Diviser pour mieux régner [Notes de lectures]
Jouer avec le feu. Calcul machiavélique et impasse tragique. (ici)
De la dénégation à la réalité. Prémonition? Naguère déjà Yossi Alpher, un ancien fonctionnaire appartenant au Mossad, le service de renseignements, et ex-conseiller sur les négociations de paix à l’époque où Ehud Barak était Premier ministre, estime que le blocus de la bande de Gaza était un stratégie vouée à l’échec et qui pourrait renforcer le Hamas. « Je ne pense pas que quiconque puisse produire des preuves évidentes montrant que le blocus ait été contre-productif, mais il n’a certainement pas été productif. Il est très possible qu’il ait été contre-productif. C’est une punition collective, une souffrance [au plan] humanitaire. Il n’a pas conduit les Palestiniens dans la bande de Gaza à se comporter de la façon dont nous le voulions. Alors pourquoi le faire ? » déclare-t-il. « Je pense que des gens ont vraiment cru que si on affamait les habitants de Gaza, ils contraindraient le Hamas à cesser les attaques. C’est la répétition d’une politique vouée à l’échec, déraisonnable ».
" Le 7 octobre dernier, Israël était frappé par l’attentat terroriste le plus important de son histoire. Derrière lui, le Hamas laissait des milliers de victimes civiles, directes et indirectes – morts et blessés, traumatisés et endeuillés. Une année durant, le gouvernement de Netanyahou devait méthodiquement pilonner et affamer la Bande de Gaza. Les forces armées israéliennes devaient se livrer à des tueries de civils à un rythme inédit pour le XXIè siècle, tandis que les dirigeants multipliaient les propos considérés comme génocidaires par la Cour internationale de justice (CIJ). À Israël comme à Gaza, le conflit renforçait les forces maximalistes. Tandis que le Hamas était concurrencé par des groupes armés plus radicaux – notamment le Jihad islamique -, Netanyahou se pliait à l’agenda d’une extrême droite suprémaciste. Ce renforcement mutuel n’est pas neuf. Il remonte en réalité à l’assassinat de Yitzhak Rabin. Les dirigeants israéliens, conscients que l’hégémonie du Hamas leur fournirait une justification pour refuser la création d’un État palestinien, ont contribué à le renforcer. Retour sur un sabotage méthodique des issues pacifiques. la progression du Hamas donne du grain à moudre à la droite (dominée par le Likoud), prompte à qualifier de « terroriste » toute forme d’opposition à la colonisation. Déjà fragile, la confiance de la population à l’égard des processus de pacification s’érode davantage. Il faut dire que la stratégie israélienne n’était pas totalement étrangère à cette montée en puissance du Hamas. En 2006, le reporter Charles Enderlin en résumait la teneur dans Le Monde : « depuis trente ans, les dirigeants israéliens ont misé sur les islamistes pour détruire le Fatah » [NDLR : le principal mouvement de l’OLP]. Depuis les années 1970 en effet, les gouvernements successifs avaient fait le pari de soutenir les Frères musulmans palestiniens pour affaiblir l’OLP. Les premiers étaient tolérés, voire encouragés, tandis que la seconde était prohibée et réprimée. Dans un premier temps, ce choix pouvait s’expliquer par une mésestimation du danger représenté par la mouvance islamiste1. Mais cette orientation stratégique a perduré bien au-delà de la création du Hamas....
