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samedi 6 septembre 2025

La grande transmission

Où il est question d'héritage

                   On en reparle dans l'hémicycle...à l'heure où il est question de trouver de nouvelles ressources et de reconsidérer l'impôts. Un phénomène si ancien dans la transmission des biens, où les inégalités sont particulièrement marquées dans la transmission  des patrimoines. Un transfert de richesse globalement considérable, qui ne fait qu'augmenter. On en connaît les effets profonds et  durables. C'est surtout au niveau des biens patrimoniaux que les différences, parfois considérables, se manifestent,, que se reproduit la grande richesse, parfois considérable, surtout au niveau foncier. Ainsi se reproduisent les plus profondes inégalités, le plus souvent avec la bienveillance des services fiscaux, qui usent de deux poids et de deux mesures, là où il s'agirait d'établir un minimum d'équité sociale au profit des "mal nés" et des besoins sociaux essentiels. C'est juste une question de solidarité.  Certains haut- privilégiés le reconnaissent.                                                                                                                                                                                    La méritocratie n'est plus ce qu'elle était. Ceux que Bourdieu appelaient les héritiers, qui doivent surtout leur position sociale à leur naissance, qui accèdent aux plus hautes fonctions et aux plus grandes responsabilités du fait d'un parcours largement redevable à un ensemble de chances et de moyens. Combien de ministres, de hauts fonctionnaires, de grands capitaines d'industrie, etc...doivent leur fonction, leurs statut au seul fait d'avoir eu beaucoup de d'appuis et de soutiens?  Même à l'Assemblée Nationale, il est de plus en plus réduit le  nombre de députés d'origine modeste, représentant les forces vives de la nation.  Le diplôme devient le nec plus ultra pour atteindre les plus haute fonction. Mais pas n'importe lequel et pour un public particulier...                               _____ " ...  En France, un diplôme d’une très grande école est, sinon un prérequis, au moins un fort accélérateur aux postes de direction les plus prestigieux. Tous les présidents de la Vᵉ République sont passés par leurs bancs, de même qu’une majorité de PDG du CAC40, dont une dizaine a été formée par la seule École Polytechnique. Toutefois, les chances d’admission dans ces écoles apparaissent particulièrement inégales. Et, même une fois le précieux diplôme acquis, les carrières des diplômés restent influencées par leur origine sociale. C’est le constat qui ressort de la thèse de doctorat que j’ai menée sur le rôle central des grandes écoles dans la stabilité des élites françaises depuis la fin du XIXe siècle. Alors que s’ouvre pour près d’un million de candidats la première phase d’inscription sur Parcoursup, où lycéens et étudiants peuvent enregistrer leurs vœux d’orientation ou de réorientation dans l’enseignement supérieur, notamment vers les classes préparatoires aux grandes écoles, revenons sur cet envers du discours méritocratique.... 


                                                                                                                                ...La disparité la plus frappante concerne la capitale. Alors que Paris accueillait selon les générations entre 4 et 7 % des naissances nationales sur le siècle passé, les Parisiens représentaient entre un tiers et la moitié des effectifs des grandes écoles les plus prestigieuses. Si la plupart de ces écoles sont situées en région parisienne, la surreprésentation des Parisiens est sans commune mesure avec celle des Franciliens, et l’hégémonie parisienne a même eu tendance à s’accentuer depuis la fin du XXe siècle.   L’étude s’intéresse par ailleurs à la reproduction sociale entre générations de diplômés des grandes écoles. Les enfants de diplômés nés entre 1891 et 1915 avaient 154 fois plus de chances d’être admis dans ces prestigieuses écoles. Cet avantage est divisé par deux pour la génération suivante et reste ensuite stable avec environ 80 fois plus de chances d’admission pour un enfant de diplômé né entre 1916 et 1995...Le terme « méritocratie » a d’ailleurs pour origine une dystopie de Michael Young dans laquelle le mérite (supposé) servait à justifier la confiscation du pouvoir. Dans les grandes écoles françaises, nous décrivons plutôt le produit d’une forme d’« héritocratie », telle que le sociologue Paul Pasquali qualifie la résistance de ces institutions aux transformations. En effet, la réforme de l’ENA, provoquée par la dénonciation de la déconnexion des élites par le mouvement des « gilets jaunes », apparaît minime pour répondre à de telles inégalités..."

