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lundi 18 juillet 2016

Alerte à Istanbul


Pour un Premier ministre se voulant Sultan 
                                                       Dans son irrésistible montée vers un autoritarisme de plus en plus marqué, malgré de vives contestations, le nouveau Sultan a buté sur un obstacle (peut-être) inattendu, dont il espère tirer le plus grand profit politique..
          A moins qu'il n'ait contribué, directement ou indirectement, à susciter la révolte d'une frange de l'armée, qui ne pouvait de toute évidence pas aboutir.
     Alors, une nouvelle théorie du choc?. Un chaos organisé pour mieux continuer à exister, à sortir des impasses où il s'est mis, à continuer au nom d'Allah à prendre de plus en plus de pouvoir?      Certains ne sont pas loin de le penser, doutant de la théorie officiellement avancée.. D'autres hypothèses plus élaborées sont émises.
      «Ce soulèvement est un don de Dieu. Il nous aidera à nettoyer ces éléments de l’armée», a déclaré le président Erdogan, qui ajoutait antérieurement:  "Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats. » Durant sa campagne à la mairie d’Istanbul en 1994, Erdogan s’est déclaré être un « serviteur de la charia ».
     Voilà qui est clair. Et l'armée n'est pas seulement concernée. Le ménage risque d'avoir une certaine ampleur, comme on peut le redouter à point, reprendre les rennes d'un pouvoir contesté, d'une main encore plus ferme, et pour remplir un peu plus les prisons,  mieux contrôler la presse, la magistrature, les institutions..
    Après une période de confusion qui laisse encore songeur sur ses véritables origines, la reprise en main est aussi rapide que violente.
    Voilà des années que la Turquie est un problème pour elle-même, ses voisins et ses alliés traditionnels. utent les démocrates et laïcs du pays. Les chancelleries rassurées lui conseillent la modération démocratique dans la répression...
       En tout cas, l'événement tombe bien pour le sultan et la démocrature est en marche.
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       La  politique à courte vue et de plus en plus autocratique de Erdogan a fragilisé ses ambitions.
     Dans le conflit syrien, il a joué un double jeu, quitte à se mettre en difficulté à peu près sur tous les terrains.
   Après une accalmie négociée, la question kurde va rebondir à coup sûr et la sale guerre se poursuivra...forcément sans issue militaire.
     Le jeu de dupe d'Ankara ne trompe plus ses partenaires, du moins officieusement. 
                  Il y a bien des questions à se poser sur cet étrange coup d'état raté..
     Fethullah Gülen, pour Elise Massisacd, réfugié actuellement aux Etats-unis, est un «bouc émissaire pour Erdogan  depuis la fin de l’année 2013, rapporte la chercheuse du CNRS. Le régime lui attribue tout ce qui ne va pas dans le pays». Selon elle, il semble donc difficile de croire qu’ils aient pu organiser cette intervention tout seuls. Par ailleurs, l’armée turque n’est pas spécialement pro-Gülen et inversement. Il est tout de même possible qu’il y ait eu une coalition entre la mouvance et une partie de l’armée pour renverser Erdogan...
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                                  « L’armée qui sort des casernes, c’est un phénomène finalement assez rare dans l’histoire turque, davantage marquée par des coups d’État institutionnels », estime Jean Marcou, chercheur à Grenoble et spécialiste de la Turquie. En effet, l’histoire de ce pays est faite de longues périodes de marginalisation de l’appareil militaire, auxquelles répondent ces « coups d’État institutionnels » – comprendre : sans affrontement armé.
   Le pouvoir d’Erdogan est véritablement le seul à avoir bouleversé cet “équilibre” et à projeter la Turquie dans une nouvelle ère dont on peine aujourd’hui à déterminer les contours, alors que le régime du président turc s’affirmait de plus en plus ces dernières années comme un régime autoritaire, écrasant un à un tous les contre-pouvoirs possibles (lire ici et ).
