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jeudi 26 août 2021

Afghanistan: quel avenir?

 Pour un premier bilan

                   Il est bien sûr trop tôt pour faire un bilan assez complet de ces vingt ans de guerre unilatérale dans ce pays dont on parlait si peu autrefois, dont on ignore tout de ce qu'il deviendra après le départ improvisé de la puissance conquérante. On ne peut le faire qu'à grands traits, sans rien pouvoir présupposer ce que deviendra ce pays qui revient presque à la case départ. Le bilan de cet engagement de 20 ans est terrifiant, surtout quand on pense à tant d'incompétence et d'aveuglement.                                                                                                                      "...En partant vous laisserez une situation pire encore que celle que vous avez trouvée fin 2001", affirmait, en 2012, l'ex-président pakistanais Pervez Musharraf, depuis son exil doré à Dubaï, en s'adressant à la communauté internationale, présente en Afghanistan....."                      L'engagement fut ruineux et le désastre humain, terrible. Le Watson Institut de l’université de Brown a tenté de chiffrer le coût - en vies humaines et en dollars - de cette guerre de 20 ans. Selon cette étude, baptisée "The Costs of War Project", la guerre d'Afghanistan aura coûté, entre 2001 et 2021, 2 261 milliards de dollars, soit environ 1 926 milliards d'euros. L'étude indique également que 241 000 personnes seraient mortes à cause de cette guerre, en Afghanistan et au Pakistan. Parmi elles, plus de 71 000 civils. Ce sont aussi 2 442 soldats américains qui ont péri, 1 144 soldats des forces alliées, environ 78 000 membres de l’armée et de la police afghanes, et plus de 84 000 insurgés..."

                             "....Les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan fin 2001 dans le but de détruire Al-Qaida et les talibans qui les accueillaient et, soi-disant, pour établir un Etat afghan démocratique et aider les femmes et les enfants afghans.       Vingt ans plus tard, les Etats-Unis et leur coalition d’une quarantaine d’alliés ont fermé leurs bases et retiré, à quelques exceptions près, leurs dernières troupes. Les talibans ont repris la majeure partie du pays, y compris sa capitale, Kaboul.        Plus de 5000 soldats des Etats-Unis et prestataires privés ont été tués pendant cette période. Quelque 1200 autres soldats de la coalition sont également morts. Al-Qaida n’est pas vaincu; elle est toujours en Afghanistan et compte globalement beaucoup plus de membres et opère dans beaucoup plus de territoires dans le monde qu’en 2001. Une lecture attentive de l’accord de paix de février 2020 entre l’administration Trump et les talibans, un accord auquel l’administration Biden semble adhérer, révèle que les talibans n’ont fait presque aucune concession en échange du retrait des Etats-Unis.        En tant que chercheur de longue date sur les conflits en Afghanistan, j’ai observé comment la vie et les conditions de vie des Afghans ont été affectées par l’occupation occidentale ratée de leur pays pendant 20 ans.        Lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan à la fin de 2001, les talibans étaient sur le point de contrôler la majeure partie du pays, qui comptait alors 21 millions d’habitants. Leur régime était brutal, mais il est parvenu à mettre un frein à l’extrême anarchie et à stabiliser un pays qui, à l’époque, avait enduré 22 ans de guerre atroce contre l’occupant soviétique et entre factions afghanes rivales.      Jusqu’à sa disparition à la mi-août 2021, le gouvernement afghan de Kaboul était faible, corrompu, divisé et vulnérable. Il a tenté de régner sur une population de 38 millions d’habitants avec des institutions étatiques parmi les plus corrompues de la planète. Le régime mis en place par les Etats-Unis et leurs alliés était si dysfonctionnel que les tribunaux afghans étaient connus pour juger en faveur de la partie qui payait le plus. Les forces de police extorquaient régulièrement des civils appauvris et les fonctionnaires faisaient peu de choses sans pot-de-vin. De nombreux représentants de l’Etat étaient également des seigneurs de guerre prédateurs qui recrutaient leurs partisans dans la fonction publique dans l’espoir qu’ils s’enrichissent grâce aux pots-de-vin.        Des factions politiques afghanes soutenues par des étrangers, comme le groupe Hazara Fatemiyoun organisé par l’Iran, avaient infiltré tous les niveaux du gouvernement. Et dans une tentative désespérée de limiter les gains des talibans, le gouvernement afghan a commencé à payer directement les seigneurs de guerre indépendants pour obtenir leur soutien, même si beaucoup d’entre eux étaient impliqués dans le trafic de drogue et maltraitaient des civils.         Au moins 100 000 civils afghans ont été tués ou blessés dans le conflit entre la coalition dirigée par les Etats-Unis et les Afghans qui résistaient à l’occupation de leur pays. Ce chiffre doit être considéré comme sous-estimé, car de nombreuses victimes afghanes ont été enterrées rapidement selon les coutumes islamiques, et aucun registre n’a été tenu. Un nombre probablement aussi important de combattants afghans ont également perdu la vie, et beaucoup d’autres ont été estropiés ou gravement blessés. L’espérance de vie en Afghanistan est aujourd’hui d’à peine 48 ans.        L’Afghanistan reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec 6 Afghans sur 10 vivant dans la pauvreté et un PIB par habitant de quelque 500 dollars par an, soit moins de 1% de celui des Etats-Unis. De nombreux biens ont été détruits et l’économie de guerre a plongé de nombreux Afghans dans une pauvreté encore plus grande, tout en enrichissant les barons de la drogue et les seigneurs de guerre liés au régime. L’abus d’opium et d’héroïne est monté en flèche en Afghanistan au cours des 20 années d’occupation, des millions d’Afghans se tournant vers la drogue pour échapper à leur dure réalité.         On compte 2,5 millions de réfugiés afghans enregistrés au Pakistan, en Iran et ailleurs. Trois millions d’autres Afghans sont déplacés à l’intérieur du pays. Ces chiffres risquent fort de monter en flèche à la suite des victoires spectaculaires des talibans à la mi-août 2021.             De nombreux Afghans déplacés, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Afghanistan, ne disposent pas des biens de base nécessaires à une survie minimale et sont vulnérables aux maladies et à l’exploitation. Parmi tous les réfugiés dans le monde, seuls ceux de Palestine et de Syrie sont plus nombreux que ceux d’Afghanistan, et les Afghans font partie des plus grands groupes de nationalités qui cherchent refuge en Europe [1].       Les Pachtounes ruraux, le groupe ethnique qui fournit aux talibans la majeure partie de ses troupes, ont été parmi ceux qui ont le plus souffert pendant la guerre, car la plupart des combats ont eu lieu dans leurs régions.      Certains Pachtounes urbains et membres de minorités, en particulier le groupe ethnique Hazara, historiquement défavorisé, ont profité des opportunités économiques et éducatives offertes par les agences d’aide occidentales et ont travaillé pour des armées et des organisations étrangères. Ces bénéficiaires de la présence étrangère font désormais partie des personnes les plus vulnérables en Afghanistan, car les talibans peuvent les considérer comme des traîtres.        Les dizaines de milliers d’Afghans ayant travaillé pour l’armée américaine, par exemple, plaident auprès de Washington pour être autorisés à venir aux Etats-Unis avec leur famille. L’administration Biden en a admis certains, mais beaucoup d’autres attendent toujours d’être admis aux Etats-Unis.      La situation des femmes et des enfants en Afghanistan ne s’est guère améliorée. Le taux de mortalité maternelle, avec 1,6 femme mourant pour 100 naissances, n’a pratiquement pas bougé depuis le règne des talibans à la fin des années 1990. En outre, davantage de femmes ont rejoint la population active et davantage d’enfants, en particulier les filles, ont eu accès à l’enseignement primaire au cours des 20 dernières années. Pourtant, seul un enfant afghan sur dix termine ses études secondaires.                                                                                           Dans de nombreuses zones rurales, la situation des femmes et des filles a empiré: non seulement elles n’ont pas reçu une aide ou une éducation de qualité, mais elles ont dû faire face à l’extrême pauvreté, aux menaces de violence et à l’insécurité de la guerre       L’occupation américaine a fait vivre aux Afghans 20 années supplémentaires de guerre et de souffrance. Ironiquement, les Etats-Unis laissent l’Afghanistan dans un état très similaire à celui dans lequel il était lorsqu’ils l’ont envahi.      Les talibans ont repris le contrôle d’une grande partie de l’Afghanistan, y compris de Kaboul. Leur ancienne opposition, les milices et les seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord, aujourd’hui disparue, sont plus faibles qu’en 2001, juste avant l’invasion des Etats-Unis.         Certains membres de groupes minoritaires, notamment les Hazara et ceux qui ont coopéré avec l’occupation étrangère, risquent de souffrir. Les Afghans vivant en milieu urbain devront également faire face aux sévères restrictions sociales imposées par les talibans, qui touchent particulièrement les femmes et les filles. La migration hors d’Afghanistan augmentera, les citadins et les minorités fuyant pour sauver leur vie. Les talibans sont susceptibles d’imposer leur stricte application de leur loi et d’établir des tribunaux qui ne sont pas dirigés par des fonctionnaires corrompus, ce qui devrait dissuader la criminalité.   Pour l’instant, les talibans ont exprimé le souhait d’accorder une amnistie aux fonctionnaires, aux soldats et aux autres travailleurs [2]. Si cela se produit, et si cela est maintenu, il est probable que cela renforcera le soutien aux talibans au sein de la population.    Si les Etats-Unis, comme ils le font souvent par réflexe face à leurs adversaires dans le système international, choisissent d’imposer des sanctions sévères à l’Afghanistan, comme ces derniers et l’ONU l’ont fait dans les années 1990, cela contribuera à accroître encore les souffrances.  Il est également possible que la résistance au régime taliban se développe au cours des prochains mois et des prochaines années dans le nord et le centre du pays. Si la guerre civile reprend, je pense que les Afghans connaîtront encore plus d’exploitation, de pauvreté déchirante, de mort et de souffrance. (Article publié sur le site The Conversation, le 16 août 2021; traduction rédaction A l’Encontre)__ Abdulkader Sinno _________

[1] Suite à l’intervention d’Emmanuel Macron le 16 août au soir – qui annonçait «une initiative européenne» pour le «protéger» contre des flux migratoires «irréguliers» en provenance d’Afghanistan –, François Gemenne, enseignant à Sciences Po Paris et directeur de l’observatoire Hugo à l’Université de Liège en Belgique, déclarait sur France Info: «L’idée que notre première préoccupation au regard de la situation terrible dans ce pays soit de nous “protéger”, nous, contre des flux qu’il estime “irréguliers” alors que ce sont des gens qui vont chercher à sauver leur vie, me paraît complètement indigne, en dessous de tout et complètement irrespectueuse des principes élémentaires du droit international et humanitaire. Les membres de l’extrême droite, le Rassemblement national estimaient depuis ce matin sur les réseaux sociaux qu’il fallait nous protéger contre ce qu’ils appelaient un “tsunami migratoire”, et voilà que le soir même le président de la République reprend leurs mots à son compte. C’est particulièrement choquant.» (Réd. A l’Encontre)       [2] Selon le site Al Jazeera – chaîne bien en vue à Kaboul car le Qatar est l’hôte des dites négociations et ses liens avec les Frères musulmans ne le rendent pas trop «étranger» pour les talibans –, «à l’amnistie» promise, des dirigeants talibans auraient «exhorté les femmes à rejoindre le gouvernement», précisant qu’il se trouverait sous «une direction entièrement islamique». Dans ces initiatives de communication, les talibans proclament leur «ouverture» envers des minorités ethniques. La chaîne Al Jazeera précise le 17 août: «les talibans ont déclaré que la guerre en Afghanistan était terminée et un haut dirigeant a déclaré que la force talibane attendrait le départ des forces étrangères avant de créer une nouvelle structure de gouvernance».    ___________________________

mercredi 25 août 2021

Afghanistan (suite)

 Les Américains et l'histoire-géographie: désamour.

        Mais où est donc Kaboul?.... Il vaut mieux le savoir pour expliquer un peu mieux l'engagement tête baissée dans l'aventure afghane, comme dans tant d'autres; aux USA, on ne connaît pas sa géographie, pas plus que l'histoire des pays où l'on s'engage. Ou si peu. C'est un spécialiste qui le dit dans un rapport accablant. C'est connu de certaines élites  bien formées. Il n'est pas rare de rencontrer des personnes "instruites", qui ont même du mal de situer l'Etat du Tennessee alors qu'ils vivent au Texas...On a même vu un président faire d'énormes bourdes sur les capitales de pays du monde (Trump, pout ne pas le nommer, qui avait par le passé qualifié la Belgique de «belle ville», et confondu San Jose et San Francisco.), des présentateurs de télévision faire d'énormes erreurs. On ne s'étonnera pas que le Moyen Orient soit une zône grise; plus encore l'histoire de ces pays et leurs modes de  vie.                          Pas étonnant que l'on s'enferre dans l'erreur, même si cela n'explique pas tout. Comme dit un connaisseur:  «Seulement peu d’étudiants américains possèdent des connaissances sur le monde et le rôle qu’y tient leur pays, les États Unis». C’est la conclusion d’une étude commandée par National Geographic Society - connue notamment pour sa publication mensuelle du même nom, et par le Conseil des relations internationales (Council of foreign relations ou CFR), un laboratoire d’idées américain. Dans le cadre de cette enquête, 75 questions ont été posées à 1203 étudiants américains, âgés de 18 à 26 ans. Ses résultats soulignent «un écart important entre ce que ces jeunes américains savent du monde et ce qu’ils devraient savoir pour faire face à un monde plus interconnecté que jamais».   


                     ____"...L'inculture sur les pays du monde est renversante
En 2002 déjà, une étude internationale centrée sur des jeunes de 18-24 ans expliquait que sur les neuf pays sondés (États-Unis, Canada, Mexique, Japon, France, Suède, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne), seuls les Mexicains avaient une plus mauvaise connaissance du monde que les Américains. Problème, ces derniers étaient également particulièrement mauvais pour s'y repérer au sein même des États-Unis. Près de la moitié des sondés américains étaient incapable de situer l'État de New York ou du Mississippi sur une carte.   On ne s'étonnera pas dès lors qu'en 2006, une étude de National Geographic montrait que la grande majorité des Américains de 18 à 24 ans ne trouvaient pas l'Irak et pensaient que le Soudan était situé en Asie. En 2013, une autre étude menée par trois universitaires de Harvard, Dartmouth et Princeton révélait que seul un Américain sur six savait placer l’Ukraine sur une carte. Cette recherche scientifique démontrait également que moins ils connaissaient la position géographique de l'Ukraine, plus ils avaient envie de l'envahir.    Bien plus récemment, en août dernier, l'équipe de l'émission «Jimmy Kimmel Live» est allée interviewer des citoyens américains en leur demandant s'ils étaient favorables à une intervention militaire des États-Unis contre la Corée du Nord. La plupart des personnes interrogées ont répondu positivement à cette question, mais aucun d'entre eux n'est parvenu à placer le régime de Kim Jong-un sur une mappemonde
....."                                             ____Et on se mêle de géopolitique!... Même dans les universités, les lacunes sont grandes, comme si les States se suffisaient à eux-mêmes dans un grand isolationnisme culturel. On arrive à confondre la République tchèque et la Tchétchénie! Cela devient grave au niveau diplomatique...surtout quand on s'engage dans un conflit aux enjeux douteux, tête baissée et qu'on déclare triomphalement en Irak: Mission accomplie! comme Georges Bush  Dans les universités, dans ce domaine, largement vampirisées par les marchands, ce n' est pas si brillant que cela en matière de connaissance des peuples, sauf exception... Bon, vous me direz, c'est pire chez les Bororo d'Amazonie...       ______________________


mardi 24 août 2021

Afghanistan (suite)

Et pourtant ils savaient!..  

                Errare humanum est ...perseverare diobolicum.       La chute ultra rapide de Kaboul sous la poussée talibane, à la suite d'une reconquête de la majorité du pays à grande vitesse, n'aurait pas dû étonner l'administration US sur l'essentiel du processus.    On pourrait établir un certain parallèle avec le 11 septembre, qui ne se serait sans doute pas produit s'il avait été tenu compte des nombreux signaux et  informations venus des services secrets à l'intérieur et à l'étranger. Mais il y avait des dissensions et des luttes d'influences au coeur de la CIA elle-même, qui ont neutralisé toute investigation approfondie et une parade adaptée possible. Il y aurait bien d'autres exemples à citer sur les défaillances d'une puissance présentée souvent comme suréquipée, notamment en matière d'informations et d'équipements militaires.

                           Des experts eux-mêmes, même parfois au sein de l'armée, n'ont pas été écoutés quand ils sonnaient l'alarme depuis plus de dix ans déjà, prévoyant l'échec inéluctable du projet néoconservateur, en Afghanistan comme en Irak. Le gigantisme, la naïveté, l'incompétence ont régné en maître sur fond d'ignorance du terrain et des peuples. L'aveuglement, l'hubris ont pris le pas sur l'analyse. Le chaos était inévitable, reconnaît-on maintenant au Pentagone, qui livrait encore il y peu des armes sophistiquées à l'armée fantoche et corrompue  créée à grands coups de dollars, qui s'est volatilisée ou a été retournée en quelques jours.  Le mensonge était sur toute la ligne.                                                                                                        "....Il y avait des déclarations officielles rassurantes et récurrentes des responsables politiques et militaires américains : la guerre en Afghanistan est en passe d'être gagnée. Et il y a la réalité, celle que ces mêmes responsables admettaient en privé : la guerre en Afghanistan est perdue, nous ne savons pas ce que nous faisons. Le quotidien américain The Washington Post a publié lundi une enquête sur la façon dont les gouvernements américains qui se sont succédé depuis 2001 ont menti et refusé de reconnaître publiquement ce qu'ils savaient d'un conflit enlisé dans un pays qu'ils ne comprenaient pas.      Les révélations, de l'ampleur des «Pentagon Papers» qui décrivaient la réalité du conflit au Vietnam, se basent sur les interviews de 400 responsables politiques et militaires américains. Elles ont été réalisées par l'inspecteur général John Sopko, chargé de superviser la reconstruction en Afghanistan (Sigar) pour le Congrès. Le Washington Post les a obtenues après trois ans de bataille devant les tribunaux.«Nous étions dépourvus d'une compréhension de base de l'Afghanistan […] Si les Américains connaissaient la magnitude de ce dysfonctionnement…» reconnaissait en 2015 Douglas Lute, responsable pour l'Irak et l'Afghanistan au Conseil de sécurité nationale. Lancée en octobre 2001, la guerre a coûté depuis près de 1 000 milliards de dollars (902 milliards d'euros) aux Etats-Unis et 2 400 soldats américains ont été tués. «Qu'avons-nous obtenu pour un billion de dollars ? Cela valait-il le coup ? Après la mort d'Oussama ben Laden [en 2011], je me suis dit qu'il était probablement en train de rire dans sa tombe en pensant à ce que nous avons dépensé», dit un ancien soldat des forces spéciales passé à la Maison Blanche...."                  _____ On ne peut pas ne pas faire le parallèle avec les mensonges de Bush, via le général Colin Powell, et la propagande qui fleurit pour justifier l'opération vietnamienne qui fut le fiasco que l'on connaît. La force, l'aveuglement, les intérêts à court terme. et le cynisme font souvent bon ménage, hélas.....    _____________________

lundi 23 août 2021

Afghanistan (suite): contexte géopolitique.

        On a appelé le pays le "cimetière des empires"

           Mais l'histoire, au sens strict et récent, n'explique pas tout. L'aspect géopolitique a son importance. Ce pays vient de loin.  Comme ce qu'on appelle le" grand jeu" depuis Kipling.        Voici un point de vue très intéressant qui met en lumière certains aspects de l'affaire afghane trop souvent oubliés, notamment l'interventionnisme assez précoce des USA. [Il est reproduit dans son intégralité, car il  n'est pas accessible gratuitement. Merci à l'auteur et au journal qui l'a fait paraître.]    

                             ________  "Quand on voit les cartes de l'avancée des talibans, on peut se demander comment malgré des milliers de milliards et 20 ans à former une armée, on perd aussi facilement et aussi rapidement un pays ? 

Cartes de l'offensive talibane au 10 août et au 15 août 2021. Les zones contrôlées par les talibans sont en gris, celles contrôlées par le gouvernement afghan et la coalition internationale en rouge, les zones contestées en vert © Wikimédia, page "2021 Taliban Offensive"Cartes de l'offensive talibane au 10 août et au 15 août 2021. Les zones contrôlées par les talibans sont en gris, celles contrôlées par le gouvernement afghan et la coalition internationale en rouge, les zones contestées en vert © Wikimédia, page "2021 Taliban Offensive"        ___L'Hindu Kush:   Il est impossible de comprendre l’Afghanistan sans comprendre sa géographie. Le paramètre le plus important, c’est qu’à part le Sud-Sud Ouest désertique, le pays est très montagneux : il faut se figurer la France (le pays est légèrement plus grand), mais avec les Alpes partout.

Carte topographique de l'Afghanistan © WikimediaCarte topographique de l'Afghanistan © Wikimedia

Ce que signifie ce massif montagneux de l'Hindu Kush, c’est énormément de cuvettes et de vallées entre les montagnes, dont on ne peut sortir en général que par une poignée de défilés. Cette géographie a plusieurs conséquences.      A) De nombreuses ethnies - le pays ayant été un carrefour toute son histoire - constituées de tribus et de clans, qui sont réunies en communautés qui restent assez isolées les unes des autres, ce qui complique l’obtention d’une unité nationale.

Plusieurs groupes ethnolinguistiques sont présents en Afghanistan et au Pakistan, sous divisés en de très nombreux clans, tribus et familles (carte de 2005) © Wikimédia, page "Afghanistan ethnic groups 2005"Plusieurs groupes ethnolinguistiques sont présents en Afghanistan et au Pakistan, sous divisés en de très nombreux clans, tribus et familles (carte de 2005) © Wikimédia, page "Afghanistan ethnic groups 2005"

Un camion sur les routes de la province du Panjshir © US Air Force/Tech. Sgt. Charles CampbellUn camion sur les routes de la province du Panjshir © US Air Force/Tech. Sgt. Charles Campbell

B) Une grande difficulté pour un Etat central de construire ce sentiment national, vu la difficulté d’atteindre certains endroits : imaginez devoir faire Lille-Marseille, dans un camion sans direction assistée sur des routes en terre aussi sinueuses que celles des Alpes.

C) Ce qui entraîne un territoire bien plus dur à tenir qu’à oppresser. Ce point est crucial pour comprendre pourquoi autant de ressources n’ont pas permis de venir à bout des talibans. Voici un exemple d'une vallée sélectionnée au hasard.

Vallée de Chahardu © Google MapsVallée de Chahardu © Google Maps

Pour occuper toute une vallée, il faut énormément de soldats... bien plus que pour l'assiéger. En effet, pour en faire le siège, il suffit de tenir les quelques défilés, ce qui demande bien moins de moyens (humains, notamment).

Il suffit d'y prendre en embuscade ou d'extorquer les convois, pour récupérer argent, vivres et/ou matériaux, et précariser rapidement les habitants de la vallée. Même dans le cas où l'assiégeant ne dispose pas de la main-d'oeuvre nécessaire pour réussir à tenir durablement le défilé, il suffit au pire de transformer la route qui y entre en champ de mines ou de cratères (ou de ruines pour les ponts) pour compliquer la vie de tout le monde dans la vallée.

Une route détruite suite à bombe talibane sur la route Torghundi-Herat dans le district Keshk Rabat Sangi, dans la province de Herat, 23 septembre 2020. © Herat Directorate of Public WorksUne route détruite suite à bombe talibane sur la route Torghundi-Herat dans le district Keshk Rabat Sangi, dans la province de Herat, 23 septembre 2020. © Herat Directorate of Public Works

De là à ce que les militaires postés dans la vallée se demandent s’ils souhaitent vraiment mourir pour un gouvernement qui, faute d'accès, n’a envoyé ni renforts ni munitions ni soldes ni vivres, et s'il ne serait pas plus rationnel de se rendre… Il faut à cela ajouter que la reddition ne se fait pas en pure perte, puisque les talibans peuvent proposer vivres, argent, pas de représailles, voire même une place dans leurs rangs, contre la reddition. Dans ces conditions, peu importe la qualité de l’entraînement des soldats, on comprend vite le peu de résistance qui est parfois opposée aux talibans.      Il faut cependant souligner que malgré ce constat, les forces afghanes sont loin d'avoir démérité comme on a pu le lire parfois : sur l'ensemble du conflit, l'armée et la police afghanes ont perdu 27 fois plus d'hommes que les forces américaines... Et notamment, elles ont perdu plus d'hommes cette année que les américains en 20 ans.     Les russes ont à un moment estimé qu'il fallait un million de militaires pour tenir le pays contre son gré, ce qui représenterait les trois-quarts de toute l'armée américaine active aujourd'hui. La force internationale a au mieux atteint 15% de ce nombre, et encore : pas pendant très longtemps.

La Ring Road, le réseau de routes reliant les principales villes du pays © Washington PostLa Ring Road, le réseau de routes reliant les principales villes du pays © Washington Post

C’est parce que faire le lien entre les différentes villes et communautés du pays était si important pour en garder le contrôle, en plus de permettre plus de mobilité des troupes, que l’effort de la coalition internationale s’est un temps concentré sur la construction des routes. En particulier, la coalition a tenté de reconstruire la "ring road", pour connecter toutes les grandes villes du pays.

Prévue pour couter 1,5 milliards, elle en a coûté le double et n’a jamais été vraiment complétée. Surtout, elle n’a pas été entretenue et s'est vite détériorée. Pourquoi ? Parce que dès 2003, l’effort de guerre américain s’est déplacé en Irak, pour y chercher des bombes atomiques inexistantes sur les mensonges de George W. Bush et Dick Cheney. Il a donc fallu engager des mercenaires privés pour protéger les constructeurs de route, ce qui coûte beaucoup plus cher que de faire protéger les chantiers par les armées régulières. Ceci étant, engager des mercenaires privés a permis de faire tomber des fonds américains publics dans des mains privées, tout en limitant les pertes de l’armée, deux choses qui ne déplaisaient pas à tout le monde à Washington.

L'Afghanistan n'a pas d'accès à la mer. Le pays est bordé, par l'Iran à l'Ouest, par le Turkmenistan au Nord-Ouest, par l'Ouzbekistan au Nord, par le Tajikistan au Nord-Est et par le Pakistan au Sud et à l'Est. A l'extrême Nord-Est, l'étroit corridor du Wakhan, qui sépare le Tajikistan et le Pakistan, lie l'Afghanistan à une courte frontière avec la Chine. A l'exception du Nord-Ouest, l'Afghanistan est entourée soit de montagnes, soit de déserts © WikimediaL'Afghanistan n'a pas d'accès à la mer. Le pays est bordé, par l'Iran à l'Ouest, par le Turkmenistan au Nord-Ouest, par l'Ouzbekistan au Nord, par le Tajikistan au Nord-Est et par le Pakistan au Sud et à l'Est. A l'extrême Nord-Est, l'étroit corridor du Wakhan, qui sépare le Tajikistan et le Pakistan, lie l'Afghanistan à une courte frontière avec la Chine. A l'exception du Nord-Ouest, l'Afghanistan est entourée soit de montagnes, soit de déserts © Wikimedia

Un autre élément à avoir en tête à propos de l'Afghanistan, c’est que le pays est enclavé, c’est à dire sans accès aux mers et océans : pour l’envahir et l’approvisionner, il faut entrer depuis un pays voisin. Il convient alors de se pencher à nouveau sur la géographie de la région, cette fois-ci en observant non plus les montagnes dans le pays, mais les montagnes autour du pays.

L'entrée la plus pratique peut sembler être le Turkmenistan. L'inconvénient, c'est que pour entrer par un pays, il faut son accord. Or le Turkmenistan est l'un des pays les plus isolés et les plus opprimés au monde. Il en est de même pour l'Ouzbekistan, même si le pays semble s'ouvrir un peu depuis 2016 (mais on parle d'une guerre démarrée en 2001). L'entrée par la Chine est très loin d'être la plus aisée vu la géographie, l'entrée par l'Iran peut sembler plus simple, mais on imagine mal l'un comme l'autre pays laisser des troupes, notamment américaines, transiter par leurs terres.        Restent alors le Tadjikistan et le Pakistan. Vu le relief, le Tadjikistan n'est pas l'option la plus évidente, mais la France y a quand même utilisé des bases aériennes, à Dushanbe. C'est surtout le Pakistan qui a servi de point d'entrée aux forces internationales. Notamment par la passe de Khyber à l'est, qui a concentré l'essentiel de l'entrée des ressources internationales... lorsqu'elle n'était pas fermée à cause des combats. 

Les principaux défilés sur la frontière pakistano-afghane. La passe de Khyber, entre Peshawar et Kaboul a constitué le principal point de passage des forces de la coalition © QuoraLes principaux défilés sur la frontière pakistano-afghane. La passe de Khyber, entre Peshawar et Kaboul a constitué le principal point de passage des forces de la coalition © Quora

En effet, on retrouve ici le même problème que précédemment : des centaines de défilés entre les deux pays. Les principaux, avec des routes, sont peu nombreux, ce qui signifie à nouveau qu'il est relativement facile d'obstruer les déplacements des armées motorisées en tenant quelques points stratégiques. La majorité des défilés, cependant, invisibles sur la carte ci-dessous parce que trop petits, sont impraticables autrement qu'à pieds : un obstacle majeur pour les forces d'invasion ou d'occupation motorisées, mais parfait pour les talibans à pieds ou en véhicules légers.

Ce qui mène à un problème supplémentaire : le Pakistan est un état souverain, ce qui complique les choses quand il s’agit d’aller y chercher les talibans qui s’y cachent lorsqu'ils étaient repoussés au delà des frontières, le territoire pakistanais leur servant alors de base arrière.     L'Etat pakistanais était bien chargé de s’occuper des talibans lorsqu'ils étaient de son côté de la frontière, mais c'est bien plus facile à dire qu'à faire. Tout d'abord parce que la région reste montagneuse, soit un gruyère de caves. Ensuite, parce que le Pakistan entretient une relation trouble avec les talibans, ils ont notamment été parmi les derniers à arrêter de les financer en 2001. Si cette relation est trouble, c'est parce qu'il n'est pas évident pour le Pakistan de simplement déclarer les talibans comme des ennemis et dédier toutes leurs forces à les éradiquer, pour des raisons de politique intérieure.    Pourquoi ? Parce que quand ils passent la frontière de l'Afghanistan vers le Pakistan, les talibans, majoritairement pachtounes (l’un des groupes ethno-linguistiques de la région), passent de chez eux à chez eux.

La frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan coupe en deux les territoires où vivent les peuples pachtoune et baloutche © ResearchGateLa frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan coupe en deux les territoires où vivent les peuples pachtoune et baloutche © ResearchGate

Pour comprendre pourquoi, autant se lancer dans un cours d’histoire (très très) accéléré du pays.       _________Le grand jeu:     Parce qu’elle est au carrefour de l’Asie, de la Russie et du Proche-Orient, la région qui va de la mer Caspienne à l’Inde contemporaine a toujours été prisée, elle a donc une histoire riche, et on pourrait remonter aux événements précédents pour expliquer ceux qui suivent sans doute sur plusieurs millénaires.    Puisqu'il faut bien commencer quelque part, commençons lorsque l'Afghanistan acquiert ses frontières modernes, entre 1886 et 1896, après deux conflits contre l'empire britannique en pleine colonisation des Indes.

L'Afghanistan, Etat tampon entre la Russie impériale, le Raj britannique et la Perse, à la fin du XIXème siècle © selfstudyhistory.comL'Afghanistan, Etat tampon entre la Russie impériale, le Raj britannique et la Perse, à la fin du XIXème siècle © selfstudyhistory.com

A cette époque, les enjeux sont les suivants. Une conquête par l'empire russe pourrait permettre un accès stratégique aux océans du Sud. Les Anglais, comme on l'a dit, sont en pleine construction du Raj britannique ("Raj" signifie "règne") et souhaitent aller le plus loin possible. Ils aimeraient également éviter une confrontation directe avec les forces russes. De son côté, la Perse, ancêtre de l'Iran, se verrait bien récupérer ces territoires qui furent jadis à elle. On a appelé ça le “grand jeu” des empires. (Oui...)     Ce grand jeu se termine avec une série d’accords qui fixent les frontières de l’Afghanistan, qui devient un état tampon entre les Russes, les Anglais et les Perses. Notamment, au Sud Est du pays, c'est la "ligne Durand", du nom du diplomate britannique qui l'a négociée, qui deviendra la frontière entre l'Afghanistan et le Raj britannique, et plus tard, la frontière avec le Pakistan à l'indépendance de ce dernier en 1947.

La ligne Durand (en rouge) est définie arbitrairement en 1893 comme limite ouest des Indes britanniques, bien qu'elle divise les territoires des pachtounes et des baloutches (en bleu). Elle deviendra ensuite la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. © Wikimédia, page "ligne Durand"La ligne Durand (en rouge) est définie arbitrairement en 1893 comme limite ouest des Indes britanniques, bien qu'elle divise les territoires des pachtounes et des baloutches (en bleu). Elle deviendra ensuite la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. © Wikimédia, page "ligne Durand"

Comme les accords franco-britanniques de Sykes-Picot (qui ont participé à installer une instabilité durable au Proche Orient jusqu’à encore aujourd’hui), la ligne Durand, arbitrairement décidée entre les colons britanniques et l’émir qu’ils laissaient s’installer, n'a pas simplifié la géopolitique du Moyen Orient. La ligne Durand (en rouge) coupe les territoires des peuples pachtoune et baloutche (en bleu) en deux, passant parfois même au milieu de villages.

Elle a perpétuellement nourri les tensions entre Afghanistan et Pakistan depuis, parce qu’elle est sans cesse remise en cause. C’est sans compter les revendications pour un nouvel Etat juste pour les Pachtounes, le Pachtounistan, qui amputerait Afghanistan et Pakistan, mais aussi pour un éventuel autre nouvel Etat, le Baloutchistan (qui est pour l'instant le nom d'une région du Sud-Ouest du Pakistan).    Est-ce que la région serait pacifiée avec une ligne différente ? Difficile à dire, mais il est en tout cas probable que les choses seraient plus simples. Surtout, peut être que la région, "cimetière des empires", aurait été plus simple à gouverner si l'Hindu Kush avait été l’intersection d'autres pays, plutôt qu'un pays lui même séparant des peuples, résultat d'une construction artificielle pour éviter la collision entre empires disparus depuis.      Puisqu’on est dans l’histoire du pays, continuons, parce que ce n’est pas la dernière fois que les empires ont joué au grand jeu dans la région, et ça aide à comprendre la situation aujourd'hui... 

Le cimetière des empires: Le pays a ensuite une histoire mouvementée, mais ni beaucoup plus ni beaucoup moins que n’importe quel autre pays à l’époque : d'un émirat (1823-1926) à une monarchie (1926-1973), puis une république en vérité assez peu républicaine (1973-1978), avant une révolution communiste en 1978, la révolution de Saur. Ce nouveau régime est farouchement anticlérical, dans un des pays les plus religieux au monde, ce qui déclenche les premières insurrections moudjahidines.   Un an après la révolution de Saur, l’URSS envahit le pays, pour une multitude de raisons : officiellement, ils viennent en aide au régime communiste en place contre les moudjahidines. En réalité, on peut citer bien d'autres raisons, la première étant que l’URSS est expansionniste : comme au temps de la Russie impériale, la conquête de l'Afghanistan représenterait toujours une avancée notable vers l'océan Indien. En outre, Moscou a été pris de court par la révolution de 1978, ils l’attendaient plus tard. Si le premier dirigeant communiste leur convient, il est rapidement renversé par un second qu'ils n'apprécient pas, et qu'ils exécutent et remplacent juste après avoir envahi le pays.  Cependant, il n'est pas question que d'expansionnisme et de rivalités de palais : parmi les raisons expliquant l'invasion, l’une d’entre elles est que les Etats Unis y ont appâtés les soviétiques, espérant que l’Afghanistan serait "le Vietnam des Russes". Les Etats Unis espéraient que le conflit s'enliserait et épuiserait l'URSS, tout comme la course aux armements nucléaires ou la course spatiale. C’est l’opération Cyclone.

Le président américain Jimmy Carter signe la première directive sur l'assistance clandestine aux opposants du régime communiste afghan le 3 juillet 1979, soit six mois avant l'invasion de l'URSS le 24 décembre 1979. © https://twitter.com/OuidaccordOK/status/1427059259662127106Le président américain Jimmy Carter signe la première directive sur l'assistance clandestine aux opposants du régime communiste afghan le 3 juillet 1979, soit six mois avant l'invasion de l'URSS le 24 décembre 1979. © https://twitter.com/OuidaccordOK/status/1427059259662127106

_______Lors de l'opération Cyclone et la guerre d'Afghanistan, les Etats Unis, aidés par Israël, l’Egypte et le Pakistan, abreuvent les moudjahidines, les “guerriers de la liberté”, d’armes, d’abord clandestinement puis ouvertement, dans un des nombreux conflits “proxy” de la guerre froide entre les deux blocs. La guerre durera dix ans pour les soviétiques, jusqu'en 1989. Le film "La Guerre selon Charlie Wilson" en raconte les coulisses, mais surtout le premier pêché capital des américains : dans l'une des dernières scènes du film (spoiler alert, évidemment), Reagan et le Congrès américain refusent quelques millions pour reconstruire des écoles en Afghanistan, après avoir dépensé des milliards pour inonder le pays d'armes afin d'épuiser l’URSS.

Scène du film Charlie Wilson's War © F T

Ce qu’on sait moins souvent, c’est que l'opération Cyclone n'a pas pris la forme que d'un soutien logistique et financier, mais a aussi consisté en une propagande internationale pour pousser des volontaires de pays arabes à rejoindre la résistance afghane, ainsi qu'en une propagande interne à l'Afghanistan avec par exemple des manuels scolaires d’endoctrinement religieux conçus par la CIA.      Ce qu’on sait moins souvent aussi, c’est que le Royaume Uni, l’Arabie Saoudite et la Chine ont eu des programmes similaires à l'opération Cyclone. Le Royaume Uni, probablement pour lutter contre la menace et/ou l’influence communiste au Pakistan et en Inde, membres du Commonwealth. L’Arabie Saoudite, parce que les communistes étaient férocement anticléricaux, et parce que les moudjahidines étaient majoritairement sunnites, leur victoire permettait donc de prendre en sandwich l'Iran et l'Irak chiites. La Chine, communiste, pour affaiblir l’URSS, son rival et voisin. Le “grand jeu” à nouveau… 

Evolution dans le temps des réfugiés dans le monde, par pays d'origine. De l'invasion soviétique de 1979 à très récemment, la principale population réfugiée est de très loin la population afghane, principalement hébergée dans les pays limitrophes. Seule la population syrienne la dépasse depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, sans que le nombre de réfugiés afghan n'ait diminué. © The EconomistEvolution dans le temps des réfugiés dans le monde, par pays d'origine. De l'invasion soviétique de 1979 à très récemment, la principale population réfugiée est de très loin la population afghane, principalement hébergée dans les pays limitrophes. Seule la population syrienne la dépasse depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, sans que le nombre de réfugiés afghan n'ait diminué. © The Economist

Après la défaite et le départ des russes en 1989, la guerre civile entre les moudjahidines et le gouvernement communiste afghan continue et ce dernier tombe en 1992. Cependant, il est important de comprendre que les moudjahidines n’étaient pas un seul bloc homogène, mais un attelage de différents groupes ethniques et de factions politiques à l’intérêt temporairement commun, pas tous armés par les mêmes puissances (et pas tous devenus talibans, d'ailleurs). Après la chute du gouvernement communiste, ces différents groupes se disputent le pouvoir jusqu’en 2001 dans une guerre civile sanglante qui voit toujours des déplacements massifs de réfugiés.    (Profitons de l’occasion pour rappeler que les réfugiés et migrants, pour l’écrasante majorité, ne viennent pas dans les pays européens, mais vont dans les pays à côté des leurs, dans l’espoir d’un jour retrouver leur terre natale.)

73% des réfugiés du monde le sont dans un pays limitrophe du pays qu'ils fuient. La plupart des autres ne font pas beaucoup plus loin, puisque 86% de tous les réfugiés de la planète le sont dans des pays en développement. © Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés73% des réfugiés du monde le sont dans un pays limitrophe du pays qu'ils fuient. La plupart des autres ne font pas beaucoup plus loin, puisque 86% de tous les réfugiés de la planète le sont dans des pays en développement. © Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

          Parmi les différentes factions émergent, probablement grâce à des financements de l’Arabie Saoudite et/ou du Pakistan, les talibans (le mot est le pluriel de "talib", qui signifie “étudiant” en arabe - au sens de “personne qui étudie, érudit”, pas au sens de “jeune à la fac”. Ainsi, formellement, on devrait écrire « les taliban » sans « s » à la fin). Parce qu'ils promettent de mettre fin au chaos de la guerre civile en matant les seigneurs de guerre moudjahidines, et de restaurer une forme d'ordre et de sécurité juridique par l'application de la charia, ils acquièrent des soutiens toujours plus nombreux qui, en 1996, leur permettent de prendre Kaboul.     En 2001, les USA envahissent le pays pour éliminer Al Quaïda (qui signifie à l’origine "la base", au sens de "base d’entraînement des moudjahidines"), une des organisations de la galaxie talibane, responsable de l'assassinat du commandant Massoud (l'un des chefs de guerre moudjahidines, principal dirigeant du Front Uni contre les talibans, l'Alliance du Nord) et des attentats du 11 septembre, évidemment, mais aussi de nombreux autres attentats jusque là surtout anti-américains.     A cet égard, remarquons qu’on caractérise souvent mal Al Quaïda : c’est certes un mouvement fondamentaliste religieux, mais c’est avant tout une réaction à l’impérialisme, d'abord russe, puis américain/occidental. Cela ne signifie bien entendu pas que ça justifie quoi que ce soit dans leur action, mais que lorsque certains ont prétendu qu’ils souhaitaient un califat islamique sur toute la planète, ceux là se trompaient (ou trompaient leur audience) : Al Quaïda ne dirait sans doute pas non à un tel projet, évidemment, mais ce n'était pas leur objectif premier (idem pour les talibans). Après 2001, les talibans sont vite battus, un peu pour les mêmes raisons qui expliquent qu’ils ont vite récupéré le terrain ces derniers mois d’ailleurs : à cause de sa géographie, le pays est bien facile à conquérir qu'à tenir face à des conquérants. Et on arrive au point où nous en étions tout à l’heure, lorsque George W. Bush, après cette victoire facile, plutôt que de reconstruire, a réorienté les ressources pour dynamiter l’Irak en 2003 et y créer le vide politique qui permettra l'apparition de Daech (mais c'est une autre histoire).

Evolution dans le temps de la présence militaire américaine en Afghanistan © BBCEvolution dans le temps de la présence militaire américaine en Afghanistan © BBC

Ensuite, Obama renforce massivement la présence militaire américaine en 2009, mais après que Ben Laden a été tué en mai 2011, l’opinion américaine ne suit plus, et les Etats Unis amorcent leur retrait dès juin, pivotant vers un soutien du gouvernement afghan et arrêtant les combats actifs. La force internationale suit.

Il y aurait énormément à dire sur la période courant de 2001 à aujourd'hui, tant de choses qu'il vaut mieux renvoyer à des ressources externes s'étendant plus en détail, sur les éléments qui participent à expliquer l'échec à construire un Etat afghan stable :    - Sur un historique des dissensions entre militaires et politiques américains, de la détérioration des relations entre les Etats Unis et le gouvernement afghan, intransigeant et malavisé dans sa volonté trop centralisatrice pour le pays, de la corruption rampante notamment dans l'armée afghane, des abus des troupes américaines et internationales qui ont retourné l’opinion afghane, etcaetera___- Sur l’Iran, le Pakistan, la Russie, la Chine qui jouent chacun leur carte géopolitique_____- Sur la question des financements des talibans____- Sur celle de la production d'opium, principale ressource exportée par le pays

      Conclusion(s)    Lorsque j'ai eu à travailler sur le pays en 2013, la situation paraissait déjà inextricable : en gros, c’était soit investir 1 000 fois plus que ce qu'aucun pays n'était prêt à faire, soit quitter le pays, avec un risque non négligeable qu'il retombe dans le chaos. La reprise du pouvoir par les talibans était-elle inévitable ? Difficile à dire, il est de toute façon trop tard pour espérer une fin alternative.   Néanmoins, il faut dire que, si une fin alternative a un jour été envisageable, la fin qui s'est déroulée sous les yeux du monde ces derniers jours était intégralement prévue (même si elle est allée plus vite qu'imaginée par les Etats Unis).    En effet, en février 2020, Donald Trump a signé, sans le gouvernement afghan, un accord avec les talibans, l'accord de Doha. Cet accord organise la protection des américains pendant leur départ, et, tacitement, la reprise du pays par les talibans. L'accord fait libérer 5400 prisonniers talibans en échange de la libération de 1000 soldats afghans prisonniers et de 7 jours de cessez-le-feu. Ensuite ? Plus une seule attaque contre les forces de la coalition internationale, mais une explosion des attaques contre les forces afghanes : on l'a dit, l'armée afghane a perdu plus d'hommes cette dernière année que les américains depuis 2001.    C’est cet accord qui explique que les occidentaux soient aujourd'hui relativement en sécurité à Kaboul, comme cette journaliste de CNN ou les ressortissants français ou protégés par la France, alors que les talibans contrôlent le pays : ils savent que s’ils tuent un américain, ils risquent de retourner l’opinion américaine et voir la cavalerie revenir....".[M. Malaussena]    _____________________________

dimanche 22 août 2021

En deux mots

 __ Fnac: tout blanc

__  Ménage travailliste

__ Toujours plus haut

__ Afghans à Paris

__ Cruel dilemme    

__ Iran: stupéfiant!

__ Pourquoi pas?

__ Peut-on y croire?

__ Saint Denis: vers la gentrification?      _____________