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mardi 17 septembre 2024

Demain l'Amérique

      Où va Washington?

              Si on regarde la situation politique du moment, le pays apparaît dramatiquement clivé, à quelques semaines des élections, dont l'issue n'est pas certaine. Le trumpisme fait feu de tout bois. Il avait déjà lâché la bride à la régulation financière lors du premier mandat, au nom d'un libéralisme inconditionnel, pour le plus grand bonheur des banques. De quoi relancer d'autres crises...L'administration Biden, à marche forcée, a relancé l'économie, à coup de milliards, pour répondre notamment au défit chinois, en attirant des secteurs industriels européens, notamment. L'économie américaine, jadis en crise, passe par des phases de "stop and go", avec la prétention de rester toujours la première économie du monde, avec un dollar-roi et une hégémonie militaire encore incontestable. Même si certains s'interrogent sur la durabilité du système, en en montrant les failles.                                                                               Le "rêve amércain" n'est plus ce qu'il était. L'exception le devient de moins en moins, malgré de beaux restes. Depuis le défi américain de JJSS, l'eau a coulé dans le Potomac, malgré les rebonds et les innovations. Malgré une dette abyssale. Les incertitudes restent grandes, au niveau politique surtout, beaucoup d'Américains ne reconnaissant plus leur pays. qui avait déjà suscité la perplexité d'un célèbre visiteur: Freud, après un unique voyage Outre Atlantique, disait: « L’Amérique est une erreur, une erreur gigantesque il est vrai, mais une erreur tout de même. »                                                            ________Point de vue"11 septembre 2024. Le premier débat Kamala Harris-Donald Trump en vue des présidentielles du 5 novembre illustre la métamorphose des États-Unis. Les changements de population et la crise sociale laissent entrevoir une société en déliquescence selon l'historien Emmanuel Todd. Mais est-ce si sûr ? Le même historien a montré il y a vingt ans que le pays était capable de rebondir sans trop de soucier du reste du monde et de l'Europe en particulier...                                                    En qualité d'historien et d'anthropologue, Emmanuel Todd brasse l'Histoire longue avec une aisance sans égale. Il s'autorise de ce fait à juger le monde en devenir et la pertinence de ses analyses a rarement été démentie par les faits.   Dans un entretien vidéo accordé au Figaro le 3 septembre, Todd présente les États-Unis comme une puissance en déclin rapide, où les inégalités sociales s'aggravent et le niveau éducatif s'effondre. La mortalité infantile remonte (comme en URSS à la veille de l'effondrement du régime soviétique !) et l'espérance de vie décroît, du moins dans les classes populaires blanches qui constituent le socle électoral de Donald Trump (ceci expliquant cela).    Plus grave que tout, aux yeux de l'historien, le déficit commercial abyssal des États-Unis reflète sa faiblesse industrielle et détermine ses objectifs géopolitiques. Ce déficit, de l'ordre de 800 milliards de dollars en 2023 (3% du PIB), est dû au commerce avec l'Europe davantage qu'avec la Chine. Aussi Washington fait-il en sorte de maintenir le Vieux Continent sous sa dépendance stratégique et éviter ainsi qu'il ne lui réclame des comptes.  D'où sa gestion de la guerre en Ukraine. En se prolongeant, celle-ci place l'Europe sous la dépendance toujours plus étroite du Pentagone. Qui plus est, cette guerre affaiblit l'Allemagne, dont le modèle industriel subit la crise la plus grave de son histoire. Tout cela fait l'affaire des États-Unis et Emmanuel Todd en conclut qu'un cessez-le-feu sur le front russo-ukrainien desservirait les Américains en soulageant les Européens (et les belligérants)... Quel que soit le vainqueur des élections présidentielles du 5 novembre 2024, n'attendons donc pas un règlement rapide du conflit !   


