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vendredi 8 septembre 2023

Alertez les bébés!

 Businesse as usual

                                    On connaissait Orpéa et ses pratiques financières douteuses, dans le secteur de l'"or gris". Une affaire toujours en cours. Un gestion scandaleuse des plus âgés, sur laquelle les services de l'Etat se sont enfin penchés, après des révélations fracassantes sur des pratiques scandaleuses. Un gestion purement mercantile derrière une façade avenante. La cotation en bourse se présentait sous les meilleurs jours. Côté jardin, c'est la détresse, amplement décrite.  Business is business...                                                         Gérer les anciens étaient d'abord une affaire de gros sous; l'appât du gain attirait les investisseurs sur ce marché d'avenir, que l'Etat subventionnait. Mais cette affaire mercantile ne s'est pas arrêtée là.. Voilà que le domaine  de la petite enfance se révèle elle aussi touchée par la même logique intéressée. On a laissé proliférer des crèches à gestion privée, pour le plus grand profit de groupes commerciaux parfaitement intéressés. Ce furent des abus en tous genres, notamment en matière de personnels défaillants et d'alimentation à flux tendu...Gérer les bébés est devenu une activité comme une autre, sans grand souci des soins spécifiques que nécessite cette période cruciale. On assista, dans certaines villes, à une marchandisation de la petite enfance, une gestion à flux tendu. Comme toujours, quand on ouvre les portes à une libéralisation des services sans vigilance, on aboutit aux mêmes effets. Peut-on demander à des investisseurs et à des actionnaires sans vision d'avoir un souci quelconque de l'humain? Une fois encore, l'Etat a failli en laissant libre cours aux forces du marché, comme à des époques plus anciennes de privatisations pures et dures. La liquidation de France Telecom, pas exemple ou, plus grave, la privatisation rampante du secteur hospitalier. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.


