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mercredi 18 octobre 2023

Enseigner encore...

 Malgré tout

                       Cruel retour aux évidences.  Il aura fallu, hélas! plusieurs tragédies dans les murs de l'école pour que l'on parle enfin de l'importance de l'éducation dans la formation de la jeunesse.  C'est les valeurs de la formation générale des individus qui est en question. La liberté d'apprendre, l'ouverture de l'esprit aux valeurs universelles, quel que soit le domaine, mais dans celui de l''histoire en particulier, est au coeur de l'acte d'enseigner. dès les premiers apprentissages, ce que les forces obscurantistes d'aujourd'hui ne peuvent admettre, avec leurs prétentions à régenter les esprits. La profession est sous le choc. Il est temps que la peur change de camp, que l'autocensure disparaisse, que cesse le temps du mépris.                         Le "plus beau métier du monde" est à un carrefour. IL faut le réhabiliter. Des cours d'empathie n'y suffiront pas...Les barrières non plus.


                                                                                                                                               Un mot de P.T. sur FB:

Chers et chères collègues,

Je ne pourrai pas être parmi vous lundi matin, et j'en suis navré. De toute manière, me connaissant, je n'aurais pas été d'un grand réconfort dans cette configuration si peu propice pour moi à l'aisance sociale nécessaire pour faire corps avec vous de manière très convaincante. Ne prétendez pas le contraire : c'est vain. On ne se refait pas toujours, que voulez-vous. J'y serais sans doute allé d'une blague sarcastique un peu précoce sur l'absurdité de ce monde dont on conditionne pourtant les drames par nos choix collectifs. Je n'aurais pas eu tort sur le fond, mais la forme aurait été maladroite .Lorsque Samuel Paty a été assassiné, je me suis senti concerné, et pourtant je n'étais pas prof d'histoire. Mais, vous savez, quand un collègue se tue parce qu'il n'en peut plus d'ensaigner, je me sens également concerné, même si je ne suis pas prof de langue ou directeur d'école primaire.  En vérité, je me sens concerné dès lors que la connerie humaine tue. Or, cette prédatrice, quel que soit le masque qu'elle emprunte, tue bien trop fréquemment pour ne pas y voir un système... Islamisme, sexisme, racisme, fascisme, libéralisme : en vérité, tant d'isthmes nous divisent et nous dressent les uns contre les autres qu'il faut bien convenir que chacune des causes brandies n'est qu'un prétexte, finalement, à cette vaste foire d'empoigne qu'est notre monde, où notre espèce prétend à la fraternité en érigeant la compétition comme moteur, où nos belles démocraties se targuent d'égalité en renforçant les hérédités iniques et sacralisent la liberté dans des écosystèmes verrouillés et condamnés où les possibles s'éteignent.                                            Vendredi, un collègue est mort parce qu'un imbécile a jugé que les enseignants menaçaient la puissance de Dieu, une puissance qui ne serait confortée que par l'obéissance aveugle et soumise à une mafia de petits despotes de la religion dont la domination tient plus aux trafics d'armes, de drogue et d'humains qu'à des analyses théologiques d'un moindre intérêt pour l'élévation de l'âme humaine. Hélas, la bêtise évidente de l'assassin ne doit pas nous faire oublier l'essentiel : ce monstre était un môme. Une création de notre société violente qui adore la mort en se complaisant avec hypocrisie dans une fausse glorification de la vie. Et des mômes comme ça, on nous en confie sans cesse. Des gamins à qui on enseigne que leurs efforts et leur droiture les mettront à l'abri du malheur, alors même que leurs familles sont fracassées et leur avenir par avance condamné. Des enfants qu'on essaie de convaincre de l'importance de nos cours alors même que tout dans leur vie leur crie que l'École est au mieux une parenthèse d'insignifiance dans leur monde de souffrance ou de néant abyssal. Quand elle n'est pas l'instrument d'un pouvoir inique chargé de dissimuler les perversités d'un système injuste qui fait des déterminismes sociaux des responsabilités individuelles. Alors, certes, une lumière s'allume parfois dans leurs regards fébriles, et un sourire éclaire de temps en temps leurs faces innocentes, lorsque le sens de tout ça, parfois, les effleure. Mais n'ayons pas la mauvaise foi de croire que nos rayons de soleil chassent leurs nuages, que nos bougies vacillantes dissipent leur nuit. Nous sommes enseignants, certes, mais notre fonction hautement symbolique est tellement contrebalancée par toute cette société de consommation conditionnée par le marketing agressif des puissances de l'argent qu'il ne faut pas nous accrocher à l'illusion que notre exercice professionnel est l'alpha et l'oméga de notre action citoyenne. L'injustice et la violence du monde entrent dans notre École sanctuaire parce qu'elles sont installées dans nos esprits et dans nos cœurs — ceux de nos élèves, bien sûr, mais aussi de leurs familles comme dans les nôtres...  