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jeudi 2 janvier 2020

Perplexité

Ombres et perspectives
                               En cette année symbolique de 2020, en prenant le maximum de recul par rapport à l'évolution géopolitique du monde, on peut s'interroger sur ce qu 'annoncent les tendances actuelles, qui représentent comme un basculement par rapport au cours des choses depuis les années 80-90, période qui semblait annoncer une "mondialisation heureuse", une période d'extension des relations internationales générée par la grâce du marché et l'extension de la financiarisation de l'économie, jugée apte à rapprocher les peuples et à refonder de nouvelles relations entre les nations.
    Cela se vérifia an partie, surtout à partir de l'effondrement de l'ex-Union soviétique, qui laissa entrevoir une sorte de "fin de l'histoire", en dégelant une partie de l'ordre du monde et en relançant un nouvel optimisme historique, largement mythique.
  Nous assistons aujourd'hui, et de plus en accéléré, à  un remaniement en profondeur de l' ordre antérieur, aussi bien politique qu'économique.
    A la recherche de nouveaux repères, nous assistons à ces nouvelles mutations, sans en comprendre toute la logique, en quête de nouveaux repères dans la montée d'un monde en mutation. Les analyses parfois convergent sur l'interprétation des nouvelles tendances en cours et leur possibles aboutissements.
                     Celle qui est proposée ici, avec ses limites, permet de jeter une certaine lumière sur cette question, sur le sens du mouvement qui nous emporte, en sachant que l'homme fait l'histoire mais sans (trop) savoir l'histoire qu'il fait:
                                         « Le monde post-guerre froide sera chaotique pendant longtemps » prédisait, il y a plusieurs années déjà, l’ex-ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, Hubert Védrine. Qui peut nier pareille évidence au terme de cette année 2019 ? Cent ans après le refus par le sénat américain de ratifier le traité de Versailles qui met fin à la Première Guerre mondiale et prévoit la création de la Société des nations (SDN), quarante après l’invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques et la révolution iranienne, trente ans après la chute du mur de Berlin, vingt ans après le lancement de l’euro, nous constatons – souvent impuissants – les multiples ruptures engendrées par un nouveau monde qui peine à émerger des décombres de l’ancien. Dans un monde qui bascule, nos dirigeants n’excellent-ils pas dans l’art de l’inconstance à l’ère de la post-vérité ? Ne vivent-ils pas encore bercés par les illusions de la fin de l’Histoire et du triomphe de l’Occident ? Or, l’illusion, c’est souvent le meilleur révélateur de l’ignorance, réelle ou feinte. Ignorance face à un monde aussi complexe et instable qu’imprévisible.   Incapacité des dirigeants à répondre aux multiples défis d’un monde dont la logique semble les prendre de court, les dépasser. La multiplication des « surprises stratégiques » semble être leur lot quotidien. Dans ces conditions, et si tant est que cela ne relève pas de la gageure, comment dépeindre à grands traits le monde d’aujourd’hui qui préfigure étrangement celui de demain ?     C’est d’abord, un monde fragmenté, en mille morceaux, à tel point que l’on pourrait affirmer, sans grand risque d’erreur, que la terre perd la boule. C’est ensuite, un monde désorienté qui semble n’avoir ni cap, ni boussole pour progresser sur des mers démontées. C’est enfin, un monde questionné en raison d’une période qui perd tout à la fois confiance, en elle et en son avenir, mais aussi en ses intellectuels, ses penseurs qui pensent de moins en moins temps long, stratégie, prévision et prospective.
     Un constat s’impose : la gouvernance de la mondialisation – présentée hier encore comme « heureuse » – se fragmente sous les coups de butoir de deux phénomènes parfaitement documentés aujourd’hui : la prégnance de multiples crises ainsi que l’effondrement de l’ordre international qui secouent le monde du XXIe siècle. Deux éléments qui vont de pair mais que l’on aurait trop tendance à dissocier.
    Jamais dans un passé récent, la planète n’aura connu autant de crises aussi variées les unes que les autres (dans son discours du 24 décembre 2019, la reine Elisabeth II évoque une « année semée d’embûches »). Fait inquiétant, leurs conséquences négatives s’ajoutent les unes aux autres contribuant à alimenter un cercle vicieux qu’il paraît difficile de briser, du moins à échéance raisonnable. Citons quelques-unes de ces crises de toutes natures qui se sont développées, étendues au cours de l’année 2019 : crise démographique ; crise climatique, crise environnementale ; crise écologique (tant les prévisions du GIEC que du PNUE sur l’état de la planète sont pour le moins inquiétantes pour la génération de Greta Thunberg) ; crise migratoire ; crise alimentaire ; crise énergétique, crise sanitaire ; crise démocratique ; crise de confiance aussi bien intérieure qu’extérieure ; crise sécuritaire ; crise de la prolifération, crise économique ; crise financière ; crise monétaire ; crise sociale ; crise entre générations ; crise du numérique ; crise de la diplomatie; crise du multilatéralisme ; crise de la gouvernance mondiale ; crise de la négociation ; crise de la justice pénale internationale ; crise de l’intelligence, crise du caractère à travers une défaite de « l’école de la vraie liberté de l’esprit » (Marc Bloch) doublée d’un « déclin du courage » sans oublier le mirage de l’intelligence artificielle, des mythes technologiques, crise de la lucidité ; … crise de l’Occident qui perd de sa superbe à vitesse « V ». Une sorte d’inventaire à la Prévert revu à la sauce du monde numérique. La conséquence de cette prolifération de crises est claire, sauf pour les aveugles et sourds aux déplacements des plaques tectoniques. Actuellement, le monde connait un niveau de conflictualité jamais aussi élevé durant la dernière décennie. La liste des spasmes, des dérèglements, des crises n’est pas exhaustive en cette Annus horribilis intervenant dans un contexte de dislocation progressive, pour ne pas dire d’effondrement de l’ordre international qualifié de néo-libéral.
