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mercredi 4 décembre 2013

Les fruits amers de l'évaluation

 Evaluer: jusqu'à la tyrannie?..
                                                          Evaluer: quoi de plus banal, de plus courant et de plus innocent en apparence?
   Nous passons beaucoup de temps à le faire, instinctivement ou rationnellement.
Evaluation esthétique, morale, intellectuelle. Evaluation individuelle ou institutionnelle, élémentaire ou savante. Avec tous les risques de subjectivité, de partialité, d'incompétence, dans la vie courante. Rien que de très classique et de très normal.
    Mais cette activité, comme activité sociale généralisée, n'est pas si neutre que cela. Elle est même très ambivalente.
Elle implique généralement des rapports de pouvoirs, au-delà des questions de compétence.
                      Ce n'est pas l'évaluation en tant que telle qui pose problème (aptitude d'un individu à un poste donné, par exemple), mais le contexte économique et social, les objectifs assignés, les méthodes préconisées, les critères choisis, et surtout le contexte d'hyperévaluation généralisée vers  laquelle nous avons glissé surtout depuis les années 80, sous la pression des nouveaux modèles de management libéraux anglo-saxons, qui ont gagné progressivement tous les domaines, depuis les entreprises jusqu'aux services hospitaliers, la psychiatrie, l'éducation (*), la police (faire du chiffre), la justice...
     Le lean management des politiques publiques est devenu l'alpha et l'oméga de la gestion des hommes, dans un contexte où la réduction des coûts à tous prix devient l'injonction suprême. C'est l'ère du  New public management, le triomphe du  Benchmarking  (1), avec ses effets pervers.
     Qui finit parfois paradoxalement par dépossèder les professionnels de leurs savoirs.
         Globalement, le NPM n’est que l’application des techniques managériales du privé au secteur public.." Il s’agit dans tous les cas d’inciter par tous les moyens matériels et symboliques à ce que les professionnels du soin, de l’éducation, de la recherche, du travail social, de la justice, de la police, de l’information, de la culture, ne puissent pas penser leurs actes autrement que sur le modèle de la marchandise, du produit financier et des services tarifés. Cette injonction à devoir concevoir les actes professionnels sur le seul modèle de la pensée néolibérale, de ses catégories symboliques et matérielles, participe à une véritable civilisation des mœurs au sein de laquelle l’humain se réduit à un «capital», un stock de ressources qui à l’instar de la nature doit être exploitée à l’infini..."
         Cette normalisation des pratiques propres aux sociétés de contrôle et de défiance d’allure démocratique, tend à transformer les professionnels en outils d’un pouvoir politique qui traite l’humain en instrument, en «segment technique» comme disait Jaurès. Cette nouvelle civilisation des mœurs n’est pas propre à la France...
    Evaluation jusqu'à la démesure, voire à l'absurdité, qui, disent certains analystes, peut tourner à la tyrannie,  à la dénaturation des tâches, à l'obsession des seules procédures, à une hyperrationalisation absurde, au management parfois brutal, à la déshumanisation des tâches, au stress permanent, à la désocialisation, à la démotivation, à la perte de temps, de sens et d'efficacité (eh oui!).
         " Bien collée à notre époque mondialisée, miel pour experts et managers en mal d'efficacité, l'évaluation s'est immiscée partout, dans toutes les branches du travail, tous les secteurs de la production, tous les rouages de l'administration. Tantôt qualitative, tantôt quantitative, elle s'y écrit en chiffres et en lettres. Ni les individus ni les Etats n'échappent à son emprise. Son empire a essaimé, donnant naissance aux royaumes des audits, des AAA, des listes, classements et autres palmarès.
En cette période hivernale où la Cour des comptes vient de remettre son rapport au gouvernement et où chacun s'apprête à ruminer son entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, l'évaluation nous est plus que jamais familière. « L'évaluation passe en général pour une opération allant de soi, notait, il y a dix ans déjà, le clinicien du travail Christophe Dejours  . Elle est tenue par tout être raisonnable pour légitime et souhaitable. Se dérober à la procédure d'évaluation est une attitude suspecte, qui dissimulerait un pacte inavouable avec l'obscurantisme ou l'intention coupable de protéger un secret sur la médiocrité, éventuellement sur la fraude, des travailleurs impliqués. » Chantre du « vrai » travail, avide de noter ses ministres et de débusquer les assistés, Nicolas Sarkozy a donné à l'évaluation un sacré coup de fouet : « Toute activité sans évaluation pose un problème, a-t-il déclaré le 22 janvier 2009 à l'Elysée. Je vois dans l'évaluation la récompense de la performance. S'il n'y a pas d'évaluation, il n'y a pas de performance. »
   . Comme dit Roland Gori“L'évaluation, cette bureaucratie de l'expertise, jouit d'un relatif consensus, à droite comme à gauche.”
          Bien menée, l'évaluation peut être positive et éviter abus de pouvoir, incompétence et inefficacité,  mais  "sa mise en pratique n'est pas sans poser problème. De nombreuses enquêtes de terrain montrent à quel point ce correcteur de défauts s'avère souvent contre-productif. Cet antidote à la crise a aussi un goût de poison. En voulant lutter contre l'injustice, la glande et la fraude, l'évaluation peut subrepticement créer des stratégies de contournement, de la triche, de la falsification de chiffres. Les chercheurs auront ainsi tendance à privilégier le nombre de publications plutôt que leur qualité ; les policiers à multiplier les contrôles au lieu de résoudre des affaires plus complexes. Sous couvert d'évaluation, c'est souvent la standardisation qui règne. Pour être bénéfique, l'évaluation doit respecter et refléter au moins deux données de taille : la singularité des individus et la complexité du réel.
   Le fait d'individualiser les performances doit aussi préserver les bienfaits du travail collectif. Quant au recours à la notation, il ne peut se faire au détriment d'une évaluation plus qualitative, plus humaine, capable d'apprécier la créativité de chacun. « L'évaluation démocratique, émancipatrice, devra ainsi mélanger la nécessité de l'excellence et le besoin de coopération, synthétise Roland Gori. Etre excellent dans une société des égaux, voilà, au fond, la vraie promesse de l'évaluation... Mais, parce qu'elles sont entièrement centrées sur les tableaux de bord et les règles de procédure, les nouvelles formes d'évaluation néolibérale nous aveuglent sur l'état de la route. A l'heure du pilotage automatique par le chiffre, les professionnels n'écoutent plus les conseils des copilotes. Ils perdent la direction et le sens de leurs actions. »
    Certain y voient un instrument de domination qui ne dit pas son nom ou de folie évaluatrice,
  l'individu étant  sans cesse sollicité à s'évaluer lui-même en permanence, à intérioriser à son insu des normes qui parfois le culpabilisent,le rendent malade et l'installe dans le dégoût du travail, la défiance et la concurrence sans solidarité..
____________ 
(*).En matière d'éducation...
."...Les organismes internationaux, et plus particulièrement l’OCDE, se sont intéressés aux acquis des élèves plutôt qu’à la façon dont l’égalité des chances était respectée. Progressivement, les indicateurs de performance, les tableaux de comparaison entre établissements, entre régions ou entre Etats, les tests standardisés deviendront en effet une sorte de boîte à outils pour évaluer la qualité des systèmes éducatifs. Ce qui revient à importer les méthodes de gestion des entreprises et à réduire la fonction de l’école à une production de compétences soumise aux critères de rationalité et d’efficacité. Le Royaume-Uni en constitue un exemple caricatural." 
  Le classement PISA , accueilli aujourd'hui sans discussion comme une référence absolue, ne peut être exempt de critiques, doit être relativisé. 
  L'évaluation des élèves "à risque" dès 5 ans, fait légitimement polémique et les enfants ne doivent pas être testés comme des automates. La logique comptable ne peut être la norme.
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Relayé par Agoravox
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mardi 15 février 2011

