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mercredi 4 octobre 2023

Electricité: usine à gaz

Ou cacophonie.     [notes de lecture]

              Que celui qui a tout compris lève le doigt...

                              Un système aberrantC'est la loi du marché...

 Du rififi entre Paris et Berlin. __On a marché sur la tête

                          "... L   a concurrence, répétaient experts et éditorialistes, comprimera les prix du gaz et de l’électricité : depuis quinze ans ils explosent en Europe. Elle garantira la continuité du service : en 2022, le gouvernement français programme des délestages et implore les particuliers d’écourter leur douche pour éviter l’effondrement du réseau. Elle affaiblira les cartels par la multiplication des contrats de gré à gré basés sur les prix en temps réel : l’Organisation des pays exportateurs de pétrole prospère et table sur l’épuisement prochain des gaz de schiste américains (1). Cette sainte concurrence brisera enfin la « rente » des opérateurs publics  : Électricité de France (EDF) fut obligé de vendre à perte du courant à ses concurrents privés, lesquels empochèrent les bénéfices avant, pour certains, de se déclarer en faillite. Simultanément, TotalEnergies annonçait des profits records payés par le consommateur et subventionnés par le « bouclier énergétique », c’est-à-dire par le contribuable. Fruits d’un hasard malheureux Au sein de l’Union européenne, la Commission a organisé l’irrationalité énergétique au nom de la raison libérale (lire « Prix de l’énergie, une folie organisée »). Le résultat confine au génie  : les prix de gros de l’électricité française d’origine nucléaire dépendent du coût de mise en service de la dernière centrale à charbon allemande requise pour éviter la surcharge du réseau.  Soumettre à la mécanique erratique et myope des marchés un secteur aussi souverain que l’énergie a entraîné une conséquence cruciale  : l’impossibilité de planifier rationnellement la transition vers les énergies renouvelables sans que les intérêts des industriels n’interfèrent avec l’objectif climatique. Après la délocalisation de la production et donc de la pollution vers l’Asie, un nouveau dogme prévaut à Washington comme à Bruxelles : faire ruisseler l’argent public sur les groupes privés afin de les encourager à se verdir, plutôt que de financer un secteur public de l’énergie verte. Mais du vert, les industriels ne retiennent que la couleur du dollar, comme l’indique ce titre du quotidien d’affaires britannique Financial Times (10 mars 2023)  : « Les géants du pétrole s’efforcent d’obtenir des milliards de subventions vertes alloués par la loi américaine sur le climat ». Pendant ce temps, la Chine, moins soumise au marché, a planifié l’édification de filières solaires, éoliennes, hydroélectriques, au point que la part des renouvelables dans sa consommation énergétique totale en 2021 dépasse déjà celle des États-Unis. Et elle s’installe au premier rang mondial des constructeurs de véhicules électriques (lire « Voiture électrique, une aubaine pour la Chine »)...."


