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lundi 15 mai 2023

Réindustrialisation en question

Nouvel eldorado?

               La question de la désindustrialisation relative de la France agite les esprits depuis plus d'une décennie. La croyance naïvement libérale en la "mondialisation heureuse" est aujourd'hui remise en question et les crises récentes ont renforcé l'idée d'un retour à une certaine souveraineté  économique, les crises menant à un renforcement de ces exigences. C'est la course en avant vers les investissements pour les technologies du futur, notamment, en faisant appel aux groupes étrangers, dont on connaît la capacité à se déplacer au gré de leurs intérêts. N'y a-t-il pas une part de fièvre illusoire?   Nous sortons de vingt de stagnation industrielle.


                                                                                                                                            "... La hâte macronienne, impatiente d'effets d'annonce, pour masquer ses insuccès, ne parle pas de l' autre face du problème: "... ce mythe de la réindustrialisation n’a pas d’autres ambitions que de servir aux foules de belles histoires de construction d’usines pour lui faire oublier une réalité bien plus terne. Car si la région de Dunkerque se rêve en hub des batteries électriques, la destruction de l’outil industriel local se poursuit. Les ouvriers de la région sont ainsi inquiets et en lutte. Ceux de l’entreprise sidérurgique Valdunes à Leffrinckoucke dans la banlieue est de Dunkerque viennent d’être lâchés par leur investisseur chinois, mettant le site en danger et montrant, en passant, la dure et cruelle réalité de ce que sont les « investissements étrangers » en régime de liberté totale de circulation de capitaux dans une économie ultra-financiarisée. Mais les cas se multiplient dans les alentours comme l’a souligné l’intersyndicale locale dans un communiqué publié le 10 mai : outre Valdunes, les sites ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque sont au plus mal...."  On connaît la fragilité de ces investissements étrangers, qui peuvent partir comme ils sont venus. Les exemples ne manquent pas. Et le chemin sera encore long.                       La question touche aussi toute l'Europe, face aux défits de la Chine et du néoprotectionnisme américain de circonstance.  "...Depuis quelques années la faiblesse de l’industrie française est régulièrement pointée du doigt. Cette faiblesse soulève plusieurs questions. La situation de la France est-elle singulière au sein des pays avancés ? Quelles sont les causes de la désindustrialisation de la France, au-delà de la question des coûts élevés souvent invoquée ? Quelles sont les conséquences économiques de l’affaiblissement industriel ?  Enfin, si on doit faire de la réindustrialisation une priorité de la politique économique de la France, quelles sont les décisions à prendre ?  ...                                                                                                                          
Si la désindustrialisation a débuté avec les crises pétrolières des années 1970, elle s’est accélérée dans les années 2000.  Cette désindustrialisation a touché de nombreux pays développés, mais la tendance française a été plus forte. La part de l’industrie manufacturière (hors énergie) dans le PIB est de 11,5% en 2020 (Insee). C’est une proportion bien plus basse que celle de la plupart des pays de l’Union Européenne :  20% en Allemagne, 16,4% en Italie, et de celle des pays d’Europe centrale et orientale : c’est 18,2% en Pologne et 24% en Tchéquie. De plus, cette part de l’industrie dans le PIB a baissé beaucoup plus vite en France que dans le reste de l’UE (6,1 points de pourcentage entre 2000 et 2020 en France contre 3,3 pour l’ensemble de l’UE). Qu’est-ce qui peut expliquer cet effondrement de l’industrie française au cours des dernières décennies ?   Comment l’industrie française a perdu la guerre des idées: De façon globale, l’industrie a longtemps eu en France une très mauvaise presse dans l’environnement socio-culturel. Elle a une image passéiste, elle pollue, elle génère des risques, le travail y est difficile. Cette image reste beaucoup plus positive en Allemagne et les pays du nord qui souffrent moins de cette idéologie post-industrielle.  ___Des années 1980 aux années 2000, de nombreux économistes français soutiennent que les pays développés doivent délaisser une grande partie de l’industrie. Le raisonnement est très simple : les coûts des pays les plus avancés étant bien plus élevés que ceux des pays émergents, les premiers doivent se spécialiser dans les produits innovants et les services, et les seconds dans la production manufacturière, intense en main d’œuvre peu qualifiée (voir Artus et Virard, 2011). La désindustrialisation est alors considérée par ces économistes comme un signe du développement économique, une conséquence logique et souhaitable de la division internationale du travail. C’est le cas de deux économistes renommés, pour qui la réindustrialisation est un « poncif », une « baliverne », une « nostalgie », un « mythe » qu’il convient de dénoncer. Pour eux, « chercher à inverser le sens de ce basculement de l’industrie vers les services est un contresens strict » (Landier et Thesmar, 2013).  Les plus grandes entreprises industrielles françaises ont alors inscrit leurs stratégies dans la délocalisation de la production. Au début des années 1990, le patron d’Acer, Stan Shih, introduit l’image de la « courbe du sourire » : les phases amont (R&D) et aval (Marketing et distribution) de la chaîne de valeur produisent plus de valeur que les phases intermédiaires, production ou logistique. Cette idée sera relayée en France par Serge Tchuruk, alors dirigeant d’Alcatel, qui défendra l’idée de l’entreprise sans usine, « fabless ». Les entreprises sont donc incitées à externaliser, le plus souvent à l’étranger, dans des pays à faible coût de main d’œuvre ou proches des lieux de consommation en croissance. Ce faisant, elles sont bien sûr également largement responsables de la désindustrialisation. L'essentiel des voitures des marques tricolores est construit et assemblé hors de nos frontières.  Pendant longtemps, le déclin industriel français n’a pas non plus déclenché de réaction politique très forte. Les politiques publiques françaises sont souvent d’inspiration keynésienne, privilégiant la demande à l’offre notamment dans le domaine fiscal. Il faudra attendre le rapport Gallois de 2012, rédigé à la demande de Jean-Marc Ayrault, pour que la classe politique, particulièrement à gauche de l’échiquier, prenne conscience que soutenir l’offre est important, qu’« il n’y a pas d’économie forte sans industrie forte » pour reprendre les termes du Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans sa lettre de mission à Louis Gallois...." 
                                                                  _______Point de vue "...Pourquoi l’industrie française est partie depuis quarante ans ? Parce que nos élites ont décidé que les usines, c’était passé, dépassé, que ça polluait, qu’il fallait se tourner vers les services, les banques et les assurances, qu’on pouvait juste garder, éventuellement, l’aéronautique et le luxe.