Travail: repenser l'organisation

Management brutal (suite)

Travailler à en mourir ?

La mise à mort du travail (France 3):"Dans un monde où l’économie n’est plus au service de l’homme mais l’homme au service de l’économie, les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n’ont atteint un tel niveau. Les histoires d’hommes et de femmes que nous rencontrons chez les psychologues ou les médecins du travail, à l’Inspection du Travail ou au conseil de prud’hommes nous révèlent combien il est urgent de repenser l’organisation du travail..."
__Objectif du réalisateur : "pointer les idéologies dominantes en matière de management, qui conduisent depuis vingt ans les salariés à toujours plus d'isolement et de détresse, et montrer comment on invite des ouvriers à optimiser leur production pour pouvoir mieux les virer ensuite. Démonter, enfin, le cynisme des mécanismes financiers qui poussent des fonds d'investissement géants à s'offrir des sociétés à crédit pour leur faire cracher toujours plus de cash. "Ça ressemble beaucoup à la décadence d'une civilisation", juge le psychiatre Christophe Dejours. On en sort glacé d'effroi." >videos
_Stress et risques psychosociaux

____Un document assez complet: Quand le travail tue

Le Karoshi : la mort au travail
Japon: Un ingénieur de Toyota meurt d'épuisement

Eloge du bien-être au travail
Le travail à coeur
Le burn out : Le syndrome d'épuisement professionnel


mardi 27 février 2018

Evaluer et ...évaluer

Evaluer: jusqu'à la tyrannie?..
                                                          Evaluer: quoi de plus banal, de plus courant et de plus innocent en apparence?
   Nous passons beaucoup de temps à le faire, instinctivement dans la vie courante, dans l'appréciation des autres, ou plus ou moins rationnellement dans la vie sociale.
  Evaluation esthétique, morale, intellectuelle. Evaluation individuelle ou institutionnelle, élémentaire ou savante. Avec tous les risques de subjectivité, de partialité, d'incompétence, dans la vie courante. Rien que de très classique et de très normal.
 Tout commence avec l'évaluation parentale et ses ambiguïtés. Puis vient l'évaluation scolaire, plus complexe qu'on ne croit, posant bien des questions, avec ses incohérences et ses excès.
      Cette activité, comme activité sociale généralisée, n'est pas si neutre que cela. Elle est même très ambivalente
    Elle implique généralement des rapports de pouvoirs, au-delà des questions de compétence.
                      Ce n'est pas l'évaluation en tant que telle qui pose problème (aptitude d'un individu à un poste donné, par exemple), mais le contexte économique et social, les objectifs assignés, les méthodes préconisées, les critères choisis, et surtout le contexte d'hyperévaluation généralisée vers  laquelle nous avons glissé surtout depuis les années 80, sous la pression des nouveaux modèles de management libéraux anglo-saxons, qui ont gagné progressivement tous les domaines, depuis les entreprises jusqu'aux services hospitaliers, la psychiatrie, l'éducation, la police(faire du chiffre), la justice...
     Le lean management des politiques publiques est devenu l'alpha et l'oméga de la gestion des hommes, dans un contexte où la réduction des coûts à tous prix devient l'injonction suprême. C'est l'ère du  New public management, le triomphe du  Benchmarking  (1), avec ses effets pervers.
     Qui finit parfois paradoxalement par dépossèder les professionnels de leurs savoirs.
         Globalement, le NPM n’est que l’application des techniques managériales du privé au secteur public.." Il s’agit dans tous les cas d’inciter par tous les moyens matériels et symboliques à ce que les professionnels du soin, de l’éducation, de la recherche, du travail social, de la justice, de la police, de l’information, de la culture, ne puissent pas penser leurs actes autrement que sur le modèle de la marchandise, du produit financier et des services tarifés. Cette injonction à devoir concevoir les actes professionnels sur le seul modèle de la pensée néolibérale, de ses catégories symboliques et matérielles, participe à une véritable civilisation des mœurs au sein de laquelle l’humain se réduit à un «capital», un stock de ressources qui à l’instar de la nature doit être exploitée à l’infini..."
         Cette normalisation des pratiques propres aux sociétés de contrôle et de défiance d’allure démocratique, tend à transformer les professionnels en outils d’un pouvoir politique qui traite l’humain en instrument, en «segment technique» comme disait Jaurès. Cette nouvelle civilisation des mœurs n’est pas propre à la France... 
    Evaluation jusqu'à la démesure, voire à l'absurdité, qui, disent certains analystes, peut tourner à la tyrannie,  à la dénaturation des tâches, à l'obsession des seules procédures, à une hyperrationalisation absurde, au management parfois brutal, à la déshumanisation des tâches, au stress permanent, à la désocialisation, à la démotivation, à la perte de temps, de sens et d'efficacité (eh oui!).
         " Bien collée à notre époque mondialisée, miel pour experts et managers en mal d'efficacité, l'évaluation s'est immiscée partout, dans toutes les branches du travail, tous les secteurs de la production, tous les rouages de l'administration. Tantôt qualitative, tantôt quantitative, elle s'y écrit en chiffres et en lettres. Ni les individus ni les Etats n'échappent à son emprise. Son empire a essaimé, donnant naissance aux royaumes des audits, des AAA, des listes, classements et autres palmarès. 
    En cette période hivernale où la Cour des comptes vient de remettre son rapport au gouvernement et où chacun s'apprête à ruminer son entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, l'évaluation nous est plus que jamais familière. « L'évaluation passe en général pour une opération allant de soi, notait, il y a dix ans déjà, le clinicien du travail Christophe Dejours  . Elle est tenue par tout être raisonnable pour légitime et souhaitable. Se dérober à la procédure d'évaluation est une attitude suspecte, qui dissimulerait un pacte inavouable avec l'obscurantisme ou l'intention coupable de protéger un secret sur la médiocrité, éventuellement sur la fraude, des travailleurs impliqués. » Chantre du « vrai » travail, avide de noter ses ministres et de débusquer les assistés, Nicolas Sarkozy a donné à l'évaluation un sacré coup de fouet : « Toute activité sans évaluation pose un problème, a-t-il déclaré le 22 janvier 2009 à l'Elysée. Je vois dans l'évaluation la récompense de la performance. S'il n'y a pas d'évaluation, il n'y a pas de performance. »
   . Comme dit Roland Gori“L'évaluation, cette bureaucratie de l'expertise, jouit d'un relatif consensus, à droite comme à gauche.”
          Bien menée, l'évaluation peut être positive et éviter abus de pouvoir, incompétence et inefficacité,  mais "sa mise en pratique n'est pas sans poser problème. De nombreuses enquêtes de terrain montrent à quel point ce correcteur de défauts s'avère souvent contre-productif. Cet antidote à la crise a aussi un goût de poison. En voulant lutter contre l'injustice, la glande et la fraude, l'évaluation peut subrepticement créer des stratégies de contournement, de la triche, de la falsification de chiffres. Les chercheurs auront ainsi tendance à privilégier le nombre de publications plutôt que leur qualité ; les policiers à multiplier les contrôles au lieu de résoudre des affaires plus complexes. Sous couvert d'évaluation, c'est souvent la standardisation qui règne. Pour être bénéfique, l'évaluation doit respecter et refléter au moins deux données de taille : la singularité des individus et la complexité du réel.
   Le fait d'individualiser les performances doit aussi préserver les bienfaits du travail collectif. Quant au recours à la notation, il ne peut se faire au détriment d'une évaluation plus qualitative, plus humaine, capable d'apprécier la créativité de chacun. « L'évaluation démocratique, émancipatrice, devra ainsi mélanger la nécessité de l'excellence et le besoin de coopération, synthétise Roland Gori. Etre excellent dans une société des égaux, voilà, au fond, la vraie promesse de l'évaluation... Mais, parce qu'elles sont entièrement centrées sur les tableaux de bord et les règles de procédure, les nouvelles formes d'évaluation néolibérale nous aveuglent sur l'état de la route. A l'heure du pilotage automatique par le chiffre, les professionnels n'écoutent plus les conseils des copilotes. Ils perdent la direction et le sens de leurs actions. »
    Certain y voient un instrument de domination qui ne dit pas son nom ou de folie évaluatrice,
  L'individu étant  sans cesse sollicité à s'évaluer lui-même en permanence, à intérioriser à son insu des normes qui parfois le culpabilisent,le rendent malade et l'installe dans le dégoût du travail, la défiance et la concurrence sans solidarité..
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(*).En matière d'éducation...
."...Les organismes internationaux, et plus particulièrement l’OCDE, se sont intéressés aux acquis des élèves plutôt qu’à la façon dont l’égalité des chances était respectée. Progressivement, les indicateurs de performanceles tableaux de comparaison entre établissements, entre régions ou entre Etats, les tests standardisés deviendront en effet une sorte de boîte à outils pour évaluer la qualité des systèmes éducatifs. Ce qui revient à importer les méthodes de gestion des entreprises et à réduire la fonction de l’école à une production de compétences soumise aux critères de rationalité et d’efficacité. Le Royaume-Uni en constitue un exemple caricatural." 
  Le classement PISA , accueilli aujourd'hui sans discussion comme une référence absolue, ne peut être exempt de critiques, doit être relativisé.  
  L'évaluation des élèves "à risque" dès 5 ans, fait légitimement polémique et les enfants ne doivent pas être testés comme des automates. La logique comptable ne peut être la norme.
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vendredi 25 juillet 2025

