autant de projets qu’il entend financer en partie par une augmentation d’impôts sur les entreprises et les ménages les plus riches, à contre-pied du « ruissellement » et du laisser-faire prônés par Reagan.                            « C’est la première fois que le reaganisme est remis en question de la sorte par un président. Et c’est très inattendu que cela provienne de Joe Biden, qui n’est pas vu comme un progressiste, s’étonne Douglas Rossinow, professeur à Metropolitan State University (Minnesota) et auteur de l’ouvrage The Reagan Era. Obama avait dit qu’il serait le président qui tournerait la page de l’héritage de Ronald Reagan. Il l’a fait en partie avec sa réforme du système de santé, qui était un effort de nationalisation de la santé. Mais Biden va encore plus loin. »                     __Démocrate pro-New Deal devenu conservateur pro-business au fil de sa carrière d’acteur et de sa vie politique, Ronald Reagan arrive au pouvoir dans un contexte de marasme économique pour les États-Unis. L’économie américaine est alors minée par les séquelles de la guerre du Vietnam, qui a conduit à des déficits budgétaires colossaux, et par l’épuisement du modèle fordiste, marqué par une baisse tendancielle du profit depuis le milieu des années 1960. « Nous vivions alors dans un climat de stagflation, avec une inflation galopante et très peu d’emplois disponibles. Cela minait le moral des Américains et générait beaucoup de frustration. On avait l’impression que tout avait été essayé. On allait de récession en récession », rappelle Brian Domitrovic, professeur d’histoire à Sam Houston State University (Texas) et auteur de plusieurs ouvrages sur les politiques de Ronald Reagan.     Élu facilement en 1980 pour succéder à Jimmy Carter, le 40e président applique une politique de soutien de l’offre, approche devenue populaire dans les années 1960. Son équipe de conseillers économiques compte notamment Arthur Laffer, père de la « courbe de Laffer », une théorie économique selon laquelle un taux d’imposition trop élevé conduit à une baisse des recettes fiscales pour l’État en raison d’un effet décourageant sur les entreprises. Ronald Reagan engage alors plusieurs « rounds » de baisses d’impôts (sur le revenu, les entreprises, les plus-values…). L’inflation est contrôlée, le chômage baisse. Même les démocrates applaudissent cette politique néolibérale, y compris un certain Joe Biden, alors sénateur du Delaware.    « À l’époque, les démocrates étaient favorables aux baisses d’impôts. Même Kennedy en son temps avait dit qu’il ne fallait pas taxer le capital au point d’affecter la production », rappelle Brian Domitrovic. D’ailleurs, certains démocrates issus du Sud conservateur du pays, surnommés « Reagan Democrats », se sont sentis tellement proches des idées du républicain qu’ils ont changé de parti à ce moment-là.                __Contrairement à ce que Reagan répétait dans ses discours, il ne voyait pas le gouvernement fédéral comme un problème pour tout. Tout en coupant les vivres à de nombreux programmes sociaux afin de réduire la taille du « Big Government » (« l’État obèse »), il ne s’est pas privé d’augmenter le budget de l’armée et de prôner l’intervention de l’État dans la lutte contre l’avortement ou pour autoriser la prière dans les écoles. Il n’empêche qu’à l’issue de ses deux mandats, le républicain avait profondément transformé le pays et sa vie politique.     Son laisser-faire économique (« Reaganomics ») et son « nouveau fédéralisme » (retrait de l’État fédéral au profit des États fédérés) ont donné le ton pour ses successeurs, y compris démocrates. « Depuis Reagan, aucun président américain n’a augmenté les impôts sur les plus riches, note Brian Domitrovic. Barack Obama voulait revenir sur les baisses d’impôts de George W. Bush, son prédécesseur, mais ne l’a pas fait. Joe Biden serait le premier en 40 ans ! »                « Clinton a épousé une approche néolibérale pro-business dans la foulée de Reagan. C’est devenu la formule gagnante pour le leadership démocrate, qui a vu la croissance économique des années Clinton. Barack Obama a aussi choisi de ne pas adopter une approche populiste. Modéré, il a pris une orientation technocratique », ajoute Douglas Rossinow.     Pour ce dernier, le changement de cap de Joe Biden s’explique facilement. « Il a toujours été une créature de l’époque politique. Donald Trump et la pandémie ont uni le parti comme jamais en plusieurs décennies. La colère grandissante autour du creusement des inégalités économiques pendant ces 15 dernières années a planté les graines de politiques qui n’ont pas été aussi progressistes depuis la présidence de Lyndon Johnson dans les années 1960. » Ce dernier est le père de la « Great Society », un ensemble de réformes sociales et civiques dont l’ambition était d’éradiquer la pauvreté et l’injustice raciale. « Joe Biden n’a pas besoin de convaincre les Américains : il y a une demande d’intervention de l’État aujourd’hui. Elle existe depuis la crise économique de 2009. »   Pour Douglas Rossinow, l’augmentation proposée des impôts sur les sociétés (de 21 à 28 %) et sur les ménages les plus riches n’est pas le seul point sur lequel Joe Biden se détourne de Ronald Reagan : la lutte contre l’inflation aussi. « Président, Reagan menait une politique anti-inflationniste qui s’appuyait sur la Fed, la banque centrale américaine. La politique a porté ses fruits car les États-Unis ont une faible inflation depuis le début des années 1980. Aujourd’hui, Joe Biden conduit une politique d’expansion fiscale sans se soucier de l’inflation. Il est soutenu par l’actuel président de la Fed, Jerome Powell, qui a été nommé par Donald Trump. S’il arrive à conduire une telle politique, c’est en grande partie grâce à Powell..... »   _______________________

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