        ___La notion de mérite est plus qu'ambiguë: Elle a un sens quand elle est surtout l'effet de talents et de travail personnels.  Mais beaucoup au sommet sont parvenus à la "réussite" et de la richesse personnelles par accident, par chance et par rencontres: par exemple, la fortune de J.Bezos n'en finit pas de gonfler, la crise aidant. Celle de B. Arnault, comme celle de F.Pinault, n'est pas mal non plus et connaît des bonds spectaculaires. Mais comment font-ils, se demande le petit smicard, abasourdi par de tels chiffres? Combien de vie de labeur devrait-t-il remplir pour arriver à de tels sommets, qui dépasse l'imagination?   C'est à cause du mérite personnel, diront certains, même parmi les économistes de salon. Il suffit de "traverser la rue" avait dit qui vous savez et tous les jeunes peuvent devenir millionnaires, s'ils en ont la volonté. Ce n'est pas si compliqué. Mais pourquoi est-ce si rare?                                  Il n'est pas question de remettre en cause la notion de mérite ni celle de la réussite personnelle. Mais dans quelle proportions, dans quelles conditions? Tout le monde n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, comme les fils Bolloré. Les héritiers, ça existe, surtout dans un pays où la transmission du patrimoine favorise l'accumulation des richesses. Le problème certainement le plus important est le pouvoir d'influence que possèdent ces grandes fortunes, sur le plan politique et médiatique. La grande majorité des grands titres de presse leur appartient, ce qui semble ne pas poser de problèmes au pouvoir, notamment la main mise de V.Bolloré sur nombre de réseaux d'information.