Emmanuel Macron reste quand même l’homme de la « start up nation », qui comme ministre à Bercy, a bradé notre fleuron Alstom aux Américains, Tecnip aux Texans, Alcatel à Nokia, avec au final 1800 emplois en moins malgré les engagements… Alors, si conversion d’Emmanuel Macron, et de nos élites, il y a, tant mieux.   Maintenant, il faut que ça parte d’un bon diagnostic, sinon on n’aura pas les bons remèdes. Quel est le diagnostic ? Nous avons subi une double emprise. Par un dumping sur le travail à l’est, via la Chine et les élargissements européens, avec une main d’oeuvre moins chère, une faible fiscalité, des normes environnementales moindres. Et par une prédation du capital à l’ouest, avec les fonds de pension anglo-saxons qui ont pillé les plus beaux morceaux de notre industrie nationale. Depuis quarante ans, dans mon coin, on a déshabillé notre industrie dans une grande indifférence. Macron dit qu’il a « cessé d’être naïf », mais les gens de mon coin, les ouvriers, ont payé un prix cher à sa prétendue « naïveté ». Et eux ne l’étaient pas « naïfs ».   Ne vendons pas des illusions : il n’y a aucun redressement industriel aujourd’hui. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée a baissé : de 14,3% à 12,7% en un mandat de Macron. Affirmer le contraire, c’est un mensonge. Et on va continuer de plonger si on ne se saisit pas des bons outils.

Selon vous, le président fait un mauvais diagnostic à ce sujet ? Lui parie notamment sur les investissements extérieurs. Ce n’est pas la solution ? François Bayrou, le haut commissaire au plan, fait pour moi un travail remarquable sur l’industrie. Il souligne notamment que notre gros problème, depuis les années 2000, c’est que les multinationales françaises ont choisi de délocaliser, y compris pour nourrir le marché intérieur ! Ca représente, d’après lui, 2 points de PIB, c’est énorme.    Par ailleurs, aujourd’hui, 34 % de l’industrie française appartient déjà aux capitaux internationaux. Du coup, la priorité est-elle de faire la danse du ventre à Versailles devant les fonds américains, ou de demander aux entreprises nationales de participer à refonder de l’industrie ici ? Par exemple, quand les fonderies en aluminium, nécessaires à la voiture électrique, sont abandonnées par Renault ou Stellantis, dont l’Etat est actionnaire, ça ne construit pas une filière, ça l’affaiblit, ça la détruit. Et c’est une autre chose qu’on trouve dans le Plan, et pas chez le président de la République : la pensée par filière.