      La dérégulation du marché de l'électricitévoulue par la Commission européenne se traduit par un envol des factures pour les consommateurs. Si M. Emmanuel Macron promet que l’État français va « reprendre le contrôle » des prix dans le cadre de son projet de planification écologique, Bruxelles entend poursuivre une politique qui fait des particuliers les dindons de la libéralisation du secteur. . Depuis l’envol des prix de l’énergie au cours de l’année 2021, la presse rapporte des histoires de ce genre : « Sa facture d’électricité va augmenter de 400 %, elle doit fermer son restaurant le midi », lit-on dans Ouest-France (27 décembre 2022) à propos de la gérante d’un hôtel-restaurant en Lozère. Le Télégramme dépeint des communes finistériennes confrontées à des « hausses vertigineuses de plus de 200 % » (1er octobre 2022). Plus récemment, plusieurs médias relaient le désespoir de clients de fournisseurs privés : « J’ai 2 700 euros de régularisation de facture d’électricité à payer et pourtant ma consommation a diminué » (LaMontagne.fr, 31 août 2023).                                                                                                                L’explication avancée s’éloigne peu de celle donnée par les gouvernements et l’Union européenne : la guerre russe en Ukraine et, dans une moindre mesure, la sécheresse, les problèmes de corrosion touchant les centrales nucléaires françaises. Mais quelles sont les causes structurelles de cette augmentation ? Et comment se fixent concrètement les prix ? Depuis la libéralisation de la production et de la fourniture opérée par Bruxelles à partir de la fin des années 1980, les tarifs nationaux basés sur les coûts moyens de production ont laissé place à la « loi » de l’offre et de la demande.                                  L’Union rêve d’un marché unique de l’électricité où tous les électrons, qu’ils proviennent du nucléaire français, du gaz italien ou d’éoliennes danoises, d’opérateurs publics ou privés, se négocieraient au même prix sur une même Bourse. Mais le réseau électrique impose une contrainte technique : il faut en permanence équilibrer la production et la consommation, laquelle varie tout au long de l’année et de la journée. Il incombe non plus à l’État mais au marché de donner le bon « signal prix » pour réaliser cet équilibre. Or, contrairement à un monopole public, qui ajuste l’offre sur la demande quel que soit le coût de production à l’instant t, un producteur privé ne démarrera sa centrale que si le marché lui garantit un prix suffisant pour couvrir (...)           L’Union rêve d’un marché unique de l’électricité où tous les électrons, qu’ils proviennent du nucléaire français, du gaz italien ou d’éoliennes danoises, d’opérateurs publics ou privés, se négocieraient au même prix sur une même Bourse. Mais le réseau électrique impose une contrainte technique : il faut en permanence équilibrer la production et la consommation, laquelle varie tout au long de l’année et de la journée. Il incombe non plus à l’État mais au marché de donner le bon « signal prix » pour réaliser cet équilibre. Or, contrairement à un monopole public, qui ajuste l’offre sur la demande quel que soit le coût de production à l’instant t, un producteur privé ne démarrera sa centrale que si le marché lui garantit un prix suffisant pour couvrir ses coûts.  Si le marché unique de l’électricité reste inachevé faute d’interconnexions suffisantes aux frontières, les Bourses européennes fonctionnent d’ores et déjà dans cette perspective. Sur les marchés au comptant (dits spot), des enchères sont organisées pour chaque zone tarifaire (en attendant l’unification ultime, on compte le plus souvent une zone par État membre) et chaque créneau horaire du jour suivant. Les producteurs proposent des mégawattheures à un certain prix de vente, les acheteurs demandent des volumes et offrent des prix d’achat. Puis un logiciel classe les propositions d’achat et de vente : il établit un « programme d’appel » qui sollicite en priorité les centrales de production au fonctionnement le moins coûteux.   L’algorithme détermine ensuite le prix de marché. Pour s’assurer que la dernière centrale nécessaire à l’équilibre du réseau sera bien démarrée par son propriétaire, le prix du courant correspondra au coût le plus élevé parmi toutes les centrales utilisées : c’est le principe de la tarification dite « au coût marginal ». Pour la France, en période de faible consommation, l’éolien, le solaire, l’hydraulique et le nucléaire peuvent couvrir les besoins. Mais, en période de pointe, il faut démarrer des centrales au gaz, au fioul ou au charbon peu performantes et coûteuses, ou bien importer des pays voisins.                           