Management

Une affaire ambiguë

         Nécessaire à partir d'un certain niveau de taille et de complexité, que ce soit dans l' industrie ou les services, pour organiser la bonne gestion du travail et le suivi humain et technique du personnel, le management peut connaître des dérives pour des raisons diverses: pas seulement à cause de certains objectifs irréalistes, imposés par souci de rendement à tout prix,  par l'imposition de normes inatteignables, ou à cause de rapports hiérarchiques dégradés débouchant sur une certaine souffrance au travail. La "communication", mot fétiche dans la direction contemporaine, est loin d'être toujours le vrai problème.  Un certain degré d'absurdité dans les injonctions et les conditions de travail est parfois en cause. La question du SENS se pose aussi et surtout dans certains cas, en ce qui concerne notamment les Bullshit Jobs...                            Il en résulte une souffrance au travail, souvent masquée, aux formes et aux expressions variées, qui commence enfin à être mieux appréhendée. On peut même parler parfois de gestion par le stress.     Christophe Dejours a bien montré toutes les conséquences négatives de certaines pratiques d' entreprise.                                                                                                                             A ce sujet, on se souvient de l'affaire France-Télécom-Orange, qui a fait l'objet d'un jugement et qui a débouché sur des condamnations.

 Un lourd dossier tournant autour de la souffrance au travail, qui déboucha sur de nombreux drames.