                                                                                                                               Toutes les données rappelées par Emmanuel Todd sont vérifiées. Devons-nous pour autant conclure à l'affaissement de la puissance américaine ? Des considérations empruntées à l'Histoire, la démographie et l'économie permettent d'en douter.                                                                   Si nous devions chercher dans le passé quelque chose qui se rapproche de la situation actuelle, tournons-nous vers l'Angleterre victorienne du milieu du XIXe siècle. Ayant triomphé de Napoléon et de la France révolutionnaire (comme les États-Unis de Hitler), l'Angleterre a consolidé sa place de première puissance mondiale déjà revendiquée à la veille de la Révolution.  Sa démocratie suscite l'admiration universelle mais n'en souffre pas moins de graves carences démontrées par les aberrations du système électoral et les émeutes sociales. La monarchie elle-même, à l'avènement de la reine Victoria, en 1837, paraît discréditée par les scandales.     Le sort des classes laborieuses, dénoncé par Charles Dickens, est à bien des égards pire que sur le Continent. Les inégalités sociales entre ces classes laborieuses et les élites issues des public schools (Oxford, Cambridge) sont abyssales comme le souligne Emmanuel Todd lui-même : pour ces élites, les pauvres, si Britanniques qu'ils soient, relèvent d'une autre « race », sans rien à voir avec eux !    Concomitamment, l'Angleterre victorienne tarde à généraliser l'instruction. Au début du XIXe siècle, la moitié tout au plus des hommes et le quart des femmes savent lire et écrire ; vers 1870, c'est 80% des hommes et 70% des femmes.   Les Irlandais, bien que citoyens du Royaume-Uni, souffrent quant à eux de violences au moins comparables à celles des Noirs américains à l'époque des lois « Jim Crow ».    La puissance britannique se montre d'une brutalité tout aussi grande à l'extérieur qu'à l'intérieur. Elle n'a rien à envier à celle des États-Unis contemporains, que ce soit en Chine (guerre de l'opium), aux Indes ou en Afrique australe... Cela ne l'empêche pas de subir de terribles défaites face à des ennemis sous-évalués : les Afghans (déjà) en 1841 dans la passe de Khiber et les Zoulous plus tard, en 1879. Malgré cela, Londres affiche une arrogance jamais égalée à ce jour en la personne de Palmerston, ministre des Affaires étrangères (1846-1851) puis Premier ministre (1855-1865).                                                          Là où s'arrête le parallèle étasunien-britannique, c'est en démographie et en économie. La population du Royaume-Uni a connu une croissance très forte au XIXe siècle en dépit d'une forte émigration vers le Nouveau Monde, passant d'environ 10 millions en 1815 à 20 millions en 1850 et plus de 40 millions en 1914 (soit autant que la France, dont la population n'a cru que de dix millions entre 1815 et 1914). En matière d'innovation et d'industrie, le Royaume-Uni tient la tête jusque dans le dernier quart du XIXe siècle, avant d'être concurrencé et devancé dans certains secteurs par l'Allemagne bismarkienne et les jeunes États-Unis.                                                         Cela étant, en dépit de faiblesses évidentes, le Royaume-Uni a pu conserver son leadership mondial tout au long du XIXe siècle, jusqu'au traité de Versailles de 1919 qui a vu les États-Unis s'imposer dans tous les domaines. Autant dire que nos amis étasuniens peuvent regarder l'avenir avec confiance. Sur la base de cette comparaison, ils sont assurés de conserver leur leadership encore un bon demi-siècle !...Les États-Unis connaissent depuis la fin du XXe siècle une forte chute de la fécondité (dico), le nombre moyen d'enfants par femme se rapprochant de 1,5 quand il en faudrait deux pour éviter que la population diminue et vieillisse de trop. Cette chute atteint aussi tous les autres pays développés et semi-développés avec une intensité variable.     

                                                 Parallèlement, les États-Unis connaissent depuis cinquante ans, comme l'Europe occidentale, une très importante immigration en provenance de pays pauvres extra-européens. Il s'ensuit que depuis 2023, les naissances dans la population étasunienne d'origine européenne (
« Blancs non-hispaniques ») sont devenues moins nombreuses que les naissances dans les foyers afro-américains, latinos ou d'origine indienne ou chinoise.  C'est un phénomène tout à fait inédit. Jusque dans les années 1960, l'excédent des naissances sur les décès a toujours été aux États-Unis supérieur aux entrées, y compris pendant les grandes vagues d'immigration venues d'Italie ou d'Europe orientale, à la fin du XIXe siècle. La grande fécondité des premiers colons anglo-allemands et de leurs descendants, comparable à celle des Québécois, a permis à l'élite WASP (White Anglo-Saxon Protestants) de demeurer aux commandes du pays.       Nous n'en sommes plus là. L'immigration d'Amérique latine, d'Asie et aussi d'Afrique change du tout au tout la population du pays et ses élites. Emmanuel Todd lui-même se plaît à souligner que le gouvernement de Joe Biden ne comptait aucun WASP, le président étant lui-même catholique). Nous assistons à une refondation des États-Unis par l'immigration.                                          Mais à la différence de l'immigration qui change le visage de l'Europe, cette immigration-là, plus sélective, assimile instantanément les valeurs qui ont fait et font encore la puissance de l'Amérique et notamment son civisme, son esprit d'initiative et son âpreté au travail. D'ores et déjà, les personnes d'origine indienne et chinoise affichent un revenu moyen supérieur à celui de leurs concitoyens, y compris les « Blancs non-hispaniques » ! Et ce sont des natifs d'Inde qui dirigent Google, Microsoft, IBM, Alphabet, etc. Cette immigration très dynamique venant compenser la faible fécondité de toutes les couches de la population, la population étasunienne va croître d'au moins cent millions d'ici la fin du siècle, à plus de 430 millions d'après les projections de l'ONU (5% de la population mondiale contre 6% en 1950). Le pays est donc assuré de faire encore longtemps la course en tête.                                                                                                                                      Simplement, les États-Unis de demain n'auront plus rien à voir avec ceux des présidents Thomas Woodrow Wilson et Franklin Delano Roosevelt... Le lien particulier que ceux-ci entretenaient avec l'Europe n'existera plus. Vu de Washington comme de New York ou de San Francisco, l'Europe ne comptera pas plus que la Chine ou l'Inde, d'un point de vue ethnique comme d'un point de vue culturel.                                                                                Dans les années 1980, chacun s'extasiait sur les performances du Japon, dont le décollage en trombe avait débuté avec les Jeux Olympiques de Tokyo (1964). Les prospectivistes envisageaient le jour où il allait dépasser les États-Unis ! Cet élan s'est brisé net en 1989 sous l'effet de la récession démographique et l'Empire du Soleil levant est dès lors entré dans une stagnation interminable. Le scénario s'est renouvelé avec la Chine populaire, au firmament de la gloire lors des JO de Pékin (2008).                                                                           Jusqu'à ces dernières années, la Chine paraissait vouée à dominer le XXIe siècle par sa puissance industrielle. Mais la baisse accélérée de sa population a rendu ces perspectives caduques. Les projections des démographes de l'ONU n'excluent pas que la population chinoise soit dépassée en nombre à la fin du siècle, en 2100, par celle du... Nigeria !   Les craintes des gouvernants américains à l'égard de Pékin sous les présidences Obama et Trump n'ont donc plus de raison d'être : avec une population appelée à vieillir et diminuer très vite, la Chine de Xi Jinping est condamnée à une stagnation durable comme avant elle le Japon des « décennies perdues » (1989-...). Il n'y a pas d'exemple en effet dans l'Histoire de société prospère et dynamique avec une population vieillissante et en diminution.    Aussi soudain que celui du Japon, le recul de la Chine est illustré par un fait inouï : l'année 2023 a vu le Mexique lui ravir sa place de premierpartenaire commercial des États-Unis, qu'elle détenait depuis plus de 20 ans ! Cette année-là, Pékin a vendu 430 milliards de dollars de biens et services aux États-Unis (110 milliards de moins qu'en 2022) contre 480 milliards pour le Mexique.                                                                                          Ne croyons pas pour autant que les Mexicains, nouveaux « Jaguars de l'Amérique », aient remplacé les « Tigres de l'Asie ». Simplement, les industriels étasuniens ont multiplié les investissements au sud du Rio Grande pour tirer parti d'une main-d'oeuvre bon marché, travailleuse et docile. Dénommées en espagnol maquiladoras, les usines de montage et d'assemblage ont ainsi poussé comme des champignons après la pluie autour de villes mexicaines comme Monterrey mais aussi dans l'isthme centre-américain. Elles approvisionnent les États-Unis en vêtements, pièces automobiles et composants électroniques bon marché.

