La dette fait peur
On comprend pourquoi. Nous confondons le plus souvent dette privée et dette publique, ou on nous fait croire que c'est la même chose. C'est culpabilisant. Mais l'Etat n'est pas un ménage. La dette n'est pas le problème que l'on croit ou que l'on présente de manière dramatisée, de manière politiquement surjouée. Il importe d'abord de dédramatiser. "... La dette profite avant tout à une minorité c’est-à-dire à ceux qui détiennent un patrimoine financier, alors que tous les contribuables, eux, payent à travers leurs impôts les intérêts de la dette...." (voir ICI) La situation est compliquée, certes, mais pas insoluble. La France est loin du chemin de la Grèce...
___ Selon T.Porcher, "...L'endettement est un épouvantail qu'on agite pour faire de l’austérité. Chaque fois qu'il y a des coupes dans les services publics, cela profite au secteur privé. Dans tous les pays où vous avez une dépense publique faible, vous avez une dépense privée très élevée. Le secteur privé en profite d’autant plus que face à la concurrence internationale, nous avons très fortement baissé la fiscalité sur les grandes entreprises. Beaucoup de grandes entreprises arrivent à échapper, en grande partie, à l'impôt via des mécanismes d'optimisation fiscale. Prenez par exemple le CAC 40 en France : il y a 1 200 filiales dans les paradis fiscaux. Si les entreprises y vendent des choses qu'elles produisent, pourquoi pas ? Mais si elles ne produisent pas et n'ont pas d'outils de production là-bas, c'est qu’elles y sont pour d’autres raisons. Il faudrait s'interroger là-dessus. Donc la mondialisation a baissé, via la concurrence, les niveaux de fiscalité. Mais elle permet aussi, via des mécanismes fiscaux, d'éviter de payer l'impôt et donc, en partie, de plomber les comptes. L'endettement n'est pas un problème parce que les investisseurs veulent encore acheter notre dette. C'est ça, le paradoxe. Je ne dis pas qu'il faut continuer comme cela ad vitam aeternam, mais en fait, ces dix dernières années, nous avons utilisé la dette pour pratiquer de l'austérité dans les services publics, tout en baissant très fortement les impôts. Il y a eu 70 milliards de baisses d'impôts, dont 40 milliards sur les entreprises. Mais de l'autre côté, cela oblige à couper dans la dépense publique. Et ces dix dernières années, il y a des investissements qui n'ont pas été faits, par exemple à l'hôpital. Un an avant la crise, une aide-soignante du CHU de Rouen a interpellé Emmanuel Macron en lui disant que le système de santé avait besoin de moyens. Il lui répond : « Il n'y a pas d'argent magique. » Il lui dit que la priorité est de réduire la dette et le déficit. Un an après, il explique qu’il va réaliser un plan massif d'investissements pour l'hôpital public. La dette a souvent servi pour ne pas faire les investissements nécessaires en temps et en heure. Pourtant aujourd'hui, notre dette est soutenable. Pourquoi ? D’abord parce que les taux d'intérêt, même s'ils augmentent, sont plus faibles qu'il y a six mois. Deuxièmement, parce qu'il y a deux fois plus d'investisseurs qui veulent acheter notre dette qu'on émet d'obligations. Cela signifie que les investisseurs demandent encore notre dette. Ce qu'il faut, c'est être crédible, proposer un plan de réduction du déficit sur cinq ans ou un peu plus longtemps et ne pas faire des coupes sévères comme nous le faisons. Nous allons couper 60 milliards, soit 2 % du PIB, ce qui équivaut au premier plan d'austérité de la Grèce, qui a eu un impact négatif sur la production et in fine fait augmenter la dette. En fait, ce que nous percevons actuellement dans les carnets de commandes des entreprises, c’est que nous n’avons plus un problème d'offre, mais un problème de demande. Il faut donc relancer la demande, en augmentant les salaires. Parce qu'aujourd'hui, beaucoup de gens n’arrivent pas à vivre avec le salaire minimum. Et il faut également faire des investissements publics massifs, parce que plein de secteurs ont besoin d'investissements publics : l'éducation, la petite enfance, les maisons de retraite, mais aussi la rénovation des bâtiments, les voitures électriques, l'innovation. Tous les pays le font, à commencer par les États-Unis, et Trump poursuivra. D'ailleurs, ce qui est assez intéressant, c'est que les débats entre Donald Trump et Kamala Harris abordaient très peu la question de la dette, alors que la leur est supérieure à la nôtre et leur déficit également. Les Chinois ont augmenté de plus de 100 milliards leur déficit pour financer leur plan de relance. Donc, des deux côtés, les concurrents de l'Europe font des plans de relance. Nous