         C'était l'époque où France Télécom voulait à marche forcée se transformer en Orange, avec reconversions brutale
et exigences de résultats immédiats, dans le plus pur esprit du  new public management en vogue à l'époque, où on ne jurait que par la privatisation, dans l'esprit du plus pur libéralisme actionnarial.
   La fin d'un procès qui a trop duré et scandaleusement indulgent ne représente pas la fin du problème, celui de la souffrance au travail, qui ne se manifeste pas toujours de cette manière et qui affecte bien des secteurs d'activité et ce depuis longtemps, avec accélération dans les années 1990.
               "...Aujourd’hui, le nombre et la part des troubles psychosociaux dans les accidents du travail est en constante augmentation. Il paraît dès lors délicat de parler d’une époque révolue en ce qui concerne France Télécom et son management. Plus que des hommes, le procès France Télécom condamne un management borgne, focalisé sur l’intérêt unique de l’actionnaire. Il condamne également une réification par le management de l’humain, devenu simple objet qu’il faut gérer dans le processus de création de valeur. Pourtant, malgré l’ambition de ce premier jugement, il n’est pas garanti que les pratiques changent..."
           ___   Au coeur du débat sur les retraites revient en surface la question de la pénibilité du travail. Une question difficile à analyser et à mesurer avec précision.
   La peine accompagne toujours plus ou moins toute activité laborieuse non choisie, la pénibilité fait partie intrinsèquement de certains métiers manuels, mais aussi intellectuels. Mais le stress intense et durable est un aspect bien connu, pouvant conduire l'individu au pire. A l'atelier comme à l'hôpital.
   Mais la souffrance au travail  n'est pas inéluctable. Elle dépend de conditions diverses qui peuvent être évitées ou changées, de facteurs organisationnels dépendant d'un type de production, pas seulement de simples rapports humains.      Il n'y a pas là de fatalité. L'absurde n'est pas une donnée intrinsèque du travail.
      La question de l' évaluation, telle qu'elle est pensée et menée renforce les pressions de toutes sortes, en devenant souvent contre-productive.
  Le problème n'est pas nouveau. Il devient même croissant, en tendant à se généraliser. Malgré la législation récente ici ou là, quand elle peut s'exercer.
           Mais il prend des formes nouvelles suivant les types de tâche et d'organisation du travail.
                 Gagner sa vie, ce peut être aussi la perdre physiquement, brutalement ou à petit feu, comme le montrait le document diffusé mardi soir sur France 5.
   L'activité de traitement ou de transformation de certains produits, de certaines matières, surtout sans précaution,  engendre des effets dévastateurs sur l'organisme, comme pour l'amiante, de triste mémoire. Mais il y en d'autres...
  Les formes de travail changent selon les activités et les relations dans la production.
   Le travail dit de force, les tâches traditionnelles de type  fordien régressent, mais les tâches répétitives sont à l'origine de nombreux troubles musculo-squelettiques.
    La souffrance psychologique et morale tient une place moins spectaculaire, mais elle n'en n'est pas moins réelle, avec le développement des nouvelles méthodes de gestion où l'obsession de compétitivité devient la règle, où la vitesse devient la norme, dans un nouveau cadre technique où la machine numérisée et ses algorithmes donnent le ton et le rythme, où la qualité des relations humaines souffrent d'une mise en concurrence systématique et génère parfois isolement et culpabilité, qu'on a pu appeler souffrance éthique.
    Depuis les travaux de Dejours, il a été montré que ces maux n'avaient rien de médical.
On parle toujours de burn-out  , mais aussi de bore-out.
      Il n'y a pas que le management brutal qui reste d'actualité.
La perte de sens dans le travail a des incidence sur la manière dont l'individu se juge, s'apprécie.
    La gestion par le stress, voulue ou non directement intentionnelle, reste une pratique connue, elle a fait des dégâts à France-Télecom. Mais pas seulement, et pas seulement hier.
          Le nouvel esprit du capitalisme , la mise en place d'une précarité de plus en plus grande, engendrant une crainte latente de déclassement ou de perte d'emploi,  le développement des tâches éclatées et souvent solitaires, la déstructuration de la vie sociale en général sont des éléments associés qui constituent la toile de fond de ces nouvelles formes de souffrances, qui peinent à s'avouer.

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vendredi 31 juillet 2009

Fait(s)divers

Gestion par le stress

-France Télécom: un salarié se suicide et met en cause sa hiérarchie:
"Dans le courrier laissé à sa famille, le cadre marseillais de 51 ans évoque l'«urgence permanente», la «surcharge de travail», l'«absence de formation», la «désorganisation totale de l'entreprise» et le «management par la terreur...»
-France Télécom reconnaît le stress subi par ses salariés | Eco89









-[C dans l'air - France 5-Suicide en entreprise]
- Suicides en série chez Renault à Guyancourt
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-La peur n'est pas un mode de management:
"...« C’est quand on arrive le matin à son travail la peur au ventre que l’on donne le meilleur de soi-même » affirmait récemment un ancien dirigeant d’un grand groupe équipementier automobile. Eh bien non ! Autant sur le plan éthique que sur le plan économique, il n’est pas acceptable que la peur soit érigée en mode de management de l’entreprise."
-Le Management par la peur:
"...Combien de collègues de boulot, techniciens, secrétaires, ingénieurs, cadres dirigeants aussi, qui se sont vu débarqués du jour au lendemain ? Dans des circonstances humainement douloureuses et contestables. Leurs travails n’étaient ils pas à la hauteur des exigences de la Direction ou des actionnaires ? Parfois, ce n’était même pas le cas. Mais soit incompatibilité d’humeur, soit une phrase qui a déplu à la Directrice Générale… Je me souviens de ce jeu à la machine à café : on pariait sur qui sera le prochain sur la liste. Je me souviens des soirées chez mon amie à Marseille : te souviens tu quand je tournais dans ton appartement, tribule et whisky à la main, persuadé que mon CDD renouvelable tous les mois arrivait à son terme ? Que ce serait à mon tour de passer par la case “dehors” ?..."
-Le_management_par_la_terreur_en_10_leçons:
"...le discours officiel rempli de sérénité et d’apaisement est en contradiction totale avec la réalité immédiate des collaborateurs : en effet, la situation personnelle de chacun est précaire, la sérénité laisse le pas à la crainte, la nervosité, la peur : peur de l’avenir, peur d’autrui, peur de soi-même (de ne pas être à la hauteur mentalement, physiquement). En réalité c’est cette peur que l’on tente par notre modèle de créer, car cette dernière nous permet de contrôler les esprits et de les obliger à donner le meilleur d’eux-mêmes. De plus, la contradiction entre le discours officiel et la réalité des salariés empêche toute rébellion, car on donne l’impression que tout va de soi et qu’ainsi si il y a un problème, il ne peut venir que de l’individu isolé et non de la structure en ellemême..."
-« Notre organisation du travail est basée sur des techniques de management brutales »:
"...Depuis une quinzaine d’années nous constatons une hausse des pathologies psychiques. Cela correspond à la mise en place d’une organisation du travail basée sur des techniques de management brutales. Les rythmes se sont intensifiés. On emploie des moyens primitifs pour faire pression et accroître les rendements des salariés. Nous sommes dans le tout quantitatif, dans une logique de gestionnaire. Les salariés viennent dans nos consultations car ils sont affectés par le sale boulot qu’ils doivent accomplir. Ils doivent donner toute leur énergie pour réaliser une tâche le plus vite possible, avec peu de moyens et peu importe le résultat. L’objectif est que le travail soit fait et non qu’il soit bien fait.
A la lecture des guides de management, on constate que tout cela se fait avec le consentement de l’encadrement. ..."
-Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
"...La peur est devenue une pièce maîtresse dans le fonctionnement du système. Ce maniement managérial de la peur et de la menace au licenciement pousse les gens à travailler à plein régime et c’est un des rouages essentiels à l’efficacité du système. On exige de ceux qui travaillent des performances toujours supérieures en matière de productivité, de disponibilité, de discipline et de don de soi.Ceux qui travaillent vivent dans une peur permanente. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de perdre son statut, peur de perdre sa place. La peur s’inscrit dans les rapports de travail. Elle engendre des conduites d’obéissance, de soumission et d’individualisme.
Dans ce nouveau système de management basé sur la peur au licenciement, la tolérance à l’injustice, la souffrance personnelle et la souffrance infligée aux collègues sont devenues des situations ordinaires..."