                     ".... Comme le signalent  Mathieu Périsse et Daphné Gastaldi,  " ...qu'ont en commun l’autoroute A2 en Pologne, la concession de l’aéroport de Venise, les maisons de retraite irlandaises CareChoice et le groupe de crèches Grandir, la maison mère des Petits Chaperons Rouges ? Tous figurent dans le portefeuille du fonds d’investissement Infravia Capital Partners. Basé à Paris, ce poids lourd européen du « capital‐risque » injecte des milliards d’euros dans des infrastructures de toutes sortes, pourvu qu’elles assurent des rendements intéressants. En 2023, il a par exemple lancé une levée de fonds de près de 2 milliards d’euros pour investir dans des métaux stratégiques comme le nickel ou le lithium. Mais en 2021, c’est une autre mine d’or qui a suscité son appétit : celle de la petite enfance.    Cette année‐là, alors que le Covid provoque encore des fermetures à répétition dans les crèches françaises, Infravia rachète une bonne partie du groupe Grandir. Le fonds vient de lever 5 milliards d’euros, provenant principalement de compagnies d’assurances, de fonds de pension, de banques privées ou de « family offices », c’est-à-dire de gestionnaires de patrimoine de grandes fortunes du Vieux Continent. Au moment de ce rachat, Infravia valorise le groupe Grandir à près de 850 millions d’euros.                                                                             Dans un communiqué, le fonds explique être très intéressé par les « perspectives de croissance régulière » qu’offre cette entreprise, dans un contexte de manque de places de crèche un peu partout en Europe. De son côté, le président des Petits Chaperons Rouges rappelle être passé de 250 crèches en France en 2016 à plus de 650 établissements en Europe et en Amérique du Nord en 2021 et se réjouit de cette « nouvelle étape » dans la vie de son entreprise. Peu après, Grandir‐LPCR frappe fort en France en rachetant les quelque 300 crèches du groupe Sodexo pour plus de 200 millions d’euros. Un coup d’accélérateur qui lui permet de devenir le leader du secteur dans l’Hexagone.                          ____Ces dernières années, ces opérations de rachats et de fusions se sont multipliées. Au point que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) estime, dans son dernier rapport, que les crèches lucratives ont suivi « le même type d’évolution que celui du secteur des personnes âgées », marqué par la constitution de mastodontes comme Orpea ou Korian. Cette valse des millions a été pointée du doigt en 2021 par le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), première organisation interprofessionnelle du secteur, créée en 2020 dans la foulée de la crise du Covid. « Les bébés ne sont pas des transactions financières », mettait‐il en garde.                                                   Combien de parents ont conscience de la grande industrie financiarisée qu’est devenu le secteur ? En vingt ans, des empires du berceau se sont constitués en France, de rachats en levées de fonds. Peu à peu, ils se sont exportés jusqu’en Chine, en Argentine ou aux États‐Unis. Si ces entreprises cultivent encore une image familiale, le temps des pionniers à la tête d’une poignée d’établissements paraît bien loin.                                                       Dans le monde de la finance, on parle des « Big Four » pour désigner les quatre plus grands cabinets mondiaux d’audit et de conseil financier, les Ernst & Young, Deloitte, KPMG ou PwC. L’expression pourrait aussi s’appliquer aux quatre réseaux qui dominent actuellement le marché des crèches privées en France : le groupe Grandir‐Les Petits Chaperons Rouges, Evancia et sa marque principale Babilou, La Maison Bleue et People&Baby. À elles quatre, ces entreprises représentent près de 65 % du secteur marchand. Des incontournables avec qui les pouvoirs publics doivent désormais composer.    Quelques minutes après le début de notre entretien, la voix de Catherine se trouble. « Je suis tenace mais ce n’est plus possible. Ce système malmène tout le monde. C’est ma responsabilité de témoigner », lâche‐t‐elle, au bord des larmes. Son parcours ressemble à celui de nombreuses professionnelles de la petite enfance : une carrière sur le terrain, puis l’envie de progresser. Un poste de cadre en tant que coordinatrice d’une quinzaine de crèches dans la région Auvergne‐Rhône‐Alpes pour un grand groupe. Des journées à rallonge, le sentiment de perte de sens, la pression, l’épuisement permanent et le burn‐out qui explose « logiquement », comme une fatalité. En arrêt maladie lorsque nous l’appelons, Catherine sait déjà qu’elle ne reviendra pas.                                                                                 Cette quinquagénaire ne découvre pas la crise majeure qui traverse le secteur : manque de professionnelles qualifiées, pénurie de places ou salaires « au lance‐pierre ». Tout cela, elle l’a intégré depuis longtemps. Mais son quotidien a été chamboulé il y a quelques années, quand son entreprise de crèches a été rachetée par un « mastodonte » du secteur. Dans leurs bagages, les nouveaux dirigeants ont amené de nouveaux mots : des « process » pour optimiser la performance de l’entreprise, qui écrasent tout sur leur passage et dépouillent les professionnelles de leur marge de manœuvre. Des « revues mensuelles d’activité », pendant lesquelles les directeurs de crèche sont passés au gril par leurs « N+1 ». Des fiches d’objectifs et leur cortège de données chiffrées. Des primes de résultats, liées au remplissage de la crèche ou à d’autres indicateurs de performance.  En tant que coordinatrice, Catherine est la courroie de transmission entre le siège du groupe et les équipes sur le terrain. « Entre le marteau et l’enclume », dit‐elle. Bien sûr, il y a la pénurie de personnel, le stress de gérer des crèches avec des budgets serrés, le turnover permanent. « Dans mes quinze crèches, seul un quart des équipes sont stables depuis deux ans, comment voulez‐vous construire un accueil correct dans ces conditions ? » Mais ce qui plombe le plus Catherine, c’est ce sentiment de ne pas être en accord avec ses propres valeurs.                                                                        « On vend du rêve aux familles. » Les jolis prospectus de son employeur parlent de respect du rythme de l’enfant, de pédagogies innovantes, de crèches écolos ou bilingues. « Aux yeux du public, nous passons pour des passionnées avec un dévouement presque religieux, mais derrière, ça ne suit pas. Je suis heurtée dans mes convictions profondes que la petite enfance est là pour assurer de bonnes fondations aux tout‐petits. Si on ne peut plus le faire, tout s’effondre », soupire‐t‐elle.  En toile de fond, la peur de l’erreur ou du drame irréparable. En juin 2022, Catherine a été secouée par le décès d’un enfant de onze mois au sein d’une crèche du groupe People&Baby à Lyon. « Quand vous avez la tête dans le guidon, vous ne pouvez plus garantir la sécurité des enfants. Je pense que beaucoup de directrices se sont dit “ça aurait pu arriver dans ma crèche”. 