     Après l’établissement en 1923 de la première République de Turquie sous Mustafa Kemal, dit “Atatürk” – un militaire qui eut à cœur de promouvoir un régime civil –, l’instauration du multipartisme en 1946 et plus encore la victoire en 1950 du parti démocrate contre le camp kémaliste marquent la marginalisation de l’armée dans le paysage politique. Deux coups d’État, en 1960 et, surtout, en 1980, remettent les militaires sur le devant de la scène, avant qu’un pouvoir civil ne reprenne peu à peu le dessus. En février 1997, au cours de ce que les Turcs appellent alors le « coup d’État post-moderne », l’armée fait pression en imposant un mémorandum qui précipite la démission du premier ministre musulman conservateur, Necmettin Erbakan, et la chute de son gouvernement de coalition. L'armée s'est offert quelques années de sursis.
       En 2002, l’arrivée au pouvoir par les urnes du Parti pour la justice et développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan va tout changer. Lors de la première législature, la cohabitation entre le gouvernement et l’armée se déroule sans accroc majeur. L’AKP ne domine pas encore le pays tout à fait, et le chef d’état-major militaire est un kémaliste modéré. En 2007, son remplacement par un “dur” est l'erreur de l'institution militaire qui constitue le prélude de la première défaite de l’armée face à l’AKP et Erdogan. Jusque-là, l’armée a cru maintenir l’équilibre en comptant sur la présidence de l’État par un kémaliste, par ailleurs ancien président de la cour constitutionnelle. L’élection d’Abdullah Gül, l'un des hommes forts de l'AKP, bouleverse cet équilibre. Fort de la victoire du parti musulman conservateur aux législatives qui suivent, Erdogan a les mains libres pour entamer les grandes réformes.
C'est la période faste, où Erdogan est cet homme qui fait progresser la démocratie turque en mettant de côté l’armée et en l'écartant peu à peu du pouvoir. Les réformes juridiques permettent de traduire les militaires devant la justice civile. À l’inverse, elles interdisent les procès de civils devant les tribunaux militaires.
       À partir de 2007 débutent ainsi les grands procès, dont le plus emblématique est celui d’Ergenekon. Ce réseau au sein de l'armée a été mis au jour en juin 2007 lors d'une première opération antiterroriste dans un bidonville d'Istanbul. Les enquêteurs ont trouvé des armes et des explosifs et arrêté vingt-cinq personnes. C'est la première étape d'une longue enquête. Au total, vingt-trois actes d'accusation seront rédigés, représentant plusieurs milliers de pages.
Selon l'accusation, le réseau Ergenekon est un véritable « État dans l'État » qui aurait tenté de favoriser un coup d'État militaire contre le premier ministre turc. Le réseau Ergenekon est alors considéré comme une « organisation terroriste », et le procès est amorcé en 2008 pour « tentative de complot » contre le gouvernement d'Erdogan. Si, pour les enquêteurs, il s'agit ni plus ni moins d'un réseau criminel composé de membres de l'appareil d'État, tant civils que militaires, destiné à empêcher AKP d'imposer ses vues, des opposants au régime affirment plutôt qu'il s'agit d'une opération lancée par l'AKP afin de faire taire les opposants et certains pontes de l'armée. Finalement, plusieurs dizaines de militaires seront condamnés au cours de ces procès.
       En 2010 et 2011, l’AKP et Erdogan portent un troisième coup à l’armée. En 2010, le premier ministre copréside aux côtés du chef de l’état-major le conseil militaire suprême, qui a lieu une fois par an et dont la tâche est de nommer les principaux dirigeants de l’armée. En 2011, Erdogan préside seul ce conseil. Puis l’AKP remporte à nouveau les élections, Erdogan s’affirme de plus en plus comme le seul maître à bord.