>>le travail c’est (pas) la santé


-Christophe DEJOURS " SOUFFRANCE EN FRANCE LA BANALISATION DE L’INJUSTICE SOCIALE ":
"...La flexibilisation c’est un processus plus large que la flexibilité. Sa caractéristique principale : l’individualisation des personnes au travail. C’est la mise sur la même plan des employeurs et des employé-es. La force, la puissance est inégale, c’est l’illusion d’un contrat égal entre des puissances disproportionnées. Ce fait est dénoncé depuis longtemps les critiques du capitalisme (Bakounine, Marx et les autres).
En Angleterre la flexibilisation s’est appuyée sur un discours ouvertement néolibéral. En France elle s’est développée quelques années plus tard avec un discours de progrès social, discours véhiculé par la gauche. C’est au nom de l’individu-e, de son autonomie que la législation à temps partiel a été adoptée au début des années 80. Ce sont deux variantes du même processus.
Ceci passe par des modalités pratiques très différentes : temps partiels, contrat à durée déterminée, stage, intérim, augmentation de la période probatoire avant l’embauche définitive, etc. Il y a une augmentation du temps de mise à disponibilité des travailleurs-euses pour l’employeur : passage de 5 à 6, voire 7 jours de possibilité de travail dans la semaine, annualisation, augmentation de la plage horaire de disponibilité dans la journée, lutte contre l’absentéisme, etc. La durée du travail change, elle est morcelée pour les temps partiels (caissières par exemple), elle augmente pour les cadres. On ne doit pas non plus oublier la tendance à transformer les salariè-es en travailleur-euses indépendant-es à leur compte.
_On constate plusieurs processus conjoints dans cette flexibilisation : l’atomisation des individu-es entre eux ou elles, l’implication plus grande des personnes. Cette implication demande une intériorisation plus grande des normes du combat pour la compétitivité, une adhésion aux valeurs du marché, de l’entreprise. Ceci se traduit dans le travail par une intensification physique et psychique de travail. Les contraintes physiques augmentent : gestes répétitifs très rapides, par exemple, avec les maux qui s’en suivent. La chasse aux temps non travaillés (pauses, mouvements inutiles, temps morts, etc.) est permanente. L’augmentation de la charge psychique est nette. La pression mentale est de plus en plus forte sur les personnes au travail. La société de l’information ce n’est pas seulement un mythe moderniste, elle a des effets pratiques puissants. Ceci passe par une la mobilisation de la subjectivité de plus en plus grande. Les conséquences sont connues des médecins du travail : sentiment de tête vide, l’anxiété, irritabilité, troubles du sommeil, difficulté de concentration, prises de médicaments pour se calmer ou se stimuler, etc. Le sentiment de ne pas être à la hauteur, la sensation de ne pas pouvoir vivre sa vie sont assez communs. L’augmentation du nombre de dépressions peut être mise en relation avec la flexibilisation. La culpabilisation est forte surtout sur les personnes qui refusent, renâclent ou qui parfois osent se battre contre ces injustices. La déstructuration de la vie sociale due aux horaires flexibles peut entraîner une sensation de désocialisation. Comment s’occuper correctement de ses enfants avec ces horaires imbéciles ? Comment avoir une vie de couple si on se croise ? Comment avoir des ami-es quand on a des horaires qui changent tout le temps, qui ne sont pas en phase avec une vie sociale « classique » ?..."
-Le stress au travail
-Le stress au travail : pathologie ou symptôme ?
-Le travail rend les Français insomniaques
-Quand le stress au travail tue
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-Toyota mon amour

lundi 7 février 2022

L' Hôpital va mal

Ce n'est plus un secret, mais le mal est aussi dans ses modes de fonctionnement

                                            Outre des coupes sombres, les fermetures de lits jusqu'en pleine crise pandémique, l'hôpital est devenu peu à peu malade d'un management devenu  toxique. Le neaw management, inspiré du New public management instauré par M.Cameron, dans le sillage du néolibéralisme tatcherien, où les activités publiques étaient sommés de prendre modèle sur les modèles de gestion l'industrielle. Le mimétisme ne se produisit pas sans effets pervers, une sorte de standardisation et souvent des formes de déshumanisation, l'efficacité à court terme et les gains obtenus devenant comme des priorités, imposant des stratégies à courte vue pour les malades et un stress permanent pour un personnel à qui on a fait perdre peu à peu de vue ses tâches prioritaires. La bureaucratisation, là est aussi le mal.

               Une réforme s'impose, avait-on fini pas reconnaître à mi-voix, faisant toute confiance aux directeurs d'hôpitaux, mais on ne voit rien venir, sauf quelques mesurettes et primes en tous genres. D'où l'impatience de certains spécialistes connus qui haussent le ton pour dénoncer les ravages de la "fonctionnarisation" des tâches hospitalières.                                                                                Comme  Bernard Granger, psychiatre à Paris, qui ne mâche pas ses mots :  ".... L’hôpital public est un terrain d’observation privilégié du phénomène bureaucratique. L’opium des directions hospitalières actuelles est « le projet ». Quand un directeur ne sait plus quoi vous répondre et cherche à se débarrasser de vous, il ordonne : « Écrivez-moi un projet ! » Tout est projet : projet médical, projet managérial, projet social, projet de soins, projet d’établissement, projet financier, projet de pôle, projet de département, projet de service, projet de chefferie de service, projet pédagogique, projet des représentants des usagers, etc. Aucun projet ne se réalise comme prévu, car c’est une littérature fictionnelle qui donne l’impression d’avoir été rédigée sous l’emprise de stupéfiants. Et que dire de ces rapports annuels d’activité, enquêtes administratives, rapports d’étapes, feuilles de route, plans stratégiques, boîtes à outils, états prévisionnels, plans locaux de santé, plans globaux de financement pluriannuels, stratégie nationale de santé, pilotage de la transformation (là où il faudrait plutôt une transformation du pilotage), retours d’expérience (RETEX, dans ce verbiage bourré de sigles et d’acronymes dont plus personne ne finit par connaître la signification) ? Qui s’intéresse à ces fadaises ? Qui lit ces documents destinés à une étagère empoussiérée puis à la déchèterie ?        Fait assez curieux, la bureaucratie assure sa domination non pas en exigeant des données fiables ou contrôlées, mais se satisfait de ce que chaque case soit remplie. L’expérience a montré que répondre n’importe quoi à ces inquisitions n’a aucune conséquence. C’est une découverte étonnante qui peut vous simplifier la vie. On peut même dire que le recueil de données est une entreprise aléatoire. L’acribie n’est pas la qualité première des fournisseurs de chiffres officiels.                                     _____Les membres de cette oppressante cléricature souffrent d’une étrange manie, liée à celle des indicateurs chiffrés : l’exigence de « reporting ». « Faire de la satisfaction d’indicateurs l’objectif d’un travail, non seulement détourne une partie de ce travail d’une action productive (un temps croissant étant consacré à renseigner ces indicateurs), mais le déconnecte des réalités du monde, auxquelles est substituée une image chiffrée construite dogmatiquement », écrit le juriste Alain Supiot. La demande de « reporting » porte sur la moindre action, le moindre geste, bientôt la moindre pensée, le moindre rêve. Le temps pris par le « reporting » finit par recouvrir le temps passé à agir. Comment les historiens feront-ils pour ne pas porter un regard sévère sur ces ténèbres ? Comment seront jugés à la fois ceux qui ont répandu et ceux qui ont accepté sans broncher cette barbarie ? Affirmons avec Sénèque qu’« il viendra un temps où notre ignorance de faits si évidents fera l’étonnement de la postérité ».    Les normes et procédures prennent le pas sur le savoir-faire. Dans un article paru en 2015 dans la « Revue de médecine interne » intitulé « Jugement pratique et burn-out des médecins », le professeur de médecine Jean-Christophe Weber, écrivait :