    En réalité, ce sont les fondements même de l’ordre international néo-libéral tel qu’il a été imaginé, pensé et mis en œuvre progressivement après la Seconde Guerre mondiale qui sont remis en cause. Rien de moins ! Paradoxe de cette évolution historique : le meilleur fossoyeur en est son principal géniteur, à savoir les États-Unis. Troisième président des États-Unis à être mis en accusation par la chambre des représentants pour abus de pouvoir et obstruction (18 décembre 2019)5, Donald Trump proclame, urbi et orbi, son aversion pour l’ordre international libéral et ses trois principaux piliers que sont les institutions internationales, les alliances et les accords de libre-échange. Son mantra se résume en deux mots : America First. Conséquence de ce qui précède, la parole américaine est aujourd’hui réduite à néant. Les États-Unis abandonnent toute prétention à la morale et à l’exemplarité. De facto, si ce n’est de jure, pour ce qui le concerne, le monde – écartons l’utilisation du mot-valise qu’est celui de communauté internationale – semble renouer avec un passé qui semblait révolu, avec ses plaies que l’on croyait cicatrisées. Une sorte d’effet de balancier de l’Histoire, d’éternel retour de concepts désuets : histoire, géographie, guerre, nations, peuples, identités, égoïsmes, murs, protectionnisme, puissance, coercition, sanctions, course aux armement, prolifération, terrorisme, pauvreté, malnutrition, migrations sauvages, concurrence déloyale… Au-delà du changement de grammaire des relations internationales, toutes ces tendances centrifuges contribuent lentement mais sûrement à une dislocation de l’ordre néo-libéral. En un mot, la gouvernance internationale, hier fondée sur la coopération, s’est fragmentée au fil des ans, se fragmente encore aujourd’hui, voire risque de se fragmenter, un peu plus encore, dans un avenir proche. La confrontation tient désormais le haut du pavé. En un mot, la déconstruction de l’ordre international néo-libéral se traduit par un lent délitement des mécanismes de gestion de crises, indispensable au maintien de la paix et de la sécurité internationales ; au développement des relations amicales entre les nations ; à la réalisation de la coopération internationale6.
     L’impression prévaut que « l’immobilisme est en marche et que rien ne saurait l’arrêter » (Henri Queuille). Ce dont la monde a par-dessus tout en horreur se produit inéluctablement. Il y a des vagues, des fortes vagues, voire parfois quelques cyclones et autres tsunamis. Chahuté, balloté par une mer démontée, le monde semble désorienté tel un frêle esquif ayant perdu cap et boussole
    Quels sont les principaux dérèglements du système international qui contribuent aujourd’hui à façonner un monde aussi désorienté que celui que nous connaissons en ce début de XXIe siècle ? Pour la commodité de l’exposé, on peut, une fois encore, les ramener à deux qui façonnent, à leur manière, l’« agouvernance »7 actuelle : montée en puissance de la puissance et déclin progressif du multilatéralisme.
     Elle peut se définir ainsi : « Une puissance est un État qui dans le monde se distingue non seulement par son poids territorial, démographique et économique mais aussi par les moyens dont il dispose pour s’assurer une influence durable sur toute la planète en termes économiques, culturels et diplomatiques… enfin les capacités diplomatiques et militaires achèvent de constituer la puissance en super-puissance ». C’est ainsi que la géopolitique définit le concept de puissance. Hubert Védrine qualifiait en son temps l’Amérique « d’hyperpuissance » comme il existe des hypermarchés dans la grande distribution ! La puissance constitue de nos jours l’alpha et l’oméga des relations internationales (Cf. les nouvelles routes de la soie chinoises, la réimplantation russe au Moyen-Orient ou son entrisme en Afrique). La guerre de souveraineté s’intensifie dans l’espace et en mer. À côté de ce mode de puissance classique en apparaît un nouveau. Celui que représentent les géants du Net ou GAFAM (qui entrent désormais en conflit entre eux) au regard de la relation entre technologie et puissance. Aujourd’hui, les experts évoquent une « militarisation des relations internationales » tant la coercition l’emporte sur la coopération comme mode de régulation de la vie internationale. La conséquence de cette situation est incontestable et incontestée. Elle combine « avantageusement » retour des logiques de puissance et rivalités croissance entre puissances, essentiellement Chine et États-Unis qui se livrent à une guerre commerciale9 sans merci et à une compétition stratégique sur terre, sur mer et dans l’espace aérien et numérique. Les rapports de force purs dominent les relations internationales et la confrontation l’emporte sur le compromis..."
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