Yitzhak Rabin déclarait que le Likoud était « le meilleur collaborateur dont le Hamas puisse rêver ». Amos Oz ajoutait que le Hamas était « le meilleur instrument que les faucons extrémistes d’Israël avaient à disposition ». En 2007, alors qu’une guerre civile sanglante déchirait le Hamas et le Fatah à Gaza, le chef des services secrets israéliens Amos Yadlin se déclarait « heureux » de la perspective d’une « conquête par le Hamas de la Bande de Gaza », qui « [permettrait] de la traiter comme un État hostile », ainsi que le rapporte Wikileaks. Durant les mandatures de Benjamin Netanyahou (au pouvoir de 2009 à 2019 puis à partir de 2022), ce soutien tacite au Hamas a continué, soulevant l’indignation répétée de la gauche israélienne. __Le Premier ministre a notamment autorisé, sans aucun contrôle, des transferts de fonds qataris et iraniens vers Gaza – autrement soumise à un blocus – qui ont directement alimenté la branche militaire du Hamas. Benjamin Netanyahou a défendu cette politique lors d’une entrevue à la Knesset, en des termes rapportée par plusieurs médias israéliens, dont Haaretz et The Times of Israël : « Quiconque s’oppose à la création d’un État palestinien devrait soutenir l’afflux de fonds vers Gaza, car la séparation entre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza empêchera l’établissement d’un État palestinien. » Au-delà de ces manoeuvres, la politique menée par le premier ministre israélien a contribué à empêcher tout rapprochement entre le Hamas (hégémonique à Gaza) et le Fatah (au pouvoir en Cisjordanie). En 2006, ce dernier refusait de reconnaître la victoire de son concurrent aux élections législatives. De violents affrontements s’en sont suivis : le Fatah a été évincé de la Bande de Gaza, tandis qu’il est demeuré au pouvoir en Cisjordanie (sous l’appellation « d’Autorité palestinienne »). Le Hamas, maître à Gaza, est resté ouvert à une réunification des institutions palestiniennes, tant et si bien qu’en 2014 un pacte est entériné : l’Autorité palestinienne est rétablie dans ses fonctions sur la Bande, tandis qu’un gouvernement unitaire est instauré. Cet accord ne survit pas aux bombardements commandités par Netanyahou en juin, qui accuse le Hamas de la mort de trois adolescents israéliens enlevés dans la zone d’Hébron. Cette nouvelle période de tueries signe la fin du rapprochement intra-palestinien. Ainsi que l’écrit le chercheur Jean-Pierre Filiu : « En cet automne 2014, le Hamas peut être reconnaissant à Netanyahou de l’avoir sorti d’une impasse qui aurait pu lui coûter son pouvoir sans partage dans la bande de Gaza. Les pilonnages féroces de l’armée israélienne ont en effet rendu sa légitimité à la “résistance islamique”2. » Plus largement, ajoute-t-il, la cruauté du blocus imposé à Gaza accroît l’emprise de l’organisation sur la Bande : « le refus israélien de desserrer significativement l’étau du siège fait aussi le jeu du Hamas. Le contrôle sourcilleux des points de passage par Israël permet en effet au Hamas d’affecter prioritairement les secours ainsi chichement admis à sa propre clientèle de sympathisants3. » Le « cauchemar dans le cauchemar », ainsi que le qualifie un manifeste gazaoui en 2010, était amené à durer..." Comme le note Charles Enderlin « Benjamin Netanyahu a joué avec le feu. De retour au pouvoir en 2009, poursuivant la stratégie de ses prédécesseurs, il a favorisé le contrôle de Gaza par le Hamas. Cette politique destinée à empêcher la création d'un État palestinien, renforcée par son soutien au messianisme juif et au développement de la colonisation a, le 7 octobre 2023, conduit Israël à la plus grande défaite militaire et politique depuis sa création. À partir de sources souvent exclusives, il me fallait raconter et analyser les erreurs de calcul, l'incompréhension, la cécité des dirigeants israéliens et des responsables du renseignement face à l'islam radical. Un aveuglement qui a débuté dans les années soixante-dix lorsque les Israéliens croyaient que le cheikh Yassine, fondateur du Hamas en 1987, pouvait être "l'antidote à l'OLP", comme, à Washington, la CIA était persuadée qu'Oussama Ben Laden et les Talibans pouvaient servir de rempart au communisme. Les deux fondamentalismes, juif et musulman, mènent aujourd'hui le Proche-Orient vers une guerre de religion. Il appartient à la communauté internationale d'arrêter cette marche insensée vers de nouvelles tragédies... » [Charles Enderlin] Et pendant que Gaza se meure... __________________
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