_____________Je m'suis fait tout seul et j'ai réussi, parce que je le vaux bien...
 Moi, monsieur, j' suis parti de rien...
______________________________De rien? Vraiment?...
Personne ne se fait tout seul. L'anthropologie et la psychanalyse montrent que tout individu ne serait rien sans un milieu qui le porte, une culture qui le fait être humain...
Nous sommes donc toujours en lien avec un héritage social, un modèle familial, même si nous les ignorons ou les refusons, fortement conditionnés par des facteurs dont nous ne pouvons nous extraire qu'en  partie ou en imagination. Nous sommes dépendants d'un monde humain particulier, qui nous a fait ce que nous sommes..
    Mais chacun a toujours la possibilité de faire des écarts, de sortir des normes, de se distinguer, de mettre en oeuvre des capacités particulières, qui peuvent l'élever au dessus du lot et l'amener, dans certaines conditions, à une certaine réussite sociale et financière. Parfois en tant qu'héritier, parfois sans appuis particuliers.
      On ne peut méconnaître la part de volonté entrepreneuriale, d'ambition exceptionnelle qui peut entraîner des individus à se dépasser et s'engager dans des aventures industrielles et financières qui font leur prospérité et leur renommée, comme Bill Gates, talentueux concepteur mais enfant de son époque technologique; on doit lui reconnaître cependant  beaucoup d'opportunisme et de pratiques monopolistiques. Le désir de dépassement, de réussite sociale, qui est plutôt positif,  a de profondes racines historiques, culturelles et familiales, comme Balzac l'avait bien vu..
 _______Ce qui fait problème c'est la prétention à être son propre créateur, le libre sculpteur de soi-même, ne devant rien à personne
Il faut reconnaître que l'expression self-made-man est abusive et fonctionne le plus souvent de manière condescendante, culpabilisante et exclusive: les losers et les pauvres mériteraient leur sort,  idée qui nous vient du darwinisme social propre au rêve américain (1)
 Le pasteur baptiste Russell Cornwel  (1853-1925) donne corps à cette fiction: « Je dis que vous avez le droit d’être riche, et c’est votre devoir de l’être. L’homme qui devient riche est peut-être l’homme le plus honnête de votre communauté. Je serai clair sur la chose : 98 % des hommes riches vivant en Amérique sont honnêtes et se sont hissés au sommet à la force du poignet. C’est justement la raison pour laquelle ils sont riches. C’est aussi la raison pour laquelle on leur fait confiance en matière de finance. C’est la raison pour laquelle ils ont créé de grandes entreprises et qu’ils ont réussi à inciter des tas de gens à travailler pour eux. Je compatis néanmoins avec ceux qui sont restés pauvres, même s’ils doivent, d’abord, à leur propre incompétence de n’avoir pas échappé à leur condition. Rappelons-nous qu’il n’y a pas une seule personne pauvre aux États-Unis qui n’a pas été pauvre par ses propres défauts et faiblesses. »
______Les critères de la réussite et de son coût, par exemple celle des grands  capitaines d'industrie et de la finance, peuvent légitimement être contestés.
Vouloir réussir, ça peut-être raté...
Et réussir quoi? « Toute vie qui n'a pour but que de ramasser de l'argent est une piètre vie. » (disait A Carnegie, le milliardaire mécène, qui pourrait inspirer quelques winners d'aujourd'hui...)
Il y a matière à réfléchir quand on s'interroge par exemple sur le cas Tapie, figure tant valorisée dans les années 80, ou sur les conditions de la fortune de F.Pinault, l'ambition de JMMessier, le parcours de B.Arnault... à l'heure de la logique de caste et de l'aggravation des inégalités
 A leur époque, Carnegie a su profiter du développement fulgurant du rail, W BuffetSoros, du contexte spéculatif contemporain,  Ford n'a pas brillé pas l'excès de scrupules, pas plus que Rockefeller...PC Roberts parlaient de nouveaux barons pillards, monopolisant les fortunes, comme le maître du crédit, J.Pierpont Morgan, fils d’un banquier, ayant hérité de son géniteur l’horreur de la concurrence « qui, dit-il, crée la banqueroute et lamine les profits » ! Pendant la Guerre de Sécession, cet adolescent prometteur achète à un arsenal, 3,5 dollars pièce, des fusils qu’il revend à un général nordiste 22 dollars chaque !"
_________Le mérite, valorisé jusqu'à l'excès, est souvent une valeur faussée, oubliant l'importance des occasions heureuses et du tissu des relations dans le succès social.
Aimerions-nous vivre dans une société où, comme le suggérait Nicolas Sarkozy en 2006, " tout se mérite, rien n'est acquis, rien n'est donné ? Certes le mérite n'est pas sans lien avec la démocratie. Mais il est aujourd'hui l'objet d'un détournement qui en fait surtout - cet essai se propose de le montrer - l'outil de circonstance du néolibéralisme. Autrefois vertu publique, le mérite se prétend désormais mesure de la valeur individuelle indexée sur l'effort. Ainsi est-il communément convié pour justifier non seulement les distinctions sociales, mais aussi chaque situation particulière, notamment les situations difficiles. Il en vient à rendre compte des épreuves comme du signe d'une défaillance. Chômage, maladie, rupture... voilà ce qui attendrait ceux qui ne font pas les efforts nécessaires pour les éviter. Nous entraînant à justifier l'injustifiable, le mérite ne met-il pas dès lors sa logique au service de la violence néo-libérale, qu'il pare d'un voile de légitimité ? Placé sous la double référence à Hannah Arendt et au paradigme du don, attentif aux liens entre mérite et reconnaissance, cet ouvrage avance que la force d'attraction du mérite réside dans le rempart fantasmatique qu'il constitue contre la précarisation généralisée : plus nous croyons au mérite, plus nous nous sentons assurés que nos efforts nous protègent. Face à la violence néolibérale des dominants, le mérite alimente alors une autre violence : celle du corps social tout entier, qui, pour conjurer l'angoisse de l'exclusion et de l'invisibilité sociales, stigmatise et décuple la souffrance en la déclarant méritée. Sous les apparences du bon sens, cette société du mérite généralisé ne risque-t-elle pas de nous entraîner dans une impasse ?"
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L’illusoire méritocratie américaine   


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lundi 11 août 2025

On OUVRE une FERME

La vache! Pas n'importe laquelle...