nous enfermons dans des questions de déficit ou de dette, alors que nous devrions faire l’inverse. Nous sommes en train de reproduire les mêmes erreurs qu'en 2010. Mais si ce modèle a été abandonné, c’est parce qu’il a failli : dans les années 1970, lors de la stagflation (mélange de stagnation et d’inflation) qui a suivi les chocs pétroliers, et au début des années 1980, avec le plan de relance de Mitterrand. Je ne suis pas d'accord. Il ne fallait pas faire de la relance pour faire de la relance, parce que dans ce cas, nous risquons de redonner de l'argent à plein d'entreprises qui vont continuer à délocaliser et à pratiquer de l'optimisation fiscale. Pour que la relance marche, il faut un stratège à la tête de l’État. Il faut bien choisir les secteurs. Dans l'état actuel des choses, si vous relancez en période de mondialisation, l'argent ira tout droit dans la poche des actionnaires. C'est ce qu’il s'est passé avec le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) : une grosse partie a été captée par les actionnaires. C'est également ce qu’il s'est passé avec la baisse de l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune). C'est normalement le but du commissariat au Plan de choisir les secteurs et d’expliquer comment une relance peut être efficace. Et quand on lit leurs rapports, aucune solution n’est proposée. Après 1981, effectivement, Mitterrand a vite changé d'avis. Au départ, c'était un petit peu bricolé, mais il y avait quand même des choses qui étaient intéressantes. D'ailleurs, un article de Liêm Hoang-Ngoc dans Marianne explique qu'il y avait des réussites sur certains points. Mais les socialistes ont paniqué dès qu'ils ont eu un peu d'inflation. Ils auraient peut-être pu continuer. Mais pour que ce modèle existe, est-ce qu'il ne faut pas, au préalable, rompre le libre-échange et retrouver un peu de souveraineté sur la monnaie ? Ce serait mieux. L'euro a été mal ficelé. À cause de lui, aujourd'hui, il y a de la concurrence sur le social, sur le fiscal, parce qu’il n’y a plus la possibilité de dévaluer. Mais sortir de l'euro, c’est autre chose. Même si techniquement cela a été théorisé par plein de gens, dans les faits, je pense que l’impact serait trop brutal, dans une situation où les gens comme l'économie sont très fragiles. Je ne sais pas si quelqu'un serait prêt à le vivre. Donc il faut faire avec. Il y a deux solutions. Soit on part du cadre européen et on tente de réformer l'Europe. C'est un peu le serpent de mer dont on parle depuis Yanis Varoufakis, Podemos, etc. Soit on se dit qu’on reprend une partie des leviers, notamment la politique budgétaire à l'échelle nationale, en taxant par exemple les plus riches, etc. Au niveau national, nous avons quand même des marges de manœuvre. Déjà, parce que c'est une économie qui renforcerait les services publics. Et vous savez ce qu'on dit ? Les services publics, c’est le patrimoine du pauvre. L'éducation, la petite enfance, l'hôpital, cela touche beaucoup de monde, notamment avec une population qui vieillit : 80 % des dépenses de santé se font après soixante ans et nous sommes en train de faire encore des économies sur l'hôpital et nous voulons en faire sur les retraites. C’est une économie dans laquelle le modèle social serait préservé et les services publics seraient relancés. [ "Il est temps de remettre l'économie à sa place : au service des besoins sociaux et des écosystèmes"] Enfin, il y a la question du meilleur partage de la richesse créée, que ce soit avant la taxation ou après. Actuellement, dans la distribution des revenus primaires, il y a des différentiels que j'estime trop grands. Il faudrait réduire l’écart entre revenu primaire et préserver nos mécanismes de redistribution. Tout cela profiterait à la majorité de la population. Cela ne signifierait pas que les 1 % s’appauvriront. Lorsque nous regardons les années 1950 à 1970, les 1 % s'enrichissaient toujours, mais moins vite que le reste de la population. Depuis, ils s'enrichissent plus vite. C'est cela qui n'est pas normal. _Le keynésianisme a été un modèle qui a sauvé le capitalisme, en le régulant. Ne faut-il pas peut-être sortir de ce mode de production ?_ L’anticapitalisme, c’est intéressant théoriquement parlant, dans les débats, dans des échanges intellectuels. Mais concrètement, je constate autour de moi que la plupart des gens veulent juste avoir un peu plus de revenus, pour pouvoir avoir un peu plus de loisirs et partir en vacances, avoir des meilleures conditions de travail, des meilleurs transports publics...." _____________
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