     Dans le même temps, les grands procès se poursuivent et humilient un peu plus l’institution militaire. Dans celui d’Ergenekon, des dizaines de militaires ont déjà été condamnés à partir de 2008. Parce que l'armée n'a pas très bonne presse et a déjà réalisé plusieurs coups d'État dans l'histoire turque, « beaucoup de défenseurs de la démocratie, révoltés par les interventions militaires en politique, voyaient dans ce procès, à ses débuts en 2008, un pas important vers une forme civile de gouvernement », écrit notamment le New York Times
      Mais à partir de 2011-2012, le sens de ces procès change. L’essentiel se joue en coulisses, et les condamnations sont moins nombreuses qu'attendu. Les juges sont majoritairement proches de la confrérie de Fethullah Gülen, prédicateur milliardaire exilé aux États-Unis, un temps très proche d’Erdogan et qui a peu à peu pris ses distances. D’un autre côté, Erdogan ne veut pas s’aliéner davantage l’armée qu’il a déjà, dans son ensemble, réussi à mettre au pas.
Petit à petit, les poursuites sont abandonnées, les non-lieux se multiplient. C'est le début de la détente entre les deux pouvoirs. Erdogan soutient même l'armée lorsqu'elle commet plusieurs bavures en pays kurde, à l'est du pays. Il ne la juge plus dangereuse, et il en a besoin pour la guerre qu'il va mener au Kurdistan.
    Vint ensuite l'année 2013, porteuse de beaucoup d'espoirs pour la société civile turque, qui déchantera cependant très vite.
      Dans la politique contemporaine turque, 2013 est l'année clé pour comprendre l'évolution de la nature et des rapports de force au sein du pouvoir et de la société turcs. C'est le véritable tournant qui va briser tous les équilibres institutionnels et politiques en Turquie. Après les manifestations monstres du parc Gezi à l’été 2013, les enquêtes dites « du 17-25 » mettent gravement en cause l’AKP et les proches d’Erdogan dans plusieurs affaires de corruption.
    Le premier ministre se sent acculé, et pour cause : entre les 17 et 25 décembre 2013, un scandale de corruption sans précédent éclabousse le gouvernement de l’AKP. Bilal, le fils d’Erdogan, est directement visé et son père tente par tous les moyens d'empêcher son audition devant la justice. Dans le viseur de celle-ci, une fondation pour l'éducation gérée par des membres de la famille Erdogan. Cette ONG aurait bénéficié des largesses d'un maire de quartier d'Istanbul, lui-même mis en cause par la justice. Ce maire AKP aurait cédé des terrains à l'ONG.
     D’abord surpris par l’ampleur de l’enquête, Erdogan réagit et remplace dix des vingt ministres de son cabinet. Les ministres de l'intérieur, de l'économie et de l'environnement ont dû abandonner leur poste d'eux-mêmes après l'arrestation de leurs fils, avec vingt et une autres personnalités, élus ou hommes d'affaires. Le ministre de l’environnement, dont le fils a été mis en cause dans une affaire de corruption à la suite de la construction de logements, a pressé Erdogan de démissionner « pour le bien de la nation ». Une déclaration sans précédent dans l'histoire du parti.
    Pour contre-attaquer, Erdogan va mettre au pas et muter plusieurs milliers de fonctionnaires de justice, de la police et de l’armée. Pour sauver les apparences et rassembler son électorat autour de lui, Erdogan a besoin d'un bouc émissaire, une organisation accusée de comploter, comme toujours, contre l'État et la nation turque. L'armée ayant déjà servi en 2007, Erdogan en désigne un nouveau : aux ordres, la justice turque décrète la confrérie Gülen organisation terroriste ; les policiers chargés des investigations sont tous mutés, comme une large partie de l’administration.