                 Une méga-ferme, la première en son genre en France. Après l'échec des mille vaches. Non, nous ne sommes pas en Arizona ou au Brésil, mais bien dans la France des terroirs.                                       Voici venir le temps d'une agricultuure sans agriculteurs.                                                                                 ";..Pour installer son centre, appelé Terres de Chavaignac, la firme prévoit d’acquérir 605 hectares. Les quatre communes concernées ont toutes adopté des délibérations contre le projet, dénonçant notamment l’accaparement de terres agricoles. C’est le cas du conseil municipal de Peyrilhac, qui estime qu’un tel projet « contribue à développer une agriculture sans paysans ». Les services de l’État attirent eux aussi « l’attention sur le risque de concentration d’exploitations agricoles » par la société T’Rhéa.                                                             Une agricuture sans paysans. Un industrie comme une autre, hots-sol. Est-ce ainsi que les vaches vivent? Le lait, très mal payé, est un marché lucratif. Tout un business. On est en train de changer de modèle. Exit le monde paysan, fort de son expérience, de ses traditions, se ses modèles...                                             C'est le début de  L'hyper-capitalisme à l'étableUn système devenu fou.             ____Le productivisme sans frein, dans certains secteurs agricoles, notamment dans la production laitière, en Bretagne plus qu'ailleurs, débouche sur des situations où, au nom de la "libre" concurrence, les prix bas imposés par les géants de la transformation laitière, la vie des éleveurs, pris dans une logique hautement productiviste, devient  une course en avant perpétuelle à la production effrénée, à la modernisation à tous prix, à l'endettement permanent, à la solitude et même souvent au désespoir.                       ____  On s'interroge sur le nombre de suicides élevés dans le monde agricole. Une des raisons principales est l'absurdité de ce qui se passe en silence au coeur de nos systèmes de production fermiers, devenus trop souvent des usines où le beau mot d'éleveur a perdu son sens...Souvent pointée du doigt, la souffrance au travail n'est pas seulement sur les chaînes de montage industriel. Les super-grands de l'industrie laitière et leur logique propre, surtout quand la PAC a disparu, font la pluie et le beau temps dans nos étables, jusque dans les détails. On connaît les méthodes de Lactalis en particulier, qui a défrayé plus d'une fois la chronique.          ___C'est le cercle vicieux de la course au gigantisme. Quelques centimes de plus par litre de lait et la tendance pourrait s'inverser. Pour l'instant, beaucoup d'éleveurs sont prisonniers...parfois désespérés, comme le montre le film ''Petit paysan"....Une logique infernale. Le capitalisme de papa est entré dans les fermes, où plutôt l'exploitation tend à devenir la règle dans nos exploitations. A bas bruit. Mais on fait mieux ailleurs!  ...Et si les vaches mangeaient de l'herbe?...

