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mardi 3 janvier 2023

Bullshit management

Pourquoi (parfois) le travail?

                        Graeber nous avait déjà signalé que dans la vie de travail du système dans lequel nous évoluons, il y a des métiers ou des occupations "à la con". Ça ressemble à du travail, mais ce n'est pas vraiment du travail, à l'instar du Canada dry, ça semble performer, mais quand on y regarde de près, pas vraiment. Certaines formes d'activité capitalistiques d'aujourd'hui produisent des activités qui ne sont pas ou guère productives, et que l'acteur ressent souvent comme telles. Il vit dans le sentiment de son inutilité et souvent peste contre le système: à quoi sers-je?     Ils sont plus nombreux qu'on ne le croit, dans divers domaines d'activité...   


                                                                                          S'il y a des bullshits jobs, il y a aussi, à un degré supérieur, du bullshits management, comme l'analyse René Passet: "...En 2013, l’anthropologue David Graeber a jeté un pavé dans la mare et bousculé la bien-pensance en créant le concept de « bullshit jobs » qui prolonge une réflexion de plus longue haleine sur la bureaucratie d’entreprise. À travers ce terme, Graeber pointait la prolifération dans nos sociétés de jobs qualifiés, bien payés à l’utilité contestable et peu objectivable. Ces jobs, dont la mise à l’arrêt n’aurait de conséquence ni immédiate ni catastrophique sur le cours de l’économie, contrairement aux infirmières, éboueurs, dockers… comme l’ont bien révélés les premiers confinements de 2020. Son intention n’était pas de fournir une explication au paradoxe de la productivité. Mais elle en offre bien en creux une interprétation.            Je passe sur la taxinomie amusante de Graeber, en 5 types de « bullshit jobs », des « sbires » (qu’une entreprise recrute pour faire comme la concurrence), « aux sparadraps » (chargés de résoudre un problème qui n’existe pas), en passant par les « petits chefs » (supervisant des gens qui se débrouillent très bien tout seuls), etc. Bref, ces boulots de col blanc qui se légitiment sur la productivité des autres et ajoutent in fine des process aux process déjà existants. Ce que pointe Graeber, c’est la propension des organisations à produire des rituels de travail, souvent superflus, voire néfastes, comme si tout le système s’ingéniait à faire échec à la prophétie de Keynes selon laquelle les progrès technologiques permettraient d’ici la fin du XXe siècle de réduire le temps de travail hebdomadaire à 15 heures par semaine. Par crainte de cette vacuité, les cercles d’élites les plus formées prospéreraient, privilégiant les complaisances de réseau, l’esprit de corps. Ils capteraient une part croissante de la valeur, trusteraient les plus hauts salaires, reportant la pression sur les rangs inférieurs, démultipliant les tâches pour absorber leur propre coût. Vraie ou fausse, cette thèse a au moins le mérite de questionner autrement la productivité.    Sans trancher la question de savoir si ces métiers sont la réponse incontournable à une complexité croissante, sans lesquels nos organisations ne seraient plus pilotables, ou une couche superflue, force est de constater qu’ils montent en puissance dans nos économies. Il suffit de regarder l’évolution de la part des cadres ou professions intellectuelles dans l’emploi en France pour s’en convaincre. Ou celle des services scientifiques et techniques les plus chargés en ce type de compétences, de gestion, de conseil, de contrôle, d’ingénierie, de R&D, de marketing. Il suffit aussi de regarder la productivité intrinsèque de ces services en comparaison des secteurs de fabrication. Ces mesures sont certes très imparfaites. Et à vrai dire contestable. Mais elles posent bien la question de l’efficacité de ces métiers.    Si leur principale fonction est d’accroître l’efficacité des autres, alors pourquoi la productivité d’ensemble de l’économie tend-elle à se tasser ? Approche trop stéréotypée du management, trop livresque, trop top down, teintée de la méconnaissance intime des tâches et des organisations à gérer ? La question doit être soulevée. Et elle a au moins le mérite d’expliquer pourquoi le sentiment de mise en pression permanente des individus, ou de la sous-traitance, les pathologies au travail montent, sans que la productivité horaire en porte la trace...." 
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