Dans la comptabilité nationale, ces importations contribuent au déficit commercial de Washington mais il ne s'agit que d'une illusion d'optique puisqu'elles renforcent en fait la compétitivité de l'industrie étasunienne. 

Les relations entre les États-Unis et l'Europe donnent lieu à une autre illusion d'optique. Le déficit commercial de Washington avec l'Union européenne (biens et services) reste très élevé mais il n'inclut pas les revenus tirés des services en ligne (tous américains), lesquels ne figurent pas dans le solde commercial mais dans les transactions courantes. Avec Uber, Booking, Airbnb, Amazon, etc., c'est jusqu'à 15% à 25% du chiffre d'affaires des VTC, commerçants en ligne, hôtels, etc. qui sont ainsi ponctionnés et remontent vers les sièges américains. Cette forme de tribut ou de prédation a été rendue possible par l'indifférence des pouvoirs publics et des citoyens à l'établissement de ces monopoles.                                                                                                                         Autrement dit, le déficit commercial étasunien n'est pas forcément une manifestation de faiblesse ou de déclin comme tendrait à le penser Emmanuel Todd. Il signifie que les États-Unis n'ont plus autant besoin que par le passé de produire des biens manufacturés sur leur sol. Il leur suffit d'avoir une poignée de cerveaux (indiens, chinois ou sud-africains comme Elon Musk) pour concevoir de puissants services en ligne... ainsi que de solides juristes et politiciens qui vont imposer le monopole de ces services chez leurs « partenaires ». Rien de nouveau sous le soleil : les Athéniens du temps de Périclès ne procédaient pas autrement avec leurs « alliés » de la ligue de Délos.

Gardons-nous d'en faire reproche aux Américains. L'Union européenne n'a pas besoin des États-Unis pas plus que de la Chine ou de la Russie pour se suicider. Elle y arrive très bien toute seule, depuis la monnaie unique, qui devait, promis-juré, conduire à la convergence des économies européennes, jusqu'au « Green Deal » en voie de ruiner ce qui reste d'industrie automobile sans profit pour l'environnement, en passant par la délocalisation massive des industries en Asie et l'ouverture à une immigration hors contrôle. Tout cela dans une logorrhée bureaucratique sans égale : Bruxelles aurait ainsi produit 13 000 textes réglementaires en 2023 contre 3000 pour Washington, lit-on dans le rapport publié par Mario Draghi le 9 septembre 2024.   Le décrochage de l'Union européenne par rapport à l'Amérique depuis la création de l'euro il y a vingt-cinq ans devient manifeste, tant en économie qu'en innovation. Il conduit l'ancien président du Conseil italien et président de la Commission européenne à prédire une « lente agonie » de l'Union européenne... Sauf à espérer que les médias et les citoyens français et européens sortent de leur apathie. "     ________________________

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