« La fréquence du syndrome d’épuisement professionnel chez les médecins devient un motif de préoccupation publique. Les causes profondes ne sont pas bien connues. Nous formons l’hypothèse que le ressort le plus puissant de la souffrance au travail des médecins est la remise en question de leur jugement pratique […] L’évolution de la médecine, et en particulier la multiplication des procédures, a une influence négative sur son apprentissage et son exercice. »

        En effet, la dérive technocratique éloigne de la pratique et de l’expérience. Ce phénomène observé dans tous les domaines, n’aura pas épargné la médecine, malgré la nécessité de s’adapter aux singularités de chaque malade. L’hôpital public a son agence technique spécialisée dans la gestion entrepreneuriale. Son nom, typiquement novlangue, Agence nationale d’Appui à la Performance (ANAP), est tout un programme, et ses recommandations une source inépuisable de stupéfaction.        Dans « les Employés ou la femme supérieure », paru en 1838, Balzac écrit déjà : « La bureaucratie, pouvoir gigantesque mis en mouvement par des nains, est née ainsi. […] Les Bureaux se hâtèrent de se rendre indispensables en se substituant à l’action vivante par l’action écrite, et ils créèrent une puissance d’inertie appelée le Rapport. […] La France allait se ruiner malgré de si beaux rapports, et disserter au lieu d’agir. Il se faisait en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie régnait-elle ! […]Enfin elle inventait les fils lilliputiens qui enchaînent la France à la centralisation parisienne, comme si, de 1 500 à 1 800, la France n’avait rien pu faire sans trente mille commis. »     Balzac a vu la graine bureaucratique germer et en a immédiatement décelé les tares congénitales : la manie du rapport, la paralysie due à la centralisation et la ruine pour tout résultat. Pour compléter le tableau, ajoutons l’organisation incessante de réunions, ne serait-ce que pour fixer la date de la prochaine réunion. Le refus de participer à une réunion est vécu comme le dernier outrage par les bureaucrates. Balzac n’était pas le seul à avoir pressenti les ravages de la bureaucratie. Comme le rappelle le sociologue Michel Crozier : « Tocqueville a déjà démontré que cette administration omniprésente, qui s’occupe de tout et qui sait toujours mieux que les citoyens ce qui leur convient, étouffe leurs initiatives, diminue leur intérêt pour le bien public et engendre constamment par son agitation brouillonne les problèmes qu’elle devra finalement résoudre. […] Ne pouvant tout contrôler, elle s’acharne à développer des règlements, ajoutant la méfiance au contrôle et forçant tout le monde à l’irrégularité. »        La plus belle réussite de la bureaucratie, qui fait un tort considérable au monde hospitalier, est sans doute son aptitude à dilater le temps et à diluer les responsabilités. Ce qui dans la vraie vie prend une heure, prend dans la vie bureaucratique un trimestre, un semestre, une année. Pour justifier son existence et surtout ne pas laisser penser qu’il ne sert à rien, chaque échelon, et il s’en crée de nouveaux en permanence, caquette en réunions multiples, se divise en groupes et sous-groupes de travail, commissions et sous-commissions, pond des rapports et sous-rapports (« rapports d’étape »), met son grain de sel à tout propos, un grain de sable en réalité, contredit l’échelon inférieur, avant d’être contredit par l’échelon supérieur.        _______Plus d’un siècle après Balzac et Tocqueville, le philosophe Michel Henry a décrit ainsi la nature de l’administration : « L’incompétence du politique se laisse reconnaître à l’intérieur de chacun des organismes qu’il met en place et culmine dans l’administration. Le propre de celle-ci est, sous prétexte de défendre l’intérêt général, de substituer partout ses problèmes, ses méthodes, ses intérêts, bref sa finalité bureaucratique propre, aux finalités vivantes des entreprises individuelles vis-à-vis desquelles elle se comporte comme une contrainte extérieure et comme une force de mort. » Il souligne notamment la capacité de l’administration à organiser de façon autonome sa propre croissance, à la manière d’une tumeur maligne qui capte à son profit les ressources de l’organisme au sein duquel elle se développe.        La bureaucratie de papa, source d’aimables plaisanteries, s’est transformée en outil toxique avec l’ère des « managers » et le tournant gestionnaire des années 1980. Ce tournant a été étudié par de nombreux sociologues et psychologues du travail, comme en France Christophe Dejours et Yves Clot. Pour le premier, les acteurs de terrain ont été dépossédés de leur savoir et de la maîtrise de leur travail. Cette évolution s’est accompagnée de la perte des solidarités en raison de la généralisation de l’évaluation individuelle. Elle a généré une la souffrance éthique, car les agents sont tenus d’agir en contradiction avec les valeurs qui leur ont fait choisir un métier au service des autres.   Yves Clot oppose pour sa part le travail bien fait au travail empêché, le travail prescrit au travail réel. Il considère que proposer de « réparer » les conséquences psychiques des organisations de travail défaillantes par la « gestion » des risques psychosociaux est une aberration supplémentaire :  « Pour tout dire, je ne crois pas que ceux qui travaillent dans ce pays soient des sinistrés à secourir. La victimologie ambiante, quand elle devient une gestion de la plainte “par en haut”, n’est souvent qu’un faux pas qui accroît, par un choc en retour, la passivité des opérateurs. […] Le monde du travail qui vient est un hybride social : une sorte de néofordisme se met en place, monté sur coussin compassionnel. La pression productiviste se dote d’amortisseurs psychologiques. L’engagement dans une performance trop souvent “factice” se marie à l’accompagnement de l’échec mal vécu, comme s’il fallait, pour supporter l’insupportable, trouver en chacun des réserves personnelles encore sous-utilisées. Une certaine psychologie a, plus ou moins à son corps défendant, trouvé sa place dans l’organigramme. Mais la nouvelle orthopédie sociale qui la retourne la prive aussi d’une possibilité qu’elle pourrait pourtant saisir : se rapprocher des nœuds du travail réel pour, en situation, les défaire en association avec ceux qui, seuls, ont les moyens de le faire. »       La souffrance est devenue le quotidien pour un nombre élevé d’agents ou de victimes de l’administration, à tous les niveaux. Certains finissent par se suicider sur leur lieu de travail ou dans les locaux de l’administration qui les a poussés à bout. Le harcèlement moral est une technique managériale en vogue et le sadisme une des qualités premières pour monter dans la hiérarchie des bureaux. « Les chaînes de l’humanité torturée sont en papiers de ministères », écrivait Kafka.     