Alors, certes, Blanquer nous a indéniablement prouvé s'il le fallait que le ver est dans le fruit, mais les monstres qui le pondent et le r pondent dans notre fruit, eux, papillonnent allègrement dans le monde. Nous sommes une bonne part des Lumières à qui on confie le rôle d'éclairer l'humanité : ne brillons pas si faiblement dans le huis-clos timide de nos classes. Le feu meurt quand il est enfermé, il s'étouffe, et l'hiver qui vient autour de nous n'en dissipe que mieux la chaleur. Or, sans chaleur, sans lumière, plus d'espoir. Je ne serai pas là, demain matin, donc, et j'aurais de toute façon été d'une piètre utilité, d'un piètre réconfort. Caché par mon écran, je me sens plus à l'aise pour m'adresser à vous : nous faisons partie d'une même communauté, mais ne faisons pas l'erreur de croire qu'elle n'est que professionnelle. Nous sommes un maillon de cette société d'humains, un maillon important, mais un maillon seulement, et nous sommes tout autant victimes que complices de cette société qui utilise les fonctionnaires comme de la chair à canons sur les champs de bataille sociaux où des politiques et financiers charognards se repaissent de nos souffrances et désespoirs.   Ne nous infligeons plus la culpabilité de nous sentir haïs, et gardons en tête que nous portons la lumière et soulignons par conséquent les contours de la nuit. On ne nous hait que parce que nous attirons l'attention sur le déni qui occulte la pensée de nos concitoyens. Ne nous laissons pas confondre avec la cause du malheur quand nous sommes en vérité une partie du remède. Un remède rationné par des libéraux capitalistes qui ne voient le service public que comme un coût dans leur univers marchand de contrats privés dévolus aux profits financiers. Un remède délayé à l'eau fasciste des haineux. Un remède mis en cause par les complotistes et obscurantistes qui répandent la nuit. Mais un remède quand même. Et, puisque l'humanité entière est touchée, à commencer par nous, ne laissons pas ce remède moisir dans nos classes. Ce n'est pas qu'un collègue qui est mort, vendredi, mais un frère humain dans cette guerre de la violence mortifère contre le désir d'un avenir heureux. Chacun de nous, car c'est consubstantiel à la manière dont notre métier a été organisé et dévoyé, se sent isolé, dégradé au quotidien par cet exercice ingrat qu'est l'enseignement comme par le regard que nos contemporains portent sur notre action et nos statuts. Ce meurtre abominable vient renforcer notre sentiment d'abandon. Les discours qui pleuvent en avalanche dans les médias depuis les plus hautes sphères ne font que nous déprimer davantage, parce que nous y lisons très bien l'hypocrisie de prises de position faussement protectrices de la part d'islamophobes qui passent le reste de leur temps à salir et casser les profs et ne sont ici avec nous que pour mieux frapper leurs boucs-émissaires préférés.                                                  Or, nous ne sommes pas seuls.Nous sommes au moins 800 000 feignasses à exercer ce plus beau métier du monde que trop de gens conspuent et pour lequel on est si mal payé et si cruellement moqués.   Nous sommes près d'un million de ces bouc-émissaires de l'humour du beauf plein de rancœur, un million dont les familles proches saisissent à peu près notre détresse. Nous sommes seuls face à nos élèves, seuls face aux parents, seuls trop souvent face à nos détracteurs, mais nous sommes en réalité légion, et nous avons pour nous le bien-fondé de notre mission comme l'expertise de notre métier. Nous savons comme la société détruit les enfants et comme notre institution nous empêche de leur permettre de s'épanouir.   Qu'ils veuillent dégraisser le mammouth ou égorger le mécréant, nos ennemis n'ont pas compris qui était l'ennemi de leurs enfants. Ils n'ont pas compris quel était le problème. Nous, le problème, nous l'éprouvons tous les jours : c'est la misère sous toutes ces formes, qui nourrit la violence. Nous, les solutions, nous les voyons manquer au quotidien : ce sont tous les facteurs d'aggravation de l'inégalité des chances. Alors, cessons de tout donner en vain en classe pour rééquilibrer nos engagements : notre métier, c'est l'enseignement. Si nous constatons que l'institution fait défaut, que les services publics sont attaqués, que notre société court à sa perte, ce n'est pas sur nos élèves exclusivement qu'il faut compter, ni sur notre enseignement ; cessons de nous sacrifier en classe en jetant au vent nos dernières forces. Nous sommes enseignants et citoyens. Ceux qu'il faut convaincre de la justesse de nos combats, ce ne sont pas les enfants qu'on nous confie, mais les adultes qui doivent leur permettre d'être enfants et de pouvoir grandir dans un monde où ils pourront devenir des adultes équilibrés. Arrêtons de tout miser sur les générations futures : le monde de demain est entre les mains des adultes d'aujourd'hui.  Alors, ne nous laissons pas diviser par la peur et la haine, et soyons dans ce grand désert humaniste ceux qui redonnent leur sens à ces trois mots dénaturés par l'argent et un patriotisme haineux : Liberté, Égalité et Fraternité ne sont pas des termes qui décrivent notre réalité, mais un horizon d'attente, un cap, et on ne naviguera vers eux qu'à condition de vents favorables qui dépendent du hasard — ou bien, pour ceux et celles qui ne croient plus aux miracles, en souquant ferme sur nos rames. Du coup, reste à savoir si on est plutôt Team Titanic ou Team Bounty. Bon dimanche et bon courage pour la reprise, demain....(Café pédagogique)

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