        […] Dans le milieu, le Graal est de signer un contrat avec de grandes entreprises ou des ministères présents sur tout le territoire. Faire affaire avec L’Oréal, Total, le ministère de l’Intérieur ou EDF, c’est la garantie de centaines de places commercialisées. Mais pour y parvenir, les groupes doivent être implantés partout en France, voire à l’étranger, pour que chaque salarié de ces multinationales puisse disposer d’une structure proche de chez lui. « Le nerf de la guerre, c’est le maillage territorial », confirme Amaury Chaumette [ancien directeur des ventes aux Petits Chaperons rouges – ndlr].    Afin d’augmenter ce maillage, les groupes rachètent, créent des structures ou bien nouent des partenariats avec d’autres crèches. Certaines entreprises comme Ma place en crèche ou Crèches pour tous (le réseau de People&Baby) se sont spécialisées dans cette activité. Elles deviennent alors des « bookers », que l’on peut comparer à des entreprises de courtage. Ces apporteurs d’affaires proposent les places de leurs crèches partenaires à des employeurs ou à des particuliers, moyennant une commission. Des grossistes en berceaux, en quelque sorte.    Car il faut remplir, coûte que coûte. Quelle que soit l’entreprise, la moindre place vacante, même une demi‐journée, est vue comme un manque à gagner. Qu’importe si les professionnelles sont déjà à bout de souffle. « C’est comme un avion : vous avez des charges fixes pour un trajet, donc il faut remplir au maximum », détaille Clémentine. Les directrices de crèche sont donc incitées à « faire de l’occasionnel », c’est-à-dire à faire signer des contrats à des familles pour quelques heures éparpillées çà et là. « On cherche des bouche‐trous », résume notre interlocutrice « Les consignes sont orales, parce que nous sommes parfois en dehors des clous. »                                       Selon la jeune femme, les marges nettes des crèches qu’elle pilotait étaient « importantes » sans que rien ne soit redistribué au personnel souvent payé au Smic, qui sert pourtant de « variable d’ajustement », déplore‐t‐elle. Et d’évoquer, elle aussi, les « revues de périmètres », ce moment où les directrices rendent des comptes à leurs supérieurs. « Ça se fait avec un enrobage de bienveillance. On ne leur dira jamais : “Il faut que tu rationnes les enfants” », raconte Clémentine. « Mais elles n’ont pas beaucoup de leviers, à part ne pas remplacer quelques absences ou grappiller sur quelques fournitures. Sauf que les filles sur le terrain le prennent en pleine tête ! »  « Les consignes sont orales, parce que nous sommes parfois en dehors des clous », souffle Bertrand (le prénom a été modifié). Jusqu’au début de l’année 2022, ce cadre a été le coordinateur de sept crèches d’un des plus gros groupes du secteur, en Bourgogne. « L’obsession de la direction, c’est de ne pas avoir de gras, pas de personnel en trop », raconte‐t‐il. Quitte à flirter avec la ligne rouge. « Régulièrement, sur certaines plages horaires, on arrivait à douze enfants pour une professionnelle, au lieu de six autorisés. La direction était parfaitement au courant. Elle disait que le directeur devait donner un coup de main, voire l’agent de service. L’idée d’un recrutement ou d’un intérimaire n’était jamais envisagée. »                                                                                                         Comme ses concurrents, Babilou a une obsession : ne pas faire travailler plus de professionnels que le minimum nécessaire. La masse salariale représente près de 80 % des coûts de fonctionnement d’une crèche. Tout le jeu consiste à ajuster en permanence le nombre de salariés présents dans la crèche en fonction du remplissage plus ou moins élevé de l’établissement. Tout en maintenant le taux d’encadrement prévu par la loi en atteignant les objectifs fixés par la CAF, pour bénéficier du niveau de subvention publique le plus haut. Il s’agit de ne pas laisser de « gras », pour grappiller un peu plus de marge.   Pour cela, l’entreprise dispose d’outils comme le Babilog. Un tableau de bord numérique où sont centralisés, jour par jour, les indicateurs de ses crèches : nombre d’heures facturées, places disponibles, taux d’occupation… Les statistiques de chaque crèche sont scrutées par le groupe, en temps réel, pour ajuster les effectifs au nombre d’enfants présents. Si la crèche n’est pas assez pleine, l’entreprise n’hésite pas à réduire le nombre de personnel auprès des enfants, pour rester au strict minimum légal...."   ____________

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