Dire que nous vivons une crise des politiques publiques est peu dire. Les décisions des dirigeants au cours de ces dernières décennies ont conduit à un échec financier et surtout moral de plus en plus visible. Les services publics sont dans un état désastreux. La souffrance y est déniée. Parler de harcèlement institutionnel n’est pas exagéré. Cette situation misérable est l’aboutissement de ce que le philosophe du droit et professeur au Collège de France Alain Supiot a appelé « la gouvernance par les nombres ». Il a magistralement analysé cette transformation dans un livre qui porte ce titre (Fayard, 2015). Il écrit:     « Le renversement du règne de la loi au profit de la gouvernance par les nombres s’inscrit dans l’histoire longue du rêve de l’harmonie par le calcul, dont le dernier avatar – la révolution numérique – domine l’imaginaire contemporain. […] On n’attend plus des hommes qu’ils agissent librement dans le cadre des bornes que la loi leur fixe, mais qu’ils réagissent en temps réel aux multiples signaux qui leur parviennent pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés. »    L’indicateur sature la langue managériale. On entend souvent politiques ou hauts fonctionnaires prononcer cette phrase appliquée à tous les domaines : « Il faudrait quelques indicateurs bien choisis, en petit nombre. » Derrière une apparence de bon sens, cette proposition de retenir quelques indicateurs « bien choisis » – on ne dit pas comment – cache une erreur conceptuelle désormais bien démontrée. La loi de Goodhart devrait pourtant être connue de nos élites : lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. Un indicateur manipulable transformé en objectif a immédiatement des effets pervers. Les exemples d’indicateurs pervertis ne manquent pas. Ce sont les flacons d’antiseptiques versés dans le lavabo dès que leur consommation a servi à évaluer le suivi des règles d’asepsie, ou le refus des malades difficiles par les chirurgiens cardiaques américains quand le taux de mortalité chez leurs opérés devait servir à les classer – indicateur rapidement abandonné. Et que dire de la proposition du président Sarkozy qui avait envisagé que le taux de mortalité de chaque hôpital soit affiché dans le hall d’entrée des établissements ?     Le management par objectifs et indicateurs doit être considéré comme maltraitant. On sait pourtant, grâce à Supiot là encore, que « cette pratique s’est répandue qu’il s’agisse de la bibliométrie pour le chercheur, de la création de valeur pour l’actionnaire ou de la réduction du déficit public au-dessous de la barre des 3 % du PIB pour les États. Le pullulement des “contrats d’objectifs” décourage l’inventaire : contrats de plan État-région, contrats d’objectifs et de moyens pour la formation professionnelle, plans climat-énergie territoriaux, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens en santé, contrats d’objectifs des juridictions administratives, contrats pluriannuels d’établissement entre l’État et les universités, etc. » La recherche scientifique a été ravagée par l’instauration d’indicateurs. Elle s’est muée en recherche de publications dès lors que l’évaluation des chercheurs s’est résumée à un indicateur.                           Cet indicateur n’évalue pas la qualité des publications mais leur nombre, et, dans le cas des recherches biomédicales, se traduit en recettes supplémentaires pour l’établissement hospitalier auquel sont rattachés les chercheurs. Pour ces deux raisons, la perversion de cet indicateur tient du prodige. Ce mode d’évaluation incite à tricher. Les cas d’inconduite scientifique se multiplient : données embellies, données fabriquées, plagiats. Le système de points Sigaps (Système d’Interrogation, de Gestion, d’Analyse des Publications scientifiques) établi en France a fait l’objet d’une étude canadienne qui montre que dans les douze ans qui ont suivi l’instauration de cet indicateur, le nombre de publications par les centres hospitaliers et universitaires français a augmenté de 45 %. Selon la revue « Nature Index », qui a analysé le devenir de 5 millions d’articles scientifiques publiés entre 1980 et 1990, seuls deux sur 100 000 restent marquants plusieurs décennies après leur parution.     Les organismes de recherches, comme en France le CNRS, se rendant compte des effets pervers de ce mode d’évaluation, abandonnent progressivement les indicateurs bibliométriques. Au lieu de demander à un chercheur quel est son score Sigaps, on lui posera une question bien plus embarrassante : qu’avez-vous apporté à votre domaine de recherche, quelle énigme avez-vous résolue, quels sont les résultats marquants auxquels vous êtes parvenus ? Beaucoup seront bien en peine de répondre et les authentiques chercheurs sortiront du lot. Cette évaluation qualitative favorisera l’inventivité, l’originalité, et sera un bon remède à la graphorrhée actuelle.     Quel kit de survie utiliser en milieu bureaucratique ? L’humour reste une arme redoutable, le dédain aussi. Il faudrait se débarrasser des contraintes en y répondant de façon expéditive, sans prendre trop au sérieux les exigences superflues qui nous sont imposées chaque jour. Répondre n’importe quoi n’a aucune importance, du moment que l’on répond : feindre une allégeance donnera à l’administration le sentiment du devoir accompli et nous ménagera plus de temps pour le travail utile.    Surtout, il est grand temps de prendre un tournant antimanégérial en laissant les professionnels exprimer leurs qualités et leurs compétences. Respectons leur savoir, leur autonomie et leur solidarité. Proposons le retour à des organisations choisies, disant avec Guy Debord : « Nous ne pouvions rien attendre de ce que nous n’aurions pas modifié nous-mêmes."  _________________

lundi 26 avril 2010

Psychiatrie en crise

Quelle place pour les "fous"?

Priorité au sécuritaire...

-Si l'on juge de l'état d'une civilisation au sort qu'elle réserve à ses marges, alors la nôtre va mal.

Il fallait absolument détruire les asiles, mais il ne fallait pas qu'on enlève aussi les soins, regrette le Dr Hervé Bokobza. On a confondu la réforme de fond de l'asile avec la destruction de l'asile. »



_"Des troubles comportementaux, des cas de psychotiques. Dépressions, suicides au travail, addictions, anxiété généralisée. Dans une affaire de santé mentale, le tout logé à la même enseigne, suivant le discours sécuritaire et les restrictions budgétaires. Encore faut-il qu’il y ait de l’espace. Depuis les années 1970, 50 000 lits d’hospitalisation ont été fermés en psychiatrie publique, sans que suffisamment de structures alternatives n’aient vu le jour." _

-...« Le parcours du fou est bien balisé : c'est un aller-retour entre la rue, le foyer, ce qu'il reste de l'hôpital psychiatrique et la prison », résume le vice-président du tribunal de grande instance de Paris. « On juge des gens et on s'aperçoit, une fois qu'ils sont arrivés en détention, qu'ils ont des maladies mentales. Elles auraient dû être prises en compte quand on les a jugés », enchaîne la présidente du Syndicat de la magistrature. Et l'écrivain Catherine Herszberg (Fresnes, histoires de fous) de dénoncer la focalisation des pouvoirs publics sur les questions sécuritaires : « C'est une interrogation politique majeure sur l'état d'une société, quand on en vient à se dire que le dernier lieu où certaines personnes trouvent des soins, c'est la prison. »
__Un changement s'impose donc. C'est l'avis du président Nicolas Sarkozy, qui s'appuie sur des faits divers impliquant des déséquilibrés pour imposer la réforme Bachelot. Déjà impopulaire, elle se veut gestionnaire et s'appuie sur les thèses comportementalistes d'Amérique du Nord. Ses idées ? La rééducation est moins chère et plus rapide que les soins au long cours. Plus grave, dans les coulisses du pouvoir, des scientifiques œuvrent pour remplacer le terme de folie par celui de santé mentale. La psychiatrie ne s'occuperait plus seulement des névroses et psychoses mais aussi de la dépression, de l'anxiété, de la déviance sociale… Ce mouvement estime qu'un Français sur quatre rencontre des problèmes de santé mentale. « Pouvons-nous nous passer d'un quart de nos ressources humaines, se questionne cette partisane. Au-delà des discours humanistes qui ne changent rien au problème, attaquons-nous à la question de la santé mentale avec des causes précises et des enjeux chiffrés. » La traque systématique de ces troubles prend forme avec ces programmes de détection, destinés aux écoles et aux entreprises, déjà développés. A la grande inquiétude de ce psychiatre qui avertit : « S'attaquer aux libertés fondamentales des plus exclus d'entre nous augure de ce qui pourrait arriver au reste de la communauté. » Gaël Nivollet

_____________-"La prison est devenue un asile psychiatrique. Un prisonnier sur cinq souffrirait de troubles mentaux. Catherine Herszberg a donc choisi d'aller enquêter là où échouent ceux qui n'ont plus de place nulle part, ni à l'hôpital ni ailleurs. De décembre 2005 à avril 2006, elle a accompagné l'équipe psychiatrique de la prison de Fresnes. Introduite et guidée par Christiane de Beaurepaire, chef du service, elle a suivi les prisonniers, les malades, les soignants, les surveillants. Elle a circulé partout, écouté, regardé, interrogé les uns et les autres, et a rapporté de ce voyage des histoires. Des histoires de fous. Des fous que les prisons de France se refilent comme des " patates chaudes ". Des fous qui échouent de plus en plus souvent au mitard. Des fous qui, au fond de leur cellule, s'enfoncent chaque jour davantage dans la maladie mentale. Des fous trop fous pour les hôpitaux psychiatriques qui, faute de moyens, ne peuvent plus les accueillir. De ce séjour dans un recoin obscur de notre société, l'auteur revient avec des questions. Criminaliser la maladie mentale, c'est faire un prodigieux bond en arrière. Pourquoi cette régression ? Que penser d'une société qui enferme derrière des murs ses pauvres, ses marginaux, ses malades mentaux ? Si l'on juge de l'état d'une civilisation au sort qu'elle réserve à ses marges, alors la nôtre va mal." (Catherine Herszberg)
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________UN MONDE SANS FOUS ? - France5
- Le Monde en face
- Vidéo Actu et Politique

-«Un monde sans fous?» | Mediapart:
"...Ce documentaire arrive au moment même où un projet de loi réformant les soins en psychiatrie est en discussion. Ce texte prévoit une obligation de soins, pas seulement à l'hôpital, mais aussi à l'extérieur.
__Jusqu'à présent, l'hospitalisation à la demande d'un tiers ou l'hospitalisation d'office (réclamée par le maire ou le préfet) organisent l'administration de soins sous contrainte pour les personnes présentant un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Avec ce projet de loi, les soins pourraient être demandés «sur simple certificat médical» par un tiers ou le préfet, et être imposés à la personne concernée, même si elle n'y consent pas, et en dehors d'une hospitalisation.
___En d'autres termes, les lieux de soins et le domicile deviennent ainsi des espaces de contrôle et de contrainte.Et que se passera-t-il si le patient ne prend pas son traitement? «L'établissement de santé engage immédiatement une procédure de convocation. (...) Le directeur en informe le représentant de l'Etat.» Il «prend toutes mesures utiles» et «peut notamment ordonner la réhospitalisation du patient». La menace comme dernier arme, à défaut de convaincre.
__Ce texte a pour objectif évident de répondre à la figure du «fou dangereux», illustrée récemment par le «pousseur du RER» et le «schizophrène auteur d'un meurtre à Grenoble». Ces drames existent et il faut tout faire pour éviter qu'ils se produisent. Mais d'une part, la réponse à ces faits divers ne doit pas occulter le fait que 1,5 million de personnes consultent chaque année en psychiatrie. D'autre part, que la majorité des criminels ne relève pas de la psychiatrie: il suffit de se rendre dans une cour d'assises pour le constater.Sous couvert de protéger la société, ce projet de loi est à l'opposé des besoins de la psychiatrie et de ses usagers, et, comble de l'absurdité, il peut avoir un effet totalement inverse...."

-Les dérives de la psychiatrie
-Politique francaise de sante mentale: analyse et conséquences pour la psychiatrie en France
-Prison et troubles mentaux : Comment remédier aux dérives du système français ?

-Les malades mentaux affluent dans les prisons françaises
- Le documentaire et ses bonus
- Entretien avec Patrick Chemla
-Entretien avec Christophe Dejours

- Entretien avec Hervé Bokobza
-«La psychiatrie a besoin de moyens, de visites à domicile, pas seulement de médicaments
- «Un monde sans fous?» - Recherche Google
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-Psychiatrie: régression sécuritaire
-Psychiatrie: état "inquiétant"
-Psychiatrie sous influence
-Saccage de la psychiatrie...