Le Journal d’un prisonnier (Fayard), clin d’œil au Journal d’un écrivain de Fiodor Dostoïevski, rappelle le récit que le romancier russe a fait de sa déportation au bagne d’Omsk dans les années 1850, pour avoir participé à un cercle révolutionnaire. Ses Carnets de la maison morte (ou Souvenirs de la maison des morts) sont l’un des premiers exemples – et l’un des chefs-d’œuvre – de la littérature carcérale. Certes, Dostoïevski a été emprisonné quatre ans et non trois semaines. Les conditions d’internement en Sibérie sont nettement plus rudes qu’à la Santé. Et là où l’homme politique a souffert de solitude, l’écrivain a compris ce que signifiait l’impossibilité de la trouver : une insupportable “cohabitation forcée” avec les autres forçats. Ces (énormes) différences mises à part, l’impression initiale est la même : “Tout mon nouvel environnement respirait le malheur, la lourdeur, le désastre de vies brisées entassées entre ces murs, loin du monde des vivants” (Sarkozy). On retrouve dans la prose sarkozienne les moments existentiels dépeints par le romancier.

Nicolas Sarkozy se considère, comme l’était Dostoïevski, comme un prisonnier politique (“Mon crime aujourd’hui serait-il de ne pas être de gauche ?”). Mais, comme lui, il transforme son épreuve en possibilité d’une renaissance. La réalité de l’enfermement et du mal contiendrait-elle des étincelles de lumière ? L’aumônier de la Santé, avec qui il dialogue tous les dimanches (donc trois fois) le suggère : “Le mal existe et ici il est très présent, reconnaît l’ecclésiastique. Mais la bonté aussi, elle existe même dans les personnalités les plus noires. Et chaque fois que je rencontre la bonté, je trouve le mystère de Dieu.” L’ancien président trouve cela “intéressant”. Plus loin, il éprouve lui-même ce sentiment : “Dans chaque endroit, fût-il le plus désespéré, il y avait des sources de lumière pour peu que l’on ait la disponibilité de les accueillir.” Que découvre donc Nicolas Sarkozy lors de son séjour en prison ? L’équivalent de ce que Dostoïevski appelle la “vie vivante”, cet amour de la vie dans sa quotidienneté qu’il décrit dans L’Adolescent (1875). En voici la version sarkozienne : “Dans le passé et surtout plus jeune, j’avais brûlé ma vie à toujours chercher l’exceptionnel.” Mais ici, au parloir de la prison, il apprend “à profiter de chaque instant”.

De cette expérience pénible, le détenu fait la matière d’une spectaculaire conversion spirituelle et religieuse. Réfléchissant, comme Dostoïevski, au “mystère du mal”, Nicolas Sarkozy en fait beaucoup – beaucoup plus que le romancier en tout cas. Avant même le récit de son arrivée à la prison, il sature ses pages de vocabulaire évangélique : “Il [lui] fallait porter une croix”, ce qui lui “offrait la chance de percevoir la ‘Lumière’”, de se laisser toucher par la “grâce”. Bref, en prenant avec lui “une biographie de Jésus-Christ”, l’ancien président était déjà tout prêt à investir la “partie lumineuse” de son épreuve. On n’est donc pas étonné des confessions qui suivent : il apprend à prier, l’oraison devenant “le chemin pour résister”. Dans le match de la Ligue des champions diffusé à la télévision le premier soir de son incarcération, il entrevoit “un autre signe de la Providence”. Tout ce qui lui arrive devient “une nouvelle grâce”, une occasion “de devenir meilleur, plus profond, plus fort”. Essayant “à tout prix d’être gouverné par l’Esprit”, il remporte triomphalement son combat contre la dépression. Pour Dostoïevski, le bagne a été l’occasion d’observer les abîmes et les éclats de lumière du peuple russe et de se rapprocher de la religiosité populaire. La comparaison s’arrête là. Pour deux raisons. La première est que l’écrivain russe a profité de son séjour pour interroger le thème de la culpabilité, y compris la sienne. Au contraire, Nicolas Sarkozy, qui noircit de longues pages pour contester la décision de justice dont il fait l’objet, ne rêve que de revanche. La seconde est que là où Dostoïevski a plongé corps et âme dans la réalité qui lui était imposée, l’ancien président a “décidé d’être ailleurs”. Ne croisant jamais aucun détenu, il utilise tout son temps pour se projeter hors des murs de la Santé : dans sa vie d’avant, qu’il n’admet pas avoir abandonnée, et surtout dans l’après, car son livre est aussi un programme politique (d’alliance avec le RN). En reprenant les codes de la littérature carcérale, Nicolas Sarkozy les coche, mais ne les habite pas. Sa conversion spirituelle, sa découverte des conditions de vie d’un détenu, ses réflexions sur le mal et la liberté parsèment son ouvrage mais n’en constituent pas le cœur. Son esprit est tendu vers sa volonté d’être disculpé, de se venger de ses accusateurs, d’orienter la politique française. Sa maison des morts ne l’a pas, je crois, réveillé, car il ne pensait qu’à en sortir. C’est évidemment compréhensible. Mais de Dostoïevski à Sarkozy, finalement, la conséquence n’est pas bonne. [Michel
Eltchaninoff] ________________
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