Une expression problématique [Notes de lecture]
Il est des expressions qui paraissent neutres mais qui véhiculent implicitement des pratiques et des croyances qui demandent à être décryptées. Une formule tellement utilisée, depuis si longtemps, par habitude, par facilité. Par erreur aussi, car, par ses sous-entendus, elle est hautement contestable, lourde de présupposés. Une imposture, dit même une hstorienne. "Une fausse évidence, qui mérite d'être interrogée. Une expression devenue une référence hégémonique », jusqu’à être reprise par des chefs d’Etat − Nicolas Sarkozy comme Emmanuel Macron ont déjà évoqué les « racines judéo-chrétiennes » de l’Europe....Il est utile de faire l'histoire d’une suprématie.

"...Comment est née une expression promise à une étonnante fortune, apparue assez récemment dans le langage courant, saturée d’idéologie, si banalisée cependant qu’on en oublie l’énormité de l’imposture qui l’a engendrée ? Quelles sont les raisons de sa naissance et de sa généralisation ? Revenant sous toutes les plumes et dans tous les discours, au détour de chaque phrase, le binôme « judéo-chrétien » n’éveille aucune curiosité, ne suscite aucune question, tant la juxtaposition de ces deux adjectifs paraît de nos jours relever de l’évidence. Il n’en a pas toujours été ainsi pourtant, et la popularité de ce terme est plus suspecte que son actuelle banalité tendrait à le faire croire. Certes, ses occurrences savantes remontent loin dans le temps (1), et il doit – entre autres – son existence à l’antériorité historique du judaïsme puis du christianisme sur l’islam, dernier-né de la révélation monothéiste. Mais le passage de l’expression dans le langage courant, où elle se signale depuis une quarantaine d’années par son omniprésence, a pris un tout autre sens, si on veut bien examiner l’usage politique qui en est fait. Tout, dans la civilisation occidentale, relève désormais du judéo-christianisme, si bien qu’elle se résume à peu près totalement dans cette double matrice dont les deux composantes semblent être siamoises. Ses valeurs, ses fondements, sa culture en découlent entièrement. Les hommes politiques en truffent leurs déclarations, s’en réclamant ad nauseam pour justifier leurs actions. Un candidat à l’élection présidentielle américaine de 2000 assurait ainsi qu’« être la seule superpuissance donnait aux États-Unis des responsabilités, en particulier celle d’intervenir à l’extérieur pour protéger les valeurs judéo-chrétiennes (2) ». Le monde est partagé entre « les cultures judéo-chrétiennes » et les autres (3). En France, on consacra en 1998 un colloque à « l’intégration politique des Français musulmans et leur place dans l’espace judéo-chrétien (4) ». Dans une interview au quotidien Le Figaro le 29 mai 2024, l’ex-président Nicolas Sarkozy brandissait lui aussi les « racines judéo-chrétiennes » de l’Europe. Écrit-on sur l’économie ? On y fait référence (5). Sur la culture ? La référence devient obligée. Et, toujours, ce double adjectif renvoie exclusivement à l’aire occidentale, sans pour autant d’ailleurs que son contenu soit exactement précisé. La littérature actuelle ne repère, en effet, nulle trace de « judéo-christianisme » hors des frontières que l’Occident s’est donné. Dans des régions du monde comme l’Amérique du Centre et du Sud où le christianisme dans ses différentes obédiences est la religion dominante, une telle référence est sinon inexistante, du moins fort discrète. Il en va de même en Afrique centrale et australe, largement chrétienne, où elle ne fait partie ni du langage courant, ni du lexique politique, ni de celui des différentes églises. Même dans les sectes évangélistes africaines qui ont enrôlé des millions de fidèles et pour lesquelles la Bible est un texte divin à prendre à la lettre, le terme n’apparaît guère. L’Occident l’a donc réservé à son usage exclusif. Son succès sans équivalent – même le mythe longtemps ressassé du « matin grec » n’en a pas connu de tel – ne peut s’expliquer que par un triple processus d’occultation, d’appropriation et d’exclusion qu’autorise son emploi systématique. Cette extraordinaire trouvaille sémantique et idéologique, une des plus opératoires de notre temps, peut être placée dans la catégorie des « vérités alternatives » dont on fait grand cas aujourd’hui, et elle apparaît chronologiquement comme une des premières d’entre elles. C’est pourquoi il est nécessaire de la déconstruire, en un temps où elle est devenue une arme redoutable aux mains d’extrêmes droites cherchant à devenir hégémoniques des deux côtés de l’Atlantique, en Europe occidentale comme en Amérique du Nord, et désormais en Israël où un Benyamin Netanyahou s’en est servi pour se poser en défenseur de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie musulmane...." Notre victoire c’est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie ! » déclarait le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou sur une chaîne française, le 24 mai 2024. Avant lui, à l'automne 2023, l'ex-député franco-israélien Meyer Habib avait lancé : le député franco-israélien Meyer Habib avait dit son inquiétude « pour la France et la civilisation judéo-chrétienne ! » Ces propos visaient à ériger l'État d'Israël en avant-garde de l'Europe face à la menace islamiste. Ils ont inspiré à Sophie Bessis un bref manifeste : La Civilisation judéo-chrétienne, anatomie d'une imposture (Les liens qui libèrent, 10 euros). L'historienne, née à Tunis dans un milieu juif sépharade, y dit son aversion pour le sionisme et l'État hébreu, une création proprement ashkénaze. Elle conteste surtout la supposée filiation entre le judaïsme et le christianisme. Ce débat sur les rapports entre le judaïsme et le christianisme agite les penseurs européens depuis plus de deux siècles. Il a évolué en fonction du contexte : sécularisation des sociétés européennes, émergence du socialisme, Grande Guerre, montée du nazisme... Il est aujourd'hui nourri par la guerre entre Israël et le Hamas ainsi que par l'inquiétude, en France et en Europe, face à la poussée d'antisémitisme venue d'une frange de l'immigration musulmane..." __ Le débat est ouvert ____ ____________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire