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mercredi 4 septembre 2024

Le profit ou le climat? (suite)

Pour une approche toujours plus fine de notre rapport vital à la terre.

             En matière de connaissance de la terre, donc du climat, nos connaissances sont limitées. Même les écologistes n'ont souvent qu'une vue très partielle des mécanismes constitutifs du climat, de ses évolutions parfois rapides. Il faut dire que la complexité est grande dans ce domaine et seule la diversité des spécialités peut contribuer à forger une vision plus globale et élaborée des mécanismes qui ont contribué à former notre planète et les formes de vie qu'elle a développées. La météorologie ne suffit pas. Les sciences de la vie et la terre sont nécessaires, pour l'étude des mécanismes de la formation des sols et de leur complexité, de l'aparition de la vie d'abord sous ses formes primitives, etc. La géologie notamment a son mot à dire sur la formation de la fine pellicule de matière minérale et vitale qui entoure notre planète que le volcanisme et les effets du mouvement des plaques tectoniques ont façonnée. L'étude de M.Gaillardet nous aide à y voir plus clair dans ce domaine jusqu'ici assez peu approfondi:  

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                                                                                                                              "...Si « nous parlons de la Terre sans la connaître »... l'ouvrage permet de pallier cette méconnaissance, avec pour originalité de centrer le propos sur la « zone critique », i.e. ce « milieu hétérogène de proche surface terrestre, dans lequel des interactions complexes entre roches, le sol, l’eau, l’air et les organismes vivants (…) régulent l’habitat naturel, déterminent la disponibilité des ressources vitales » (p. 77). En effet, « les humains [et beaucoup d’autres êtres vivants] n’habitent pas le globe », mais cette « mince pellicule à sa surface » (p. 205). La dynamique de zone critique (« zone limite, interface sensible et en permanente transformation », p. 121) est, il est vrai, peu connue, au-delà des quelques images que l’on associe par exemple à l’érosion. L’ouvrage de Gaillardet enrichit considérablement les représentations à ce sujet, et redonne toute leur importance à ces processus – en montrant notamment « comment la décomposition des pierres contribue à purifier l’air et à créer un monde vivable » (p. 25). Dans cette perspective, des objets familiers trouvent un nouvel éclat, au profit d’une culture scientifique plus portée sur les cycles naturels. Ainsi « les ardoises qui couvrent les toits des villages bretons ne sont rien d’autres que des sédiments de fleuves disparus, déposés en mer, compactés, émergés et soulevés à la faveur de collision tectoniques » (p. 56), et « les petits grains de quartz qui collent à notre peau » quand on se promène sur les plages de l’Atlantique « tout ce qu’il reste des chaines de montagnes qui ont disparu » (p. 70). On apprend aussi, dans un autre genre, que les falaises peintes par Courbet au-dessus d’Ornans « sont des atmosphères passées, stockées là pour empêcher un effet de serre qui, sinon, détruirait la vie sur Terre » (p. 158). Les révélations de ce style sont nombreuses, et permettent de comprendre pourquoi « une Terre sans relief », i.e. sans tectonique des plaques, serait probablement inhabitable (p. 84). Le relief c’est la vie.....                                 L’ambition de Gaillardet n’est pas de nourrir la discussion sur cette philosophie, mais d’initier au « langage des cycles » (p. 132), entre tectonique des plaques, flux de gaz et grouillement des vers de terre. C’est un plaisir pour quiconque aime apprendre et comprendre, nommer choses et processus, retrouver en somme un peu de cet « art perdu de la description de la nature » auquel R. Bertrand a consacré un étonnant livre, et qui s’appuyait sur « les forces combinées de la science et de la littérature » pour « dire le plus banal des paysages » et « faire le portrait du monde en ses surfaces » (Le détail du monde. L’art perdu de la description de la nature, Seuil, 2019). Œuvrant au-delà de ces surfaces, La Terre habitable est aussi traversée par des figures et métaphores que Gaillardet estime parlantes pour donner corps aux savoirs de la géochimie. La zone critique est ainsi le lieu de la confrontation entre Hadès et Hélios, représentant respectivement « l’énergie interne de la planète » et celle du soleil (p. 121). Ailleurs il fait le choix d’une personnalisation plus anonyme : « la montagne andine » est comparée à un « ogre glouton » dévorant « des restes de vivants » et les « engloutissant au fond de la mer » (p. 50), via l’Amazone. Ses explications n’évitent pas non plus une forme d’organicisme médical, représentant la Terre comme « une malade » dont il faut « suivre les constantes vitales », et dont la zone critique serait une « fragile peau », en « perpétuel renouvellement » (p. 143, 219). Il s’agit de faire feu de tout bois pour faire entrer l’esprit de la géochimie dans le langage ordinaire....   


                                                            
 L’une des qualités du livre est ainsi d’associer au travail de vulgarisation un aperçu de la « science en train de se faire », c’est-à-dire des activités des scientifiques en amont des publications. La formule de « la science en train de se faire » est associée à l’anthropologie des sciences de B. Latour, et le géochimiste suit une idée que ce dernier a souvent exprimée dans ses dernières années, lorsqu’il enjoignait les scientifiques à assumer leur influence politique en choisissant la transparence plutôt que la défiance face aux sceptiques de tous bords. Au lieu de s’en tenir à une exposition des résultats consolidés (« la science déjà faite »), Gaillardet n’élude donc pas les difficultés rencontrées pour assurer la fiabilité du recueil des données, ni les controverses qui peuvent opposer les spécialistes de la zone critique. Le discours scientifique y gagne en réalisme, et offre de stimulants points de contacts avec les science studies (on est loin des « science wars » des années 1980, qui opposaient des sociologues et anthropologues des sciences à des physiciens et biologistes soucieux de préserver la Science de leurs « déconstructions », par crainte de voir leur légitimité en pâtir)...Il est particulièrement intéressant de voir combien la solidité des connaissances produites dépend du travail d’articulation entre laboratoire et terrain. Gaillardet témoigne des enjeux attachés au « rituel » de l’étiquetage des échantillons, et « le soin religieux » accordé aux « précieux flacons » (p. 37). Il faut aussi faire preuve d’inventivité pour adapter des instruments aux difficultés du terrain, comme ces « géophones » installés « sous une pluie battante » (p. 166) ou cette tour de 80 mètres érigée en pleine forêt tropicale pour analyser les particules en suspension dans l’atmosphère (et qui a permis de montrer que la forêt amazonienne était fertilisée par les poussières venues du Sahara, p. 54).   Ces descriptions rendent justice aux techniques grâce auxquelles la connaissance des composantes du « système Terre » (et celles des « forçages » d’origine humaine) a pu être affinée ces dernières décennies. Dans les sciences de la zone critique, ces progrès sont fondés sur une démarche de reconstruction historique, exploitant les altérations subies par la matière lors des cycles géochimiques. Le décompte des éléments chimiques présents dans les échantillons permet de se figurer les sources et parcours des éléments prélevés. Ainsi, en analysant les isotopes du calcium présents dans « une eau qui ruisselle », il est possible d’évaluer la part de ce calcium qui « vient de la plante » et celle qui « vient de la roche ». Et on peut en conclure par exemple que « lorsque vous marchez dans la boue du delta de l’Amazone, vous piétinez des Andes pulvérisées.
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