                 .".....Dans un gigantesque bâtiment de cinq mille mètres carrés, des centaines de vaches qui ne fouleront jamais l’herbe déambulent sous de grands ventilateurs-brumisateurs qui tournent silencieusement. À intervalles réguliers, de petits wagonnets parcourent le corps de ferme sur leurs rails, circulant d’un silo de stockage à l’autre, mélangeant les aliments et distribuant les rations. Dans l’étable, rebaptisée « stabulation », les vaches vont et viennent autour de quatre imposantes machines rouges. Ce sont des robots de traite. Attirées par une ration de granulés, elles viennent s’y placer à tout moment du jour et de la nuit, laissant les portes se refermer le long de leurs flancs. Le processus est entièrement automatisé : le robot commence par identifier la vache grâce à son collier électronique, puis il détecte l’emplacement de ses pis au moyen d’une caméra intégrée. Débarrassés de leurs saletés par un rouleau nettoyeur, ceux-ci sont ensuite scannés par un laser 3D rouge qui détermine la localisation des mamelles au millimètre près. La machine y place alors ses gobelets trayeurs : la traite peut commencer...      En ce mois de septembre 2020, une journée portes ouvertes est organisée à l’exploitation agricole des Moulins de Kerollet, à Arzal, dans le Morbihan. M. Erwan Garrec, éleveur laitier d’une quarantaine d’années, a fait une heure de route pour assister à cette démonstration du dernier robot de traite de la marque Lely, qui domine le marché. Investir dans un tel système, « c’est s’offrir les services d’un “employé modèle”, capable de traire vos vaches vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pendant de nombreuses années », vante la brochure du groupe. « Ça vous dégage du temps et vous libère des contraintes liées à la traite », commente un vendeur du stand, avant de préciser : « À la moindre anomalie ou panne, vous recevez une alerte sur votre smartphone. » Grâce à son système de traite en continu, ce robot « permet d’augmenter facilement votre production de 10 à 15 % »....   M. Garrec n’a pas de smartphone, mais il rêve de la liberté qu’offrirait pareille technologie, lui qui s’occupe seul d’une grosse centaine de vaches laitières et travaille sans relâche plus de quinze heures par jour, trois cent soixante-cinq jours par an. Mais la liberté a un prix : s’offrir les services d’un de ces « employés modèles » impliquerait de débourser 150 000 euros, sans compter les 12 000 euros annuels de maintenance et les travaux d’aménagement à effectuer dans le bâtiment. Il faudrait de plus en changer tous les dix ans. Et, comme l’automate sature à partir d’une soixantaine de vaches, son exploitation en exigerait deux. Le vendeur le rassure : « Pour l’emprunt, on peut s’arranger. Le Crédit agricole encourage ses clients à se moderniser. Nous, on les connaît bien. »       Des emprunts, M. Garrec en a déjà contracté plusieurs. Pour son bâtiment, d’abord. Comme il a dû doubler le nombre de ses vaches afin de garantir la survie de son exploitation, il a fallu agrandir la ferme familiale, qui ne suffisait plus : une salle de traite plus vaste, un second silo pour stocker davantage de maïs. Et, comme il fallait plus de maïs, il a fallu doubler le nombre d’hectares destinés à en produire, et donc acquérir de nouveaux tracteurs..... M. Garrec produit aujourd’hui un million de litres de lait par an, soit trois fois plus que la moyenne des éleveurs laitiers français.    Une telle performance implique une course quotidienne contre la montre. Chaque matin, M. Garrec franchit en courant la centaine de mètres de pâturages qui séparent sa maison — construite sur l’une des parcelles de son exploitation — du bâtiment où se trouvent les vaches. Vêtu d’un bleu de travail, un seau à la main, il court encore, cette fois d’un bout à l’autre de sa stabulation de deux mille mètres carrés où flotte l’odeur nauséabonde du maïs ensilage (1). Ses gestes sont répétitifs et ajustés au centimètre près, pour économiser de précieuses secondes. Ce matin, il jette un coup d’œil rapide à sa montre et lance : « Ça va, on est dans les clous !....           « Grâce à cette alimentation, les vaches sont plus performantes », nous explique-t-il. Et puis, les faire pâturer s’avérerait chronophage, car elles sont nombreuses. Mais ce régime alimentaire coûte cher. Le maïs, qui vient de ses champs alentour, constitue son « plus gros poste de dépenses » : il nécessite des semences, des intrants, de l’irrigation et du travail agricole — externalisé par manque de temps.     Le maïs ensilage étant dépourvu de protéines, les rations distribuées aux vaches s’accompagnent de granulés de soja génétiquement modifié venu d’Amérique latine, ainsi que de minéraux et d’oligo-éléments en poudre.... Les vaches de M. Garrec sont des prim’Holstein, une race réputée pour être la plus productive du monde. « Le problème, c’est qu’elles sont fragiles. Il y a donc des frais de vétérinaire importants. » L’éleveur a cependant pu améliorer la productivité de son cheptel en recourant aux services de la coopérative d’insémination et de génétique animale Évolution. Son catalogue de plus d’une centaine de taureaux permet d’améliorer les performances des vaches, en adaptant par exemple leur morphologie (taille et hauteur de la mamelle, notamment) aux caractéristiques de la trayeuse. Cela n’empêche pas que 30 % du troupeau parte à l’abattoir chaque année en raison de mamelles non standards et de pis inadaptés. La proportion monterait à 50 % avec le calibrage du robot Lely Astronaut.    « On a un travail répétitif comme celui d’un ouvrier. Mais nous, on est notre propre patron. On prend des risques, on investit, on fait vivre et travailler plein de gens », développe M. Garrec en branchant inlassablement ses vaches aux trayeuses.... À vrai dire, c’est d’abord Lactalis, numéro un mondial des produits laitiers et treizième groupe agroalimentaire de la planète, que notre agriculteur fait vivre. « Là, je suis en train de produire le lait du mois de septembre, mais je ne sais pas encore à quel prix je le vendrai. » Car, dans la filière, c’est le client (ici Lactalis, mais il en va de même avec ses concurrents) qui fixe le prix et qui facture le produit, envoyant tous les mois au producteur sa « paye de lait ». Le contrat qui lie les deux parties ne fixe pas le prix, mais le nombre de litres qui doivent être produits.    Il est 1 heure du matin lorsque la course folle de M. Garrec prend fin. Après la traite du soir, il éteint la lumière du bâtiment et parcourt les pâturages en sens inverse, dans la nuit noire, guidé par la lumière de son téléphone, deux bouteilles de lait encore chaud à la main. Fourbu, il avale, avant de se coucher, un Nesquik dans lequel il a jeté de la semoule : « Ça prend cinq minutes. » Dans quelques heures, tout recommence.....                                      Selon M. Ronan Mahé, lui aussi éleveur, cette fragilité trouve également son principe dans le fait que, « depuis trente ans, le prix du lait n’a pas changé, et a même baissé ; pendant ce temps-là, tout a augmenté : aliments, matériel, charges, cotisations, mises aux normes, etc. ».      Plus du quart des paysans vivent ainsi sous le seuil de pauvreté, avec des revenus souvent inférieurs au revenu de solidarité active (RSA). Ils sont la catégorie socioprofessionnelle la plus touchée par la misère. En 2017, près de 20 % d’entre eux ont déclaré un revenu nul, voire un déficit de leur exploitation....   Lactalis avait atteint 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, « avec un an d’avance sur ses objectifs ». Au cours de cette année « historique », le groupe a connu sa plus forte croissance, avec notamment neuf acquisitions. La fortune de M. Besnier a suivi la même progression, le hissant à la neuvième place du classement Challenges des personnes les plus riches de France (il est depuis redescendu à la onzième place). Lors d’une conférence de presse, il a également annoncé que le prix du lait allait encore baisser, « pour affronter les difficultés qui s’annoncent dans le secteur laitier » en raison de la pandémie de Covid-19 (3). « Il y a une course à la baisse entre les industriels, explique M. Le Bihan. Ils tirent les prix vers le bas pour dégager de la marge et rester concurrentiels. Lactalis, Sodiaal [première coopérative (4) laitière française] et les autres tiennent tous le même discours. »....                À la mi-septembre 2020, au moment même où M. Besnier savourait la réussite de Lactalis, « exemple presque parfait des succès du capitalisme familial à la française », lors de « son anniversaire, avec sa femme et ses trois enfants, en vacances à l’île de Ré (5) », M. Garrec nous confiait, assis à la table de son salon aux murs nus, face à la fenêtre par laquelle il voit passer ses vaches, qu’il rêvait de « fonder une famille ». Avant d’ajouter avec un soupçon d’angoisse dans la voix que, célibataire à 43 ans, il avait intérêt à ne plus traîner. Mais encore faudrait-il qu’il puisse « consacrer du temps » à sa famille, ce qui signifierait « soit prendre un employé, soit prendre un robot » — comme le Lely Astronaut dont il observait attentivement la démonstration quelques jours plus tôt. Or, dans les deux cas, cela impliquerait « de produire plus, pour compenser le coût ». Et donc de poursuivre sa course infernale contre le temps." ( Maëlle Mariette)  ____________________