Justement, François Bayrou en appelle dans son dernier rapport à une réorientation « des choix d’internationalisation » de nos entreprises et en particulier de nos multinationales. Mais concrètement, on fait comment ? Il suffit d’en appeler au patriotisme de nos entreprises ?On se retrouve aujourd’hui avec 163 milliards d’euros de déficit commercial. Un record. Pas seulement sur l’énergie, ça se dégrade grandement sur les produits manufacturés aussi. Sur deux tiers des produits, nous sommes en déficit ! Nous sommes dans une évidente dépendance, qu’a révélé l’épidémie de Covid.   Comment Macron propose d’en sortir ? Par le dumping, comme c’est prôné par notre élite depuis quarante ans. Lundi, lors de son intervention au journal de 20 heures, il a affirmé qu’on allait gagner car il avait baissé les impôts, qu’il avait baissé le « coût » du travail, et à Dunkerque, il a évoqué les normes environnementales, à baisser aussi… Sur les réponses, rien n’a changé, il est dans la même lignée que l’économiste libéral Gary Becker, qui expliquait en 1993 dans Business Week « dans nos pays développés, les droits sociaux et les droits de l’environnement étaient devenus trop élevés, mais qu’on pouvait faire confiance au libre-échange pour éroder à la fois le droit du travail et le droit à l’environnement. » On ne gagnera pas comme ça, et c’est par ailleurs une spirale mortifère. Non, contre ça, il nous faut des protections.  Les USA ont un Buy American Act et mettent en œuvre l’IRA. En Chine, pour qui veut vendre des voitures à Pékin, il faut installer une usine sur place, et même opérer un transfert de compétences. Et nous, l’Europe, la France, on devrait être ouvert à tous vents ? Sans protection, pas de solution. Et quand Emmanuel Macron se déplace en Chine et n’évoque pas notre déficit commercial, 35 milliards rien qu’avec la Chine, quand il n’engage pas le dialogue avec ce partenaire sur les marchés qu’on souhaite protéger, j’hallucine. C’est la première discussion à avoir avec le président Xi Jinping. Pas de politique industrielle sans une politique commerciale qui lui est liée.   La deuxième chose, c’est que même dans l’industrie, Emmanuel Macron reste dans la « start up nation ». Il parle des produits du futur, des batteries, mais il y a des choses plus ordinaires… Nous avons, par exemple, un déficit avec l’Allemagne sur les brosses à dent. La Suisse a deux usines de lave-linge, après le départ de Whirlpool, il ne nous en reste aucune. Les meubles, je vous parle autour d’une table, assis sur une chaise, comment se fait-il qu’on exporte du bois brut pour qu’il nous revienne transformé ? Au fond, il n’a pas rompu avec sa pensée schumpeterienne, de la destruction créatrice, les vieux trucs doivent mourir, et on se tourne vers les « new tech ».

La part de l’industrie manufacturière en France se situe désormais au niveau de celui de la Grèce ! Mais comment relancer la machine ? Avez-vous eu l’occasion de parler de réindustrialisation à des chefs d’entreprise, à des responsables patronaux ? Très régulièrement, dans la sous-traitance automobile, des briquetteries, etc. L’exemple le plus parlant, c’est celui des masques. Le président de la fédération, un patron, m’a invité dans son usine, à Frontignan : elle était à l’arrêt. Il avait reçu 700 000 € de l’Etat, pour monter la boîte rapidement, mais derrière, les chaînes ne tournaient pas. Pourquoi ? Parce qu’Emmanuel Macron a distribué des dizaines de millions d’euros pour créer ces usines, bonne idée, bonne nouvelle. Mais deux années plus tard, seules 20 % ont survécu. Parce qu’on n’a protégé aucun marché, et que 99 % des masques provenaient de Chine. Ca n’a aucun sens.   Il nous faut un Buy French Act, ou un Buy European Act, avec l’obligation, ou au moins la possibilité, pour les services publics, les régions, d’acheter local. Il nous faut, sur certains produits, identifiés, ciblés, la mise en place de quotas d’importation, ou des taxes aux frontières. Sans cela, c’est un leurre : il n’y aura pas de résurrection industrielle.   Je reviens, enfin, sur les filières. Sur des dossiers, j’ai dû monter à Bercy, rencontrer le CIRI, Comité interministériel de restructuration industrielle, mais personne dedans ne réfléchissait en filières. Personnes ne mettait autour de la table tous les acteurs d’une filière, sous-traitant, donneur d’ordre, etc., pour rétablir les chaînons manquants, pour se demander comment agir ensemble, où il fallait investir, comment se soutenir. C’est pour moi le rôle de l’Etat, pivot, chef d’orchestre, qu’il ne joue pas.