Dès lors se déroule la logique aberrante du marché : une filière de production (nucléaire, gaz…) déterminera le prix du courant non pas en proportion de sa part dans le mix électrique, mais en fonction du nombre d’heures durant lesquelles elle assure l’équilibre du réseau. Il en va de même pour les importations. En tenant compte de ces dernières, ce sont les centrales à charbon, à gaz ou au fioul qui, le plus souvent, apportent les mégawattheures qui éviteront l’effondrement du réseau. Résultat : en France, où près des trois quarts du courant proviennent de l’atome et de l’hydraulique, les prix dépendent davantage de ceux des énergies fossiles que des coûts réels de production. Ainsi, lorsque les tarifs du gaz s’envolent, comme en 2021, ceux de l’électricité explosent sur le marché spot, lequel sert de référence aux autres transactions (2). Mieux : ces prix fluctuent chaque heure, en fonction de la filière qui s’impose en Bourse. Par exemple, le prix de gros de l’électricité française peut passer entre 13 heures et 19 heures de 160 euros à plus de 600 euros par mégawattheure, comme ce fut le cas le mardi 4 octobre 2022.                                       Malgré sa violence, la crise des prix de l’énergie n’a pas dissuadé l’Union européenne de poursuivre la dérégulation. Le plan REPowerEU (3) communiqué par Bruxelles au Parlement et au Conseil le 18 mai 2022 adapte la stratégie énergétique des Vingt-Sept à la nouvelle situation internationale créée par la guerre russo-ukrainienne. Pour tenter de limiter leur exposition à la hausse des prix, le document incite les entreprises, les États, les collectivités locales et les ménages à réduire leurs consommations. Le geste ne manque pas d’ironie : vouant un culte à la croissance, la Commission et les gouvernements nationaux méprisent d’ordinaire les politiques de sobriété et célèbrent les technologies « vertes » comme le véhicule électrique, les sources de courant renouvelables privées ou, plus récemment, l’hydrogène. Dans ces conditions, les rares leviers disponibles pour agir à court terme sur la demande consistent à baisser la température de chauffage des bâtiments ou à réduire l’activité économique. Par chance, l’hiver 2022-2023 fut clément. Mais les prochains ?                                  Sans surprise, la Commission refuse de modifier la tarification au coût marginal, indispensable à la réalisation du marché unique. Mais elle tend également l’oreille aux grands industriels qui, échaudés, réclament davantage de stabilité des prix. Pour les satisfaire, Bruxelles compte sur deux dispositifs : les « accords d’achat d’énergie » (power purchase agreements ou PPA) et les « contrats pour différence » (contracts for difference, CFD). Grâce aux premiers, un propriétaire de centrale électrique et un consommateur s’engagent directement sur une longue période — généralement dix à vingt ans : les conditions de fourniture et la formule de calcul des prix offrent une certaine prévisibilité. Les CFD visent le même objectif, mais ils font intervenir les pouvoirs publics pour amortir les embardées du marché : le producteur vend son électricité en Bourse, mais l’État fixe un prix de référence qui agit à la fois comme plancher et comme plafond. Si le cours de Bourse est inférieur au prix de référence, l’État verse la différence au producteur ; si le prix de marché est supérieur, le producteur reverse le surplus aux pouvoirs publics. En stabilisant ainsi le prix de gros, la Commission espère lisser les prix de détail payés par le consommateur final.   Apparus dans les années 2010 pour sécuriser les grands projets d’énergies renouvelables, ces mécanismes complexes, avant tout destinés aux gros producteurs et consommateurs aux garanties financières importantes, vont s’étendre à davantage d’activités et de productions « bas carbone ». La France réclame qu’ils s’appliquent au nucléaire existant, ce que refuse l’Allemagne. Quelle que soit l’issue des négociations, ces contrats ne remplaceront pas la Bourse de l’électricité mais coexisteront avec elle. Se profile un marché à deux vitesses : un périmètre relativement sécurisé pour les grandes entreprises ; un marché dérégulé et très volatil pour tous les autres consommateurs.                                                                             