    Le chiffre de 40 000 policiers est même avancé par un ancien policier de l'antiterrorisme, Davut Erdogan, que nous rencontrons à Ankara en avril 2016 et qui accepte finalement de nous parler et d'évoquer cette véritable chasse aux sorcières, revendiquée par Erdogan lui-même dès le 11 mai 2014 : « Si muter les gens qui ont trahi ce pays est une chasse aux sorcières, alors nous mènerons une chasse aux sorcières. » (Voir ici la vidéo.) « Le système est sorti des rails, juge l’ancien policier Davut Erdogan. À Erzincan, mon dernier poste, les autorités ont nommé une équipe de trois personnes, des proches du pouvoir. Et ils ont eu tout le loisir de décider arbitrairement avec qui ils voulaient ou ne voulaient pas travailler. Ceux-là étaient bons pour la retraite. »
    Bien que les élites militaires turques soient relativement épargnées, ce tournant autoritaire du régime Erdogan ne les laisse pas indifférentes. Fin 2015, le contexte est très tendu : à Ankara, à Istanbul, dans le sud-est de la Turquie, les attentats se succèdent, commis par des membres de l'État islamique ou du TAK, l'organisation kurde que nombre d'observateurs considèrent comme l'émanation directe du PKK ; le gouvernement, l'armée, la police turque et les services antiterroristes essuient nombre de critiques, jusqu’au sein même de l’institution.
Face à ce climat chaotique, des voix dissidentes se font entendre. Ce fut d’abord la gendarmerie : le 23 août 2015, le lieutenant-colonel Mehmet Alkan s’effondre sur le cercueil de son frère Ali, gendarme comme lui, tué dans une attaque à la roquette du PKK, avant de prononcer un discours mettant en cause le gouvernement. Une vidéo très largement reprise sur les réseaux sociaux et dans la presse turque. Son message est très clair : « Ci-gît un enfant de la patrie, il avait 32 ans, il était plein d'amour pour sa patrie, pour le monde. Qui est son assassin ? Qui est le responsable de tout ça ? Ceux qui hier disaient “processus de paix”, pourquoi aujourd'hui disent-ils : “combattre jusqu'au bout ?” »...
... Malgré cela, un certain « modus vivendi » semblait prévaloir entre l’armée et Erdogan, élu entretemps président de la République turque, remarque le chercheur Jean Marcou. Formés à l’académie militaire où l’AKP n’a pas ses entrées, les officiers ont maintenu une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir en place d'Erdogan, quand la police et la justice ont été mis au pas, et les médias peu à peu intimidés.... Erdogan n'a pas de cadres militaires à sa dévotion comme il peut en disposer dans toutes les autres administrations. Mais pour combien de temps encore ?
      Dans les mois qui viennent, nul doute que la tentative avortée de coup d’État du vendredi 15 juillet 2016 va être l’occasion d’une reprise en main qui pourrait largement dépasser le cadre de l’armée. « Cette tentative de coup d’État qui a échoué va permettre à Erdogan de mettre à plat ses relations avec l’armée et de faire table rase, estime Jean Marcou. Sa réponse après le coup d’État va être redoutable. Ce matin, c’est le général de la première armée d'Istanbul qui a été nommé à la tête de l’état-major. Il faut s'attendre à une reprise en main en règle dans les prochains jours. En tout cas, cela risque d’être le dernier coup d’éclat de l’armée. Mais Erdogan va sans doute contre-attaquer de manière plus vaste. Les derniers opposants risquent d’en pâtir. Cela risque aussi de renforcer l'idée en Turquie qu’il faut un pouvoir civil fort, ce qui est très dangereux. »
     De la périphérie, Erdogan est parvenu à amener ses troupes au cœur du pouvoir de la Turquie, effaçant un à un tous les obstacles, y compris l'armée. Avant la tentative de coup d'État, Erdogan attendait son heure dans le dessein de faire voter par le Parlement une réforme de la Constitution et de promouvoir un régime présidentiel qui lui ouvrirait toutes les portes du pouvoir absolu. Cette heure est-elle désormais venue ? Hier soir en Turquie, les grandes manœuvres n’ont fait que débuter. (Merci à Mediapart et à Pierre Puchot)

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