vendredi 25 juillet 2025

Management

Une affaire ambiguë

         Nécessaire à partir d'un certain niveau de taille et de complexité, que ce soit dans l' industrie ou les services, pour organiser la bonne gestion du travail et le suivi humain et technique du personnel, le management peut connaître des dérives pour des raisons diverses: pas seulement à cause de certains objectifs irréalistes, imposés par souci de rendement à tout prix,  par l'imposition de normes inatteignables, ou à cause de rapports hiérarchiques dégradés débouchant sur une certaine souffrance au travail. La "communication", mot fétiche dans la direction contemporaine, est loin d'être toujours le vrai problème.  Un certain degré d'absurdité dans les injonctions et les conditions de travail est parfois en cause. La question du SENS se pose aussi et surtout dans certains cas, en ce qui concerne notamment les Bullshit Jobs...                            Il en résulte une souffrance au travail, souvent masquée, aux formes et aux expressions variées, qui commence enfin à être mieux appréhendée. On peut même parler parfois de gestion par le stress.     Christophe Dejours a bien montré toutes les conséquences négatives de certaines pratiques d' entreprise.                                                                                                                             A ce sujet, on se souvient de l'affaire France-Télécom-Orange, qui a fait l'objet d'un jugement et qui a débouché sur des condamnations.

 Un lourd dossier tournant autour de la souffrance au travail, qui déboucha sur de nombreux drames.