La semaine dernière, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une « pause réglementaire européenne » sur les objectifs environnementaux. Ce que vous proposez-là, c’est une mise à distance d’autres règles européennes… Le chemin est compliqué… Sur le plan environnemental, comme sur le plan social ou fiscal, nous ne devons pas avoir comme horizon de dégringoler la pente, d’aller vers le bas. Au contraire, il nous faut tirer vers le haut. Donc, le libre-échange est à tempérer, à modérer, le politique doit faire tampon.   Ca bouge beaucoup, dans les discours en tout cas. Il y a déjà la taxe carbone aux frontières de l’Union, avec ses limites. Mais la semaine dernière, les députés européens ont voté une motion pour que les produits venant de pays avec de faibles normes sociales soient taxés à l’entrée de l’UE. Emmanuel Macron devrait appuyer cela, chercher des alliés pour cette régulation, aller dans cette direction-là avec des partenaires européens, ou en bilatéral. Mais non, il ne dit rien. Il y a une logique à inverser. Pour réduire notre déficit commercial, le mot d’ordre depuis quarante ans était : « il faut exporter plus ». La vraie question, aujourd’hui, c’est : « comment importer moins ? »

Comment alors ? Il y a plusieurs biais. Concernant nos dépenses d’énergie, qui cause la moitié de notre déficit commercial, c’est en finir avec un gaspillage colossal. Depuis cinq ans, je le répète en commission des Affaires Économiques de l’Assemblée Nationale : il nous faut investir, des dizaines de milliards, sur l’isolation des logements. C’est un investissement, pas une dépense. Pour les factures des gens, pour la planète, pour l’emploi, soit, mais surtout : pour la souveraineté nationale. Il y faut un plan massif, et pas ma prime Rénov’. Ensuite, il faut une vraie discussion, ouverte, avec les chefs d’entreprise, des firmes aux PME, les syndicats, avec la société, pour décider : quelles productions doit-on relocaliser en France ? Quelles priorités ? Quelles filières ? Le Haut commissariat au plan offre un début de cartographie. Au coeur de la crise covid, Emmanuel Macron a eu un moment de lucidité, quand il a déclaré : « Déléguer notre santé, notre protection, au fond notre cadre de vie, à d’autres, c’est une folie. » Mais après cette épiphanie, on est retourné à la normale, et on signe des accords de libre-échange comme avant. Enfin, sur certains produits, je pense à l’électronique, à la téléphonie, on doit avoir comme objectif de moins consommer, par des garanties étendues, par des centres de réparations partout dans le pays. Ceci, pour des raisons à la fois écologiques et économiques, pour notre balance commerciale.

On retrouve là l’idée d’une « planification écologique » porté par Jean-Luc Mélenchon au cours de la campagne présidentielle. Le président Macron a d’ailleurs repris l’expression. Dans votre conception de cette planification, il faudra prendre en compte toutes les énergies, et pas uniquement attendre une impulsion venant du haut…

 ’Etat a un rôle de chef d’orchestre. Je songe à Roosevelt 1942. Il lui manque des bombardiers, des porte-avions, des tanks… Et il fait quoi ? Il ne nationalise pas tout, non : il canalise toutes les énergies du pays, tous les savoir-faire, tous les capitaux, toute la main d’oeuvre en une direction, l’économie de guerre. Je pense qu’aujourd’hui, il faudrait canaliser tous cela vers une direction : l’économie de guerre climatique.

Ces derniers mois, les États-Unis ont mis en place leur Inflation Reduction Act (IRA) avec 370 milliards de dollars, la Chine subventionne également fortement ses industries. Comment financer un plan de la même ampleur ? Faut-il porter ça au niveau européen ? Oui, au niveau européen, quand c’est possible. Et national, quand ça bloque. Mais avec un autre échelon à penser, aussi : un groupe de pays, qui veulent avancer ensemble… C’est ainsi que s’est construit Airbus, et pas en pas en attendant l’accord de vingt-sept Etats… Nous n’aurions aucune filière aéronautique, à ce rythme là.

Finalement, vous en appelez au retour d’un « État stratège » ?C’est une évidence. Au fond, c’est comme si Emmanuel Macron avait été élu à contre-temps de l’histoire. Comme Mitterrand, en 1981 : il arrive après la grande vague socialiste, keynésienne et autogestionnaire, et il doit faire face à la grande vague libérale. Là, en 2017, arrive à l’Elysée le petit-fils de Margaret Thatcher, Emmanuel Macron, mais sans doute à contre-temps de l’histoire. Car, finalement, la grande vague libérale, sur le plan idéologique, elle est morte, elle est derrière nous. On voit qu’il y a un retour de l’État. Mais un retour de l’État qui n’a pas pensé son rôle. C’est en permanence du ponctuel, du non-pensé, ça apparaît comme du bricolage, et donc, ça ne structure rien. Oui, il faut le retour d’un l’État qui coordonne, qui stimule, qui repère les chaînons manquants, qui offre une stratégie. Qui fasse passer les besoins de la Nation, des citoyens, avant le marché. Ce que je retrouve davantage dans les notes du Haut commissariat au plan que dans les discours d’Emmanuel Macron." ( F Ruffin)  ______________

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