Ces derniers seront d’autant plus exposés aux fluctuations du marché que la Commission européenne souhaite aligner les prix de détail sur les prix de gros. En application de ce principe censé inciter aux économies d’énergie, la directive 2019/944 impose aux principaux fournisseurs de proposer au moins une offre en « tarification dynamique » : l’abonné paie, heure par heure, le courant qu’il consomme au prix du marché spot. Début 2021, les premiers abonnements de ce type apparaissent en France, mais aucun n’a résisté à la flambée des prix des mois suivants. Pionnière en la matière, l’entreprise finlandaise Barry a vite déguerpi du marché français. E.Leclerc énergies, qui s’apprêtait à commercialiser une offre en tarification dynamique, a également suspendu son activité. Cette déroute peu évoquée par les pouvoirs publics et les médias sanctionne non pas un fiasco commercial mais la débâcle d’un système d’approvisionnement et de tarification fondé sur la concurrence et la prétendue « loi » de l’offre et de la demande : il ne fonctionne pas, les consommateurs le rejettent, mais Bruxelles l’impose par sectarisme libéral.        La convergence des prix de gros et de détail s’opère également par d’autres moyens. En 2014, le gouvernement espagnol mettait en place une offre régulée baptisée « prix volontaire pour le petit consommateur ». L’abonné voit les tarifs du kilowattheure recalculés tous les jours, avec trois types de plage horaire, correspondant à trois montants différents : périodes creuses, intermédiaires et de pointe. Chaque jour de la semaine, le prix de l’électricité change six fois ! De leur côté, les fournisseurs privés développent des offres révisables en les proposant souvent moins cher que les contrats à prix fixes. En Belgique, depuis la crise de 2021, la formule à prix fixe a tout bonnement disparu. Lorsqu’il signe son contrat, le consommateur ne connaît que le prix du mois suivant. En France, les tarifs régulés de vente (TRV) proposés par Électricité de France (EDF) n’évoluent que deux fois par an, en février et en août. Pour les concurrencer, les fournisseurs privés ont dû conserver des offres aux caractéristiques similaires. Mais cela devrait changer : le 13 juillet 2022, le journal économique La Tribune révélait que la ministre de la transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher, exigeait des fournisseurs une révision de leurs propositions tarifaires. Objectif : facturer plus cher en période de pointe (4).               On comprend mieux la frénésie de Bruxelles et des pouvoirs publics nationaux à remplacer les anciens compteurs mécaniques par des appareils numériques qualifiés de « communicants » ou d’« intelligents ». L’« intelligence » permet en effet de basculer plusieurs fois par jour d’un créneau de pointe à une période d’heures creuses ou intermédiaires, ou encore d’appliquer en temps réel les cours de Bourse aux consommations du client. De plus, les fournisseurs entendent limiter leurs impayés grâce à une fonctionnalité peu médiatisée de ces nouveaux compteurs électriques : ils permettent de couper l’alimentation à distance. Cette option facilite la mise en place du prépaiement. Plutôt que de régler l’énergie déjà consommée, l’utilisateur paie d’avance ; si son compte n’est plus crédité, l’alimentation cesse.                    En Wallonie, la loi oblige à installer un compteur numérique à prépaiement appelé « compteur à budget » dès lors qu’un ménage se trouve en défaut de paiement pour une dette d’au moins 100 euros. Au Royaume-Uni, environ quatre millions de foyers doivent payer l’électricité à l’avance. Depuis le début de la crise, des fournisseurs ont automatiquement basculé des centaines de milliers de consommateurs en mode prépaiement : leurs compteurs « intelligents » se convertissent à distance… En France, le cahier des charges du compteur Linky n’intègre pas directement l’option de prépaiement, mais une procédure permet la coupure à distance par le gestionnaire de réseau sur demande du fournisseur. Lequel pourrait imposer à ses abonnés de payer à l’avance et réclamer la coupure si le compte client n’est plus approvisionné pour instaurer, de fait, un système de prépaiement. Au moment précis où l’électrification générale s’impose face au réchauffement climatique, les opérateurs privés et leur tuteur bruxellois auront réalisé un tour de force : dégrader le service, augmenter les prix, reporter l’essentiel du risque sur les plus fragiles — tout en récoltant de plantureux bénéfices. [Merci à Aurélien Bernier - souligné par moi_] _________

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