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jeudi 23 mars 2017

L' ennui n'est pas mortel

  Il est juste seulement parfois ennuyeux    
                                                                  Nul n'y échappe 
     C'est l'état d'esprit le mieux partagé du monde, même s'il peut être pesant.
                        Sous des aspects les plus variés. Depuis l'ennui occasionnel de l'enfant à l'école jusqu'à celui, durable et profond, du viellard aux jours vides et routiniers.
       L'ennui ordinaire, non pathologique, tout nous pousse et nous incite à le combattre, surtout au coeur de nos sociétés marchandes er de "loisirs", qui jouent en permanence sur l'hyper ludique et incite à l'hyperactivité comme remède à l'ennui, jusqu'à occuper l'esprit démesurément, jusqu'à abolir tout recul critique.
    L'ennui est le plus souvent déconsidéré, associé parfois à la paresse, qu'il faudrait parfois réhabiliter, comme l'a fait Lafargue en son temps
    S'il n'est pas pathologique, dépressif et paralysant,l'ennui ordinaire, souvent bien opaque, peut être un excellent tremplin pour une recherche, un nouvel élan, une création.
    C'est pour cela qu'un enfant qui s'ennuie n'est pas toujours à réprimander, au contraire.
     Moravia en a fait une sorte de donnée existentielle, motrice d'une écriture... pas du tout ennuyeuse. (*):
     Mais elle est ambiguë, et parfois stérile ou invitant à l'excès.
            Mais on comprend qu'elle puisse être l'objet d'éloges, dans certaines conditions.
  L'ennui  n'est pas seulement dans nos états d'âme, il peut être engendré par notre milieu, répétitif et sans relief ou trop conforme, malgré la diversité'apparente. On peut s'ennuyer de tout, même d'une croisière aux Caraïbes.
___________Laissez les enfants s’ennuyer n'est pas toujours une mauvaise chose, laisser son esprit vagabonder et peut-être inventer, au milieu de tant de sollicitations ou d'activités imposées, qui neutralisent toute créativité.
      Philippe Duverger rappelle utilement que l’école n’est pas faite pour être divertissante, qu’un certain ennui y est inévitable, rigueur et concentration, qui y sont de règle, s’opposant au zapping imposé par la société. Mais n’est-ce pas précisément au cœur de ce zapping, entouré des objets de jouissance que sont ou que peuvent être les objets numériques, que l’ennui va le plus clairement peut-être manifester sa qualité d’affect subjectif et sa valeur symptomatique de refus ?
..... l’ennui n’est pas un phénomène nouveau dans l’institution scolaire, (que) seuls les comportements qui lui sont associés ont changé, et que les élèves qui, aujourd’hui, savent s’ennuyer poliment, n’ont aucun problème avec l’école !
                             Oui, le droit de s'ennuyer peut et doit être revendiqué, contre toute propention à saturer toujours et à tout prix l'existence.
    Inséparable de la condition humaine, il se révèle fécond chez maints écrivains, comme Flaubert, Proust, Pascal, Beckett, Moravia, Cioran....
      . Montaigne relève que l’écriture est un remède contre l’angoisse de lire. La lecture est en effet inséparable de l’ennui. Plus précisément, elle se pratique sur fond de vacuité : sur ce fond sans fond que Flaubert appelle « marinade ». Mais de quel ennui est-il question ? C’est selon. C’est pourquoi une  généalogie de la notion est ici nécessaire.
   Sénèque distingue l’ennui du chagrin. Ce dernier a généralement des causes précises, comme la douleur. L’ennui est plus vague et plus insidieux. Dans les Lettres à Lucilius, Sénèque voit bien que l’ennui peut aller avec l’agitation, et donc peut être une « activité oisive » : un divertissement impuissant à guérir de l’ennui. Comme remède à l’ennui, Sénèque propose l’activité qui remplit la vie, mais une activité sans se projeter dans l’avenir, une activité d’ici et pour maintenant. Parmi ces activités peut se situer l’écriture, non pas comme divertissement, non plus comme recherche esthétique (une création qui ne serait pas tout à fait une activité), mais comme art de s’appliquer dans l’effectuation des choses. Comme art, aussi, de gérer son emploi du temps. Car l’ennui, comme état de « plein repos » (Pascal), est le fond de la condition de l’homme. Quand l’homme est en repos, il repose sur quoi ? Sur rien. D’où la nécessité de se détourner du repos – d’un repos comme gouffre, d’un repos sans fatigue qui n’est alors qu’une chute. Corollaire inquiétant : si l’homme ne doit jamais être en repos, ne doit-il jamais faire retour sur soi ? L’état de réflexion serait en lui-même  source d’angoisse, de rupture de l’élan vital, d’acédie et d’ennui. C’est contre cette conception pessimiste – la lucidité inséparable de la dépression – que s’élève le janséniste Nicole. « L’ennui, soutient Nicole, touche l’âme quand elle est privée de cet aliment indispensable que sont pour elle les pensées » .
Pascal, de son côté, ne considère pas que les divertissements suppriment les côtés positifs de l’ennui que sont le sentiment de la gravité des choses et de la fragilité de notre être dans le monde. La légèreté du divertissement n’est pas une faute : elle protège, et c’est tant mieux, contre l’excès d’angoisse. C’est au fond une  forme de lucidité que de rechercher le divertissement. Il faut savoir « être superficiel par profondeur », comme Nietzsche le disait des Grecs. En d’autres termes, pour Pascal, c’est parce que l’ennui a sa place, mais ne doit avoir rien que sa place, que le divertissement a aussi sa place....
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(*) ...Son ennui, on l’a dit, n’est pas le contraire de l’amusement ou du divertissement. Il est insuffisance, voire carence totale de réalité. Il ne vient pas de l’intérieur mais d’un manque de rapports avec l’extérieur, d’une incommunicabilité radicale entre le sujet et le monde, d’une impossibilité ontologique à établir un lien quelconque entre les choses et lui: «La sensation de l’ennui naît en moi de l’impression d’absurdité d’une réalité insuffisante, c’est-à-dire incapable de me persuader de sa propre existence effective». D’où probablement le choix de la peinture abstraite. Apathique et renfermé, il est muré vivant en lui-même comme dans une prison hermétique et étouffante. Jusqu’au jour où il est distrait du vide de son atelier par une jeune modèle, Cécilia, qui posait pour – avant de coucher avec – un vieux peintre voisin de palier. Une relation si intense que le vieux en est mort. Intrigué par ce suicide déguisé, Dino essaie de comprendre les motivations d’un homme qui s’est servi érotiquement d’une adolescente pour hâter sa fin. Inconsciemment d’abord, puis de plus en plus lucidement, il va marcher sur les traces du vieux peintre et décider d’entamer un"...
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