         C'était l'époque où France Télécom voulait à marche forcée se transformer en Orange, avec reconversions brutale
et exigences de résultats immédiats, dans le plus pur esprit du  new public management en vogue à l'époque, où on ne jurait que par la privatisation, dans l'esprit du plus pur libéralisme actionnarial.
   La fin d'un procès qui a trop duré et scandaleusement indulgent ne représente pas la fin du problème, celui de la souffrance au travail, qui ne se manifeste pas toujours de cette manière et qui affecte bien des secteurs d'activité et ce depuis longtemps, avec accélération dans les années 1990.
               "...Aujourd’hui, le nombre et la part des troubles psychosociaux dans les accidents du travail est en constante augmentation. Il paraît dès lors délicat de parler d’une époque révolue en ce qui concerne France Télécom et son management. Plus que des hommes, le procès France Télécom condamne un management borgne, focalisé sur l’intérêt unique de l’actionnaire. Il condamne également une réification par le management de l’humain, devenu simple objet qu’il faut gérer dans le processus de création de valeur. Pourtant, malgré l’ambition de ce premier jugement, il n’est pas garanti que les pratiques changent..."
           ___   Au coeur du débat sur les retraites revient en surface la question de la pénibilité du travail. Une question difficile à analyser et à mesurer avec précision.
   La peine accompagne toujours plus ou moins toute activité laborieuse non choisie, la pénibilité fait partie intrinsèquement de certains métiers manuels, mais aussi intellectuels. Mais le stress intense et durable est un aspect bien connu, pouvant conduire l'individu au pire. A l'atelier comme à l'hôpital.
   Mais la souffrance au travail  n'est pas inéluctable. Elle dépend de conditions diverses qui peuvent être évitées ou changées, de facteurs organisationnels dépendant d'un type de production, pas seulement de simples rapports humains.      Il n'y a pas là de fatalité. L'absurde n'est pas une donnée intrinsèque du travail.
      La question de l' évaluation, telle qu'elle est pensée et menée renforce les pressions de toutes sortes, en devenant souvent contre-productive.
  Le problème n'est pas nouveau. Il devient même croissant, en tendant à se généraliser. Malgré la législation récente ici ou là, quand elle peut s'exercer.
           Mais il prend des formes nouvelles suivant les types de tâche et d'organisation du travail.
                 Gagner sa vie, ce peut être aussi la perdre physiquement, brutalement ou à petit feu, comme le montrait le document diffusé mardi soir sur France 5.
   L'activité de traitement ou de transformation de certains produits, de certaines matières, surtout sans précaution,  engendre des effets dévastateurs sur l'organisme, comme pour l'amiante, de triste mémoire. Mais il y en d'autres...
  Les formes de travail changent selon les activités et les relations dans la production.
   Le travail dit de force, les tâches traditionnelles de type  fordien régressent, mais les tâches répétitives sont à l'origine de nombreux troubles musculo-squelettiques.
    La souffrance psychologique et morale tient une place moins spectaculaire, mais elle n'en n'est pas moins réelle, avec le développement des nouvelles méthodes de gestion où l'obsession de compétitivité devient la règle, où la vitesse devient la norme, dans un nouveau cadre technique où la machine numérisée et ses algorithmes donnent le ton et le rythme, où la qualité des relations humaines souffrent d'une mise en concurrence systématique et génère parfois isolement et culpabilité, qu'on a pu appeler souffrance éthique.
    Depuis les travaux de Dejours, il a été montré que ces maux n'avaient rien de médical.
On parle toujours de burn-out  , mais aussi de bore-out.
      Il n'y a pas que le management brutal qui reste d'actualité.
La perte de sens dans le travail a des incidence sur la manière dont l'individu se juge, s'apprécie.
    La gestion par le stress, voulue ou non directement intentionnelle, reste une pratique connue, elle a fait des dégâts à France-Télecom. Mais pas seulement, et pas seulement hier.
          Le nouvel esprit du capitalisme , la mise en place d'une précarité de plus en plus grande, engendrant une crainte latente de déclassement ou de perte d'emploi,  le développement des tâches éclatées et souvent solitaires, la déstructuration de la vie sociale en général sont des éléments associés qui constituent la toile de fond de ces nouvelles formes de souffrances, qui peinent à s'avouer.

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